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Full text of "Histoire de l'église Saint-Sulpice"

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HISTOIRE 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE 


17rOGKAPHIE  FIRMIN'-DIDOT   ET  Cie.   —   MESXIL   (EDRB), 


->'   " 


Eglise  Saixt-Sultice. 


HISTOIRE 


DE 


L'ÉGLISE  SAINT-SLLFICE 


Par  Charles  HAMEL 

TRÉSORIER    DE    T..V     FABRIQUE    DE    I   ETTE     ÉGLISE 

DOCTEUR    EN    DROIT,    COMMANDEUR    DES    ORDRES 

DE    SAINT-GRÉGOIRE    LE    GRAND    ET     Dl      SAINT-SÉPULCRE 


PARIS 

LIBRAIRIE    VICTOR    LECOFFRE 


R  TT  E     BONAPARTE.     90 


190  0 


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o 


PREFACE 


En  livrant  à  l'impression  VHistoire  de  l'église  Saint- 
Sulpice,  nous  croyons  devoir  indiquer  les  motifs  qui 
nous  l'ont  fait  écrire. 

Nous  avons  déféré  to*  !^ord  au  désir  que  M.  le 

curé  Méritan ,  de  pieuse  n:  ,  nous  en  avait  exprimé; 

et  l'affectueuse  bienveillance  qu'il  nous  avait  toujours  té- 
moignée, depuis  vingt-cinq  ans  bientôt  qu'il  dirigeait  la 
paroisse,  ne  nous  permettait  pas  de  décliner  l'honneur 
qu'il  voulait  bien  nous  faire  en  nous  adressant  cette 
invitation. 

Nous  avons  pensé  d'ailleurs  qu'il  pourrait  être  inté- 
ressant de  publier  les  annales  de  cette  église,  célèbre 
dans  la  chrétienté  tout  entière,  de  signaler  les  phases 
diverses  de  sa  construction  qui  s'est  prolongée  pendant 
près  d'un  siècle  et  demi,  et  d'indiquer  les  faits  mémo- 
rables dont  elle  a  été  le  théâtre. 

Nous  avons  cru  également  répondre  à  la  légitime  cu- 
riosité du  lecteur,  en  plaçant  sous  ses  yeux  une  brève 
notice  biographique  sur  chacun  des  curés,  presque 
tous  Sulpiciens,  qui,  depuis  M.  Olier,  ont  dirigé  cette 
paroisse,  y  ont  entretenu  la  piété  exemplaire  qui  la 
distingue  et  ont  justifié  par  eux-mêmes   cette  parole, 


„  PRÉFACE. 

toujours  vraie,  de  Fénelon,  «  qu'il  n'y  a  rien  au  monde 
«  de  plus  apostolique  ni  de  plus  vénérable  que  la 
«   Compagnie  de  Saint-Sulpice  ». 

Mais  une  considération,  plus  haute  encore,  nous  a 
surtout  déterminé  à  entreprendre  ce  travail  : 

Il  nous  a  semblé  qu'en  nos  temps  malheureux  de  ma- 
térialisme croissant  il  était  opportun  de  mettre  en  lu- 
mière la  figure  admirable  et  trop  peu  connue  de  M.  Olier, 
dans  la  vie  duquel  le  surnaturel  éclate  à  chaque  instant, 
et  qu'il  ne  pourrait  être  que  très  profitable  à  l'édification 
du  public  religieux  de  montrer  dans  ce  grand  serviteur 
de  Dieu  tous  les  caractères  d'une  sainteté  éminente,  ca- 
ractères qui  ressortent  à  la  fois  des  grâces  insignes  dont 
il  a  été  prévenu  dès  sa  naissance;  de  la  fidélité  constante 
avec  laquelle  il  y  a  répondu;  de  l'héroïsme  des  vertus 
d'humilité,  d'abnégation,  de  zèle,  de  piété  qu'il  a  cons- 
tamment pratiquées;  de  la  grandeur  des  trois  principales 
œuvres  auxquelles  il  a  été  prédestiné  de  Dieu  :  l'Institu- 
tion du  Séminaire,  la  création  de  la  Compagnie  et  la 
restauration  de   la  paroisse   de  Saint-Sulpice;    comme 
aussi  du  cachet  de  perfection  et  de  durée  qu'il  a  imprimé 
à  chacune  d'elles. 

Et  notre  vœu  le  plus  cher  est  que  la  conviction  de  sa 
sainteté,  en  pénétrant  de  plus  en  plus  dans  l'esprit  des 
fidèles,  augmente  leur  confiance  en  son  intercession  et 
provoque,  de  leur  part,  un  redoublement  de  prières  fer- 
ventes, qui  contribuent  à  hâter  la  venue  du  jour  béni  où 
le  Saint-Siège,  en  proclamant  sa  béatification  dont  la 
cause  est  introduite,  nous  permettra  de  placer  son  image 
sur  nos  autels  et  de  lui  rendre  un  culte  public. 


PRÉFACE.  m 

Nous  déclarons  enfin,  comme  tout  fils  soumis  de  la 
sainte  Église  romaine  doit  le  faire,  que  si,  dans  le  cours 
de  cet  ouvrage,  nous  avons  cité  des  faits  surnaturels  ou 
si  nous  avons  appliqué  à  certaines  personnes  les  épi- 
thètes  de  Saint  ou  de  Vénérable,  nous  n'avons  entendu 
préjuger  en  rien  la  sentence  de  l'Église  à  cet  égard  et 
que  nous  soumettons,  au  contraire,  sans  réserve  et 
avec  un  respect  tout  filial,  notre  travail  comme  notre 
personne  à  l'autorité  infaillible  du  Vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Paris,  19  janvier  1900,  en  la  fêle  de  saint  Sulpiee. 


HISTOIRE 


DE 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE 


CHAPITRE  PREMIER 


ORIGINES    DE  L  EGLISE   SAINT-SULPICE. 


Sommaire  :  Incertitude  sur  les  origines  de  cette  église.  —  Conjecture  la  plus 
probable.  —  D'abord  une  des  quatre  chapelles  succursales  de  l'abbaye  Saiut- 
Germain  des  Prés,  elle  devient,  au  vu?  siècle,  l'église  principale  et  parois- 
siale de  son  vaste  domaine.  —  Étendue  de  sa  circonscription.  —  Sa  recons- 
truction au  xuc  siècle.  —  Ses  agrandissements  successifs  sous  François  Ier  et 
sous  Louis  XIII.  —  Son  exiguïté  par  rapport  à  la  population  de  la  paroisse. 
—  Énumération  des  communautés  et  hôpitaux  établis  sur  son  territoire.  — 
Liste  de  ses  confréries.  —  Culte  de  la  Sainte  Vierge. 


Les  origines  de  l'église  Saint-Sulpice  demeurent  encore 
inconnues ,  malgré  les  nombreuses  recherches  qui  ont  été 
faites  jusqu'ici  pour  les  découvrir. 

Le  vocable  sous  lequel  elle  est  placée  aurait  été ,  selon 
Ch.  des  Granges,  l'auteur  de  Y  Histoire  illustrée  des  pa- 
roisses de  Paris  (1),  celui  d'une  communauté  de  clercs 
établie  à  Paris,  sous  le  règne  de  Clotaire  III,  vers  l'an  660, 
par  l'évêque  Chrodobert  sur  l'emplacement  même  occupé 
aujourd'hui  par  l'église;  et  il  aurait  été  donné  à  cette 
communauté  par  son  fondateur,  en  mémoire  d'un  de  ses 


[l)  1  vol.  in-fol.  —  1886. 

ÉGLISE    SAI.NT-SULPICE. 


2  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

prédécesseurs  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Bourges, 
saint  Sulpice,  dit  le  Débonnaire  ou  le  Pieux  (1). 

Cetle  assertion  en  elle-même  n'a  rien  d'invraisem- 
blable* mais  elle  ne  repose  sur  aucun  fondement  et  sa 
gratuité  nous  empêche  de  l'admettre.  Nous  inclinerions 
plutôt  à  croire  que  dès  le  septième  ou  le  huitième  siècle 
l'église  Saint-Sulpice  est  devenue  l'une  des  succursales  de 
l'abbaye  Saint-Germain  des  Prés,  simple  oratoire  ou  cha- 
pelle d'abord,  puis  église  plus  importante  lorsqu'elle  fut 
rebâtie  au  douzième  siècle  et  successivement  agrandie 
ensuite  jusqu'à  sa  reconstruction  dernière,  commencée 
en  16i6  et  terminée  seulement  en  17i5. 

Comme  tous  les  anciens  monastères,  en  effet,  la  puis- 
sante abbaye  bénédictine  de  Saint-Germain  des  Prés, 
fondée  en  5V3  par  Childebert,  fils  de  Clovis,  à  l'issue  de 
sa  campagne  d'Espagne  contre  Amalaric,  et  placée,  à  son 
origine,  sous  le  vocable  et  sous  le  patronage  de  saint 
Vincent  (2),  avait  sous  sa  dépendance  et  sa  juridiction 
plusieurs  chapelles  ou  églises  qu'elle  préposait  aux  be- 
soins spirituels  des  populations  de  son  vaste  domaine  (3) 
et  qui  leur  servaient  de  paroisses. 


(1)  lbid.,  p.  77. 

(2)  Elle  prit  le  nom  de  Saint-Germain  des  Prés  en  576,  à  dater  de  la 
mort  de  saint  Germain,  évêque  de  Paris  sous  le  règne  du  même  Roi,  qui 
avait  beaucoup  contribué  à  sa  fondation  et  qui  choisit  dans  son  église  le 
lieu  de  sa  sépulture. 

M.  Clément  de  Ris,  dans  sa  notice  sur  l'église  de  Saint-Germain  des  Prés 
(insérée  dans  l'Inventaire  général  des  richesses  d'art  de  la  France,  Paris, 
Monuments  religieux,  t.  I,  p.  105),  dit  que  ce  n'est  qu'en  75i  que  l'église 
abbatiale  changea  son  nom  pour  prendre  celui  de  l'illustre  évêque  qui  en 
avait  conseillé  la  fondation. 

(3)  Ce  domaine  consistait  dans  la  terre  fiscale  d'Issy.  fiscum  Isiacen- 
sem,  dont  elle  avait  élé  gratifiée,  à  titre  de  don  gratuit,  par  son  fondateur. 
Cette  terre  considérable,  détachée  du  domaine  de  la  couronne,  avait  son 
point  de  départ  au  Petit-Pont  et,  longeant  la  rue  de  la  Harpe ,  s'étendait 
au  sud  jusqu'à  la  place  Saint-Michel,  appelée  autrefois  porte  Gebart  ; 
de  là  elle  trouvait  sa  ligne  de  démarcation  à  l'ancien  enclos  des  Chartreux, 
aujourd'hui  remplacé   par  le  jardin  du   Luxembourg;  puis,  atteignant  le 


ORIGINES  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE.  3 

L'abbé  Lebeuf  en  compte  quatre  : 

1°  C'était  d'abord,  au  nord  de  l'abbaye,  la  chapelle  de 
Saint-Pierre,  capella  beau  Pelri ,  située  à  l'endroit  où  a 
été  construite  depuis  X église  de  la  Charité,  et  si  étroite 
qu'elle  pouvait  à  peine  contenir  douze  personnes.  Cette 
chapelle,  vulgairement  appelée  Saint-Père ,  a  donné  son 
nom  à  la  rue ,  nommée  aujourd'hui,  par  corruption ,  la 
rue  des  Saints-Pères.  Avec  le  cimetière  qui  y  était 
joint  (1),  elle  n'occupait  qu'une  superficie  d'un  demi- 
arpent  (2). 

2°  C'était  ensuite,  au  Midi,  et  adossée  à  la  basilique  ab- 
batiale elle-même,  l'église  de  Saint-Symphorien ,  dont  la 
circonscription  territoriale  était  limitée  au  cloître  ou  en- 
clos de  l'abbaye  (3). 

Contemporaine  de  cette  dernière,  elle  avait  eu  l'hon- 
neur de  recevoir,  tout  d'abord,  en  dépôt  le  corps  de  saint 
Germain,  mort  en  176  et  qui  y  fut  inhumé  à  côté  d'Éleu- 
thère,  son  père,  et  d'Eusébie,  sa  mère,  dont  elle  possédait 
déjà  les  tombeaux  (V).  Mais  il  lui  fut  enlevé  en  754-,  pour 
être  transféré  dans  la  basilique  (5) ,  lorsqu'elle  n'en  fut 
plus  devenue  qu'une  annexe,  par  suite  du  percement  du 
mur  qui  l'en  séparait  (6). 


chemin  de  Yaaves,  elle  passait  au-dessus  de  Meudon  et  allait  aboutir  à  la 
Seine  en  suivant  la  direction  de  la  petite  rivière  de  Sèvres.  (Les  églises  de 
Paris,  par  l'abbé  Chauviesse,  p.  103.) 

(1)  Les  anciennes  églises  paroissiales,  dépendant  des  abbayes,  avaient 
toutes  un  cimetière  auprès  d'elles.  (L'abbé  Lebeuf,  Histoire  de  la  ville 
et  du  diocèse  de  Paris,  t.  II,  p.  446.  Éd.  in-12  de  1754.) 

(2)  Simon  de  Doncourt,  Remarques  historiques  sur  l'église  et  la  pa- 
roisse de  Saint-Sulpice,  p.  5. 

(3)  Les  églises  de  Paris,  par  l'abbé  Chauviesse,  Introd.,  p.  xn. 

(4)  C'était  du  monastère  de  Saint-Symphorien,  d'Autun,  dont  il  était 
abbé  avant  de  monter  sur  le  siège  de  Paris,  que  saint  Germain  avait  tiré 
les  religieux  qui,  les  premiers,  prirent  possession  de  l'abbaye  Saint-Germain 
des  Prés. 

(5)  L'abbé  Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  429. 

(6)  Le  percement  de  ce  mur  et  la  translation  du  corps  de  saint  Germain 


4  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Restaurée  au  xic  siècle  et  dédiée  alors  à  saint  Sym- 
phorien  et  à  saint  Nicolas,  évêque  de  Myre,  elle  fut  re- 
construite au  commencement  du  xvne  siècle  et  consacrée 
à  nouveau,  le  27  avril  1619,  par  saint  François  de  Sales. 
Elle  fut  détruite  à  la  Révolution. 

3°  C'était  aussi  la  chapelle  de  Saint-Martin,  près  de  l'ab- 
baye, désignée  dans  un  titre  de  1286  (1)  sous  le  nom  de 
Sancli  Martini  in  Fossatis,  propè  monasterium  Sancti 
Germani  de  pratis,  et  connue  également  sous  le  nom  de 
Sancti  Martini  in  orgeriis ,  in  abbatiâ  Sancti  Germani. 
Une  messe  y  avait  été  fondée,  en  1278,  pour  le  repos  de 
l'àme  d'un  des  écoliers  de  l'Université,  tué  par  un  domes- 
tique de  l'abbaye.  Détruite  en  1368,  pendant  la  guerre 
des  Anglais,  elle  fut  relevée  de  ses  ruines  en  1517  par 
l'évêque  de  Paris,  Etienne  V  de  Poncher,  qui  la  conféra  à 
titre  de  bénéfice. 

k°  C'était  enfin  l'église  paroissiale  de  Saint-Sulpice  dont 
la  circonscription  primordiale  embrassait  toute  l'étendue 
du  domaine  de  l'abbaye  Saint-Germain  des  Prés  (2). 

A  quelle  époque  peut-on  en  faire  remonter  la  première 
construction?  On  est  toujours  réduit  à  cet  égard  à  des 
conjectures. 

Le  seul  document  qui  soit  parvenu  jusqu'à  nous  et  sur 
lequel  on  puisse  s'appuyer,  est  le  passage  suivant  d'une 
copie  du  Martyrologe  d'Usuard,  moine  de  l'abbaye,  con- 
temporain de  Charles  le  Chauve  (8V0-877),  à  qui  il  le  dé- 
dia :    «  VI  Idus  die  10  mensis  Maii,  apud  monasterium 


avaient  été  prescrits  par  Lanfroy,  quatorzième  successeur  de  Doctrovée,  le 
premier  abbé. 

A  l'occasion  de  cette  solennité,  Pépin  le  Bref  fit  présent  à  l'abbaye  de  sa 
terre  de  Palaiseau(Palaliolum)  avec  toutes  ses  dépendances-,  et  celte  dona- 
tion fut  constatée  par  une  inscription  gravée  sur  une  table  de  pierre  qui 
fut  scellée  dans  le  mur  de  la  cbapelle  Saint-Symphoricn.  L'abbé  Lebeuf,  loc. 
cil.,  p.  430. 

(1    L'abbé  Lebeuf,   loc.  cit.,  p.  430. 

(2)  Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  445. 


ORIGINES  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPICE.  5 

«  Sancti  Germani  dedicatio  in  honore  Sancti  Joannis  Bap- 
«  tistae,  Sancti  Laurentii,  archidiaconi,  atque  Sancti  Sulpi- 
«  cii ,  -  episcopi  »;  d'après  l'écriture  et  les  caractères  de 
cette  copie,  qui  est  certainement  du  xn°  siècle,  on  en 
conclut  qu'il  s'agit  là  de  la  mention  de  la  dédicace  de 
l'église  Saint-Sulpice,  effectuée  vers  l'an  11*20.  Puis  peu 
à  peu  l'usage  s'introduisit  d'abréger  rénumération  des 
patrons  de  cette  église  et  de  n'en  conserver  que  le  der- 
nier. 

Mais  plusieurs  raisons  permettent  de  croire  que  cette 
église  est  beaucoup  plus  ancienne  : 

C'est  d'abord  le  témoignage  d'Usuard  lui-même  qui 
parle  de  cette  église  comme  existant  en  l'année  807  et 
qui,  dans  son  martyrologe,  fait  un  éloge  tout  particulier 
de  saint  Sulpice  en  traitant  de  la  fondation  et  des  solen- 
nités de  cette  église. 

C'est  encore  la  découverte  faite,  en  172i,  dans  le  parvis 
de  cette  église,  de  deux  sépulcres  dont  l'un  remonte  au 
xne  siècle  et  l'autre  au  vme  au  plus  tard,  d'après  les 
caractères  de  l'inscription  suivante  gravée  sur  la  pierre 
qui  le  recouvrait  :  «  Hic  jacet  inchisus  Tetdoli  ou 
Tetopi  de  stirpe  natus  Herluinus  condam  vocatus  no- 
mine,  qui  obiit  quinquagenarius  ».  Et  l'on  sait  que  les 
églises  paroissiales,  dépendant  des  abbayes,  enterraient 
leurs  morts  non  pas  seulement  dans  les  cimetières  qui 
leur  étaient  contigus,  mais  même  dans  leur  parvis  ou 
atrium  (1).  L'abbé  Lebeuf  croit  même  que  c'était  l'église 
baptismale  du  bourg  de  l'abbaye  [villa  Sancti  Germani), 
de  sorte  que  ce  bourg  avait  son  baptistère,  comme  la  Cité 
avait  le  sien  à  Notre-Dame  dans  les  siècles  antérieurs  (2). 

C'est  aussi  la  grande  vénération  qui  s'attachait,  bien 


(1)  Aussi  le  mot  atrium  esl-il  souvent  employé  par  les  auteurs  du  moyen 
âge  comme  synonyme  de  cimetière.  L'abbé  Lebeuf,  toc.  cit. 

(2)  Ibid.  Le  baptistère  était  le  signe  distinctif  de  la  paroisse. 


fi  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SCLPICE. 

avant  le  vui°  siècle,  à  la  mémoire  de  saint  Snlpice  dans 
toute  la  Province  ecclésiastique  dont  il  avait  été  le  mé- 
tropolitain et  particulièrement  dans  le  diocèse  de  Paris  (1) 
dès  la  première  moitié  du  vnc  siècle;  et  d'ailleurs  les 
moines  de  Saint-Germain  des  Prés,  qui  avaient  des  biens 
dans  le  Berry,  connaissaient  mieux  que  personne  la  sain- 
teté de  la  vie  du  pieux  archevêque  (2). 

Saint  Éloi,  le  trésorier  de  Dagobert  Fr  (588-659),  qui 
avait  été  témoin  d'un  miracle  opéré  sur  son  tombeau,  en 
avait  écrit  et  publié  la  relation  (3).  Il  n'est  donc  pas  sur- 
prenant que  dès  alors  ils  aient  tenu  à  placer  sous  le  pa- 
tronage de  ce  grand  saint  la  principale  église  du  do- 
maine de  leur  abbaye. 

Cette  église,  celle  du  moins  du  xnc  siècle,  était  de  style 
gothique,  à  en  juger  par  la  charmante  gravure  d'Israël 
Silvestre  qui  en  reproduit  la  façade  extérieure,  mais 
petite  et  modeste,  véritable  église  de  village,  pieuse  et 
recueillie  comme  il  convenait  alors  aux  besoins  du  fau- 
bourg qui,  sauf  aux  environs  de  l'abbaye  et  du  Luxem- 
bourg, n'était  habité  que  par  des  serfs  et  des  vigne- 
rons (4). 

A  deux  reprises,  elle  fut  un  peu  agrandie  :  d'abord, 
sous  François  Ier,  où  la  nef  fut  refaite,  puis  sous  Louis  XIII, 
de  1614  à  1631,  où  six  chapelles  y  furent  ajoutées,  dont 
trois  du  côté  du  presbytère  et  trois  du  côté  du  clocher, 
ainsi  qu'un  nouveau  charnier  pour  la  communion  du  côté 


(1)  Le  diocèse  de  Paris  faisait  alors  partie  de  la  Province  ecclésiastique 
de  Bourges. 

(2)  Saint  Sulpice  avait  fondé  lui-même  une  abbaye  bénédictine  à  Bourges. 

(3)  Simon  de  Doncourt,  loc.  cit.,  p.  275. 

(4)  Le  bourg  Saint-Germain  se  peupla  de  plus  en  plus  à  dater  de  l'af- 
francbissement  que  l'abbé  Hugues  d'Issy  accorda,  en  1247,  à  tous  ceux  de 
ses  habitants  qui  étaient  serfs,  moyennant  certaines  redevances.  Néan- 
moins, même  du  temps  de  François  Ier,  plusieurs  rues  de  la  paroisse  n'é- 
taient pas  encore  pavées.  Ce  fut  un  arrêt  de  Parlement,  du  24  mars  1544, 
qui  ordonna  le  pavage  de  la  rue  de  Seine. 


ORIGINES  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE.  7 

de  la  rue  des  Fossoyeurs,  d'après  les  plans  du  célèbre 
architecte  de  l'époque,  Christophe  Gamard  (1). 

Mais  même,  en  1642,  lorsque  M.  Olier  en  prit  posses- 
sion, elle  ne  mesurait  encore  que  60  mètres  de  long  sur 
27  de  large;  ses  cinq  nefs  étaient  trop  étroites;  la  voûte 
de  la  nef  principale  trop  surbaissée;  et,  dans  ces  dimen- 
sions restreintes,  elle  ne  répondait  plus  aux  exigences 
de  sa  population  qui  s'était  accrue,  de  siècle  en  siècle, 
jusqu'au  chiffre  de  cent  mille  âmes  (2). 

Entre  toutes  les  paroisses  de  la  capitale,  Saint-Sulpice 
était  celle  qui  comptait  le  plus  de  communautés,  d'hôpi- 
taux, de  confréries,  surtout  depuis  le  xvie  siècle,  et  qui  se 
distinguait  aussi  davantage  par  sa  piété  envers  la  Très 
Sainte  Vierge. 

Elle  renfermait  en  eflTet  : 

1°  L'hôpital  des  petites  maisons,  établi  en  1557; 

2°  L'hùpital  de  la  Charité,  rue  Saint-Pierre  ou  des 
Saints-Pères,  en  1602; 

3°  Les  Auguslins  déchaussés  de  la  reine  Marguerite, 
en  1609; 

4°  Le  Noviciat  des  Jésuites,  rue  du  Pot-de-Fer,  en  1610  ; 

5°  Les  Carmes  déchaux,  rue  de  Vaugirard,  en  1611  ; 

6°  Les  Religieuses  du  Calvaire,  même  rue,  en  16*25; 

7°  Les  Dominicains,  rue  Saint-Dominique,  en  1632; 

8°  L'hôpital  des  Incurables,  rue  de  Sèvres,  en  1634; 

9°  Les  Religieuses  chanoinesses  du  Saint-Sépulcre,  de 
l'Ordre  de  Saint-Augustin,  venues  de  Charleville  à  Relie- 
chasse,  rue  Saint-Dominique,  en  1635  ou  1636; 

10°  Les  Rernardines  du  Précieux  Sang,  en  1635; 

11°  Les  Récollettes,  rue  du  Rac,  en  1640; 


(1)  Rem.  hist.,  1-9.  Voir  le  dessin  de  cette  église,  infra,  p.  77. 

(2)  La  plupart  de  ces  détails  sont  consignés  dans  l'ouvrage  de  l'abbé  Le- 
beuf,  qui  se  rappelait  avoir  visité  plusieurs  fois  cette  église  dans  les  pre- 
mières années  du  xvue  siècle,  loc.  cit.,  p.  447. 


8  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

12e  Les  Filles  de  Saint- Joseph  ou  de  la  Providence,  rue 
Saint-Dominique,  en  16il  (1). 


(1)  L'abbé  Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  450. 

Plus  tard  s'y  établirent  encore  jusqu'à  la  Révolution  : 

1°  Le  séminaire  de  Sainl-Sulpice,  en  1642  et  1645. 

2°  Les  Tbéalins,  quai  Malaquais,  en  1648; 

3°  L'hô|iital  des  convalescents,  rue  du  Bac,  en  1652; 

4»  Les  Filles  de  Notre-Dame  de  la  Miséricorde,  d'abord  rue  Mézières,  en 
1649,  puis  rue  du  Vieux-Colombier,  en  1651  ; 

5°  Les  Bernardines  de  l'abbaye  de  Noire-Dame  au  Bois,  transférées  du 
diocèse  de  Noyon  en  la  rue  de  Sèvres,  en  1654; 

6°  Les  religieuses  du  Saint-Sacrement,  rue  Cassette,  en  I65'i; 

7°  Le  collège  Mazarin,  en  1661  ou  1662; 

8°  Les  Prémontrés  réformés  ou  de  la  Croix  Rouge,  en  1666; 

9°  La  communauté  des  Filles  de  l'Instruction  chrétienne,  en  1662; 

10°  Les  Bénédictines  de  Notre-Dame  de  Liesse,  rue  de  Sèvres,  vers  1663; 

11°  Le  séminaire  des  Missions  étrangères,  fondé  en  1663,  rue  du  Bac  et 
rue  deBabylone; 

12°  Les  Bénédictines  de  Notre-Dame  de  Consolation,  rue  du  Chasse-Midi 
ou  Cherche-Midi,  en  1669; 

13°  L'hôtel  royal  des  Invalides,  en  1670; 

14°  Les  Bernardines  transférées  de  l'abbaye  de  Pantemont,  au  diocèse  de 
Beauvais,  en  la  rue  de  Grenelle,  en  1671  ; 

15°  Les  religieuses  de  la  Visitation,  rue  du  Bac,  en  1673; 

16°  La  Communauté  des  Filles  orphelines,  rue  du  Vieux-Colombier, 
en  1680; 

17°  Le  collège  du  Mans,  transféré  de  la  rue  de  Reims  à  l'entrée  de  celle 
d'Enfer,  en  1682; 

18°  La  communauté  du  Bon-Pasteur,  rue  du  Chassa-Midi,  en  1688; 

19°  Le  couvent  des  Carmélites,  transféré  de  la  rue  du  Bouloir  en  la  rue 
de  Grenelle,  en  1689; 

20°  Le  Prieuré  des  Bénédictines  de  Notre-Dame  des  Prés,  transféré  du 
diocèse  de  Reims  en  la  rue  de  Vaugirard,  en  1689; 

21°  Le  séminaire  de  Saint-Louis,  institué  à  l'entrée  de  la  rue  d'Enfer, 
en  1696; 

22°  La  communauté  des  Filles  de  Sainte-Thècle,  rue  de  Vaugirard,  vers  1700; 

23°  La  communauté  des  Filles  pénitentes  de  Sainle-Valère,  rue  de  Gre- 
nelle, près  des  Invalides,  en  1706; 

24°  La  communauté  de  l'Enfant  Jésus  au  delà  de  la  rue  de  Sèvres,  établie 
par  M.  Languet,  curé  de  la  paroisse,  pour  l'éducation  de  30  jeunes  lilles 
nobles; 

25°  Et  le  couvent  des  Petites  Cordelières  à  l'entrée  de  la  rue  de  Grenelle, 
supprimé  en  1750. 

V.  Lebeuf,  ibicl.  et  dans  son  édition  Cocheris,  t.  III,  p.  140  et  suiv. 


ORIGINES  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE.  <J 

C'était  également  la  paroisse  par  excellence  des  Con- 
fréries, dont  on  ne  saurait  trop  reconnaître  l'heureuse  in- 
fluence pour  la  préservation  de  la  foi  et  des  mœurs  dans 
les  rangs  de  la  bourgeoisie  et  de  la  classe  ouvrière,  aussi 
bien  en  France  qu'en  Italie  (1). 

La  plus  ancienne,  dont  on  ne  peut  cependant  pas  pré- 
ciser l'origine,  était  celle  du  Très  Saint-Sacrement  et  de 
son  Adoration  perpétuelle.  Les  personnes  de  tout  état  et 
de  toute  condition  pouvaient  en  faire  partie  et,  dès  l'an- 
née 1552,  un  registre  spécial  en  fait  foi,  elle  comptait 
plus  de  200  membres.  Une  bulle  de  Grégoire  XV,  du 
1er  juin  1622,  leur  accordait,  sous  les  conditions  ordinai- 
res, une  indulgence  plénière  le  jour  de  leur  réception,  le 
jour  de  l'Immaculée  Conception  de  la  Sainte  Vierge  et  à 
l'article  de  la  mort,  en  invoquant  de  cœur,  sinon  des  lè- 
vres, le  saint  nom  de  Jésus  (2).  Et  à  partir  de  1633  elle 
eut  des  maîtres  ou  administrateurs  dont  les  premiers  fu- 
rent choisis  le  26  décembre  de  cette  même  année. 

Une  autre,  qui  remontait  aussi  à  une  époque  reculée  et 
qui  admettait  également  les  personnes  de  toute  condition, 
était  celle  de  Saint-Roch,  de  Saint-Sébastien  et  de  Sainte- 
Julienne.  Les  marguilliers  de  la  paroisse  en  étaient,  de- 
puis 1552,  les  administrateurs;  et  une  bulle  d'Urbain  VIII, 
du  7  mai  1633,  lui  avait  accordé  les  mêmes  indulgen- 
ces. Elle  avait  pour  objet  d'éloigner,  par  l'intercession 
de  ces  trois  Saints,  la  peste  et  toutes  les  maladies  conta- 
gieuses (3). 

Celle  des  jardiniers  et  jardinières,  établie  en  l'honneur 
de  Jésus-Christ  apparaissant  à  Madeleine  sous  la  figure 
d'un  jardinier,  était  placée  sous  la  protection  de  saint 
Fiacre  et  de  sainte  Véronique. 

(1)  L.  Pastor,  Histoire  des  Papes  depuis  la  fin  du  Moyen  Age,  t.  V, 
p.  36  à  54. 

(2)  Simon  Je  Doncourt,  loc.  cit.,  p.  06. 

(3)  Ibid.,  p.  107  et  108. 


10  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Celle  de  Saint-Christophe  et  de  Sainte-Geneviève,  anté- 
rieure à  15i0  et  dans  laquelle  toute  personne  pouvait  en- 
trer, constituait  entre  ses  membres  une  société  d'assistance 
mutuelle  et  leur  assurait,  en  cas  de  maladie,  les  secours 
nécessaires  (1). 

Celle  de  l'Ascension  de  Notre-Seigneur,  pour  les  maçons 
et  tailleurs  de  pierre,  était  sous  la  protection  de  saint 
Louis  et  de  saint  Etienne.  Elle  ne  remontait  pas  au  delà 
de  1630  (2). 

D'autres  existaient  encore,  de  temps  immémorial,  pour 
tous  les  métiers  : 

Celle  de  Saint-Pierre  aux  Liens  pour  les  savetiers; 

Celle  de  Saint-Sulpice  et  de  Saint-Antoine  pour  les 
personnes  de  tout  état. 

Celle  de  Saint-Joseph  pour  les  charpentiers  ; 

Celle  de  Saint-Jacques  pour  les  chapeliers; 

Celle  de  Saint-Jean,  porte  latine,  pour  les  apothicaires, 
épiciers  et  chandeliers-huiliers; 

Celle  de  Saint-Nicolas  pour  les  tonneliers,  les  maîtres 
d'école  et  les  écoliers; 

Celle  de  la  Sainte-Trinité  pour  les  tailleurs  ; 

Celle  du  Saint  Ange  Gardien  pour  les  fripiers; 

Celle  de  Saint-Crépin  et  de  Saint-Crépinien  pour  les 
cordonniers  ; 

Celle  de  Sainte-Claire  pour  les  brodeuses  et  ravaudeu- 
ses; 

Celle  de  Notre-Dame  de  Montsara  et  de  Saint-Jacques 
pour  les  pèlerins  ; 

Celle  de  Sainte-Anne  pour  les  menuisiers; 

Celle  de  Sainte-Barbe  pour  les  paumiers  ; 

Celle  de  la  Nativité  de  la  Sainte  Vierge  pour  les  tisse- 
rands ,  tissutiers  et  rubaniers  ; 


(1)  Simon  de  Doncourt,  loc.  cit.,  ]>.  110. 

(2)  Ibid.,  \>.  113. 


ORIGINES  DE  L'ËllLISE  SAINT-SULPICE.  Il 

Celle  de  Saint-Côme  et  Saint-Damien  pour  les  chirur- 
giens; 

Celle  de  Saint-Michel  pour  les  pâtissiers,  les  tuiliers  et 
les  tourneurs  ; 

Celle  de  Saint-Luc  pour  les  peintres; 

Celle  de  Saint-Éloi  pour  les  serruriers,  selliers,  maré- 
chaux, fournisseurs; 

Celle  de  Saint-Honoré  pour  les  boulangers; 

Celle  de  Saint-François  pour  les  tapissiers; 

Celle  de  Saint-Biaise  pour  les  cardeurs; 

Celle  de  l'Ascension  pour  les  couvreurs; 

Celle  de  Saint-Jean-Baptiste  pour  les  fourreurs. 

Le  culte  de  la  Très  Sainte  Vierge  avait  toujours  été  en 
honneur  à  Saint-Sulpice.  On  peut  même  dire  qu'il  est  con- 
temporain de  la  fondation  de  l'église  ;  et  c'est,  à  n'en  pas 
douter,  cette  fidélité  héréditaire  de  la  paroisse  dans 
ce  culte  béni  qui  lui  a  valu  l'insigne  faveur  de  compter 
parmi  ses  pasteurs  M.  Olier,  l'un  des  fils  les  plus  aimants 
et  les  plus  aimés  de  cette  Mère  de  miséricorde. 

On  y  comptait  cinq  chapelles  qui  lui  étaient  dédiées  : 
celle  de  l'Immaculée  Conception:  celle  de  Notre-Dame  de 
Liesse;  celle  de  Notre-Dame  des  Dix  Vertus;  celle  du  Ro- 
saire et  celle  du  Saint  Xom  de  Marie  (1).  Plus  tard,  ces 
cinq  chapelles  ont  été  réunies  en  une  seule ,  celle  de  der- 
rière le  chœur,  sous  l'invocation  de  la  Très  Sainte  Vierge 
dans  tous  ses  mystères ,  particulièrement  dans  son  Imma- 
culée Conception  et  comme  protectrice  spéciale  de  la  pa- 
roisse |  -2  . 


(1)  Simon  dcDoncourt,  Rem.  hist.,\>.  163. 

(2)  C'est  le  sujet  de  la  fresque  de  la  voûte  de  la  chapelle,  qui  a  été 
commandé  par  M.  Languet.  Trois  chapelles  basses  étaient  aussi  dédiées  à 
la  Très  Sainte  Vierge. 


CHAPITRE  II 


SES  PREMIERS  CURES  CONNUS. 


Sommaire  :  I"  Raoul  ou  Radulphus.  1309-1211.  —  Premier  démembrement  de 
la  paroisse.  —  Sentence  arbitrale  de  janvier  1210.  —  Indemnité  accordée  au 
curé  de  Saint-Sulpice.  —  Construction  des  deux  églises  de  Saint-André  des 
Arcs  et  des  Saints  Côme  et  Damien.  —  Affectation  de  cette  dernière  aux 
confrères  de  l'Académie  de  chirurgie.  —  Circonscription  de  ces  deux  nou- 
velles paroisses.  —  Limites  de  celle  de  Saint-Sulpice.  —2°  Guillaume.  12G7.  — 
3°  Regna'ult  de  Laitre.  1339-1360.  —  4°  Philippe  Chapelain.  13G8-138G.  —  Sceau 
de  la  Fabrique.  —  Premier  banc  placé  dans  l'église.  —  3°  Jean  de  Lauva- 
renne.  li-24.  —  G"  Denis  Chupin.  1461-14G2.  —  7°  Philippe  de  Morigny.  L 466-1*72. 
—  Translation  solennelle  des  reliques  de  saint  Sulpice  en  1518.  —  8°  Louis  Cé- 
name.  1520.  —  9°  Louis  Quélain.  1536-1356.  —  Bénédiction  du  grand  autel.  — 
Premier  règlement  organique  de  la  Fabrique.  —  Nombre,  attributions,  préro- 
gatives des  Marguilliers.  —  Solennité  de  leur  installation.  —  Chargé  d'affaires 
de  la  Fabrique.  —  Prêtre  sacristain.  — -  10°  Philippe  Huart.  1537-1588.  —  Peste 
de  1587.  —  Procession  solennelle.  —  Arrêt  du  Parlement  réglant  la  perception 
du  Casuel  des  curés  de  Paris.  —  11°  Aymart  de  Chavaignac.  1588-1601.  —  Son 
patriotisme.  —  Estime  qu'il  inspire  à  Henri  IV.  —  Son  dévouement  pendant 
la  peste  de  159G.  —  12°  Henri  Lemaire.  1001-1610.  —  13°  Simon  de  Montereul. 
1619-1631.  — 14°  Julien  de  Fiesque.  1631-1642.—  Mission  prèchée  par  saint 
Vincent  de  Paul  ù  Saint-Sulpice. 


Les  anciens  curés  de  Saint-Sulpice  ne  nous  sont  pas 
mieux  connus  que  les  origines  de  l'église  ;  les  documents 
historiques  nous  font  défaut  sur  les  uns  comme  sur  les 
autres. 

1°  Raoul  ou  Radulphus  (1209-1211). 

Le  premier  dont  il  soit  fait  mention  dans  les  annales 
de  Paris  est  Raoul  ou  Radulphus,  qui  dirigeait  cette  pa- 
roisse lorsqu'elle  eut  à  subir  son  premier  démembrement. 

L'enceinte  de  la  capitale,  ordonnée  par  Philippe-Au- 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  13 

guste,  venait  d'être  achevée  en  1209;  et  ses  nouvelles 
murailles  englobaient  une  certaine  partie  de  terrains  dé- 
pendant de  l'abbaye  Saint-Germain  et  compris  jusque-là 
dans  la  circonscription  de  la  paroisse  Saint-Sulpice. 

Ce  changement  de  délimitation  entraîna  une  double 
contestation  :  l'une,  entre  l'évèque  de  Paris  et  l'abbé  de 
Saint-Germain  des  Prés,  au  sujet  de  la  juridiction  sur  les 
terres  nouvellement  encloses;  l'autre,  sur  l'attribution 
paroissiale  de  ces  terres,  entre  le  curé  de  Saint-Sulpice  qui 
voulait  les  garder  et  le  curé  de  Saint-Séverin  qui  préten- 
dait y  faire  les  fonctions  curiales  par  suite  des  règlements 
de  police  qui,  prescrivant  la  fermeture  des  portes  de  la 
ville  pendant  la  nuit,  ne  permettaient  pas  au  curé  de 
Saint-Sulpice  d'y  pénétrer  pour  l'administration  des  sa- 
crements. 

Ces  deux  différends  furent  terminés  par  une  sentence 
arbitrale  rendue  en  janvier  1210,  ratifiée  par  l'évèque  de 
Paris  en  1211,  confirmée  par  Philippe-Auguste,  et  par 
saint  Louis  en  1270,  et  approuvée  par  le  pape  Honorius  IV 
en  1285.  Elle  réglait  que  la  juridiction  spirituelle  appar- 
tiendrait désormais  à  l'évèque  de  Paris  dans  l'étendue 
des  terrains  de  l'abbaye  enclavés  dans  l'enceinte;  que 
l'abbé  de  Saint-Germain  pourrait  y  faire  bâtir  une  ou  deux 
églises  paroissiales  dont  les  curés  seraient  à  sa  nomina- 
tion (1)  et  demeureraient  chargés  envers  l'abbaye  de 
trente  sols  de  rente  annuelle  et  perpétuelle;  que  l'évèque 
de  Paris  serait  tenu  de  payer  à  l'abbaye  40  sols  de  rente 
jusqu'à  la  construction  des  deux  églises;  et  que  pour  dé- 
dommager le  curé  de  Saint-Sulpice,  Raoul,  de  la  perte 
qu'il  faisait  de  sa  dime,  pour  lors  son  principal  revenu  (2), 


(1)  En  1345,  il  céda  à  l'Université  son  droit  de  nomination  des  curés  de 
ces  deux  églises. 

(2)  Comme  les  abbés  de  Saint-Germain  des  Prés,  les  curés  de  Saint-Sul- 
pice avaient  le  droit  de  mouture  au  Moulin  de  la  Pointe,  situé  à  la  jonc- 
lion  de  la  rue  de  Vaugirard  et  de  celle  des  Vieilles  Thuilleries,  prolongement 


I  i  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

l'abbé  de  Saint-Germain  lui  donnerait  ou  iO  sols  de  rente 
sa  vie  durant,  ou,  tous  les  jours,  un  pain  blanc  et  une 
pinte  de  vin,  tels  qu'on  les  donnait  aux  religieux. 

L'abbé  accepta  cette  sentence  et  s'empressa  de  l'exécu- 
ter, en  faisant  construire  les  deux  églises  de  Saint-André 
des  Arcs  et  de  Saint-Corne  et  Saint-Damien,  qui  furent  ter- 
minées en  1212  et  servirent  dès  lors  de  paroisses  aux  ha- 
bitants détachés  du  faubourg  Saint-Germain  et  de  la  pa- 
roisse Saint-Sulpice  par  la  nouvelle  clôture  de  Paris  (1). 

Celle  de  Saint-André  des  Arcs  était  située  dans  la  rue 
de  ce  nom ,  isolée  comme  celle  de  Saint-Sulpice  et  bordée 
de  passages  publics  ou  de  rues  des  quatre  côtés  (2).  Son 
territoire  embrassait  la  rue  Hautefeuille,  tout  le  carré 
formé  par  le  côté  de  la  rue  du  Battoir  le  plus  proche  de 
l'église  et  par  la  rue  des  Poitevins;  tout  le  côté  gauche  de 
la  rue  Saint-André  jusqu'à  la  place  du  Pont-Saint-Michel, 
et  s'étendait  de  là  sur  le  quai  des  Augustins  jusqu'au  col- 
lège des  4  Nations  exclusivement.  Cet  espace  comprenait 
la  rue  Guénégaud,  la  rue  de  Nevers,  la  rue  Dauphine,  la 
rue  Contrescarpe,  la  rue  Christine,  la  rue  des  Augustins, 
la  rue  de  Savoie,  la  rue  Pavée,  la  rue  Git-le-Cœur,  la  rue 
de  l'Hirondelle  et  la  rue  de  l'Éperon. 

Celle  des  Saints  Côme  et  Damien,  située  rue  de  la  Harpe, 
près  du  carrefour  limitrophe  de  la  paroisse  Saint-Sé vérin, 
était  particulièrement  affectée  aux  confrères  de  l'Acadé- 
mie de  chirurgie  parce  que  ses  deux  saints  patrons 
avaient  été  versés  eux-mêmes  clans  les  sciences  médicales. 


de  celle  du  Cherche-Midi.   Ce  moulin  fut    détruit  en  176t.  (Desgranges, 
les  Paroisses  de  Paris,  p.  78.) 

!  A  cette  époque,  la  communion  était  encore  donnée  dans  l'église  de 
Saint-Sulpice  sous  les  deux  espèces;  et  les  prêtres  de  cette  paroisse  di- 
saient  deux  messes  à  Pâques,  aux  autres  grandes  fêtes  de  l'année  et  aux 
funérailles.  'Doncourt,  loc.  cit.,  p.  123.) 

(2)  Sa  tour  gothique  ne  fut  élevée  qu'à  la  lin  du  xvic  siècle  et  son  grand 
portail  au  xvnc. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  15 

Tous  les  lundis ,  depuis  l'époque  de  saint  Louis ,  les 
malades  venaient  se  faire  soigner  gratuitement  sous  son 
porche,  jusqu'à  ce  qu'en  1361  les  confrères  aient  fait 
élever  un  bâtiment  spécial  entre  ce  porche  et  le  chevet 
ou  réfectoire  du  couvent  des  Cordeliers  (1). 

Elle  avait  dans  sa  circonscription  le  côté  droit  de  la  rue 
de  la  Harpe  en  montant,  à  l'exception  du  collège  d'Har- 
court,  le  côté  gauche  de  la  rue  Saint-Hyacinthe,  la  rue 
Saint-Thomas,  une  partie  de  la  rue  d'Enfer  et  de  la  rue 
Sainte-Catherine,  quelques  maisons  de  la  place  Saint-Mi- 
chel, le  côté  droit  de  la  rue  des  Fossés  de  M.  le  Prince  jus- 
qu'à la  rue  de  l'Observance  qu'elle  renfermait  en  entier 
avec  le  couvent  des  Cordeliers,  partie  du  côté  gauche  de 
la  rue  des  Cordeliers  et  de  la  rue  de  Touraine ,  toute  la 
rue  du  Paon  avec  son  cul-de-sac,  la  rue  Mignon,  celle  du 
Jardinet  et  celle  du  Battoir  jusqu'à  la  rue  des  Poite- 
vins (2). 

Cette  attribution  de  territoire  à  chacune  de  ces  deux 
nouvelles  paroisses  restreignit  celui  de  la  paroisse  Saint- 
Sulpice  à  tout  le  surplus  du  bourg  de  Saint-Germain, 
d'une  étendue  encore  fort  considérable  et  dont  elle  con- 
serva la  possession  jusqu'en  1777,  époque  du  second  dé- 
membrement qu'elle  eut  à  subir  par  suite  de  la  création 
de  l'église  paroissiale  du  Gros-Caillou.  Le  passage  suivant 
d'un  règlement,  arrêté  entre  MM.  le  curé  et  les  marguilliers 
de  Saint-Sulpice  lors  de  la  peste  de  1580,  détermine  ainsi 
sa  circonscription  :  «  Est  nottoire  que  la  paroisse  de  la 
«  dite  Église  de  M.  S.  Sulpice  a  grand  circuit  et  est  de 
«  belle  et  grande  étendue,  comprenant  toute  la  dite  ville 
«  et  bourg  du  dit  Saint  Germain  des  Prés,  entièrement  et 


(1)  «  En  quoi  ces  confrères  de  l'Académie  de  chirurgie  paraissent  avoir 
succédé  à  l'office  charitable  qu'exerçaient  autrefois,  à  l'entrée  de  l'église 
cathédrale  de  Paris,  les  chanoines  médecins  ou  Mires,  comme  on  disait 
alors.  »  (Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  467.) 

(2)  Lebeuf,  loc.  cit.,  p.  470  et  471. 


16  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SLLPICE. 

«  sans  nulle  exception,  depuis  la  rivière  de  Seine  le  long, 
«  tant  de  la  tour  et  hôtel  de  Nesle,  que  les  murailles  et 
«  fortifications  hors  de  la  ville  de  Paris  jusques  auprès 
«  la  porte  Saint  Michel,  au  bout  de  la  rue  de  Yaugïrard, 
«  comprenant  icelle  rue  jusques  aux  murailles  des  clos 
«  de  l'hôtel-Dieu  et  des  religieux  Chartreux  environnant 
«  l'hôpital  et  toutes  les  autres  maisons  qui  sont  au  des- 
«  sein  du  dit  Saint  Germain  (1  .  » 

Et  l'abbé  Lebeuf,  dans  son  Histoire  de  la  ville  et  de 
tout  le  diocèse  de  Paris,  imprimée  en  175i,  précise  encore 
mieux  les  limites  de  son  territoire  : 

«  La  paroisse  de  Saint-Sulpice,  dit-il,  comprend  tout 
«  le  faubourg  Saint-Germain.  Mais  comme  les  limites  de 
«  ce  faubourg  ne  sont  plus  si  sensibles  depuis  qu'il 
«  touche  à  la  ville  et  que  les  murs  et  portes  de  Paris  ont 
«  été  abattus,  il  est  besoin,  pour  désigner  l'étendue  de 
«  cette  paroisse,  de  marquer  ses  bornes  du  côté  des  pa- 
«  roisses  de  Saint-Séverin,  de  Saint-Côme  et  de  Saint- 
«  André. 

«  D'abord  elle  touche  à  celle  de  Saint-Séverin  dans  la 
«  rue  d'Enfer  où  elle  a  quelques  maisons  proche  la  porte 
«  du  Luxembourg  et  du  même  côté.  Elle  en  a  encore 
«  quelques-unes  vers  le  Séminaire  de  Saint-Louis.  Elle 
«  poursuit  son  terrain  dans  le  côté  supérieur  de  la  place 
«  Saint-Michel,  puis  elle  continue  dans  le  côté  gauche  de 
»  la  rue  des  Fossés  de  M.  le  Prince  en  descendant.  Elle  a 
«  ensuite  la  rue  de  Touraine  des  deux  côtés;  dans  la  rue 
«  des  Cordeliers  depuis  la  seconde  maison  d'après  l'égout 
«  et  depuis  celle  d'après  la  Fontaine  jusqu'au  carrefour 
«  des  Anciens  Fossés.  Ce  qui  lui  appartient  ensuite  con- 
«  siste  dans  la  rue  des  Fossés  Saint-Germain,  après  la- 
«  quelle  elle  a  quatre  ou  cinq  maisons  en  entrant  dans 


(1)  Nau  elle  ce  passage  à  la  pag?  52  de  son  Rapport  vins,  sur  les  archives 
de  la  paroisse  Saint-Sulpice. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  17 

«  la  rue  Saint-André  tant  d'un  côté  que  d'un  autre,  puis 
<(  six  ou  sept  maisons  à  l'entrée  de  la  rue  Dauphine  tant 
«  à  droite  qu'à  gauche.  Elle  s'étend  ensuite  dans  les  deux 
«  cotés  de  la  rue  Mazarine  et  elle  prend  en  passant  les 
«  trois  ou  quatre  maisons  de  la  rue  Guénégaud  de  cha- 
«  que  côté,  jusqu'aux  restes  des  vieux  murs  qui  pa- 
«  raissent  encore.  Elle  continue  la  rue  Mazarine  jusqu'au 
«  collège  des  Quatre  Nations  où  finit  son  territoire  inclu- 
«  sivement.  Tout  ce  qui  est  du  côté  du  couchant  au  delà 
«  des  limites  qui  viennent  d'être  désignées,  est  réputé 
«  du  faubourg  Saint-Germain  et  censé  de  la  paroisse 
«  Saint-Sulpice  (1).   » 

2°  Guillaume  (1267).  —  Son  nom  est  cité  dans  une 
charte  de  l'abbaye. 

3°  Regnault  de  Laitre  ou  de  Fontenay  (1359-1360). 

Un  titre  de  cette  époque  le  qualifie  de  «  clerc  du  Roi 
notre  sire  et  de  M.  le  Régent  du  royaume  en  leur  cham- 
bre des  comptes  »,  le  roi  Jean  étant  prisonnier  en  Angle- 
terre et  Charles  V  régent.  C'était  un  frère  de  Richard  de 
Laitre,  abbé  de  Saint-Germain  des  Prés;  et  il  appartenait 
à  une  famille  illustre,  alliée  au  roi  de  Navarre,  cognatus 
régis  Navarrae . 

4°  Philippe  Chapelain  (1368-1386),  archiprêtre  de 
Saint-Germain  des  Prés. 

Dès  cette  époque,  la  paroisse  Saint-Sulpice  avait  une 
Fabrique  pour  l'administrer  au  temporel.  Les  actes  passés 
en  son  nom  étaient  scellés  d'un  sceau  de  cuivre  (2)  où 
saint  Sulpice  était  représenté  en  mitre,  tenant  une  croix 
et  bénissant  un  estropié,  avec  cette  inscription  tout  au- 
tour, en  lettres  capitales  gothiques  :  S.  Fabrice  Sti  Sul- 
picii  ppe.  par.  (3). 

(1)  Lebeuf,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  450.  Éd.  in-12. 

(2)  Trouvé,  en  1753,  dans  un  champ  àMontrouge.  (Doncourt,  l.  c,  p.  8.) 

(3)  Les  Registres  de  délibérations  de  la  Fabrique  ne  commencent  cependant 
qu'au  mois  de  novembre  1610;  mais  il  est  probable  que  les  anciens  ont  été 

ÉGLISE   SAINT-SULPICE.  2 


18  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

À  cette  époque  aussi,  tous  les  dimanches  et  fêtes,  un 
prêtre  de  Saint-Sulpice  était  envoyé  par  le  curé  faire 
l'office  à  la  chapelle  de  Saint- Père;  et  la  Fabrique  y 
faisait  quêter  pour  l'entretien  de  son  église. 

C'est  également  au  quatorzième  siècle  seulement  que 
le  premier  banc  a  été  placé  dans  l'église  Saint-Sulpice. 
En  1581  il  n'y  en  avait  encore  que  trois.  On  étendait  de 
la  paille  sur  le  pavé  les  jours  de  grandes  fêtes,  et  de 
l'herbe  verte  en  été  (1).  Mais  trente  ans  plus  lard,  la  nef 
était  entièrement  garnie  de  bancs  et  leur  jouissance  était 
concédée,  par  adjudication,  aux  enchères,  dans  les  as- 
semblées générales  de  la  Fabrique  (2  .  Ils  disparurent  en 
1723.  lors  de  la  démolition  totale  de  l'ancienne  église  et 
de  la  construction  de  l'église  actuelle,  et  furent  remplacés 
par  des  chaises,  dont  M.  Olier  avait  commencé,  dès  1644, 
à  introduire  l'usage. 

5°  Jean  de  Lauvarenne  (1424).  Archip.  de  S'-G.  d.  P. 

6°  Denis  Chupin  (1461-1462).  Idem. 

V  Philippe  de  Morigny  (1466-1472). 

Ce  fut  pendant  qu'il  était  curé,  qu'eut  lieu  l'enquête 
pour  l'élection  du  grand  prieur  de  l'abbaye  Saint-Ger- 
main; et  c'est  à  lui  aussi  que  les  Religieux  de  l'abbaye 
louèrent  l'île  de  Bussy  en  1471  (3). 


perdus  :  car  on  trouve  dans  les  Archives  des  pièces  depuis  la  fin  du  \\e  siècle, 
entre  autres  une  fondation  de  4  messes  de  Requiem,  du  9  février  1 499. 

On  trouve  aussi  dans  les  registres  de  dépenses  de  la  Fabrique  qu'en  1500 
on  lâchait,  du  haut  de  la  voûte,  le  jour  de  la  Pentecôte,  une  colombe  à 
l'heure  de  Tierce.  On  y  lit  de  même  que  la  Fabrique  fournissait  des  fouets 
pour  chasser  les  chiens  de  l'église.  (Doncourt,  /.  c,  p.  8  et  123.) 

Les  registres  des  Baptêmes  commencent  le  1"  du  mois  de  juillet  1537; 
ceux  des  Mortuaires  ou  décès,  le  12  novembre  1604;  ceux  des  Bans  et 
Mariages,  le  7  mai  1600  ;  ceux  des  messes  basses  à  acquitter  par  les  prêtres 
de  la  communauté,  le  1er  juillet  1671.  (Doncourt ,  ibid.) 

(1)  Calendrier  spirituel  et  historique  à  l'usage  de  la  paroisse  Saint- 
Sulpice,  pour  l'année  1777,  p.  6L 

(2)  Décision  de  la  Fabrique  des  8  et  9  juillet  1635. 

(3)  Rem.  hist.,  t.  I.  p.  162. 


SES  PREMIERS  CURES  CONNUS.  19 

8° Louis  Céname  (1520).  Archip.  de  S'-Germain  des  Prés. 

Dix-huit  mois  auparavant,  le  27  août  1518,  avait  eu 
lieu  la  translation  solennelle  des  reliques  de  saint  Sul- 
pice  données  à  l'église  par  l'abbaye  de  Saint-Germain 
des  Prés  qui  les  tenait  elle-même  de  l'abbaye  royale  de 
Bourges,  gardienne  du  sépulcre  du  saint;  et  désormais  la 
fête  commémorative  de  cette  translation,  célébrée,  chaque 
année,  à  cette  date,  devint  plus  populaire  que  la  fête 
patronale  du  19  janvier,  à  cause  des  nombreux  miracles 
que  Dieu  se  plaisait  à  faire,  ce  jour-là,  pour  honorer  la 
mémoire  de  son  grand  serviteur.  «  On  a  même  vu,  il  n'y 
«  a  pas  longtemps  (1) ,  dans  le  cimetière  de  cette  paroisse, 
«  écrivait  M.  Olier,  plusieurs  grands  lits  de  fer  où  les 
«  malades  se  faisaient  apporter,  pour  y  passer  la  nuit  et 
«  y  recevoir  guérison  et  soulagement,  en  continuation 
«  des  merveilles  opérées  autrefois  à  l'occasion  de  la 
«  translation  de  ces  vénérables  reliques.  » 

9°  Louis  Quélain  (1536-1556). 

11  était  docteur  en  théologie.  Ce  fut  lui  qui  bénit  et 
consacra,  avec  la  permission  de  l'abbé  de  Saint-Germain 
des  Prés,  supérieur  majeur,  le  grand  autel  de  l'église 
Saint-Sulpice  sous  le  nom  de  Y  Immaculée  Conception  (2). 
Son  nom  figure  aussi  en  tète  de  la  liste  des  confrères  du 
Saint-Sacrement,  sur  le  registre  de  cette  confrérie,  à  la 
date  du  10  juillet  1552. 

L'année  suivante  (1553),  parut  le  premier  règlement 
organique  de  la  Fabrique  de  Saint-Sulpice,  qui  déter- 
minait le  nombre,  le  mode  d'élection,  la  durée  du  man- 
dat, les  attributions  et  les  prérogatives  des  marguilliers 
qui  la  composaient  (3). 


(1)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  I,  473. 

(2)  Cl),  des  Granges  :  Histoire  illustrée  des  paroisses  de  Paris,  1886, 
p.  78. 

(3)  Ce  règlement  était  extrait  du  Martolloge  ou  Martyrologe  de  l'é- 
glise et  fabrique  de  M.  S*  Sulpice  à  Saint-Germain  des  Prés  les  Paris.  — 


20  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

11  en  fixait  le  nombre  à  quatre  et  limitait  à  deux  ans 
la  durée  de  leur  mandat. 

Chaque  année,  deux  d'entre  eux  devaient  être  nommés, 
à  l'issue  de  la  grand'messe  soit  de  la  fête  du  27  août  (1), 
soit  du  dimanche  suivant,  par  l'assemblée  générale  de 
la  Fabrique,  composée  des  anciens  marguilliers,  des  mar- 
guilliers en  charge  et  de  60  des  plus  notables  paroissiens. 

Tout  en  reconnaissant  au  Conseil  des  Marguilliers  la 
plénitude  des  droits  d'administration  temporelle  de  la 
paroisse,  il  assignait  à  chacun  d'eux  des  attributions  dis- 
tinctes : 

Au  premier,  auquel  était  réservé  «  le  haut  lieu  de 
V œuvre  de  l'église  »,  le  soin  et  la  conduite  des  contesta- 
tions et  des  procès  dans  lesquels  la  Fabrique  pouvait  être 
engagée,  ainsi  que  la  poursuite  du  recouvrement  de  ses 
droits  en  souffrance; 

Au  second,  tenant  le  second  lieu  de  l'œuvre,  l'encais- 
sement de  toutes  les  sommes  dues  à  la  Fabrique  à  un  titre 
quelconque  :  revenus  des  immeubles,  arrérages  de  rentes, 
produit  des  quêtes,  des  dons  et  des  legs  et  autres  droits 
ainsi  que  les  revenus  des  confréries; 

Au  troisième,  tenant  le  troisième  lieu  de  l'œuvre,  la 
surveillance  de  l'acquit  des  fondations  et  de  toutes  les 
messes  inscrites  au  Martolloge,  et  le  paiement  de  tous  les 
mémoires,  notes,  factures,  et  généralement  de  toutes  les 
sommes  dues  par  la  Fabrique; 

Au  quatrième  enfin,  tenant  le  dernier  lieu  de  l'œuvre, 
la  direction  des  quêtes  à  faire  dans  l'église,  le  soin  de  sa 
décoration  aux  jours  de  fête,  la  surveillance  de  son  mo- 
bilier et  l'entretien  de  ses  immeubles. 

Mais,  afin  d'alléger  pour  chacun  de  ces  messieurs  le 


C'est  le  nom  que  les  anciennes  Fabriques  donnaient  aux  registres  des  Fonda- 
tions et  Obits  à  acquitter. 
(1)  Celle  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Sulpice. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  21 

poids  de  leurs  fonctions  spéciales,  que  l'importance  crois- 
sante de  la  paroisse,  surtout  depuis  l'année  1540  (1),  ren- 
dait de  plus  en  plus  lourd,  il  eut  soin  de  prescrire  en 
même  temps  la  création  aux  frais  de  la  Fabrique  de  deux 
emplois  nouveaux  : 

Celui  de  charge  d'affaires  de  la  Fabrique  au  profit  d'un 
clerc  lay,  à  la  nomination  de  rassemblée  générale,  auquel 
seraient  confiés  tous  les  détails  de  l'administration  des 
biens  et  du  matériel  de  l'église; 

Et  celui  de  prêtre  sacristain,  déjà  établi  dès  l'année 
1530,  dont  il  déterminait  ainsi  l'office  :  «  Et  pareillement 
«  pour  à  l'égard  des  reliques,  meubles  et  autres  orne- 
ce  ments  de  la  dite  église  de  M.  S.  Sulpice,  étant  en  la 
«  sacristie  et  revestiaire  d'icelle,  a  été  aussi,  depuis  l'an 
«  1530,  advisé  d'y  commettre  un  homme  d'église,  prêtre 
«  et  homme  de  bien  qui,  en  l'absence  des  marguilliers, 
«  aura  droit  de  faire  dire  les  messes  du  Martolloge,  et 
«  de  donner  garde  qu'il  n'y  ait  aucune  faute  par  chaque 
«  jour,  selon  l'intention  des  fondateurs  des  dites  messes 
«   et  obits. 

«  Au  dit  clerc  est  laissé  et  baillé  la  charge  des  reliques, 
«  ornements,  chappes,  chasubles,  aubes,  et  de  tous  au- 
«  très  ornements  de  la  dite  église.  Lequel  doit  résidence 
«  ordinaire  et  assidue;  et  pour  ce  faire  a  dix  livres  tour- 
te nois  de  gaiges  de  la  dite  œuvre  et  église  ;  duquel  clerc 
«  d'église  et  revestiaire  y  ceux  marguilliers  ont  ou  doi- 
«  vent  avoir  répondant.  » 

Le  prêtre  sacristain  devait  faire  l'inventaire  du  mobi- 
lier. Il  avait  pleine  et  entière  autorité  sur  les  suisses,  be- 
deaux ,  sonneur  et  autres  employés  de  l'église  et  veillait 
à  l'exécution  des  règlements  qui  les  concernaient.  Toutes 

(1)  C'est,  en  effet,  à  partir  de  cette  époque  que  le  territoire  de  la  pa- 
roisse a  commencé  à  se  couvrir  de  différents  couvents,  hôpitaux,  hôtels  de 
princes  et  de  gens  de  qualité.  (Lebeuf,   loc.  cit.,  t.  II,  p.  451.  Éd.  in-12 

de  1754.) 


22  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

les  clefs  de  l'église  lui  étaient  confiées.  Dès  l'année  1686, 
il  recevait  iOO  livres  d'appointements  annuels  et  jouissait 
d'un  logement  au-dessus  de  la  sacristie  (1);  et  par  une 
décision  du  28  mars  1787,  la  Fabrique  avait  ajouté  à  ses 
fonctions  celles  de  receveur  des  convois  (2). 

Deux  autres  règlements  de  la  Fabrique  furent  arrêtés, 
l'un  eu  1580  pendant  la  peste  qui  ravagea  Paris,  l'autre 
en  1713;  mais  ils  n'apportèrent  que  des  modifications  de 
détail  à  celui  de  1553. 

L'installation  des  rnarguilliers  était  très  solennelle. 
Quelques  instants  avant  la  grand'messe,  le  nouvel  élu  se 
rendait  du  presbytère  à  la  chapelle  de  Saint-François  de 
Sales.  Le  premier  marguillier,  précédé  des  suisses  et  des 
bedeaux  et  suivi  de  ses  collègues,  quittait  alors  le  banc 
d'oeuvre  pour  venir  le  prendre  et  le  conduire  à  l'entrée 
du  sanctuaire,  où  M.  le  Curé,  qui  l'y  attendait,  lui  faisait 
un  compliment,  lui  donnait  la  bénédiction  et  l'embras- 
sait. Puis,  pendant  que  ce  dernier  se  revêtait  des  vête- 
ments sacerdotaux,  le  premier  marguillier,  le  prenant  par 
la  main  jusqu'à  la  stalle  de  M.  le  Curé,  l'y  faisait  as- 
seoir après  s'y  être  assis  lui-même  devant  tous  les  mem- 
bres du  clergé  debout,  en  signe  de  prise  de  possession  des 
biens  de  l'église,  et  l'amenait  ensuite  à  l'œuvre  où  il  lui 
indiquait  la  place  qu'il  devait  occuper.  La  grand'messe 
commençait  alors  et,  après  la  bénédiction  du  pain  bénit, 
il  accompagnait  ses  collègues  à  l'offrande. 


(1)  En  1743,  la  Fabrique  offrait  à  M.  Fresnel,  prêtre  sacristain,  une  écuelle 
en  argent  avec  son  couvercle,  en  témoignage  de  sa  satisfaction  des  j>eines 
qu'il  prenait  pour  la  conservation  des  ornements  de  l'église;  et  le  21  mars 
1762,  elle  faisait  don  à  M.  Pirout,  son  successeur,  de  30  bouteilles  de  vin 
d'Espagne  en  reconnaissance  de  sa  belle  conduite  pendant  l'incendie  de  la 
foire  Saint-Germain,  qui  éclata  dans  la  nuit  du  16  au  17  mars  1762,  et  pen- 
dant lequel  l'église  avait  couru  les  plus  grands  dangers. 

Nau,  Registre  mns.  des  archives  de  l'église,  p.  164. 

(2)  A  ce  titre,  il  avait  droit  de  percevoir  à  son  profit  le  sou  pour  livre 
ou  5  pour  cent  du  produit  des  convois. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  23 

Les  séances  du  Conseil  de  Fabrique  devaient  être  men- 
suelles; elles  se  tenaient  le  plus  souvent  le  troisième  di- 
manche de  chaque  mois,  après  vêpres,  sauf  dans  les  cas 
de  convocations  extraordinaires  à  la  demande  soit  de  M.  le 
Curé  soit  de  l'un  de  MM.  les  marguilliers. 

Chacun  des  membres  présents  recevait,  à  titre  d'hono- 
raires, deux  bougies  de  huit  à  la  livre,  qu'une  délibé- 
ration du  10  août  1756  remplaça  par  un  jeton  de  pré- 
sence, d'une  valeur  d'environ  ïO  sols  (1).  Ce  jeton  leur 
était  encore  distribué  aux  assemblées  de  Fabrique,  comme 
dans  les  grandes  cérémonies  où  ils  siégeaient  au  banc 
d'oeuvre. 

Ils  avaient  encore  d'autres  prérogatives.  Comme  re- 
présentants de  toute  la  paroisse  ils  avaient  le  premier 
rang-  aux  offrandes  et  aux  processions.  Lors  des  ofiices, 
un  des  bedeaux  devait  toujours  se  tenir  près  de  l'œuvre, 
afin  de  recevoir  leurs  ordres  (2).  Ils  avaient  aussi  le 
droit  d'être  inhumés  dans  deux  caveaux  particuliers  de 
l'église.  Huit  jours  après  leur  décès,  la  Fabrique  faisait 
célébrer  à  leur  intention  une  messe  solennelle  à  la- 
quelle leur  famille  était  conviée  par  billet,  et  chaque 
année,  le  lendemain  de  la  fête  patronale,  le  20 janvier, 
un  service  pour  tous  les  marguilliers  défunts. 

Le  martyrologe  de  1555  fait  encore  mention  du  même 
curé  comme  ayant  fondé,  par  contrat  du  1er  décem- 
bre 1556,  une  messe  haute,  pour  le  samedi  dans  l'octave 


(1)  Ce  jeton,  dont  le  poinçon  existe  à  la  monnaie  des  médailles  'Régne 
de  Louis  XV,  ncs  758  et  760),  représentait  :  1°  d'un  côté,  an  trophée  de 
vases  et  autres  ornements  d'église,  avec  la  légende  :  Curât,  custodit  et  or- 
nât, et  l'exergue  :  Les  marguilliers  dp  Saint-Sulpice,  1756;  ?.°  de  l'autre 
côté,  la  charité  sous  la  forme  d'une  femme  allaitant  un  enfant  et  donnant 
du  pain  à  un  autre,  avec  la  légende  :  Bat  escam  esurientibus,  et  l'exer- 
gue :  Les  commissaires  des  pauvres  de  Saint-Sulpice,  1756. 

Nau,  toc.  cit.,  p.  146  et  43. 

(2)  Analyse  mas.  des  délibérations  de  la  Fabrique,  p.  16.  Décision  des  8 
et  9  juin  1635. 


2i  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

de  l'Immaculée  Conception,  à  laquelle  devaient  assister 
huit  prêtres  non  compris  le  célébrant.  Il  mourut  peu  de 
temps  après. 

10°  Philippe  Huart,  son  successeur  (1557-1588),  était 
originaire  du  diocèse  du  Mans.  Le  24  mars  1557,  la  con- 
frérie du  Saint-Sacrement  lui  présente  la  reddition  de 
ses  comptes;  et  au  1er  juillet  1560,  son  nom  figure  en  tête 
de  la  liste  des  confrères. 

Le  8  février  1586,  il  reçut  de  l'abbé  de  Saint-Sulpice, 
de  Bourges,  deux  ossements  du  chef  de  saint  Sulpice  en 
présence  des  religieux  de  Saint-Germain. 

En  1587,  la  famine  et  la  peste  faisaient  d'aflreux  rava- 
ges dans  Paris.  Le  i  juillet,  on  porta  en  procession  la 
châsse  de  sainte  Geneviève;  et  le  25  du  même  mois,  le 
cardinal  de  Bourbon,  abbé  de  Saint-Germain,  ordonna 
pour  ce  faubourg  une  procession  qui  se  fit  dans  l'ordre 
suivant  : 

u  Après  la  bannière  de  Saint-Sulpice,  marchaient  deux 
à  deux  les  petites  filles  et  ensuite  les  petits  garçons,  tous 
de  la  paroisse,  parmi  lesquels  était  le  jeune  baron  de 
Gondy.  Ils  étaient  habillés  de  blanc  avec  un  chapeau  de 
fleurs  sur  leurs  têtes,  un  cierge  à  la  main,  et  avaient  les 
pieds  nus.  Les  Pénitents  blancs,  les  Cordelierset  les  Augus- 
tins  précédaient  les  boulangers  du  faubourg ,  qui  étaient 
tous  en  chemises  faites  exprès,  ayant  un  chapeau  de  fleurs 
sur  leurs  têtes  et  un  cierge  à  la  main  ;  suivaient  ensuite  les 
bouchers,  ayant  un  chapeau  de  fleurs  et  un  cierge  à  la 
main  couvert  d'un  grand  linge  de  fin  lin.  Après  la  croix 
de  Saint-Sulpice  suivaient  un  grand  nombre  de  bour- 
geois, en  chemises,  qui,  ayant  un  chapeau  de  fleurs  sur 
leurs  tètes  et  un  chapelet  à  la  main,  portaient  les  uns 
des  flambeaux,  les  autres  sept  châsses,  du  nombre  des- 
quelles était  le  chef  de  saint  Sulpice.  Ils  étaient  suivis 

(1)  Uoncourt,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  162. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  25 

du  curé  et  des  prêtres  de  Saint-Sulpicc ,  tous  revêtus  de 
chapes,  lesquels  précédaient  les  religieux  de  l'abbaye 
qui  tenaient  le  chant.  La  châsse  de  saint  Germain,  pré- 
cédée de  douze  hommes,  en  chemises,  ayant  un  chapeau 
de  fleurs  sur  leurs  tètes  et  un  cierge  à  la  main,  était 
portée  par  douze  bourgeois  du  faubourg,  aussi  en  chemi- 
ses, couronnés  de  fleurs  et  ayant  tous  un  chapelet  à  la 
main;  à  chaque  coin  de  la  châsse  il  y  avait  quatre  jeunes 
gens,  en  chemises,  qui  portaient  des  torches  ardentes.  Le 
roi  (Henri  III),  en  habit  de  pénitent,  marchait  à  la  suite 
de  la  procession,  mêlé  à  d'autres  pénitents  de  sa  con- 
frérie. Les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Vendôme  venaient 
après  en  habit  rouge;  puis  le  comte  de  Soissons,  plu- 
sieurs autres  princes  et  princesses,  qui  étaient  suivis 
d'une  infinité  de  peuple.  La  procession  alla  d'abord  à 
l'église  des  Cordeliers,  ensuite  à  celle  de  Saint-André  des 
Arcs  et  de  là  à  celle  des  Augustins  et  revint  à  l'abbaye  où 
l'on  acheva  les  prières.  On  ne  vint  pas  à  celle  de  Saint- 
Sulpice,  parce  qu'elle  était  trop  peu  spacieuse. 

«  Un  des  porteurs  de  la  châsse  de  saint  Germain,  qui 
était  retenu  au  lit  depuis  longtemps,  voulut,  contre  l'avis 
des  médecins,  se  mettre  sous  la  dite  châsse  pour  la  porter, 
et,  à  peine  l'eut-il  fait  jusqu'au-dessous  du  portail  de  l'é- 
glise ,  qu'il  fut  entièrement  guéri  et  la  porta  pendant  toute 
la  procession  (1).  » 

Par  contrat  du  9  octobre  1588,  il  fonda  le  Slabat  pour 
être  chanté  les  jours  des  deux  fêtes  de  Saint-Sulpice,  de 
la  Purification,  de  l'Annonciation ,  de  la  Nativité  et  de 
l'Immaculée  Conception.  Par  le  même  contrat,  il  donna 
une  maison  dont  la  rente  devait  être  employée  à  l'achat 
des  pains  nécessaires  à  la  célébration  des  saints  mystères 
et  à  la  communion  des  fidèles.  Il  mourut  dans  l'année, 
quelque  temps  après  cette  fondation. 

(1)  Doncourl,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  124. 


26  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Savant  théologien,  il  était  devenu  recteur  de  l'Univer- 
sité de  Paris  en  1567  ;  et,  pendant  les  trente  et  un  ans  qu'il 
exerça  la  charge  curiale,  il  ne  cessa  de  prêcher  avec  zèle 
et  succès  contre  les  novateurs  (1). 

Ce  fut  aussi  pendant  son  administration  de  la  paroisse 
que  le  parlement  de  Paris  rendit,  vers  1565,  un  arrêt  qui 
servit  longtemps  de  règle  pour  la  perception  du  casuel 
de  MM.  les  curés  de  Paris  (2). 

11°  Aymartde  Chavaignac  (1588-1601). 

D'une  des  plus  anciennes  familles  d'Auvergne,  Aymart 
de  Chavaignac  fut  appelé  à  la  cure  de  Saint-Sulpice  à  la 
mort  de  Philippe  Huart,  et  en  prit  possession  à  la  fin 
de  1588.  Il  était  alors  doyen  et  comte  de  Brioude. 

(1)  Doncourt,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  163. 

(2)  Nau,  dans  son  Rapport  mas.  sur  les  archives  de  l'église,  page  161, 
donne  le  texte  de  cet  arrêt,  dont  voici  les  termes  : 

«  La  cour  du  Parlement  étant  advertie  d'un  procès  appointé  à  la  dite 
cour  entre  les  paroissiens  et  les  curez  touchant  les  sallaires  que  doit  avoir 
un  curé;  afin  de  corriger  les  abus  que  les  dits  curez  faisaient,  de  prendre 
plus  que  de  raison,  la  dite  cour,  pour  faire  droit  à  un  chacun,  a  donné 
arrest  sur  leurs  différents,  duquel  en  bref  les  plus  principaux  points  et 
articles  seront  ci-dessous  desclairez  : 

«  Et  premièrement,  pour  les  baptêmes,  rien,  s'ils  ne  veullent,  sinon 
à  la  volonté  des  parrains  et  marraines,  et  seront  tenus  de  faire  regis- 
tres. 

«  Item,  les  curez  ne  prestres  ne  doivent  aucune  chose  prendre  pour  la 
confession,  sinon  la  volonté  du  pénitent. 

'i  Item,  pour  le  sacrement  de  confirmation  et  extrême-onction  ne  pour 
les  inhumations  ne  sera  rien  pris. 

«  Item,  pour  la  conduite  et  association  du  corps  trespassé,  les  prêtres  et 
clercs  avec  leurs  surplis  et  eau  bénite  et  croix  doivent  avoir  chacun  douze 
deniers  parisis,  et  seront  tenus  les  dits  prêtres  de  dire  en  basse  ou  en 
soumise  voix  les  laudes  des  inhumations  écrites  avec  les  oraisons; 

«  Item,  auront  pour  une  messe  basse  deux  sols  parisis  ; 

«  Item,  auront  pour  une  haute  messe  simple  sans  diacre  ni  sous-diacre, 
trois  sols  parisis;  et  pour  le  moins  assisteront  trois  clercs  ou  prêtres  pour 
chanter  derrière  au  lutrain. 

«  Item,  pour  une  haute  messe  au  diacre  et  sous-diacre,  au  clerc  et  poul- 
ies deux  porte-chapes ,  six  sols  parisis: 

«  Item,  pour  Vigiles  à  neuf  psaumes  et  neuf  leçons  Laudes,  des  défunts, 
avec  trois  chappes  aux  assistants,  quatre  sols  parisis,  et  s'ils  disent  Recom- 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  27 

Il  avait  accepté  tout  d'abord  l'offre  de  la  Fabrique  de 
lui  payer  quarante  écus  par  an  pour  tous  ses  droits. 
Mais  les  temps  étaient  si  malheureux,  qu'elle  se  trouva 
bientôt  hors  d'état  de  tenir  ses  engagements;  et  comme 
le  nouveau  curé  était  lui-même  privé  de  ses  propres  re- 
venus et  obligé  cependant ,  au  milieu  d'une  population 
appauvrie,  de  nourrir  et  entretenir  un  certain  nombre 
de  gens  d'église  pour  l'aider  à  célébrer  le  service  divin , 
une  seconde  convention  intervint,  à  la  date  du  li  jan- 
vier 1596,  entre  la  Fabrique  et  lui,  qui  l'autorisa  à  accep- 
ter en  paiement  et  à  aliéner  quelques-uns  des  joyaux  les 
moins  nécessaires  de  l'église ,  à  savoir  :  une  coupe  et 
deux  calices  en  vermeil,  un  encensoir  et  une  navette  en 
argent,  le  tout,  y  est-il  dit,  pour  lui  permettre  la  con- 
tinuation de  ses  secours  aux  paroissiens  indigents. 

S'il  approuva  la  ligue,  la  ligue  française,  comme  on  l'a 
justement  appelée  (1),  c'est-à-dire  celle  qui  repoussait, 


mandasse,  sera  payé  pour  icelle  deux  sols  parisis,  et  seront  tenus  quatre 
prêtres  pour  l'assistance  être  présents  avec  le  curé  ou  son  vicaire. 

«  Item,  quant  à  l'égard  des  fiançailles  payeront  ceux  qui  seront  fiancés 
douze  sols  parisis. 

«  Item,  pour  la  liberté  des  bancs,  où  il  y  aura  opposition  pour  l'un  ou 
pour  l'autre,  deux  sols  parisis. 

«  Item,  pour  la  liberté  de  soy  transporter  en  une  autre  paroisse,  pour 
cause  de  mariage,  deux  sols  parisis. 

«  Item,  pour  chacun  banc,  sans  opposition,  quatre  sols  parisis. 

«  Item,  pour  la  liberté  de  soy  transporter  dans  une  autre  paroisse,  non 
pour  cause  de  mariage,  douze  deniers  parisis  de  celui  qui  la  voudra  avoir. 

«  Item,  pour  les  épousailles,  treize  deniers  parisis,  une  fois  payés. 

«  Item,  pour  la  bénédiction  du  lit,  paieront  les  nouveaux  mariés  douze 
deniers  parisis. 

«  Item,  pour  la  messe  du  marié,  qui  ne  voudra  attendre  la  grand'messe, 
deux  sols  parisis. 

«  Item,  quant  aux  trépassés,  ils  seront  enterrés  et  ensevelis  franchement 
sans  liberté  s'il  n'y  a  autre  canonique  empêchement. 

«  Item,  quant  aux  testaments,  quand  les  curés  ou  leurs  vicaires  recevront 
ou  feront  les  testaments,  ils  auront  pour  leurs  sallaires  quatre  sols  pa- 
risis, et  non  plus,  pour  y  celui  et  pour  écrire.  » 

(1)  V.  Trognon,  Histoire  de  France.  Éd.  in-12,  t.  III,  p.  356. 


28  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

avec  une  égale  énergie,  l'hérésie  et  la  royauté  de  l'étran- 
ger, il  était  indigné  des  excès  des  ligueurs  et  des  violences 
de  la  turbulente  faction  des  Seize;  et,  un  jour,  du  haut 
de  la  chaire,  il  ne  craignit  pas  de  les  stigmatiser  en  s'é- 
criant  :  «  Je  ne  sais  pas  cacher  mes  sentiments  :  je  prê- 
«  cherai  toujours  contre  les  voleurs  qui,  sous  le  nom  de 
«  catholiques,  pillent  les  maisons  des  politiques  (1).  » 

En  vrai  Français,  il  voyait  le  salut  de  la  France  attaché 
au  triomphe  de  la  Loi  Salique,  cette  loi  politique  qui,  ap- 
puyée sur  une  tradition  six  fois  séculaire  et  sur  les  dé- 
clarations réitérées  des  États  Généraux,  assurait  la  per- 
pétuité de  la  charge  royale ,  de  mâle  en  mâle  ,  au  sein  de 
la  même  race.  Et  volontiers  il  eût  répété  ces  paroles  que 
la  Satire  Ménippée  met  dans  la  bouche  du  brave  d'Au- 
bray,  parlant  au  nom  du  Tiers  État  :  «  C'est  assez  vécu  en 
«  anarchie  et  désordre  :  nous  voulons  un  roi,  un  chef  na- 
«  turel  et  non  artificiel,  un  roi  déjà  fait  et  non  à  faire... 
«  Celui  que  nous  voulons  est  déjà  fait  par  la  nature,  né 
«  au  vrai  parterre  des  fleurs  de  lys  de  France,  rejeton 
«  droit  et  verdoyant  de  la  tige  de  saint  Louis.  Ceux  qui 
«  parlent  d'en  faire  un  autre  se  trompent  et  ne  sauraient 
«  en  venir  à  bout.  On  peut  faire  des  sceptres  et  des  cou- 
«  ronnes,  mais  non  pas  des  Rois  pour  les  porter.  On  peut 
«  faire  une  jambe  de  bois,  un  bras  de  fer  et  un  nez  d'ar- 
ec gent,  non  pas  une  tète.  Ainsi  pouvons-nous  faire  des 
«  maréchaux  à  la  douzaine,  des  pairs,  des  amiraux,  des 
«  conseillers  d'État,  mais  des  Rois,  point  !  Il  faut  que  celui- 
«  là  naisse  de  lui-même  pour  avoir  vie  et  vigueur;  ac- 
«  ceptons  donc  celui  que  Dieu  nous  donne,  qui  n'a  que 
«  faire  de  notre  aide  pour  l'être,  qui  l'est  déjà  sans  nous  et  le 
«  sera  encore  malgré  nous,  si  nous  voulons  l'empêcher.  » 

C'était  bien  là  la  voix  de  la  patrie  qui  voyait  dans  la 
monarchie  son  salut  contre  l'Espagne  comme  elle  l'avait 

(I)  S.  de  Doncourt,  loc.  cit.,  I,  p.  166. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  29 

trouvé,  deux  siècles  auparavant,  contre  l'Angleterre. 
Pourquoi  faut-il  que  nos  aînés  de  la  fin  du  xviue  siècle 
soient  restés  sourds  à  cette  voix!  Ils  nous  auraient  épar- 
gné ces  commotions  sanglantes,  ces  guerres  civiles  et  cette 
déplorable  succession  de  quinze  à  seize  constitutions, 
qui  forment  l'histoire  politique  de  notre  siècle,  au  terme 
duquel  la  France,  toujours  travaillée  d'un  mal  profond, 
attend  encore  le  gouvernement  définitif  dont  elle  a  be- 
soin pour  assurer  ses  destinées. 

Fidèle  à  ce  principe  tutélaire,  le  pieux  Curé  de  Saint- 
Sulpice,  depuis  la  mort  du  duc  d'Anjou,  le  dernier  frère 
de  Henri  III  et  le  dernier  rejeton  des  Valois,  ne  recon- 
naissait d'autre  héritier  légitime  et  naturel  de  la  couronne 
que  le  roi  de  Navarre  quoique  protestant,  et  ne  subor- 
donnait pas  sa  soumission,  comme  beaucoup  d'autres  li- 
gueurs, à  son  abjuration;  il  demeurait  plein  de  confiance 
dans  sa  promesse  de  se  faire  instruire  et  ne  cessait  pas 
d'espérer  sa  conversion.  «  Il  n'est  pas  sacrilège,  ce  Prince, 
«  disait-il  encore;  il  demande  à  être  instruit;  mais  ceux- 
«  là  le  sont  qui,  pour  être  ses  ennemis  et  lui  faire  des 
«  cruautés,  lui  refusent  l'instruction.  » 

Henri  IV  avait  pour  lui  la  plus  haute  estime.  Aussi, 
quand  il  se  décida  à  se  faire  instruire,  il  prit  soin  de  l'ap- 
peler à  Saint-Denis  avec  le  curé  de  Saint-Merri,  de  Mo- 
reux,  celui  de  Saint-Gervais,  Chauveau,  et  celui  de  Saint- 
Eustache,  René  Benoist,  doyen  de  la  Sorbonne,  qui, 
quoique  hostile  aux  ligueurs,  était  si  populaire  qu'on 
l'appelait  le  Pape  des  Halles;  et  quand,  après  plusieurs 
conférences  avec  ces  docteurs ,  sa  conviction  fut  faite ,  ce 
fut  aussi  en  leur  présence,  le  25  juillet  1593,  dans  l'église 
de  Saint-Denis,  qu'il  abjura  publiquement  l'hérésie  entre 
les  mains  de  l'archevêque  de  Bourges. 

Depuis  lors,  il  entoura  d'égards  l'abbé  de  Chavaignac 
et  voulut  à  plusieurs  reprises  lui  donner  un  évêché; 
mais  le  iidèle   pasteur  se  refusa  constamment  à  aban- 


30  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

donner  sa  paroisse.  Il  s'y  signala  par  des  prodiges  de  zèle 
et  de  charité  pendant  la  peste  de  1596  qui  ravagea  Paris, 
et  mourut,  regretté  de  tous,  le  l°r  août  1601. 

12°  Henri  Lemaire  (1601-1619). 

Henri  Lemaire,  docteur  en  théologie  de  la  faculté  de 
Paris,  prit  possession  de  la  cure  de  Saint-Sulpice,  la 
même  année.  Il  se  distingua  par  sa  piété  et  son  zèle  à 
ramener  les  hérétiques,  dont  il  eut  le  bonheur  de  con- 
vertir un  grand  nombre,  et  aussi  par  son  courage  pen- 
dant la  peste  de  1605.  Il  mourut  à  la  fin  de  mai  1619. 

13°  Simon  de  Montereul  (1619-1631). 

Son  successeur,  Simon  de  Montereul,  également  doc- 
teur en  Sorbonne,  s'appliqua  comme  lui  à  faire  rentrer 
les  huguenots  dans  le  giron  de  l'Église  et  reçut  les  abju- 
rations de  beaucoup  d'entre  eux.  Son  décès  eut  lieu  le 
1er  août  1631.  Six  semaines  avant  sa  mort,  le  15  juin 
précédent,  il  avait  béni,  avec  la  permission  de  l'évêque 
de  Metz,  abbé  de  Saint-Germain  des  Prés,  un  terrain  con- 
tigu  à  l'église  et  allant  de  la  rue  Garancière  à  celle  du 
Pied-de-Biche  ou  du  Fossoyeur  (actuellement  rue  Servan- 
doni),  pour  l'agrandissement  du  cimetière  qui  longeait 
la  rue  Garancière  et  qui  fut  alors  enclos  de  murs  dans 
toute  son  étendue,  afin  d'empêcher  les  inhumations 
qu'on  venait  y  faire,  de  nuit,  des  corps  des  pestiférés,  des 
huguenots  et  des  duellistes  (1). 

14°  Julien  de  Fiesque  (1631-1642). 

M.  Julien  de  Fiesque  le  remplaça  la  même  année.  11  fit 
de  vains  efforts  pour  remédier  aux  abus  et  aux  désor- 


(1)  On  réserva  sur  ce  terrain  la  largeur  de  quatorze  pieds  et  demi,  pour 
pratiquer  une  rue  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  rue  Neuve  Saint-Sulpice, 
mais  qui  fut  appelée  vulgairement  la  rue  du  Cimetière. 

Une  grande  partie  en  fut  englobée  dans  la  reconstruction  de  l'église;  ce 
qui  força  M.  Languet  à  acheter,  en  1718,  du  comte  de  Beauvau  plusieurs 
maisons  pour  l'élargir.  Dès  lors ,  elle  fut  appelée  la  rue  Palatine. 

Rem.  Itist.,  I,  p.  125  et  126. 


SES  PREMIERS  CURÉS  CONNUS.  31 

dres  qui  s'étaient  multipliés  dans  sa  paroisse  pendant 
les  guerres  civiles  (1).  Affligé  surtout  de  l'opposition  qu'il 
rencontrait  dans  son  clergé,  il  se  démit  de  sa  cure,  en 
juin  16i2,  en  faveur  de  M.  Olier.  On  ignore  l'endroit  et 
la  date  de  sa  mort;  mais  on  est  fondé  à  croire  qu'elle 
eut  lieu  clans  les  premiers  mois  de  1662,  parce  que  le 
10  juillet  de  cette  même  année,  il  fut  célébré  à  Saint- 
Sulpice,  pour  le  repos  de  son  âme,  un  service  auquel 
M.  de  Poussé,  alors  curé,  assista  avec  tout  son  clergé  (2). 


(1)  11  faut  reconnaître  cependant  que  la  mission  qu'il  y  fit  donner,  en 
1641,  par  saint  Vincent  de  Paul  et  qui  fut  la  première,  y  produisit  un 
grand  bien  et  disposa  le  faubourg  aux  bénédictions  et  aux  grâces  que  la 
Providence  y  répandit  dans  la  suite  par  le  ministère  de  M.  Olier. 

Rem.  hist.,  I,  p.  24  à  28.  Ces  guerres  civiles  avaient,  du  reste,  telle- 
ment appauvri  le  trésor  public,  que  nous  lisons  dans  YAnatyse  des  déli- 
bérations delà  Fabrique,  page  20,  que  le  28  septembre  1636,  elle  donna 
la  somme  de  quatre  cents  livres  au  Roi  à  titre  de  secours  et  de  subvention, 
à  cause  des  nécessités  pressantes  de  l'État. 

(2)  Rem.  hist.,  I,  p.  168. 


CHAPITRE  III 
M.  ouer  (1642-1652) 


Sommaire  :  Sa  naissance.  —  Sa  famille.  —  Ambassade  du  marquis  de  Noinlel, 
son  cousin,  à  Conslanlinople.  —  sa  première  enfance.  —  Ses  études  à  Lyon  et 
au  collège  d'Harcourt.  —  Prédiction  de  saint  François  de  Sales  à  son  égard. 

—  Ses  bénéfices  ecclésiastiques  de  Bazainville,  de  Clisson  et  de  Pébrac.  —  Sa 
première  rencontre  avec  Marie  Rousseau.  —  Son  voyage  en  Italie.  —  Sa  trans- 
formation à  Lorelte.  —  Songe  révélateur  de  sa  vocation.  —  Saint  Vincent  de 
Paul,  son  confesseur.  —  Ses  missions  dans  les  campagnes.  —  Son  ordination. 

—  11  participe  à  la  fondation  des  Conférences  de  Saint-Lazare.  —  La  mère  Agnès 
de  Jésus  travaille  à  sa  sanctification.  —  Elle  lui  apparaît  deux  fois  à  Saint- 
Lazare.  —  Sa  première  mission  en  Auvergne.  —  Le  P.  de  Condren,  son  direc- 
teur. —  Son  refus  de  l'évcché  de  Hodez.  —  Le  P.  de  Condren  le  prépare  à  la 
grande  œuvre  de  la  fondation  des  séminaires.  —  Sa  seconde  mission  en  Au- 
vergne. —  Sa  visite  à  Marie  de  Valence.  —  Sa  maladie  à  Langeac.  —  Sa  ré- 
forme du  monastère  de  la  Regrippière,  en  Bretagne.  —  Ses  rapports  avec 
la  mère  de  Bressan,  à  Nantes.  —  La  communauté  de  Saint-Maur.  —  Il  refuse 
la  coadjutoreriede  Chàlons-sur-Marne.  —  Sa  vie  d'épreuves  et  d'humiliations. 

—  Mort  du  P.  de  Condren.  —  Installation  à  Chartres.  —  Insuccès  de  cette  ten- 
tative. —  Son  refus  de  l'évcché  du  l'uy.  —  Mme  de  Villeneuve.  —  Première 
installation  du  séminaire  à  Vaugirard.  —  Application  des  maximes  du  P.  de 
Condren.  —  Administration  temporaire  de  la  paroisse  de  Vaugirard.  —  M.  Olier 
accepte  la  cure  de  Saint-Sulpice.  —  Ses  pensées  sur  la  sublimité  du  sacer- 
doce. —  Son  traité  avec  M.  de  Fiesque.  —  Sa  prise  de  possession  de  la  cure. 

—  Limites  de  la  paroisse,  sa  dépravation.  —  M.  Olier  en  entreprend  la  ré- 
forme. —  Vie  de  communauté  avec  ses  prêtres.  —  Règlement  de  cette  commu- 
nauté. —  11  répartit  entre  eux  les  diverses  fonctions  du  saint  ministère.  —  Con- 
version des  hérétique?.  —  Catéchismes.  —  Prédications.  —  Écoles.  —  Fondation 
de  la  maison  de  l'Institution.  —  Pompe  du  culte.  —  Adoration  perpétuelle  du 
Saint-Sacrement.  —  Prières  des  Quarante  Heures.  —  Vol  sacrilège  dans  l'é- 
glise. —  Réparation  de  cet  attentat.  —  Le  Pater  de  la  jardinière.  —  Dévelop- 
pement du  culte  de  la  Sainte  Vierge.  —  Organisation  d'une  librairie  aux  portes 
de  l'église.  —  Complot  et  émeute  pour  forcer  M.  Olier  à  se  démettre  de  sa 
cure.  —  Ses  concessions  à  M.  de  Fiesque.  —  Mise  à  l'étude  d'un  plan  de  re- 
construction de  l'église.  —  Pose  de  sa  première  pierre  par  la  Reine  Anne 
d'Autriche.  —  M.  Olier  fait  commencer  les  travaux  par  la  construction  de  la 
Chapelle  de  la  Sainte  Vierge.  —  Compagnie  de  la  Passion.  —  Efforts  de  M.  Olier 
pour  extirper  le  vice  et  empêcher  les  duels.  —  Il  travaille  à  la  sanctification 


r  ffuuf.SsiuM*.    fur. 


Fondateur  du  de  Saint- Su! r, 

rie  à  Paris  le  20  Septembre  1608,  mort  le  2  . 


M.  OLIER  (1642-1652  .  33 

dos  ^nmds  :  du  prince  de  Condé,  du  duc  d'Orléans,  du  prince  de  Conli.  — 
Son  inlluence  sur  la  Reine  qui  le  fait  entrer  dans  son  Conseil.  —  Son  zèle 
pour  la  conversion  des  inûdèles  el  pour  celle  de  l'Angleterre.  —  Ses  rapports 
avec  l'abbé  d'Aubigny.  —  Ses  conférences  avec  Charles  II,  roi  d'Angleterre. 

—  Elles  déterminent  son  abjuration  à  son  lit  de  mort.  —  Rôle  des  pauvres 
de  la  paroisse.  —  Leur  vestiaire;  leur  conseil  charitable.  —  Règlement  de  la 
compagnie  de  la  Charité.  —  Luttes  de  M.  Olier  contre  le  Jansénisme.  —  Son 
voyage  dans  le  .Midi.  —  Il  travaille  à  la  conversion  des  hérétiques  dans  les 
Cévcnnes;  il  organise  celle  des  sauvages  dans  le  Canada  par  la  création  de 
la  société  de  Notre-Dame  de  Montréal.  —  Ses  dernières  années.  —  Sa  mort. 

—  La  fondation  du  séminaire  et  la  création  de  la  compagnie  de  Saint-Sulpice 
forment  des  preuves  de  sa  sainteté.  —  Son  portrait. 


M.  Olier  est  avec  saint  Vincent  de  Paul,  le  cardinal  de 
Bertille  et  le  Père  de  Condren,  un  des  plus  grands  ser- 
viteurs de  Dieu  et  de  san  Église  au  xvnc  siècle  et  Ton 
ne  saurait  trop  faire  connaître  sa  vie  si  belle,  si  sainte  et 
si  féconde,  surtout  dans  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  qui 
lui  doit  sa  rénovation  morale. 

Issu  d'une  famille  de  robe  alliée  aux  plus  grands  noms 
de  la  magistrature  française  (1),  Jean-Jacques  Olier  na- 
quit à  Paris,  rue  du  Roi-de-Sicile,  le  samedi  20  sep- 
tembre 1608.  Il  était  l'un  des  huit  enfants  de  Jacques 
Olier  de  Verneuil,  alors  grand  audiencier  de  France  (2). 


(11  Le  Chancelier  de  France,  Pierre  Séguier,  le  premier  Président  du 
Parlement  de  Paris,  Mathieu  Mole,  et  le  Procureur  général,  Biaise  Méliand, 
étaient  ses  parents. 

(2)  Un  de  ses  cousins,  Charles-François  Olier,  marquis  de  Nointel,  fut  en- 
voyé par  Louis  XIV  en  ambassade  extraordinaire  à  Constantinople,  en  1670, 
après  le  rappel  de  notre  ambassadeur,  M.  de  la  Haye,  dont  les  droits 
comme  représentant  de  la  chrétienté  en  Orient  avaient  élé  méconnus  par 
la  Porte,  mécontente  des  secours  donnés  par  la  Fiance  à  Candie.  Nointel 
avait  pour  instructions  de  réclamer  le  rétablissement  des  anciennes  Ca- 
pitulations et  la  restitution  des  Saints  Lieux;  il  eut  un  succès  complet  : 
Inquiets  des  immenses  armements  du  Roi,  le  Divan  et  la  Porte  signèrent 
les  Capitulations  de  1673,  qui  plaçaient  sous  la  protection  de  la  France 
«  les  évèques  et  les  autres  religieux  qui  professent  la  religion  franque  de 
quelque  nation  ou  espèce  qu'ils  soient  »,  charte  glorieuse  de  notre  in- 
lluence et  de  notre  prestige  en  Orient,  que  la  Convention  elle-même  eut 
à  cœur  de  défendre,  mais  que  la  couardise,  l'incurie  et  la  passion  sectaire 
de  nos  politiciens  du  jour  sont  en  train  de  laisser  tomber  aux  mains  de 

ÉGLISE    SAINT-SULPICE.  3 


34  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Les  premiers  indices  de  sa  vocation  au  service  des  au- 
tels se  manifestèrent  dès  ses  plus  jeunes  années. 

11  était  encore  au  berceau  que  déjà  sa  nourrice  re- 
marquait que  pour  apaiser  ses  pleurs  et  ses  cris,  elle 
n'avait  qu'à  le  porter  à  l'église  Saint-Sulpice,  où  la  Pro- 
vidence semblait  avoir  voulu  lui  faire  passer  le  temps  de 
sa  première  enfance  pour  lui  faire  prendre  dès  alors  en 
affection  cette  paroisse  dont  elle  le  destinait  à  devenir 
le  pasteur  (1). 

A  sept  ans,  un  jour  qu'il  était  allé  à  l'église  des  reli- 
gieux de  Saint-Antoine  pour  entendre  la  messe ,  il  eut 
tout  à  coup,  à  la  vue  du  prêtre  qui  la  commençait,  une  si 
vive  lumière  de  l'excellence  du  saint  Sacrifice,  que  dès 
lors,  lorsqu'il  voyait  un  prêtre  à  l'autel,  il  croyait  qu'il  ne 
vivait  plus  que  de  la  vie  de  Dieu,  et  souffrait  de  le  voir 
cracher  ou  tourner  la  tête  (2). 


l'Allemagne  et  de  la  Russie,  auxquelles  aucun  sacrifice  ne  coûte  pour  nous 
la  disputer. 

Ce  fut  alors  que  se  produisit  un  courant  d'opinion  très  prononcé  en 
France  et  jusqu'en  Orient  parmi  les  chrétiens  de  l'Église  grecque ,  et 
auquel  Nointel  ne  contribua  pas  peu  par  ses  dépêches  (v.  Ch.  Gérin, 
Louis  XIV  et  le  Saint-Siège,  t.  II,  p.  629  et  630)  pour  pousser  Louis  XIV 
à  se  montrer  le  défenseur  et  le  restaurateur  de  la  vraie  foi  et  à  détruire 
le  mahométisme.  Ce  courant  s'accentua  encore  davantage,  lorsqu'en  1683, 
après  avoir  brûlé  10.000  villages,  emmené  plus  de  600.000  chrétiens  en 
esclavage,  et  renouvelé  toutes  les  horreurs  de  l'invasion  des  Huns,  les 
Turcs  vinrent  mettre  le  siège  devant  Vienne.  Malheureusement,  partagé 
déjà  à  leur  égard,  comme  l'est  toujours  l'Europe,  entre  le  double  sentiment 
de  leur  vitalité  guerrière  et  de  leur  irrémédiable  décrépitude  morale,  le 
Roi  résista  à  cette  pression  de  l'opinion  publique;  et  à  la  gloire  d'affran- 
chir les  chrétiens  d'Orient  du  joug  honteux  qui  pesait  sur  eux,  il  pré- 
féra sa  guerre  de  Hollande  dont  le  résultat  fut  d'allumer  contre  nous  une 
haine  qui  ne  s'éteignit  plus  et  finit  même  par  former,  en  1689,  cette  coa- 
lition et  cette  ligue  de  l'Empereur,  de  l'Angleterre,  de  l'Espagne,  delà  Hol- 
lande, de  la  Suède  et  de  la  Savoie,  qui  fit  à  peu  près  de  l'Europe  entière 
une  ennemie  de  la  France  v.  dans  le  Correspondant  du  25  septembre  1896.' 
un  article  de  M.  H.  de  Lacombe,  sur  la  Crète  et  la  Fiance). 

(1)  Simon  de  Doncourt,  Iiem.  hist.,  t.  I,  p.  29. 

(2)  Faillon,  Vie  de  M.  (Hier  t.  I,  p.  5,  4g  éd.  ;  et  Nagot,  Vie  de  M.  Olicr. 
p.  408. 


M.   OLIER  (1642-1652).  35 

Mis  au  collège  à  huit  ans  et  demi  chez  les  Pères  jé- 
suites de  Lyon  dont  son  père  venait  d'être  nommé  inten- 
dant (1617),  il  s'y  distingua  de  suite  par  sa  vive  intelli- 
gence et  surtout  par  sa  tendre  dévotion  envers  la  Très 
Sainte  Vierge,  dévotion  qui  avec  celle  au  Très  Saint-Sa- 
crement ne  fit  que  grandir  en  lui  avec  l'âge  et  devint  le 
caractère  distinctif  de  sa  piété. 

Il  se  réjouissait  d'être  né  d'un  père  qui  l'avait  toujours 
aimée,  d'une  mère  qui  s'appelait  Marie  et  dans  une  rue 
qui  portait  le  nom  de  Notre-Dame  d'argent  (1).  Il  ne 
pouvait  rien  apprendre,  dit-il  lui-même,  qu'à  force 
d'Ave  Maria;  et  depuis  lors  et  pendant  tout  le  cours  de 
sa  vie,  il  n'entreprenait  jamais  rien  sans  aller  dans  quel- 
qu'un de  ses  sanctuaires  la  prier  de  bénir  ses  démarches 
et  ses  actions.  Il  ne  se  faisait  même  pas  faire  de  nouveaux 
vêtements  sans  lui  demander  la  grâce,  tant  qu'il  les  por- 
terait, de  ne  point  offenser  son  divin  Fils. 

Dieu,  du  reste,  prenait  un  soin  spécial  de  son  avance- 
ment dans  la  vertu.  «  Je  n'ai  jamais  pu  rien  apprendre, 
«  dit-il  encore,  que  par  grâce  et  dans  le  temps  quej'é- 
«  tais  en  grâce,  selon  qu'il  me  semblait.  En  ma  jeunesse, 
«  dès  le  collège,  quand  j'avais  commis  un  péché,  j'avais 
u  l'entendement  tout  bouché  et  tout  aveugle,  et  me  trou- 
ve vais  comme  impuissant  de  rien  apprendre,  si  bien  qu'il 
«  me  fallait  aussitôt  aller  à  confesse  (2).  »  Mais  si  la 
Providence  était  si  attentive  à  le  corriger  de  ses  moin- 
dres fautes,  elle  ne  l'était  pas  moins  à  récompenser  ses 
efforts  pour  le  bien.  Un  jour  qu'il  traversait  une  rivière 
à  la  nage,  il  aperçoit  sur  la  berge  quelques  personnes 
devant   lesquelles    sa  pudeur  l'empêchait  d'aborder;  il 


(i)  Cette  rue  prit  plus  tard  le  nom  de  îue  du  Roi  de  Sicile,  qu'elle  dut 
à  Charles  d'Anjou,  comte  de  Provence  et  roi  de  Xaples  et  de  Sicile,  qui  v 
avait  son  hôtel. 

(2)  Mémoires  authentiques  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  168. 


3G  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

n'hésite  pas  à  retourner  en  arrière;  mais  au  milieu  de 
l'eau  ses  forées  l'abandonnent  et  il  se  sent  perdu,  quand, 
par  un  secours  qui  semble  miraculeux,  il  rencontre  un 
pieu  sur  lequel  il  peut  poser  le  pied  et  reprendre  haleine 
pour  achever  sa  course  (1). 

A  ces  premières  grâces,  déjà  privilégiées,  en  succédè- 
rent de  plus  grandes  encore  à  mesure  qu'il  avança  en 
âge ,  et  notamment  celle  de  ses  rapports  avec  les  plus 
saints  personnages  du  temps,  qui  tous  concoururent  à  le 
préparer  à  sa  mission  ou  à  la  lui  faciliter. 

Il  achevait  ses  humanités  à  Lyon,  quand  ses  parents 
le  consacrèrent  à  Dieu  et  lui  obtinrent,  en  1620,  le  béné- 
fice ecclésiastique  de  Bazainville  (2).  Mais  la  fougue  de 
son  caractère,  emporté  et  violent,  inspira  bientôt  à  sa 
mère  de  vives  inquiétudes  sur  sa  vocation;  et  dans  la 
crainte  d'offrir  au  service  des  autels  un  fils  qui  n'y  fût 
pas  appelé,  elle  crut  devoir  consulter  saint  François  de 
Sales  qui  honorait  son  mari  de  son  amitié.  Le  saint  évo- 
que consulta  Dieu  pendant  trois  jours,  dans  la  prière  et 
au  saint  Sacrifice,  puis,  éclairé  par  une  lumière  prophéti- 
que, il  lui  répondit  de  se  consoler  et  de  changer  ses  crain- 
tes en  actions  de  grâces  parce  que  Bleu 'préparait  en  la 
personne  de  ce  bon  enfant  un  grand  serviteur  de  son 
Église  (3). 

C'était  en  1622.  M.  Olier  avait  alors  quatorze  ans.  Dès 
lors,  le  saint  évêque  le  prit  en  affection  et  exprima  même  à 
ses  parents  le  désir  de  l'avoir  auprès  de  lui  pour  le  former 
aux  vertus  ecclésiastiques  ;  mais  la  mort,  qui  l'enleva  peu 
après,  l'empêcha  de  réaliser  son  dessein.  Toutefois,  avant 
d'expirer,  il  lui  donna  sa  bénédiction,  et  M.  Olier,  qui, 


(1)  Mémoires  authentiques  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  111. 

(2)  C'était  un  prieuré,  situé  au  diocèse  de  Chartres. 

(3)  Témoignage  de  M.  Chaillard,  curé  de  Villefranche   en  Beaujolais 
Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  12. 


M.  OLIER  [1642-1652).  37 

d'après  ses  conseils,  se  décida  à  porter  désormais  la  sou- 
tane, l'invoqua  souvent  depuis  lors  et  toujours  avec 
profit. 

Trois  ans  après,  en  1625,  son  père  ayant  été  promu  à 
la  charge  de  conseiller  d'État,  il  le  suivit  à  Paris,  où  il 
acheva  ses  études  au  collège  d'Harcourt  et  soutint  bril- 
lamment un  acte  public,  en  latin  et  en  grec,  sur  toute  la 
philosophie. 

A  dix-huit  ans,  il  prit  possession  de  l'abbaye  de  Pébrac, 
au  diocèse  de  Saint-Flour,  fut  élu  chanoine,  comte  du 
chapitre  de  Saint-Julien  de  Brioude,  et  obtint  de  plus  le 
prieuré  de  la  Trinité  de  Clisson,  de  Tordre  de  saint  Benoit, 
au  diocèse  de  Nantes  (1). 

Ses  parents,  désirant  alors  le  pousser  aux  honneurs 
ecclésiastiques,  le  lancèrent  dans  le  monde  et  lui  procu- 
rèrent un  grand  train  de  maison.  Il  prit  bientôt  goût  à 
ce  genre  de  vie,  prêchant  agréablement,  ayant  soin  de 
ne  rien  dire  contre  les  mœurs  du  monde ,  contre  l'avarice 
ou  la  superbe,  et  recherchant  le  commerce  des  grands  et 
les  divertissements  du  siècle  (2).  Sa  mère  ne  tarda  pas  à 
s'alarmer  des  périls  auxquels  elle  l'avait  elle-même  im- 
prudemment exposé,  et  elle  ne  cessa  plus  de  gémir  et  de 
prier  pour  sa  conversion  dont  l'instrument  providentiel 
fut  une  femme,  de  condition  modeste,  Marie  de  Gournay, 
veuve  d'un  des  vingt-cinq  marchands  de  vin  de  Paris, 
David  Bousseau.  Cette  âme  d'élite,  comblée  des  dons  du 
ciel  et  favorisée  des  communications  les  plus  intimes  avec 
la  Sainte  Vierge,  demandait  à  Dieu,  depuis  son  enfance, 
la  grâce  de  travailler,  pour  sa  gloire  et  celle  de  son 
Eglise,  à  la  formation  de  saints  prêtres  et  au  renouvelle- 


(1)  La  balle  qui  mit  M.  Olier  en  possession  du  prieuré  de  Clisson  est  du 
17  mai  1625,  et  celle  qui  lui  donna  l'abbaye  de  Pébrac,  du  30  juin  de  la 
même  année. 

(2)  Doncourt,  Rem.  hist.,  I,  23. 


38  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

ment  des  mœurs  du  faubourg  Saint-Germain  qu'elle 
habitait.  Le  Seigneur  l'exauça  en  lui  accordant  un  rôle 
important  dans  la  vie  de  M.  Olier  et  une  grande  part  à 
l'établissement  du  séminaire  et  de  la  compagnie  de 
Saint-Sulpice  et  à  la  fondation  de  presque  toutes  les  œu- 
vres de  zèle  et  de  charité  auxquelles  le  serviteur  de  Dieu 
se  livra  dans  le  cours  de  son  ministère  pastoral  (1). 

In  jour  de  l'année  1629,  elle  avait  rencontré  M.  Olier, 
accompagné  de  quatre  autres  jeunes  abbés,  tous  vêtus  de 
satin  violet,  à  la  porte  d'un  cabaret  voisin  de  sa  maison. 
Sans  le  connaître  autrement,  elle  ne  cessa  plus  d'offrir  à 
Dieu  ses  prières,  ses  jeûnes  et  ses  mortifications  pour  sa 
conversion. 

11  ne  tarda  pas  à  en  ressentir  les  effets  et  commença,  à 
partir  de  ce  moment,  —  il  avait  alors  vingt  et  un  ans,  —  à 
naître  à  Dieu  par  désir  et  par  affection.  «  Pour  moi,  dit-il, 
«  je  reconnais  être  redevable  à  cette  créature  de  ma  pre- 
«  mière  conversion;  et  Dieu  m'a  obligé  plusieurs  fois, 
«  devant  que  de  connaître  cette  sainte  âme,  de  dire  tout 
«  haut  à  nos  iMessieurs  :  Il  y  a  quelque  personne  dans  le 
«  faubourg  Saint-Germain  qui  est  la  cause  de  ma  con- 
<(  version  (2).   » 

Il  ne  pouvait  cependant  pas  se  résoudre  à  rompre  en- 
tièrement avec  le  monde,  lorsque  la  divine  Bonté  lui 
inspira  l'idée  d'un  voyage  en  Italie,  pour  s'éloigner  un 
peu  de  ses  amis  et  se  livrer  à  l'étude,  spécialement  à 
celle  de  l'hébreu  qu'il  désirait  connaître  en  vue  de  sou- 
tenir plus  tard,  en  cette  langue,  quelque  thèse  brillante 
en  Sorbonne.  Mais  Dieu  ne  l'y  conduisait  que  dans  un 


(1)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  24. 

(2)  Faillon,  ibid.,  p.  26,  et  Mèm.  autli.  de  M.  Olier,  t.  II,  p.  305. 
«  C'est  une  chose  admirable,  ajoute-t-il,  comme  tous  ces  jeunes  messieurs 
«  (ceux  qui  l'accompagnaient  le  jour  où  Marie  Rousseau  les  rencontra  tous 
«  cinq)  qui,  étant  considérables  dans  le  monde,  ont  depuis  tout  quitté 
«  pour  suivre  Jésus-Christ  et  faire  profession  de  ses  maximes.  » 


M.  0L1ER  (1642-Ï652).  39 

dessein  de  miséricorde  et  pour  faire  de  lui  un  vase 
d'élection. 

A  peine,  en  effet,  est-il  arrivé  à  Rome  qu'un  mal  d'yeux 
le  force  d'interrompre  ses  études  et  le  met  en  danger  de 
perdre  la  vue.  Il  fait  vœu  alors  d'un  pèlerinage  à  Lorette. 
Il  s'y  rend  à  pied,  à  la  fin  de  mai  1630,  vêtu,  par  péni- 
tence, d'habits  d'hiver  au  fort  de  la  chaleur,  et  est  pris 
en  route  d'une  fièvre  violente  causée  par  l'excès  de  la 
fatigue.  Parvenu  au  terme  de  son  voyage,  il  va  de  suite  à 
l'église  qui  abrite  la  sainte  maison;  il  s'y  agenouille  et 
se  sent  subitement  guéri  de  sa  fièvre  et  de  son  mal  d'yeux. 
Il  y  passe  toute  la  nuit  en  prières  et  en  larmes,  s'y  sent 
puissamment  attiré  au  service  de  Notre-Seigneur,  et  y 
reçoit  de  si  grandes  lumières  et  de  si  fortes  impressions 
de  grâces  qu'il  a  toujours  regardé  ce  moment  comme 
celui  de  son  entière  conversion  (1). 

Engendré  ainsi,  à  moins  de  vingt-deux  ans,  à  la  grâce 
insigne  de  sa  sanctification  par  les  prières  de  Marie  Rous- 
seau et  par  l'intercession  de  la  Très  Sainte  Vierge,  il  ne 
cessera  plus  de  s'y  montrer  fidèle.  Il  sort  de  Lorette  trans- 
formé, devient  un  homme  nouveau,  et  son  retour  à  Paris, 
motivé  par  la  mort  de  son  père,  ne  lui  fait  rien  perdre 
de  sa  ferveur  (1631). 

Sa  mère  venait  de  lui  obtenir  le  titre  d'aumônier  du 
Roi;  il  le  refuse,  fait  à  Noël  sa  confession  générale,  et  ne 
visant  plus  qu'à  la  perfection  des  vertus  sacerdotales,  il 
s'adonne  désormais  à  une  vie  tout  apostolique. 

11  s'éloigne  des  grands,  recherche  la  société  des  pau- 
vres et  fait  de  leur  évangélisation  son  œuvre  préférée. 
Il  les  reçoit  chez  lui  pour  les  instruire,  les  catéchise  jus- 
que dans  la  rue,  les  conduit  lui-même  à  l'hôpital  quand 
il  en  rencontre  de  malades,  les  prépare  à  leurs  confes- 
sions générales  que  veut  bien  entendre  son  ami,  François 

(1)  Doncourt,  Rem.  hist.,  III,  50i. 


40  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

Renard,  dans  l'église  des  capucins  du  Marais,  et,  surmon- 
tant les  révoltes  de  la  nature,  s'humilie  pendant  douze  ans 
jusqu'à  leur  baiser  les  pieds  et,  même  parfois,  leurs  plaies 
les  plus  répugnantes;  et  il  ne  faut  rien  moins  qu'une 
injonction  de  son  Directeur  pour  qu'il  cesse  cette  pratique 
héroïque  de  la  charité.  Il  réunit  autour  de  lui  de  jeunes 
écoliers,  même  des  aspirants  au  sacerdoce ,  pour  les  initier 
aux  belles-lettres  et  les  former  à  la  vertu. 

Chaque  jour,  il  se  confesse  et  s'approche  de  la  sainte 
Table.  Avide  d'austérités,  il  traite  son  corps  en  esclave, 
couche  sur  une  simple  paillasse  et  se  prive  même  du  né- 
cessaire pour  augmenter  ses  aumônes. 

Depuis  l'âge  de  quinze  ans,  il  était  poursuivi  par  l'idée 
d'embrasser  la  vie  religieuse  et  de  se  faire  Chartreux.  Un 
songe,  révélateur  de  sa  vocation,  qu'il  eut  vers  la  fin  de 
l'année  1638,  l'y  fit  renoncer.  «  Il  me  souvient,  »  rap- 
porte-t-il  lui-même  dans  ses  Mémoires,  en  juillet  16i2, 
au  moment  où  il  allait  devenir  curé  de  Saint-Sulpice, 
<c  de  ce  songe  que  j'eus,  il  y  a  bien  neuf  ou  dix  ans,  dans 
lequel  je  voyais  saint  Grégoire  dans  un  grand  trône, 
saint  Ambroise  dans  un  autre  au-dessous  de  lui,  et  bien 
plus  bas  quantité  de  Chartreux.  Au-dessous  de  saint  Am- 
broise il  y  avait  manque  de  la  place  d'un  curé  pour  faire 
la  hiérarchie  entière,  ce  qui  me  faisait  voir  qu'il  fallait 
peut-être  remplir  cette  place  de  curé,  pour  rendre  ser- 
vice à  l'Église  en  cette  qualité  (car  saint  Grégoire  et  saint 
Ambroise  l'avaient  servie  en  dignité  éminente>,  et  que 
cette  occupation  était  bien  plus  utile  et  nécessaire  à 
l'Église  que  celle  d'être  simple  Chartreux  (1).  »  A  partir 
de  ce  moment,  il  n'a  plus  qu'une  pensée  :  celle  de  prati- 
quer toutes  les  vertus  propres  aux  prêtres;  et,  pour  mieux 
s'y  former,  il  prend  saint  Vincent  de  Paul  pour  confes- 
seur et  pour  guide. 

(I)  Mém.  auth.  de  M.  Olier,  I,  90-91;  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  I,  67. 


M.  OLIER  (1642-1652).  41 

Sous  sa  conduite,  son  zèle  le  porte  à  renoncer  à  ses 
études  de  théologie,  malgré  l'attrait  qu'il  y  trouve,  pour 
aller  dans  les  campagnes  travailler  au  salut  des  pauvres. 
Approuvé  par  son  Directeur,  il  s'associe  quelques-uns  de 
ses  prêtres  et  se  voue  avec  eux  désormais  sans  relâche 
aux  missions  des  campagnes. 

Au  bout  d'un  an  de  cet  apostolat  dans  diverses  pa- 
roisses des  environs  de  Paris  (1),  et  sur  l'avis  de  saint  Vin- 
cent de  Paul,  il  se  dispose  à  recevoir  les  saints  Ordres.  Il 
s'y  prépare  par  une  retraite  de  quinze  jours  au  collège 
des  Bons-Enfants,  est  ordonné  le  21  mai  1633,  dans  la 
chapelle  de  l'archevêché,  par  l'évêque  de  Dardanie, 
Mgp  Etienne  Puget,  alors  auxiliaire  de  Metz  et  plus  tard 
évêque  de  Marseille,  et,  selon  la  coutume  des  saints  prê- 
tres du  temps,  consacre  encore  un  mois  tout  entier  aux 
exercices  spirituels  avant  de  dire  sa  première  messe ,  qu'il 
ne  célébra  que  le  24  juin  suivant,  jour  de  la  fête  du  saint 
Précurseur. 

Pour  mieux  conserver  les  fruits  de  son  ordination  et 
pour  perfectionner  en  lui  l'esprit  sacerdotal,  dont  il  était 
déjà  si  bien  pénétré,  il  s'unit  à  quelques  autres  ecclésias- 
tiques séculiers  et,  sous  la  direction  de  saint  Vincent  de 
Paul,  fonde  avec  eux  ces  excellentes  conférences  des  mar- 
dis dites  aussi  de  Saint-Lazare ,  où  tous  ensemble  ils 
s'efforçaient  de  s'éclairer  sur  les  devoirs  de  leur  vocation 
et  de  se  renouveler  dans  la  ferveur  de  leur  saint  état  (2). 

Il  redouble  surtout  de  zèle  et  de  piété  envers  la  Très 
Sainte  Vierge,  ayant  toujours  une  de  ses  images  devant 
lui,  saluant  respectueusement  toutes  celles  qu'il  rencon- 
trait, faisant  de  fréquentes  visites  à  ses  sanctuaires,  réci- 

(1)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  I,  71.  Il  fut  secondé  dans  ces  missions 
de  la  banlieue  de  la  capitale  surtout  par  l'abbé  de  Coulanges,  son  ami, 
que  Mme  de  Sévigné ,  sa  nièce,  n'appelle  dans  ses  lettres  que  le  bon  abbé. 

(2)  Ce  furent  ces  mêmes  conférences  qu'il  organisa  plus  tard,  avec  tant 
de  bénédiclions,  au  Puy,  à  Limoges  et  ailleurs. 


12  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

tant  son  chapelet  tous  les  jours,  lui  offrant  toutes  ses 
actions  et  lui  vouant  uue  perpétuelle  servitude  ;  heureux 
servage  qui  le  prépara  de  loin  à  celui  dont  il  fit  le  vœu  à 
Jésus-Christ  et  qui  contribua  puissamment  à  sa  sanctifi- 
cation. 

Du  reste,  on  ne  saurait  trop  admirer  les  voies  toutes 
de  miséricorde  que  Dieu  ménagea  alors  à  son  serviteur 
pour  l'élever  à  cette  perfection  sacerdotale  qu'il  voulait 
du  futur  Instituteur  des  séminaires  en  France.  Après 
s'être  servi  d'une  humble  femme,  la  veuve  Rousseau,  pour 
l'amener  de  la  vie  du  monde  et  du  péché  à  celle  de  la 
grâce,  il  choisit  une  vierge  d'une  éminente  vertu,  la 
Mère  Agnès-de-Jésus,  Prieure  du  couvent  de  Sainte-Ca- 
therine de  Langeac ,  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  pour 
le  conduire  par  ses  prières,  ses  pénitences  et  ses  conseils 
à  la  vie  plus  parfaite  des  Saints. 

Dès  l'année  1630,  comme  cette  amante  de  Jésus  de- 
mandait à  son  céleste  époux  de  la  retirer  du  monde  : 
«  Tu  m'es  encore  nécessaire,  lui  dit  Notre-Seigneur, 
«  pour  la  sanctification  d'une  ame  qui  doit  servir  à  ma 
«  gloire  (1).  »  Et  quelques  jours  après,  la  Sainte  Vierge, 
pour  qui  la  iMère  Agnès  éprouvait  un  amour  ardent,  lui 
apparut,  toute  revêtue  de  gloire,  et  lui  dit  :  «  Prie  mon 
«  Fils  pour  l'abbé  de  Pébrac  (2).  »  C'était  M.  Olier,  qu'elle 
ne  connaissait  pas  et  dont  l'abbaye  n'était  qu'à  deux 
lieues  de  Langeac.  Et  depuis  lors,  elle  ne  cessa  plus  de 
l'avoir  présent  à  l'esprit,  sans  l'avoir  jamais  vu,  et  de 
s'immoler  pour  lui  comme  une  victime  à  la  justice  de 
Dieu.  «  Elle  y  employait,  »  nous  dit  M.  Olier  lui-même 
dans  ses  Mémoires,  «  toutes  les  inventions  que  l'amour  a 
coutume  de  fournir  aux  âmes  pénitentes ,  comme  cein- 
tures, cilices,  haires,  disciplines  de  fer,  dont  les  ardillons 


(1)  Vie  manusc.  de  M.  Olier,  par  M.  de  Bretonvilliers,  t.  I,  p.  132. 

(2)  IbUL,  et  Vie  admirable  de  la  sow  Agnès  de  Jésus,  t.  II,  I.  vr,  ch.  1. 


M.  OLIER  (1642-1652).  43 

;  se  retroussaient  contre  les  os,  qui  étaient  découverts  et 
;  dépouillés  de  chair.  Tels  étaient  les  excès  de  sa  sainte  pé- 
nitence :  à  quoi  l'on  joindra  ce  qui  est  de  plus  précieux, 
les  soupirs  de  son  cœur,  ses  contritions  violentes,  capa- 
bles de  briser  des  rochers  (1).  » 

Elle  avait  ainsi  passé  trois  années  entières  dans  la 
prière  et  l'exercice  des  plus  grandes  austérités  selon  l'ordre 
d'en  haut,  quand  un  jour  du  printemps  de  1634  (2), 
pendant  que  M.  Olier  était  en  oraison  dans  sa  chambre  de 
Saint-Lazare  où  il  se  préparait,  dans  la  retraite,  à  la 
première  mission  qu'il  allait  donner  en  Auvergne,  dans 
les  paroisses  dépendantes  de  son  abbaye  de  Pébrac ,  elle 
lui  apparut  corporellement  (3).  «  Je  vis,  dit-il  lui-même 
«  dans  ses  Mémoires,  cette  sainte  âme  venir  à  moi.  Elle 
«  portait  en  une  main  un  crucifix  et  un  chapelet  dans 
«  l'autre.  Son  ange,  parfaitement  beau,  portait  la  queue 
«  de  son  manteau  d'une  main,  et  un  mouchoir  de  l'autre 
«  pour  recevoir  les  larmes  dont  elle  était  baignée.  Et 
«  dans  ce  visage  péniteut  et  affligé,  elle  me  dit  :  «  Je 
«  pleure  pour  toi  »  ;  ce  qui  me  donna  beaucoup  au  cœur  et 
«  me  remplit  d'une  douce  tristesse  (i).  » 

«  Il  crut  sur  l'heure  que  c'était  la  Sainte  Vierge  et  à 
«  cause  de  la  sainte  gravité  et  douce  majesté  avec  les- 
«  quelles  elle  parut,  et  à  cause  de  l'ange  qui  lui  rendait 
«  cet  office  de  porter  le  bas  de  son  manteau  (5).  » 

(1)  Mémoires  auih.  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  81,  82. 

(2)  Avant  Pâques,  qui,  cette  année-là,  tombait  le  16  avril. 

(3)  L'apparition  réelle  et  corporelle  de  la  mère  Agnès  à  M.  Olier  est  re- 
connue expressément  par  le  litre  du  sommaire  des  dépositions  faites  dans 
le  procès  de  béatification  de  la  Vénérable,  qui  le  déclare  en  ces  termes  : 
Cui  serva  Dei  vivens  appariât  Parisiis  ,  et  dans  les  procédures  faites 
en  1780,  où  on  lit  :  «  Undè  ingenti  miraculo  a  suo  monasterio  quod 
«  distat  a  Parisiis  ultra  ducenta  milliaria,  ipsi  abbati  Olier,  diim 
«  in  seminario  sancti  Lazari  versaretur,  ibique  spiritualia  exercitia 
«  perageret,  visibilem  et  quidem  corporaliter  se  reddidit.  » 

(4)  Mém.  auth.  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  83. 

(5)  Vie  manuscrite  de  M.  Olier,  par  M.  de  Bretonvilliers,  t.  I,  p.  124  et  123. 


ii  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SL'LPICE. 

Mais  une  seconde  apparition  de  la  même  personne,  à 
peu  de  temps  de  là  (1),  lui  fît  comprendre,  à  son  costume, 
qu'elle  n'était  pas  la  Mère  de  Dieu,  pour  laquelle  il  l'a- 
vait prise  d'abord,  mais  quelque  religieuse  de  Tordre 
de  saint  Dominique  encore  vivante;  et  il  conçut  un  vif 
désir  de  la  connaître. 

Après  sa  retraite,  il  dut  encore  consacrer  quelques  se- 
maines à  réunir  les  missionnaires  qu'il  désirait  associer  à 
ses  travaux  apostoliques.  Aussi,  lorsque,  à  la  fin  d'a- 
vril 1634,  il  se  fut  assuré  leur  concours,  il  ne  voulut  même 
pas  différer  son  départ  de  deux  jours  pour  pouvoir  assister 
au  mariage  de  son  frère  François  et  se  mit  en  route  à  la 
mi-mai,  heureux  d'emmener  avec  lui  comme  auxiliaires 
un  des  membres  de  la  congrégation  de  Saint-Lazare  et 
quelques  jeunes  prêtres  de  naissance,  entre  autres  MM.  Bar- 
rault  et  Perrochel,  amis  d'Alain  de  Solminihac;  car  on 
n'avait  pas  encore  vu  des  personnes  de  qualité  se  livrer 
aux  missions  des  campagnes  (2).  A  mesure  qu'il  appro- 
chait de  Pébrac,  à  Riom,  à  Brioude,  il  n'entendait  parler 
que  de  la  Prieure  de  Langeac,  qu'on  lui  représentait  par- 
tout comme  un  prodige  de  sainteté.  11  se  promit  de  ne 
pas  quitter  l'Auvergne  sans  aller  la  visiter. 

Leur  première  entrevue  eut  lieu  dans  les  derniers  jours 
de  juin  1 634,  au  couvent  de  Sainte-Catherine,  dont  elle 
était  la  Prieure.  Dès  qu'elle  se  fut  présentée  à  lui,  et 
que  sur  sa  demande  elle  eut  consenti  à  relever  le  voile 
qu'elle  tenait  baissé  sur  son  visage,  selon  la  coutume  de 
son  ordre,  M.  Olier  la  reconnut  et  lui  dit  :  «  Ma  Mère, 
«  je  vous  ai  vue  ailleurs.  —  C'est  vrai,  lui  répondit-elle, 
«  vous  m'avez  vue  deux  fois  à  Paris,  où  je  vous  ai  ap- 
te paru  dans  votre  retraite  à  Saint-Lazare,  parce  que  j'a- 
ie vais  reçu  de  la  Sainte  Vierge  l'ordre  de  prier  pour  votre 


(1)  Vie  de  M.  Olier,  par  M.  Faillon,  t.  I,  p.  95. 

(2)  Faillon,  loc.  cit.,  I,  p.  107. 


M.  0L1ER  (1642-1652).  45 

«  conversion ,  Dieu  vous  ayant  destiné  à  jeter  les  fon- 
ts, déments  des  séminaires  du  royaume  de  France  (1).  » 
Le  miracle  de  cette  apparition,  dont  la  certitude  a  été 
constatée  par  le  procès  de  la  béatification  de  la  Mère 
Agnès  (2),  a  eu  une  portée  considérable  :  car  il  a  été  le 
principe  à  la  fois  de  la  sainteté  de  M.  Olier,  qui  depuis 
lors  a  fait  dans  les  vertus  sacerdotales  des  progrès  éton- 
nants, et  de  l'institution  des  séminaires,  par  laquelle  il  a 
servi  si  utilement  l'Église. 

A  dater  de  cette  visite  et  pendant  les  six  mois  qu'il 
resta  encore  en  Auvergne ,  la  Mère  Agnès  travailla  sans 
relâche  à  la  perfection  de  M.  Olier,  en  lui  inspirant  un 
amour  de  plus  en  plus  vif  de  la  croix,  des  mortifications, 
des  souffrances  et  surtout  de  l'humilité.  Elle  l'incita  en 
même  temps  à  procurer  la  réforme  de  son  abbaye  de  Pé- 
brac,  dont  il  avait  déjà  essayé,  mais  en  vain,  en  1033,  de 
confier  le  soin  à  Alain  de  Solminihac,  qui  commençait 
alors  heureusement  celle  de  l'ordre  des  chanoines  régu- 
liers de  Saint-Augustin  dans  son  abbaye  de  Chancellade , 
en  Guyenne.  M.  Olier,  qu'affligeait  la  vie  peu  régulière 
de  ses  religieux,  renouvela  ses  instances  auprès  du  pieux 
abbé  qui,  cette  fois,  se  laissa  fléchir  et  passa  avec  lui,  le 
2i  juin ,  un  concordat  qu'il  crut  devoir  soumettre  à  l'ap- 
probation du  cardinal  de  La  Rochefoucauld,  abbé  de 
Sainte-Geneviève  et  délégué  par  le  Saint-Siège  pour  ré- 
former en  France  les  chanoines  de  Saint- Augustin.  Mais, 
sur  les  plaintes  des  religieux  de  Pébrac  et  à  la  prière  de 
la  mère  de  M.  Olier  elle-même,  qui  désirait  conserver  à 
son  fils  ce  riche  bénéfice,  le  cardinal  rendit,  le  11  août, 
une  ordonnance  qui  défendait  l'exécution  de  ce  concordat 


(1)  Faillon,  ibid.,  I,  p.  99. 

(2)  «  Dubitari  nequaquam  potest  quin  vere  fuerit  apparitio,  »  dit  le  Sous- 
Promoteur  de  la  foi,  dans  son  rapport  à  la  congrégation  des  Rites  sur 
la  cause  de  la  canonisation  de  la  Vénérable  Mère. 


46  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

et  enjoignait  à  M.  Olier  de  rentrer  à  Paris,  le  1er  octobre 
suivant,  pour  régler  de  concert  avec  lui  les  conditions  de 
cette  réforme.  La  Mère  Agnès  éprouva  un  vif  chagrin  de 
le  voir  quitter  si  vite  l'Auvergne,  où  il  faisait  tant  de 
bien;  néanmoins  elle  le  pressa  d'obéir,  et  il  se  résigna 
à  partir. 

Lors  de  leur  dernière  entrevue  vers  la  fin  de  septembre , 
elle  lui  donna  son  crucifix  qui,  peu  d'années  après,  de- 
vait opérer,  à  la  communauté  de  Saint-Sulpice ,  la  gué- 
rison,  regardée  comme  miraculeuse  (1),  de  M.  Philippe, 
supérieur  du  séminaire  d'Aix,  et,  après  lui  avoir  dit  adieu, 
elle  se  mit  au  lit  pour  ne  plus  se  relever.  Alors  encore 
elle  eut  une  action  considérable  sur  l'avenir  de  M.  Olier. 
Le  12  octobre ,  elle  écrivit  au  Père  de  Condren,  général  de 
l'Oratoire,  qui  la  tenait  en  singulière  estime,  pour  le  prier 
de  se  charger  de  la  conduite  spirituelle  de  M.  Olier.  et  huit 
jours  après,  le  19  du  même  mois,  elle  rendait  sa  belle 
âme  à  Dieu ,  âgée  de  trente-deux  ans  seulement. 

M.  Olier  apprit  sa  mort  à  Paris,  le  jour  de  la  Toussaint, 
à  l'église  Saint-Paul,  sa  paroisse.  11  ne  put  retenir  ses  lar- 
mes; mais  bientôt,  l'invoquant  elle-même  au  Très  Saint- 
Sacrement,  où  les  saints  sont  présents,  il  se  sentit  con- 
solé. Il  n'en  apporta  que  plus  d'attention  à  suivre  ses  con- 
seils et  à  pratiquer  la  pauvreté  évangélique.  Il  vendit 
son  carrosse  et  ses  chevaux  et  ne  garda  plus  qu'un  seul 
domestique,  encore  sur  l'ordre  de  saint  Vincent  de  Paul. 

Des  deux  affaires  qui  l'avaient  rappelé  à  Paris,  la  pre- 
mière, la  réforme  de  son  abbaye  de  Pébrac,  ne  reçut  pas 
la  solution  qu'il  eût  désirée  :  Le  cardinal  de  La  Rochefou- 
cauld ne  ratifia  pas  le  traité  qu'il  venait  de  passer  avec 
Alain  de  Solminihac,  dont  le  plan  de  réforme  lui  parut 
trop  sévère;  et,  par  une  décision  du  1er  mars  1C35,  il  réu- 
nit cette  abbaye  ainsi  que  tous  les  autres  monastères  de 

(1)  Nagot  Vie  de  M.  Olier,  p.  42. 


M.  OLIER  (1642-1652).  47 

chanoines  de  Saint-Augustin  eu  une  seule  congrégation, 
celle  de  Paris,  dont  le  nouveau  supérieur  général,  le  Père 
Faure,  y  avait  introduit  une  réforme  plus  adoucie. 

La  seconde,  plus  laborieuse,  exigea  l'intervention  de 
la  Providence,  pour  se  terminer  selon  ses  vues.  Un  évo- 
que, que  le  Père  Ed.  Gloysault,  dans  son  recueil  des  Vies 
de  quelques  Prêtres  de  l'Oratoire,  croit  être  celui  de  Ro- 
dez, Mgl  de  Corneillan,  dont  l'humilité  s'effrayait  de  la 
charge  de  l'épiscopat,  crut  avoir  trouvé  clans  M.  Olier, 
par  la  grande  opinion  qu'il  avait  de  son  zèle  et  de  sa 
piété,  le  successeur  qu'il  souhaitait  :  il  le  demanda  au 
Roi,  et  trouvant  dans  sa  résistance  un  nouveau  motif  de 
redoubler  ses  instances,  il  les  iit  appuyer  par  saint  Vin- 
cent de  Paul  qui  lui-même  le  croyait  appelé  à  l'épiscopat. 

Mais  M.  Olier  ne  cessait  de  prier  la  Sainte  Vierge  pour 
qu'elle  voulût  bien  faire  échouer  ce  projet.  Se  sentant 
alors  en  proie  à  des  peines  intérieures  très  vives  que 
saint  Vincent  de  Paul,  son  directeur,  ne  parvenait  pas  à 
dissiper,  il  se  décida  à  faire  une  retraite  spirituelle  (1), 
au  cours  de  laquelle,  écrit-il  (2),  «  une  voix  puissante, 
comme  celle  d'un  maitre  tout-puissant,  me  dit  :  «  Le 
«  Père  de  Condren  te  mettra  en  paix  »;  ce  qui  eut  tant 
d'efficace,  ajoute-t-il,  que  j'en  sentis  en  un  moment  une 
paix  et  un  calme  indicibles  ». 

Dieu  lui-même  le  soustrayait  ainsi  à  la  conduite  de 
saint  Vincent  de  Paul,  parce  que  ce  grand  saint,  s'il  était 
capable  de  le  former  aux  plus  sublimes  vertus,  pouvait 
aussi  le  détourner  de  sa  vocation ,  en  secondant  les  vues 
de  l'évêque. 

Le  Père  de  Condren,  qu'on  peut  regarder  comme  son 
vrai  maitre,  l'en  dissuada  au  contraire.  «  Dieu  a  d'autres 
«  desseins  sur  vous,  lui  dit-il;  ils  ne  sont  pas  si  éclatants 


(1)  C'était  au  commencement  de  l'année  1635. 

(2)  Mém.  aulh.  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  37. 


48  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  ni  si  honorables  que  l'épiscopat;  mais  ils  seront  plus 
«  utiles  à  l'Église  (1).  » 

Cette  seconde  affaire  néanmoins  traîna  en  longueur  et 
retint  M.  Olier  à  Paris  pendant  dix-huit  mois  :  temps  pré- 
cieux ,  que  la  Providence  lui  ménagea  pour  qu'il  pût*  bien 
se  pénétrer  de  l'esprit  et  des  maximes  du  Père  de  Con- 
dren,  «  l'un  des  hommes  les  plus  intérieurs  qui  aient  ja- 
mais paru  dans  l'Église  (-2)  »,  dont  on  a  pu  dire  que  «  la 
vie  de  Jésus-Christ  lui  était  comme  tournée  en  nature, 
tant  il  avait  sur  toutes  choses  les  pensées  et  les  affections 
mêmes  de  ce  divin  Sauveur  (3)  et  qui ,  tout  plein  de  l'es- 
prit sacerdotal,  agissait  en  toutes  choses  comme  une  hos- 
tie volontaire,  s'immolant  sans  cesse,  à  l'image  du  divin 
Sauveur,  pour  glorifier  Dieu  et  pour  sauver  les  âmes  ». 

Nul  plus  que  «  cet  homme  incomparable  (4)  »  n'éfait 
convaincu  de  la  nécessité  de  l'établissement  des  séminai- 
res pour  la  réforme  du  clergé  (5),  objet  des  vœux  univer- 
sels. Aussi,  dès  qu'il  eut  accepté  la  direction  spirituelle 
de  M.  Olier,  qu'il  regardait  lui-même  comme  prédestiné 
à  cette  grande  œuvre,  s'appliqua-t-il  à  l'y  préparer  et  à 
lui  inculquer  les  plus  hautes  maximes  de  la  perfection. 

Excitant  l'ardeur  de  sa  dévotion  au  Saint-Sacrement  et 
à  la  Sainte  Vierge,  il  le  fit  entrer  dans  l'association  de 
piété  et  de  charité  qu'il  venait  d'organiser  sous  le  nom  de 


(1)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  144. 

(2)  Vie  du  P.  J.  Eudes,  par  le  P.  de  Montigny,  Jésuite,  p.  415. 

(3)  L'Oratoire  de  France  au  xvne  et  au  xixe  siècles,  par  Ad.  Penaud, 
de  l'Oratoire,  aujourd'hui  cardinal  évêque  d'Autun,  p.  192. 

(4)  Expressions  de  saint  Vincent  de  Paul  qui,  lorsqu'il  apprit  sa  mort, 
se  jeta  à  genoux  et,  se  frappant  la  poitrine,  s'accusa,  les  larmes  aux  yeux, 
de  n'avoir  pas  honoré  ce  saint  homme  autant  qu'il  méritait  de  l'être. 
Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  139.  Et  M.  Olier  a  écrit  lui-même  dans 
ses  Mémoires,  que  rien  ne  lui  a  fait  autant  comprendre  la  sainteté  in- 
comparable de  Noire-Seigneur  que  l'exemple  de  la  vertu,  si  pure  et  si 
éminente,  de  son  directeur.  Faillon,  ibid.,  p.  296. 

(5)  V.  notre  Histoire  de  l'abbaye  et  du  collège  de  Juilly,  p.  114  et 
115,  3e  éd. 


M.  OLIER  (1642-1652).  49 

'  Compagnie  du  Saint-Sacrement  et  qui  avait  une  grande 
!  analogie  avec  l'œuvre  actuelle  des  Conférences  de  Saint- 
Vincent  de  Paul ,  obtint  sa  renonciation  au  doctorat  et  son 
premier  refus  de  l'épiscopat,  et  lui  imposa  le  sacrifice  de 
!  son  désir  de  passer  au  Canada  pour  recommencer  ses 
missions  de  France,  voulant  qu'il  fût  rompu  aux  fonc- 
tions du  saint  ministère  avant  d'y  former  les  autres. 

Sans  plus  tarder,  M.  Olier  se  joignit  à  plusieurs  mem- 
bres de  la  Conférence  de  Saint-Lazare  pour  prêcher  le 
carême  de  1636  au  refuge  de  l'hôpital  de  la  Pitié,  en 
obtint  quelques-uns  de  saint  Vincent  de  Paul  pour  coopé- 
rateurs  et,  après  une  retraite  aux  environs  de  Paris,  dans 
laquelle,  il  le  dit  lui-même,  Notre-Seigneur  lui  fit  con- 
naître qu'il  voulait  se  servir  de  lui  pour  la  prédication  (1), 
il  reprit  avec  eux  le  chemin  de  l'Auvergne. 

Il  y  resta  dix-huit  mois,  évangélisant  tour  à  tour  les 
diocèses  de  Clermont,  de  Saint-Flour  et  du  Puy,  avec  un 
zèle  dont  on  peut  juger  par  cette  belle  lettre  qu'il  écrivait, 
le  2i  juin  suivant  (1636),  à  saint  Vincent  de  Paul  et  aux 
prêtres  de  la  Conférence  pour  leur  demander  de  nouveaux 
ouvriers  :  «  Ne  refusez  pas  ce  secours  à  Jésus,  leur  di- 
«  sait-il,  la  gloire  est  trop  grande  de  travailler  pour  lui, 
«  de  contribuer  au  salut  de  ses  âmes  et  à  la  gloire  qu'il  en 
«  doit  retirer  toute  une  éternité.  Vous  avez  heureusement 
«  commencé,  et  vos  premiers  exemples  m'ont  chassé  de 
«  Paris;  continuez  en  ces  divins  emplois,  étant  vrai  que 
«  dessus  la  terre  il  n'y  a  rien  de  semblable.  Paris,  Paris! 
«  tu  arrêtes  du  monde  qui  convertirait  plusieurs  mon- 
«  des.  Hélas!  combien  de  bonnes  œuvres  sans  fruits,  de 
«  fausses  conversions  et  de  saints  discours  perdus,  faute 
«  de  dispositions  que  Dieu  épanche  ailleurs.  Ici  un  mot 
«  est  une  prédication  ,  et  rien  ne  nous  parait  inutile;  ici 
«  l'on  n'a  point  égorgé  les  prophètes,  je  veux  dire  que 


(1)  Nagot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  47. 

ÉGLISE    SV1NT-SLI.PICE. 


50  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  leur  prédication  n'a  point  été  méprisée  comme  de- 
«  dans  ces  villes;  et  pour  cela,  Messieurs,  avec  fort  peu 
«  d'instruction,  tous  ces  pauvres  se  voient  remplis  de  béné- 
«  dictions  et  de  grâces  de  Dieu  (1).  »  Partout  il  prêchait 
la  dévotion  au  Saint-Sacrement  et  à  la  Sainte  Vierge  avec 
un  succès  prodigieux,  opérant  de  nombreuses  conver- 
sions même  parmi  les  hérétiques,  par  sa  piété,  sa  mo- 
destie ,  ses  macérations  et  ses  disciplines  rigoureuses  non 
moins  que  par  l'ascendant  de  sa  parole  (2). 

Au  cours  d'une  de  ces  missions ,  qu'il  donnait  dans  le 
Vivarais,  il  alla  visiter  Marie  Tessonnière ,  connue  sous  le 
nom  de  Marie  de  Valence,  âme  angélique  qu'on  a  com- 
parée à  sainte  Thérèse  pour  l'éminence  de  ses  dons  et  que 
saint  François  de  Sales  appelait  «  une  relique  vivante  » . 
Cette  sainte  veuve  ne  cessait  de  demander  à  Notre-Sei- 
gneur  de  remplir  tous  les  prêtres  de  piété,  de  science, 
de  pureté  d'intention,  de  zèle  et  de  détachement.  Elle  en 
fut  récompensée  par  la  vision  surnaturelle  de  la  destinée 
de  M.  Olier.  «  Ce  fut  elle,  dit-il,  qui  me  témoigna,  après 
«  avoir  prié  pour  moi,  que  Notre-Seigneur  voulait  faire 
«  de  grandes  choses,  par  moi,  dans  son  Église.  Béni  soit 
«  à  jamais  mon  Dieu ,  qui ,  dans  tous  les  états  périlleux 
«  de  ma  vie,  m'a  suscité  des  âmes  saintes  et  peut-être  des 
«  plus  saintes  qu'il  manifeste  à  son  Église ,  auxquelles  il 
a  a  non  seulement  permis ,  mais  ordonné  et  imprimé  des 
«  liaisons  très  fortes  et  très  puissantes,  et  des  obliga 
«  tions  de  m'offrir  continuellement  à  lui,  dans  le  temps  de 
«  leur  union  plus  intime  à  sa  divine  Majesté  (3).  » 

11  avait  à  peine  terminé  sa  dernière  mission  à  La  Motte- 
Canillac,  qu'en  route  pour  son  abbaye  de  Pébrac,  il 
tomba  si  gravement  malade  qu'il  dut  s'arrêtera  Lange-ac, 


(1)  Faillon.  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  175  à  177. 
2    Naj-ot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  70. 
(3)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  t.  I,  p.  192  et  193. 


M.  OLIEK  (1642-1652).  51 

où  deux  médecins  en  renom,  qui  assistaient  ]a  fille  du 
seigneur  du  lieu,  purent  lui  donner  leurs  soins.  Se  sen- 
tant à  toute  extrémité,  il  fit  vœu  de  se  rendre  au  tom- 
beau de  saint  François  de  Sales  et  incontinent  il  fut 
guéri  (1).  Mais  bientôt  après  il  fut  pris  d'un  mal  de  ge- 
nou que  les  chirurgiens  voulaient  traiter  par  des  inci- 
sions qui  l'eussent  certainement  laissé  estropié.  Sa  mère, 
accourue  de  Paris  pour  le  soigner,  s'y  opposa.  Il  fit  alors 
un  vœu  à  Notre-Dame  de  Bon-Secours  de  Tournon,  où  il 
se  rendit  boiteux  et  d'où  il  revint  avec  le  libre  usage  de 
son  genou  (2). 

Dieu,  en  l'affligeant  de  ces  deux  maladies,  avait  répondu 
à  ses  propres  désirs  :  car,  peu  de  jours  auparavant, 
il  disait  à  un  de  ses  amis  :  «  Après  avoir  travaillé  dix- 
«  huit  mois  avec  tant  de  force  et  de  santé ,  pour  avoir 
«  un  témoignage  assuré  que  notre  travail  a  été  agréable 
«  à  Dieu  il  ne  nous  manque  plus  que  quinze  jours  de 
«  maladie.  » 

Rentré,  à  la  fin  de  l'année  1637,  à  Paris  où  le  bruit  de 
ses  succès  apostoliques  l'avait  devancé,  il  y  reçut  le  plus 
affectueux  accueil  de  saint  Vincent  de  Paul  qui  lui  dit,  en 
l'embrassant  :  «  Je  ne  sais  comment  vous  faites;  mais  la 
«  bénédiction  de  Dieu  vous  suit  partout  où  vous  allez.  » 

Il  y  partagea  son  temps  entre  l'étude  de  la  théologie, 
le  soin  des  pauvres  et  l'instruction  des  jeunes  gens. 

L'année  suivante,  il  se  rendit  en  Bretagne  où  il  réforma 
le  monastère  de  la  Régrippière,  occupé  par  des  reli- 
gieuses de  l'ordre  de  Fontevrault  et  où  le  relâchement  et 
l'esprit  du  monde  s'étaient  introduits.  Il  tomba  malade 
ensuite  à  son  prieuré  de  Clisson  et  se  fit  transporter  à  la 
Visitation  de  Nantes,  où  il  se  lia  avec  la  supérieure,  la 
Mère  de  Bressan,  qui  avait  eu  saint  François  de  Sales 


(1)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  p.  197  et  198. 

(2)  Ibid.,  p.  198. 


52  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

pour  directeur  et  qui  était  devenue  une  de  ses  plus 
saintes  filles. 

De  retour  à  Paris  au  commencement  de  1639,  il  lui 
tardait  de  revenir  dans  ce  pays  d'Auvergne  qu'il  avait 
déjà  évangélisé  avec  tant  de  fruit.  Mais  le  Père  de  Con- 
dren,  pour  le  préparer  davantage  à  l'exécution  de  son 
grand  dessein  :  l'établissement  des  séminaires,  ne  le  lui 
permit  pas;  il  le  retint  aux  environs  de  Paris  et  le  décida 
à  former  une  société  avec  quatre  autres  ecclésiastiques 
de  ses  pénitents  :  MM.  du  Ferrier,  de  Foix  (1),  Brandon  (2) 
et  Amelotte  (3).  Et  dans  les  derniers  mois  de  16V0,  il 
quitta  l'hôtel  de  sa  mère  pour  venir  avec  eux  se  fixer  à 
Saint-Maur,  où  ils  vécurent  tous  cinq  dans  une  maison  de 
M.  Brandon  sous  la  direction  d'un  des  plus  jeunes  d'entre 
eux,  M.  Amelotte,  qu'ils  choisirent  pour  supérieur;  et  de 
là,  ils  continuèrent  leurs  missions  jusqu'à  l'heure,  atten- 
due par  le  Père  de  Gondren,  où  Dieu  les  appellerait  à  son 
œuvre  des  séminaires. 

Au  mois  de  juillet  de  la  même  année  (1639),  Louis  XIII 
nomma  M.  Olicr  à  la  coadjutorerie  de  Chàlons-sur-Marne, 
à  la  demande  de  l'évèque,  Mgr  Clausse  de  Marchaumont, 
pair  de  France.  Mais  pour  la  troisième  fois,  il  se  déroba 
aux  honneurs  de  l'épiscopat,  après  avoir  consulté  de 
nouveau  le  Père  de  Gondren,  qui  lui  répéta  ce  qu'il  lui 
avait  déjà  dit  :  «  Que  Dieu  avait  d'autres  desseins  sur  lui, 
((  qui  n'étaient  pas  si  éclatants  ni  si  honorables,  mais  qui 
«  seraient  plus  utiles  à  l'Église  (4).  »  Et  pour  se  dérober 
aux  applaudissements  que  lui  attirait  ce  refus,  bien  rare  en 


(,1)  François  Caulct,  prêtre  de  Toulouse  et  abbé  de  Saint-Volusien  de 
Foix. 

(2)  M.  Brandon  avait  été  maître  des  comptes;  on  l'appelait  M.  de  Bas- 
saicourt. 

(3,i  Peu  d'années  après,  M.  AmeloUe  entra  dans  la  Congrégation  de  l'Ora- 
toire. 

(4)  Cloyseault,  Vie  du  P.  Ch.  de  Condren,  ch.  V. 


M.   OLIER  (1612-1652).  53 

ce  temps-là,  comme  aussi  pour  se  purifier  de  tout  senti- 
ment de  superbe,  il  demanda  à  Dieu  la  grâce  de  substituer 
en  sa  faveur  les  mépris  et  les  rebuts  aux  témoignages  d'es- 
time qu'on  lui  prodiguait  partout  (1).  Il  fut  exaucé;  mais 
l'épreuve  fut  longue  et  dure.  Pendant  deux  ans,  la  Provi- 
dence traita  comme  la  balayure  du  inonde  celui  qu'elle 
avait  comblé  de  ses  dons  et  qu'elle  destinait  à  devenir 
l'Instituteur  des  séminaires  en  France,  paralysant  ses  fa- 
cultés intellectuelles  et  physiques  et  le  laissant  dans  un 
état  d'abjection  indicible. 

Il  a  dépeint  lui-même  cette  sorte  de  martyre  qu'il  eut 
à  souffrir.  «  Il  semblait  que  notre  bon  Maître  voulait  que 
«  je  sentisse  ensemble  quasi  toutes  les  peines  intérieu- 
«  res,  peines  de  réprobation  et  du  dédain  de  Dieu,  con- 
«  tinuei  ressentiment  de  la  superbe  et  l'amour-propre, 
«  privation  d'élévation  à  Dieu,  obscurité  d'esprit,  em- 
«  brouillement ,  environnement  du  démon,  rebut  des 
«  gens  de  bien,  délaissement  de  mon  directeur,  con- 
«  damnation  dedans  les  Écritures,  mépris  universel  de 
«  tout  le  monde,  parents,  amis,  serviteurs,  grands  et 
«  petits;  croyance  d'être  un  Judas,  avec  un  tel  effet 
«  que  perpétuellement,  en  ouvrant  le  Nouveau  Testa- 
<(  ment,  je  tombais  sur  les  passages  qui  parlent  de  lui 
«  avec  des  afflictions  et  des  pressures  de  cœur  non  pareil- 
ce  les,  et  me  semblait  qu'on  me  donnait  un  coup  de  poi- 
«  gnard  dans  le  cœur  (2).  »  Ses  amis  eux-mêmes  finirent 
par  n'avoir  pour  lui  que  du  dédain  et  par  l'abandonner; 
et  il  put  dire  à  la  lettre,  comme  Notre-Seigneur  :  «  Ceux 
qui  m'approchaient  se  sont  éloignés  de  moi  et  je  leur  suis 
devenu  insupportable  (3).  » 


(1)  Nagot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  (J0. 

(2)  Mémoires,  t.  I.  p.  31. 

(3)  «  Longe  fecisti  notos   meos  à  me;  posuerunt  me  abominaiionem 
sibi.  »  Ps.  lxxxvii,  v.  9. 


54  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Accablée  sous  le  poids  de  cette  lourde  croix,  l'âme 
de  M.  Olier  fut  comme  noyée  d'amertumes;  mais  il  sut 
rester  fidèle  à  l'oraison,  à  ses  exercices  de  piété  et  à  ses 
travaux  de  mission.  Sans  se  lasser  de  ses  souffrances,  sans 
murmurer  contre  ses  délaissements,  il  demeura  dans  une 
soumission  parfaite  à  la  volonté  de  Dieu,  ne  donnant 
d'autre  marque  de  sa  douleur  que  ces  paroles  qu'il  pro- 
nonçait quelquefois  en  soupirant  :  «  Mon  Dieu,  vous  êtes 
bien  changé  (1).  » 

Des  dispositions  si  admirables  lui  valurent  de  nou- 
velles grâces.  Dieu,  satisfait  de  sa  résignation,  lui  rendit 
une  partie  de  ses  dons.  On  le  vit  croître  encore  en  sain- 
teté, et  peu  de  temps  après,  aux  pieds  de  Notre-Dame  de 
Chartres  qu'il  était  venu  implorer  à  la  fin  de  ses  deux 
missions  du  Loreau  et  d'Épernon,  il  retrouva,  avec  la  paix 
du  cœur,  sa  gaité  habituelle. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Père  de  Condren  mourut  le  7  jan- 
vier 1641.  M.  du  Ferrier  avait  recueilli  ses  instructions 
in  extremis  sur  l'établissement  immédiat  d'un  séminaire; 
il  s'empressa  de  les  transmettre  à  ses  associés;  et  tous, 
ils  étaient  au  nombre  de  huit,  se  firent  un  devoir  d'en 
commencer  de  suite  la  réalisation. 

Ils  se  fixèrent  d'abord  à  Chartres,  où  ils  reçurent  l'ac- 
cueil le  plus  empressé  de  la  part  de  l'évêque,  M6'  de  Va- 
lence. Mais  au  bout  de  huit  mois,  l'inanité  de  leurs  efforts 
pour  arriver  à  cette  fondation  d'un  séminaire,  les  déter- 
mina à  se  retirer;  et  ils  étaient  résolus  à  reprendre  leur 
vie  de  Missionnaires,  quand  l'un  d'eux,  M.  Picoté,  alla 
voir  à  Vaugirard  une  de  ses  pénitentes,  Mme  de  Villeneuve, 
qui  s'y  occupait  de  la  fondation  de  la  communauté  des 
Filles  de  la  Croix,  destinées  par  elle  à  diriger  les  écoles 
des  campagnes.  Cette  pieuse  veuve  avait  eu  saint  Fran- 
çois de  Sales  pour  directeur  et  demandait,   elle  aussi, 

1)  Nagot,  loc.  cit.,  p.  97. 


M.  OLIER  (1642-1652).  55 

instamment  à  Notre-Seigneur  la  création  des  séminaires 
en  France ,  comme  le  moyen  le  plus  propre  à  réformer  le 
clergé.  Dès  qu'elle  fut  instruite  par  son  confesseur  de  la 
tentative  avortée  de  Chartres,  elle  n'eut  de  cesse  qu'elle  ne 
fût  reprise  à  Vaugirard  et  le  décida  à  en  écrire  à  Chartres 
où  M.  Olier,  qui  tout  d'abord  s'y  montra  opposé,  consentit 
cependant  à  recommander  l'affaire  à  la  Très  Sainte  Vierge, 
lors  de  sa  prochaine  retraite  à  Notre-Dame  des  Vertus  (1). 

Cette  retraite,  qu'il  fit  dans  les  premiers  jours  de  dé- 
cembre 1641,  changea  du  tout  au  tout  son  opinion.  Il  en 
sortit  assuré  que  Dieu  agréait  ce  dessein  ;  et  dès  lors  il 
travailla  sans  relâche  à  sa  réalisation.  Il  loua,  près  de  l'é- 
glise, une  maison  délabrée  et  peu  commode,  qui  appar- 
tenait à  un  ami  de  M.  Bourdoise ,  l'appropria  à  la  hâte 
et  s'y  installa  avec  MM.  de  Foix  et  du  Ferrier,  les  seuls  de 
ses  associés  de  Saint-Maur  qui  lui  fussent  restés  fidèles. 

Il  témoignait  là  de  son  abandon  absolu  à  la  volonté  de 
Dieu  :  car  toutes  ses  ressources  et  celles  de  ses  associés 
avaient  été  épuisées  pour  subvenir  aux  frais  soit  des  mis- 
sions continuées  par  leurs  amis  soit  de  la  création  du 
séminaire  de  Chartres;  et  il  ne  lui  restait  plus  rien  pour 
ouvrir  celui  de  Vaugirard.  Mais  Dieu  avait  parlé;  cela 
lui  suffisait  pour  reprendre  l'œuvre,  malgré  son  complet 
dénùment  :  tout  était  pauvre,  en  effet,  dans  cette  petite 
maison,  le  logement  comme  la  nourriture;  le  logement, 
dont  une  partie  se  composait  de  cellules  pratiquées  dans 
un  vieux  colombier;  la  nourriture,  dont  ils  étaient  rede- 
vables à  la  charité  de  Mme  de  Villeneuve  qui,  chaque  jour, 
leur  envoyait,  dans  un  petit  chaudron,  pour  leur  diner  de 
midi,  du  potage  et  du  bouilli,  et  le  soir,  pour  souper,  un 


(1)  Au  cours  de  cette  négociation,  le  chapitre  du  Puy,  dont  il  avait  re- 
nouvelé la  ferveur,  pendant  ses  missions  de  1636  et  de  1637,  le  demanda 
au  Roi,  comme  évêque,  à  la  mort  de  son  premier  pasteur,  M?r  Juste  de 
Serres,  arrivée  le  28  août  1641.  Mais,  cette  fois  encore,  il  déclina  cette 
haute  dignité. 


56  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICIi. 

peu  de  mouton  rôti  sans  dessert.  Sa  confiance  s'inspirait 
d'ailleurs  de  cette  double  circonstance  :  que  Vaugïrard 
était  un  bourg  consacré  à  la  Sainte  Vierge,  Oppidum  bea- 
t;i'  Marias  Vallis  Girardi,  et  que  dans  l'église  se  trouvait 
une  de  ses  statues  miraculeuses. 

Ce  fut  dans  les  premiers  jours  de  janvier  164-2  (1)  qu'il 
prit  possession  de  sa  nouvelle  demeure  ;  ettiussitùt  sa  filiale 
et  prompte  obéissance  envers  Dieu  reçut  sa  récompense. 
A  partir  de  ce  moment,  toutes  ses  épreuves  prirent  fin  ;  il 
recouvra  l'usage  de  ses  brillantes  facultés;  il  obtint  le 
directeur  dont  il  était  privé  depuis  la  mort  du  Père  de 
Condren,  en  la  personne  du  Père  Tarisse,  général  des 
Bénédictins  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur,  non  moins 
recommandable  par  sa  haute  vertu  que  par  son  rare  dis- 
cernement des  esprits,  et  que  la  Providence  lui  ménagea 
pour  mener  à  bien  sa  grande  entreprise;  et  il  put  en 
même  temps  choisir  pour  confesseur  le  Père  Bataille, 
Procureur  général  de  la  même  Congrégation,  «  qui  lui 
«  semblait  avoir  reçu  en  plénitude  tous  les  dons  du  Saint- 
«  Esprit  (2)  ». 

En  reconnaissance  de  ces  faveurs  signalées,  son  premier- 
acte  fut  de  faire  le  vœu  de  servitude  à  Notre-Seigneur, 
c'est-à-dire  d'entière  dépendance  de  corps  et  d'esprit  et 
en  toutes  choses  envers  lui,  «  lien  extraordinaire,  dit  son 
«  biographe,  qu'il  ne  s'imposa  que  par  une  conduite 
«  toute  particulière  de  Dieu  qui,  le  destinant  à  être  le 
«  chef  d'une  nouvelle  Société  dans  l'Église,  voulait  qu'il 
«  ne  mit  pas  de  bornes  à  la  générosité  de  son  amour, 
«  afin  de  n'en  mettre  pas  lui-même  à  l'abondance  de  ses 
«  grâces  (3)  ». 

Le  second  acte,  qu'il  accomplit  avec  ses  deux  associés, 


(1)  Nagot,  ibid.,  109.  et  Faillon,  ibid.,  I,  333  .Plutôt  même  dès  le  29  Xbrc  1611. 

(2)  Mém.  auth.  de  M.  Olier,  t.  II,  p.  39,  89,  129  et  130. 

(3)  Faillon,  Vie  de  M.  Olier,  l.  I,  p.  3i7. 


M.  0L1ER  (1642-1652).  57 

fut  le  pèlerinage  de  Montmartre,  où  tous  trois  se  consa- 
crèrent à  la  Sainte  Trinité  et  se  promirent  de  se  former 
en  compagnie  et  de  rester  unis  —  sans  cependant  se  lier 
par  aucun  vœu,  selon  l'ordre  du  Père  de  Condren  —  pour 
travailler  ensemble  à  l'instruction  et  à  la  sanctification 
du  clergé.  Et  dès  lors  on  les  vit  pleins  de  joie,  au  milieu 
de  leurs  tribulations,  vaquer,  chaque  jour,  à  la  prière,  à 
l'oraison  et  à  l'étude  de  l'Écriture  Sainte,  sur  laquelle 
M.  Olier,  tout  pénétré  de  l'esprit  de  Notre-Seigneur,  leur 
faisait,  chaque  soir,  une  conférence  des  plus  élevées,  et 
passer  aux  pieds  de  Notre-Seigneur  une  partie  de  leurs 
récréations,  entourés  de  leurs  élèves  de  plus  en  plus  nom- 
breux et  recrutés  parmi  les  jeunes  clercs  les  plus  distin- 
gués et  les  plus  pieux. 

Le  succès  de  cette  grande  œuvre  s'accusait  ainsi  aussi 
rapide  qu'inespéré.  Il  était  dû  à  la  sagesse  de  M.  Olier  qui, 
dans  sa  persuasion  que  M.  de  Condren  avait  été  instruit 
par  Notre-Seigneur  lui-même  des  conditions  d'existence 
des  séminaires,  s'attacha  à  fonder  le  sien  sur  les  principes 
et  les  maximes  formulés  par  ce  grand  homme. 

Aux  derniers  jours  de  sa  vie,  le  Père  de  Condren  avait 
dit  à  M.  du  Ferrier  «  qu'il  n'y  avait  rien  de  plus  aisé  que 
«  de  faire  réussir  utilement  cette  entreprise  des  sémi- 
«  naires,  pourvu  qu'on  n'y  reçût  que  des  jeunes  gens 
«  avancés  en  âge  et  dont  le  jugement  fût  formé,  et  capa- 
«  ble  de  faire  juger,  après  les  avoir  éprouvés,  s'ils  sont 
«  appelés  à  l'Église  (1)  ».  M.  Olier  fit  de  cet  avis  du  Père 
de  Condren  la  règle  première  et  fondamentale  de  l'ad- 
mission des  jeunes  clercs  dans  son  séminaire.  Saint  Vin- 
cent de  Paul  l'adopta,  d'après  lui,  dès  le  mois  suivant  (2), 


(1)  Mémoires  manuscrits  de  M.  du  Ferrier,  p.  136. 

(2)  Msr  Bougaud  nous  semble  faire  erreur  quand,  dans  sa  Vie  de  saint 
Vincent  de  Paul  (I,  224  et  239) ,  il  attribue  à  ce  grand  saint  et  l'idée  du 
Père  de  Condren  et  le  mérite  de  sa  première  application.  «  Et  par  ce  coup 


58  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT- SULPI  CE. 

février  16i2,  dans  son  collège  des  Bons-Enfants;  M.  Bour- 
doise.  à  Saint-Nicolas;  l'Oratoire,  à  Saint-Magloire;  et  le 
Père  Eudes,  à  Caen,  l'année  suivante.  L'existence  des  sé- 
minaires, jusque-là  si  précaire,  était  ainsi  assurée  (1). 

Comme  corollaire  de  cette  première  règle,  il  prit,  dès 
le  début,  le  plus  grand  soin  de  la  probation  de  ses  élèves, 
pour  laquelle  il  ouvrit  la  maison  d'Avron,  en  dehors  du 
séminaire. 

Il  s'inspira  également  des  pensées  du  Père  de  Condren 
dans  la  fondation,  bien  autrement  importante,  de  l'édifice 
spirituel  de  la  piété  parmi  ses  jeunes  clercs.  Persuadé 
comme  lui  qu'à  l'origine  la  piété  se  communiqua  d'abord 
par  Jésus-Christ  qui  en  a  été  le  plus  parfait  modèle,  puis 
par  les  Apôtres  qui  ont  répandu  partout  la  bonne  odeur 
de  ses  vertus,  de  sa  douceur,  de  son  humilité,  de  sa  pa- 
tience et  de  sa  charité,  il  s'appliqua,  pour  la  faire  revivre 
dans  ses  élèves,  à  leur  inculquer  la  nécessité  de  se  dépouil- 
ler du  vieil  homme,  de  renoncer  à  eux-mêmes  et  à  leur 
volonté  propre,  surtout  de  crucifier  leur  cœur,  source  de 
toutes  les  inclinations  et  de  tous  les  appétits,  afin  qu'ils 
pussent  ensuite  reproduire  en  eux  les  sentiments  et  les 
vertus  de  Notre-Seigneur  et  vivre  de  sa  vie  intérieure;  et 
il  donna  pour  fondements  à  leur  piété  la  double  dévotion 
à  cette  vie  intérieure  de  Jésus-Christ,  dont  il  leur  fit  célé- 


«  de  maître,  dit-il.  —  la  séparation  des  jeunes  gens  d'avec  les  enfants,  — 
«  il  fonda  à  la  fois  les  grands  et  les  petits  séminaires,  dans  la  double 
«  forme  qu'ils  n'ont  jamais  quittée  depuis.  »  Voir  Lettre  de  saint  Vincent 
de  Paul  du  9  février  16V2  et  Faillon,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  429  et  430. 

(1)  Il  fut  confirmé  plus  tard  dans  la  certitude  de  l'excellence  de  cette 
règle,  lorsque  le  lundi,  22  mars  1649,  en  allant  à  Notre-Dame  avec  M.  de 
Bretonvilliers ,  soumettre  à  la  Sainte  Vierge  l'entreprise  des  nouveaux 
bâtiments  du  Séminaire,  cette  bonne  Mère  lui  apparut,  portant  dans  ses 
mains  le  modèle  de  l'édifice,  et  qu'elle  le  lui  donna  pour  qu'il  se  chargeât 
de  le  faire  exécuter.  Car  dans  ce  plan  ce  n'étaient  plus  les  vastes  salles  du 
séminaire  de  Milan  qui  servaient,  à  la  fois,  de  dortoir,  de  salle  d'étude  et 
de  réfectoire  aux  élèves,  mais,  au  contraire,  une  série  de  chambres  sépa- 
rées. Mém.  auth.,  t.  V,  p.. 55  et  402,  et  Faillon,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  57. 


M.  OLIER  (1642-1652).  59 

brer  la  fête  chaque  année,  et  à  la  vie  intérieure  de  la 
Sainte  Vierge,  canal  de  toutes  les  grâces  pour  l'ordre 
sacerdotal,  dont  il  choisit  la  Présentation  au  temple  pour 
fête  principale  de  la  maison,  comme  le  mystère  dans 
lequel  il  voyait  le  type  le  plus  accompli  de  la  sépara- 
tion du  monde  et  de  la  consécration  à  Dieu.  Et  pour  les 
mieux  pénétrer  de  ces  deux  dévotions,  il  ne  cessait, 
dans  ses  conférences  quotidiennes,  de  raviver  en  eux  l'a- 
mour pour  le  Saint-Sacrement  et  pour  l'auguste  Mère  de 
Dieu  dont  il  leur  imposa  la  récitation  journalière  du  cha- 
pelet, qu'il  choisit  pour  première  patronne  du  Sémi- 
naire, et  aux  litanies  de  laquelle  il  ajouta  l'invocation  : 
Regina  Cleri,  qu'approuva  l'Assemblée  générale  du  Clergé 
de  1651. 

Le  règlement  intérieur,  qu'il  traça  en  même  temps, 
convergeait  au  même  but  dans  toutes  ses  dispositions, 
alliant,  dans  une  juste  mesure,  la  prière  à  laquelle  il 
donnait  le  pas  sur  la  science,  l'oraison  dont  il  indiquait 
la  méthode  et  qui  devait  être  d'une  heure  au  moins  par 
jour,  et  l'étude  dont  il  appréciait  l'importance  pour  le 
prêtre  ;  et  ce  règlement  fut  trouvé  si  parfait  par  cette  même 
Assemblée  du  clergé,  qu'il  mérita  son  approbation  sans 
réserve.  Mais  il  eut  soin  d'interdire  à  ses  coopérateurs  la 
direction  des  Communautés  religieuses;  et  cette  défense 
si  sage,  combattue  d'abord  au  sein  de  sa  petite  Société, 
est  devenue  la  règle  absolue  de  tous  les  Séminaires  sul- 
piciens,  parce  qu'on  a  reconnu  que  la  formation  des  clercs 
demande  de  la  part  de  leurs  directeurs  une  application  et 
une  assiduité  continuelles. 

Enfin  il  compléta  cette  admirable  organisation  de  son 
Séminaire  par  le  choix  heureux  de  ceux  de  ses  collabo- 
rateurs qu'il  préposa  aux  diverses  parties  de  la  direction. 
M.  de  Foix  et  M.  de  Sainte-Marie  furent  chargés  de  la  sur- 
veillance de  la  conduite  générale  des  élèves;  M.  de  Bas- 
sancourt,  de  la  direction  des  cérémonies  et  des  chants 


60  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

liturgiques;  M.  de  Ferrier  devait  les  initier  à  tous  les  dé- 
tails du  saint  ministère;  un  docteur  de  Sorbonne  leur 
enseignait  la  théologie;  M.  Olier  leur  faisait  lui-même, 
chaque  après-midi,  une  conférence  sur  l'Éeriture  Sainte; 
rt  M.  Bourdoise  venait  de  temps  en  temps  les  former  aux 
pratiques  du  ministère  sacré  et  aux  cérémonies  parois- 
siales. 

Une  autre  circonstance,  toute  providentielle,  devint  la 
source  de  précieux  avantages  pour  son  œuvre.  Cinq  ou  six 
jours  après  son  arrivée,  le  curé  de  Vaugïrard,  M.  Copin, 
le  pria  de  prendre  soin  de  sa  paroisse  jusqu'à  son  retour 
de  Paris,  où  il  comptait  ne  rester  que  quinze  jours  et  où 
il  fut  obligé  de  demeurer  neuf  mois.  Il  accepta  et  ne  put 
qu'adorer  la  bonté  de  Dieu,  qui  lui  procura  ainsi  le 
moyen  de  s'instruire  à  fond,  lui  et  les  siens,  des  devoirs 
des  curés  et  des  vicaires  et  d'y  exercer  ses  élèves.  Aussi 
quand,  l'année  suivante,  il  devint  curé  de  Saint-Sulpice,  il 
fît,  en  son  nom  et  en  celui  de  sa  Compagnie,  protestation  de 
dévouement  perpétuel  à  sa  nouvelle  paroisse;  et,  depuis 
lors,  tous  les  curés  de  cette  paroisse,  sauf  deux  (1),  ont 
été  tirés  du  corps  du  Séminaire  ou  s'y  sont  agrégés. 
M.  Emery  jugeait  lui-même  cette  union  avec  la  paroisse 
si  nécessaire  au  maintien  de  l'esprit  du  Séminaire  qu'il 
aima  mieux,  après  la  démolition  des  bâtiments  qui  l'abri- 
taient, en  1803,  acheter  à  ses  frais  une  maison  très  incom- 
mode ,  rue  du  Pot-de-Fer,  que  d'accepter  les  oiïres  avan- 
tageuses qu'on  lui  faisait  de  se  fixer  dans  un  quartier 
éloigné  de  l'église,  et  de  rompre  par  là  même  cette  pré-  S 
cieuse  union  (2). 

Cependant  la  juste  renommée  de  la  pauvre  petite  mai- 


(1)  MM.  de  Pancemonl  et  Collin;  car  M.  de  Pierre,  qui  nétait  que  mem- 
bre de  la  Communauté  de  la  paroisse  lors  de  sa  nomination  à  la  cure,  se  lit 
agréger  ensuiteà  la  Compagnie.  Gosselin,  Vie  de  M.  Emery,  t.  II,  p.  5,  1862. 

(2)  Faillon,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  471. 


M.  OLIEK  (1642-1652).  61 

son  de  Vaugirard  ne  tarda  pas  à  se  répandre  au  loin;  et 
il  fallut  bientôt  songer  à  en  louer  une  plus  grande,  que  la 
générosité  de  son  propriétaire ,  M.  de  Rochefort,  permit 
k  M.  Olier  d'acheter  au  prix  de  2.000  écus,  que  valait  à 
elle  seule  une  métairie  comprise  dans  la  vente. 

Mais  quatre  mois  s'étaient  à  peine  écoulés  depuis  son 
installation,  quand  la  Providence  lui  imposa  la  charge 
de  la  cure  de  Saint-Sulpice  et  celle  de  la  translation,  dans 
son  nouveau  presbytère,  du  séminaire  de  Vaugirard. 

Le  titulaire  de  cette  cure  était  alors,  nous  l'avons  dit, 
Sf.  Julien  de  Fiesque.  Affligé  des  désordres  de  sa  paroisse 
et  plus  encore  de  la  résistance  de  plusieurs  de  ses  prêtres 
aux  réformes  qu'il  aurait  voulu  y  introduire,  il  résolut 
de  résigner  ses  fonctions  en  faveur  de  celui  qu'il  en  juge- 
rait le  plus  digne.  Il  connaissait  le  zèle  de  M.  Olier, 
ses  lumières  pour  la  conduite  des  âmes;  il  savait  ses 
collaborateurs  animés  de  son  esprit;  il  chercha  parmi 
eux  son  successeur.  Il  leur  en  fît  la  proposition,  le  jour 
de  Saint-Marc,  où  il  allait  en  procession,  avec  sa  paroisse , 
à  l'église  de  Vaugirard.  Mais  aucun  d'eux  ne  se  souciait 
de  l'accepter,  M.  Olier  par  modestie,  tous  par  crainte 
d'un  aussi  lourd  fardeau. 

Loin  de  se  rebuter,  M.  de  Fiesque  renouvela  ses  instan- 
ces auprès  d'un  de  ces  Messieurs,  qui  eut  la  pensée  d'en 
instruire  Marie  Rousseau.  Cette  pieuse  veuve  n'hésita  pas 
à  déclarer  à  M.  Olier  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  qu'il 
acceptât  lui-même  cette  cure;  qu'il  y  procurerait  le  salut 
d'un  grand  nombre  d'âmes;  et  qu'il  devait  d'ailleurs  en- 
visager l'offre  de  M.  de  Fiesque  comme  le  moyen  que  lui 
ménageait  la  Providence  de  développer  et  conduire  à  sa 
perfection  son  œuvre  du  Séminaire,  nécessaire  à  l'Église 
de  France,  et  destinée  à  servir  de  modèle  à  d'autres  éta- 
blissements semblables.  Frappé  de  son  langage  affîrmatif, 
il  voulut  prendre  l'avis  de  son  directeur,  le  Père  Tarisse , 
alors  à  Vendôme  avec  le  Père  Bataille  pour  la  tenue  du 


62  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

chapitre  général  de  leur  Congrégation,  et  lui  dépêcha 
M.  du  Ferrier.  Comme  Marie  Rousseau,  le  Père  Tarisse  vit 
dans  la  proposition  de  M.  de  Fiesque  l'ouvrage  de  la  main 
de  Dieu,  qu'il  fallait  accepter  sans  délai  ;  et  il  s'offrit  même 
à  assurer  le  succès  de  cette  entreprise;  ce  qui  était  très 
important  :  car  la  paroisse  de  Saint- Sulpice  ,  comme  tout 
le  faubourg  Saint-Germain  dont  elle  faisait  partie  et  qui 
s'appelait  la  ville  Saint-Germain  des  Prés,  était  sous  sa 
juridiction  et  était  exempte  de  celle  de  l'archevêque  de 
Paris. 

M.  Olier  se  rendit  à  ces  conseils  qu'il  regarda  comme 
l'expression  de  la  volonté  manifeste  de  la  Providence;  et 
lui  qui  avait  par  trois  fois  refusé  les  premières  dignités  de 
l'Église,  il  embrassa  son  nouvel  état,  beaucoup  moins  con- 
sidérable, dans  les  sentiments  de  la  plus  profonde  humi- 
lité mais  aussi  de  la  plus  grande  estime  pour  les  fonctions 
curiales.  «  Hélas!  mon  Dieu,  s'écriait-il  dans  une  lettre  à 
«  un  de  ses  amis  en  lui  annonçant  sa  détermination,  quelle 
«  grâce  de  me  vouloir  choisir  du  milieu  des  pécheurs  et 
«  de  la  lie  du  peuple ,  du  bourbier  puant  et  infâme  de 
«  mes  péchés ,  pour  m'élever  à  cette  haute ,  sainte  et  di- 
«  vine  dignité  de  curé,  de  pasteur  et  d'époux  de  l'Église... 
«  Et  qu'aveugle  est  le  monde  qui  juge  comme  il  fait  des 
«  grandeurs  véritables  de  Dieu ,  les  ravalant  si  misérable- 
«  ment  par  son  estime  ignorante;  qui  pense  qu'une  cure 
((  n'est  rien,  qu'elle  ravale  la  dignité  d'un  homme  de  nais- 
«  sance,  et  qui  croit,  malheureux  qu'il  est!  que  l'origine 
<(  d'Adam,  la  naissance  accompagnée  de  cette  fausseté  de 
«  biens  imaginaires,  de  richesses  et  d'honneurs,  soit 
«  quelque  chose  d'estimable.  Oh!  qu'il  sache  que  Dieu 
"  seul  est  estimable  et  son  Église  ;  qu'il  n'y  a  que  sa  grâce, 
«  ses  sacrements,  ses  vertus  et  ses  dons  qui  doivent  passer 
«  pour  des  biens  véritables  et  non  pas  ces  imaginations 
«  chimériques  de  leurs  biens  apparents,  tels  que  le  sont 
«  l'honneur,  les  richesses  et  les  délices;  l'un  est  du  vent; 


M.  OLIER  (1642-1652).  63 

«  les  autres,  de  la  boue  et  de  la  fange;  et  les  troisièmes, 
«  une  infâme  corruption   (1).   » 

Pénétré  de  la  sublimité  du  sacerdoce  et  de  la  sainteté 
de  vie  qu'il  exigeait,  il  disait  encore  :  «  Un  prêtre  est  le 
«  Dieu  de  l'Église.  A  travers  la  forme  tout  humaine  qu'il 
«  présente  aux  yeux  du  corps,  la  lumière  de  ses  œuvres 
«  doit  faire  découvrir  et  éclater  les  perfections  adorables 
«  de  Dieu  dont  il  est  l'image  ;  sa  patience ,  sa  douceur,  sa 
«  charité,  sa  sainteté,  sa  sagesse,  sa  force,  sa  stabilité. 
«  Dieu  étant  invisible  aux  hommes  de  chair,  ils  ont  be- 
«  soin,  pour  le  connaître,  l'adorer  et  l'aimer,  de  quelque 
«  chose  de  sensible  en  quoi  il  daigne  se  montrer  à  eux  ;  et 
«  c'est  à  quoi  sert  la  vie  des  prêtres  :  car  ils  persuadent 
«  aux  hommes,  par  leur  exemple,  qu'ils  peuvent  imiter 
«  Dieu  dans  cette  vie,  en  attendant  qu'ils  le  contemplent 
«  et  le  possèdent  dans  la  vie  parfaite  (2).  » 

Dans  de  tels  sentiments,  M.  Olier,  on  peut  l'affirmer, 
n'acceptait  cette  cure  difficile  que  pour  servir  Notre-Sei- 
gneur  et  son  Église  et  lui  acquérir  des  serviteurs.  «  iMain- 
«  tenant  que  nous  allons  prendre  la  cure  de  Saint-Sulpice, 
«  écrivait-il,  Dieu,  ce  me  semble,  me  manifeste  ma  voca- 
«  tion  qui  est  de  ranimer  la  piété  chrétienne  dans  ces 
«  quartiers...  Sa  bonté  me  donne  un  zèle  ardent  pour 
«  renouveler  dans  les  esprits  et  dans  les  cœurs  le  souve- 
«  nir  et  l'amour  des  obligations  contractées  envers  Dieu 
«  par  le  baptême...  et  pour  sauver  tout  le  monde...  Mes 
«  désirs  s'enflamment  encore  davantage,  quand  je  pense 
«  que  les  plus  grands  du  siècle  demeurent  sur  cette  pa- 
«  roisse;  et  alors  je  me  réjouis  d'avoir  l'occasion,  si  long- 
«  temps  désirée,  de  leur  découvrir  leur  vanité  et  de  les 
«  désabuser  de  leurs  erreurs  (3).  » 


(1)  Rem.  hist.,  III,  583. 

(2)  Nagot,  loc.  cit.,  p.  564. 

(3)  Faillon,  ibid.,  I,  p.  452  et  453. 


64  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Mais  la  Providence  ne  lui  imposait  un  tel  fardeau  qu'en 
lui  montrant  en  même  temps  la  récompense  de  son  abné- 
gation. «  Je  voyais,  dit-il,  que  les  paroisses  de  Paris  se  for- 
te nieraient  dessus  la  nôtre,  et  qu'elle  pourrait  servir  de 
«  modèle  non  seulement  à  Paris  mais  encore  à  toute  la 
«  France.  Que  Pieu  soit  béni ,  qui  nous  donne  ces  gran- 
«  des  ouvertures,  et  qu'il  nous  fasse  la  grâce  d'y  pouvoir 
«  correspondre  et  d'être  fidèles  à  ses  miséricordes  (1).  » 

Ce  fut  le  25  juin  164-2,  dans  l'octave  de  la  Fête-Dieu,  que 
fut  conclu  le  traité  de  permutation  de  la  cure  de  Saint- 
Sulpice,  par  lequel  M.  Olier  fit  abandon  à  M.  de  Fiesque 
de  son  prieuré  de  Glisson  qui  lui  rapportait  1.(500  livres 
par  an,  et  s'engagea  à  lui  compléter  un  revenu  total  de 
mille  écus,  en  lui  assurant  une  pension  viagère  annuelle 
de  1.400  livres.  Suivant  l'usage,  il  n'aurait  dû  être  ins- 
tallé qu'après  avoir  reçu  ses  provisions  de  Rome.  Mais 
M.  de  Fiesque,  qui  ne  voulait  donner  aucune  explication  à 
ses  paroissiens  sur  sa  démission,  se  décida  à  se  retirer 
inopinément;  et  M.  Olier,  sur  les  injonctions  de  son  con- 
fesseur, le  P.  Bataille,  dut  le  remplacer  de  suite.  Dès  le 
\  août,  il  se  prépara  à  son  entrée  dans  la  charge  pastorale 
par  une  retraite  où  Dieu  lui  révéla  les  grandes  et  nom- 
breuses croix  qu'il  aurait  à  supporter  pendant  qu'il  l'exer- 
cerait. Le  9,  M.  Picoté  et  M.  du  Ferrier  vinrent  occuper  le 
presbytère.  Le  lendemain,  dimanche,  10,  fête  de  saint 
Laurent,  M.  Olier  fut  mis  en  possession  de  la  cure  par 
deux  religieux  de  l'abbaye  (2),  et  le  15,  fête  de  l'Assomp- 
tion de  la  Sainte  Vierge,  il  présida  lui-même  la  proces- 
sion solennelle  de  Saint-Sulpice  et  commença  l'établisse- 
ment de  la  Communauté,  dont  les  membres  devaient 
partager  avec  lui  les  fonctions  curiales  et  la  direction  du 
séminaire. 


(1)  Mémoires,  écrit  le  1er  septembre  I6i2. 

(2)  Rem.  kist.,  p.  222. 


M,  0L1ER  (1642-1662).  65 

A  cette  date  de  16V2,  la  paroisse  de  Saint-Sulpice, 
malgré  le  premier  démembrement  que  lui  avait  fait  su- 
bir, en  1212,  la  création  des  églises  paroissiales  de  Saint- 
André  des  Arcs  et  des  Saints  Corne  et  Damien,  était  encore 
la  plus  vaste  de  Paris.  Bornée  à  l'Est  par  les  limites  de  ces 
deux  paroisses  et  de  celle  de  Saint-Séverin  (1);  au  Midi 
par  celles  de  Saint-Benoit,  de  Saint-Étienne  du  Mont  et 
de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas  (2);  au  Nord  par  la  Seine, 
elle  s'étendait  à  l'Ouest  jusqu'aux  villages  de  Grenelle,  de 
Vanves  et  de  Vaugirard,  et  comprenait  dans  son  immense 
périmètre,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  tout  le  faubourg- 
Saint-Germain  (3),  sur  le  territoire  duquel  furent  érigées 
plus  tard  et  successivement  les  sept  nouvelles  paroisses  de 
Saint-Pierre  du  Gros-Caillou,  en  1777;  de  Saint-Germain 
des  Prés  et  Saint-Thomas  d'Aquin,  à  la  Révolution  (i)  ; 


(1)  Voir  supra,  p.  15. 

(2)  L'église  Saint-Benoit  était  une  des  plus  anciennes  de  Paris.  Une  pieuse 
tradition  la  faisait  remonter  au  temps  de  saint  Denis,  notre  Père  dans  la 
foi,  qui  l'aurait  consacrée  à  la  Sainte  Trinité.  Reconstruite  sous  Fran- 
çois Ier,  elle  fut  détruite  à  la  Révolution.  Sa  cure,  malgré  la  modicité  de 
ses  revenus,  était  très  recherchée,  parce  que,  placée  au  centre  de  l'Uni- 
versité, elle  a  toujours  compté  parmi  ses  paroissiens  des  hommes  de 
science  et  de  talent. 

Sous  M.  Morin,  curé  de  celte  paroisse  de  1548  à  1586,  les  habitants  du 
faubourg  Saint-Jacques,  qui  en  dépendaient,  obtinrent  de  l'évêque  de  Paris, 
M?r  Eustache  du  Bellay,  l'autorisation  de  bâtir  une  église  succursale  dans 
leur  quartier  et,  provisoirement,  la  permission  d'user  d'une  chapelle  nom- 
mée du  Haut-Pas,  qui  devint  bientôt  après  succursale  des  trois  églises 
de  Saint-Benoit,  de  Saint-Ilippolyle  (toutes  deux  supprimées  par  la  loi  du 
4  février  1 791  j  et  de  Sainl-Médard  ;  et  ce  ne  fut  que  soixante-six  ans  après 
son  achèvement  que  l'église  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas,  construite  à 
côté  de  cette  chapelle,  fut  érigée,  en  1640,  en  paroisse,  pour  la  formation 
de  laquelle  on  enleva  à  celle  de  Saint-Benoit  toutes  les  maisons  qu'elle 
avait  dans  le  faubourg  et  dans  la  rue  d'Enfer.  V.  Chronologie  historique 
de  messieurs  les  curés  de  Saint-Benoit,  par  M.  Brute,  l'un  d'eux,  de  1747 
à  1753. 

(3)  V.  plus  haut  p.  15  et  16,  la  description  détaillée  des  limites  de  la 
paroisse  Saint-Sulpice. 

(4)  Saint-Germain  des  Prés  et  Saint-Thomas  d'Aquin  furent  érigées  en 
églises  paroissiales  par  la  loi  du  4  février  1701. 

é<;use  SAiNT-siLPicn:.  5 


66  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

de  Sainte- Valère  (1),  aujourd'hui  Sainte-Clotilde;  des  Mis- 
sions étrangères  (2),  aujourd'hui  Saint-François-Xavier, 
cl  de  L'Abbaye  aux  Bois  (3),  lors  du  Concordat;  et  de 
Notre-Dame  des  Champs,  en  1857. 

Mais  elle  en  était  aussi  la  plus  dépravée.  Kenclez-vous 
de  tous  les  impies,  centre  de  réunion  des  huguenots  dont 
le  zélé  n'avait  d'autre  fin  que  d'affaiblir  la  foi  des  catho- 
liques et  de  répandre  partout  des  germes  d'indifférence 
et  d'athéisme,  elle  était  aussi  le  réceptacle  de  tous  les  li- 
bertius  et  de  tous  les  débauchés,  dont  les  désordres  res- 
taient à  peu  près  impunis  sous  l'autorité  de  l'abbé  de 
Saint-Germain  des  Prés  dont  la  justice  était  des  plus  dé- 
fectueuses. 

Les  duels  y  faisaient  fureur;  on  compta  jusqu'à  dix- 
sept  de  leurs  victimes  en  une  seule  semaine  aux  débuts 
du  ministère  de  M.  Olier.  Les  grands  ne  valaient  pas 
mieux  que  les  gens  du  peuple;  presque  tous  affichaient 
un  dédain  cynique  pour  les  choses  de  Dieu;  et  le  frère  du 
roi,  Gaston  d'Orléans,  n'était  guère  connu  que  par  ses  blas- 
phèmes. La  foire  Saint-Germain,  qui  durait  deux  mois,  fé- 
vrier et  mars,  ne  faisait  qu'ajouter  encore  au  nombre  et 
à  la  gravité  des  scandales. 

M.  Olier  ne  vit  de  remède  à  tant  de  maux  que  dans  la 
piété,  la  patience  et  la  charité  de  ses  prêtres.  Pour  payer 

(!)  Avant  la  Révolution,  Sainte- Valère  était  la  chapelle  d'un  couvent  de 
Repenties,  autorisé  par  Lettres  (latentes  du  3  septembre  1717  et  situé  à 
l'angle  de  la  rue  de  Grenelle,  côté  droit,  et  de  l'esplanade  des  Invalides. 
Après  la  Révolution,  celte  chapelle  devint  l'église  paroissiale  de  Sainte- 
Valère.  Elle  tut  démolie  en  1837;  et  jusqu'à  l'ouverture  de  l'église,  au- 
jourd'hui basilique  mineure  de  Sainte-Clotilde,  la  paroisse  de  Sainte- Va- 
lère  eut  son  église  provisoire  dans  une  maison  de  la  rue  de  Rourgogne. 

(2)  La  chapelle  du  séminaire  des  Missions  étrangères,  dont  la  solennité 
de  la  bénédiction,  qui  eut  lieu  le  27  octobre  1663,  fut  rehaussée  par  un 
sermon  de  Rossuet,  servit  longtemps,  en  ce  siècle,  d'église  paroissiale 
jusqu'à  l'ouverture  de  l'église  SainJt-Françoîs-Xavier. 

.;  ouverte  au  culte  dès  1796,  l'église  de  l'Abbaye  aux  Rois  fut  reconnue 
par  le  Concordat. 


M.  OLIER  (1612-1G52).  67 

le  premier  d'exemple,  il  résolut  dès  lors  de  mener  la  vie 
la  plus  sainte  qui  lui  serait  possible,  et  s'engagea  par 
vœu,  dans  l'église  de  Notre-Dame,  à  ne  plus  faire,  le  reste 
de  ses  jours,  que  ce  qu'il  saurait  être  le  plus  parfait.  11 
demanda  à  Noire-Seigneur,  par  l'intercession  de  la  Sainte 
Vierge,  de  bons  prêtres  pour  l'aider  dans  sa  réforme  de 
la  paroisse.  Exaucé  aussitôt,  il  l'entreprit  avec  une  ving- 
taine de  collaborateurs  :  quatre  des  dix-sept  vicaires  de 
M.  de  Fiesque,  plusieurs  prêtres  de  Vaugirard  et  sept  à 
huit  autres,  auxquels  se  joignirent  bientôt  de  nouvelles 
et  précieuses  recrues,  entre  autres  :  MM.  Raguier  de  Poussé, 
Alexandre  le  Ragois  de  Bretonvilliers,  Claude  Joly,  qui 
mourut  évoque  d'Agen;  Louis  Philippe,  qui  devait  être 
guéri  miraculeusement  au  contact  du  crucifix  de  la  Mère 
Agnès,  et  Gabriel  de  Caylus,  abbé  de  Loc-Dieu,  qui  passa 
deux  années  au  Canada,  de  1G57  à  1659. 

Dès  le  jour  de  l'Assomption,  il  leur  imposa  la  vie  de 
Communauté  et  s'y  assujettit  lui-même,  afin  que,  séparés 
du  monde,  ils  fussent  plus  unis  entre  eux  et  plus  libres 
dans  le  service  de  Dieu.  Leur  sanctification  fut  le  premier 
objet  de  sa  sollicitude.  Il  priait  et  faisait  prier  de  tous 
côtés  Notre-Seigneur,  pour  leur  obtenir  de  sa  bonté  que 
le  Saint-Esprit  daignât  les  vivifier  tous  et  les  éclairer  de 
ses  lumières.  Et  pour  les  rendre  dignes  de  cette  grande 
grâce,  il  les  entretenait  fréquemment  de  la  sainteté  de 
leur  état,  de  leur  obligation  étroite  de  sanctifier  les  âmes, 
de  l'impossibilité  d'y  réussir  s'ils  n'étaient  saints  eux- 
mêmes,  puisqu'on  ne  peut  donner  ce  que  l'on  n'a  pas;  et 
dès  lors  de  la  nécessité  pour  eux  de  vivre  tout  en  Dieu,  en 
union  parfaite  avec  lui,  et  pour  cela  de  s'adonner  à  l'orai- 
son mentale,  à  la  lecture  des  livres  spirituels  et  surtout  à 
l'adoration  du  Très  Saint-Sacrement  et  à  la  prière  aux 
pieds  de  la  Très  Sainte  Vierge. 

Il  régla  qu'ils  auraient,  sous  l'autorité  des  curés,  un 
supérieur  chargé  du  bon  ordre  de  la  Communauté  et  de 


G8  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

la  distribution  des  emplois,  auxquels  il  les  voulait  indif- 
férents, comme  étant  tous,  même  le  plus  modeste,  égale- 
ment estimables  dans  la  maison  de  Dieu. 

II  leur  interdit  de  laisser  pénétrer  aucune  femme  dans 
le  presbytère,  et  les  astreignit  à  un  désintéressement 
absolu,  en  leur  défendant  d'accepter  aucun  présent  pour 
l'administration  des  sacrements,  la  visite  aux  malades  ou 
les  besoins  de  la  Communauté,  et  en  prescrivant  que  tous 
leurs  honoraires  de  messes,  de  baptêmes,  de  mariages  et 
de  convois  fussent  mis  en  commun,  pour  être  distribués 
par  le  curé  assisté  de  quatre  de  leurs  anciens,  en  sorte 
que  chacun  se  contentât,  suivant  le  désir  de  l'Apôtre,  de 
la  nourriture  et  du  vêtement.  Et  pour  mieux  leur  incul- 
quer cette  vertu  du  désintéressement,  il  ne  se  lassait  pas 
de  leur  répéter  «  qu'on  travaille  trop  pour  enrichir  les 
«  communautés  et  pas  assez  pour  les  sanctifier,  et 
«  qu'ainsi  on  1rs  ruine  en  voulant  les  établir  :  car,  ajou- 
«  tait-il,  Dieu  permet  qu'on  ait  la  terre ,  puisqu'on  la 
«  veut;  mais  il  retire  son  esprit  et  ses  grâces  qu'on  né- 
«  glige.  Que  si,  au  contraire,  on  ne  songeait  qu'à  fonder 
«  Jésus-Christ  dans  les  maisons,  Jésus-  Christ  aurait  soin 
«  de  tout  le  reste  (1)  ». 

Il  leur  donna  à  tous  le  titre  de  vicaires,  leur  enjoignant 
de  prendre  celui  de  prêtres  de  la  communauté  de  Saint- 
Su/pice,  et  réservant  celui  de  prêtres  habitués  aux  treize 
vicaires  de  M.  de  Fiesque  qui  s'étaient  refusés  à  partager 
leur  vie  commune. 

Après  les  avoir  ainsi  formés,  il  répartit  entre  eux  les 
diverses  fonctions  du  saint  ministère. 

Il  divisa  la  paroisse  en  huit  quartiers,  les  plaça  sous  la 
protection  de  la  Sainte  Vierge  et  les  désigna  tous  sous  le 
nom  d'une  de  ses  fêtes.  Il  préposa  à  la  direction  de  cha- 
cun d'eux  un  de  ses  prêtres,  qu'il  chargea  de  veiller  à 

(1)  Rem.  hist.,  I,  34. 


M.  0L1ER  (1642-1652).  69 

tous  ses  intérêts  spirituels  et  temporels,  d'y  visiter  les  ma- 
lades et  de  tenir  un  registre,  indicateur  du  nom  de  tous 
les  paroissiens,  de  leur  âge,  de  leur  demeure,  de  leur  pro- 
fession, de  leurs  ressources,  de  leurs  sentiments  religieux. 
Bientôt  ces  chefs  de  quartiers  ne  suffirent  plus  à  leur 
tâche;  et  il  fut  obligé  de  leur  adjoindre  un  ou  deux  prê- 
tres auxiliaires.  Il  en  chargea  un  autre  de  présider  à 
l'office  canonial,  qu'il  avait  trouvé  établi  dans  la  pa- 
roisse (1);  six,  de  l'administration  des  sacrements  de  l'Eu- 
charistie et  de  l' extrême-onction;  cinq,  de  celle  des  bap- 
têmes et  des  mariages;  deux,  de  recevoir  à  toute  heure  les 
confessions;  un,  du  soin  des  pauvres  (2);  quatre,  de  celui 
des  sacristies;  plusieurs,  de  la  direction  des  Confréries.  Il 
nomma  en  même  temps  douze  surnuméraires  pour  sup- 
pléer les  malades  et  les  absents. 

Après  avoir  ainsi  pourvu  à  l'exercice  du  saint  ministère 
dans  sa  paroisse ,  il  en  entreprit  la  réforme. 

Il  travailla  d'abord  à  la  conversion  des  hérétiques  par 
des  controverses  publiques  que  dirigeait  un  dialecticien 
renommé,  le  Père  Veron;  par  des  missions  qu'il  leur  fai- 
sait donner  par  le  Père  Yvan,  autre  controversiste  célè- 
bre; par  des  entretiens  qu'il  leur  ménageait  avec  deux 
de  ses  prêtres,  spécialement  chargés  de  les  instruire; 
par  les  prières  continuelles  de  sa  Communauté  pour  leur 
retour  à  la  vérité  catholique,  et  plus  encore  peut-être 
par  les  conférences   de  deux  simples  laïques,   hommes 


(1)  Calendrier  spirituel  de  Saint-Sulpice,  p.  5. 

(2)  A  ceux  de  ses  prêlres  qu'il  consacrait  au  service  des  pauvres,  il 
disait  :  «  Lorsque  nous  sommes  appelés  au  service  des  indigents,  sup- 
portons avec  une  chanté  à  toute  épreuve  les  incommodités  qu'ils  causent. 
Souvenons-nous  que  ISolre-Seigneur  a  choisi  les  pauvres  pour  servir 
de  témoignage  à  la  divinité  de  sa  mission  et  pour  en  tirer  la  preuve  la 
plus  indubitable  de  la  vérité  de  sa  doctrine.  Les  plus  souffrants  sont  ses 
membres  plus  particulièrement  que  les  autres;  ils  ont  donc  un  droit  de 
préférence  à  notre  affection  et  à  notre  tendresse.  »  M.  Icard,  Doctrine 
de  M.  Olier  expliquée  par  sa  vie  et  ses  écrits,  p.  481. 


70  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-ST'LPICE. 

sans  lettres  mais  pleins  de  l'esprit  de  Dieu,  le  coutelier 
Jean  Clément  et  le  mercier  Baumais,  «  qui  ramenèrent 
«  à  eux  seuls,  dit  le  biographe  de  M.  Olier  (1),  pins  de 
a  huguenots  à  la  vraie  foi  que  n'en  convertirent  en- 
ce  semble  tous  les  docteurs  de  Sorbonue  de  ce  siècle  ». 

Il  s'appliqua  ensuite  à  combattre  l'ignorance,  source 
de  tous  les  vices  dans  son  peuple,  par  des  catéchismes 
et  des  instructions  de  toute  sorte,  comme  aussi  par  le 
soutien  et  le  développement  des  écoles. 

Tous  les  dimanches  et  fêtes,  après  vêpres,  il  faisait 
lui-même  ou  faisait  faire  dans  l'église  deux  catéchismes 
aux  enfants,  l'un  pour  les  garçons  et  l'autre  pour  les 
filles,  afin  de  les  initier  aux  mystères  de  la  foi.  Il  en 
établit  douze  autres  dans  les  différents  quartiers  de  la 
paroisse  et  confia  chacun  d'eux  à  deux  de  ses  prêtres  ou 
de  ses  séminaristes,  dont  l'un  était  chargé  de  le  faire  et 
l'autre  d'appeler  les  enfants  à  le  suivre  au  moyen  d'une 
clochette  qu'il  avait  à  la  main  et  qu'il  devait  sonner  dans 
toutes  les  rues  de  son  quartier  (2).  En  sorte  qu'on  compta 
bientôt  dans  la  paroisse  jusqu'à  quatre  mille  enfants  qui 
recevaient  en  même  temps  l'instruction  religieuse  (3). 

Ce  fut  à  leur  usage  qu'il  composa  le  Catéchisme  des 
enfants  de  la  paroisse  Saint-Sulpice  qui  fut  approuvé 
en  février  1j652. 

Indépendamment  de  ces  quatorze  catéchismes  ordi- 
naires, il  en  fonda  six  autres  spéciaux  : 


(1)  Faillon,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  368. 

(2)  C'était  l'exemple  que  saint  François  de  Sales  donnait  a  ses  curés. 
Le  saint  évêque  faisait  appeler  les  enfants  au  catéchisme  qu'il  faisait, 
ions  les  dimanches  de  l'année,  tour  à  tour  avec  ses  chanoines,  par  un 
hèraull,  vêtu  d'une  espèce  de  cotte  d'armes  bleue,  sur  laquelle  le  nom 
de  Jésus  était  écrit  en  lettres  d'or.  Ce  hérault,  agitant  une  sonnette  par 
les  rues,  criait  d'une  voix  haute  et  sonore  :  A  la  doctrine  chrétienne ,  à 
lu  doctrine  chrétienne.'  On  vous  y  enseignera  le  chemin  du  Paradis. 
Faillon,  Histoire  des  catéchismes  de  Saint-Sulpice,  p.  \n. 

(3)  Rem.  hist.,  4'  part.,  p.  61(5. 


M.  0L1E11  (I6i2-1652).  71 

Deux  pour  la  première  communion  des  enfanls,  l'un  à 
la  fête  de  Pâques,  qui  durait  deux  mois,  l'autre  à  celle 
de  la  Pentecôte,  qui  durait  six  semaines; 

Un  troisième,  préparatoire  à  la  réception  du  sacrement 
de  Confirmation; 

Un  quatrième,  trois  fois  la  semaine ,  pendant  le  carême , 
préparatoire  à  la  communion  pascale  pour  les  laquais, 
les  pages  et  les  gens  de  service  ; 

Un  cinquième,  aussi  trois  fois  par  semaine,  pendant 
le  carême,  et  clans  le  même  but  pour  les  pauvres  men- 
diants. A  leur  sortie  de  chaque  réunion,  ils  recevaient 
tous  une  aumône  pour  les  encouragera  l'assiduité  ;  et  cette 
aumône  était  plus  forte  pour  ceux  qui  avaient  le  mieux 
répondu  aux  questions  qui  leur  avaient  été  posées  (1); 

Un  sixième,  tous  les  vendredis  de  l'année,  pour  les 
vieillards,  hommes  et  femmes,  secourus  par  la  compagnie 
de  charité  (2). 

11  en  établit  d'autres  encore,  qui  se  faisaient  dans  les 
charniers  de  l'église  (3),  et  dont  il  avait  eu  soin  de  gra- 
duer les  programmes  suivant  l'âge  et  l'instruction  des 
enfants,  depuis  les  plus  petits  et  les  plus  ignorants  jus- 
qu'aux plus  avancés  (4). 

11  avait  aussi  institué,  dès  son  entrée  dans  la  paroisse, 
une  prédication  pour  les  artisans.  Il  l'avait  confiée  à  l'un 
de  ses  prêtres  les  plus  habiles  dans  la  controverse  avec 
les  hérétiques,  M.  Dardenne,  qui  la  faisait  tous  les  jours, 
en  été,  à  quatre  heures  du  matin,  pour  que  les  gens  de 
service  pussent  y  assister  plus  aisément  (5). 

(1)  Rem.  hist.,ie  part.,  p.  G17. 

(2)  Ibid.,  p.  618. 

(3)  On  appelait  Charniers  non  seulement  les  lieux  où  les  corps  morts 
étaient  déposés,  mais  aussi  les  Galeries  autour  des  églises  de  Paris,  où  l'on 
donnait  la  communion  aux  grandis  fêtes.  Littré,  Dict.  (le  la  langue 
française,  t.  I,  p.  567. 

(4)  Doncourt,  Rem.  Intl.,  4e  part,  616. 

(5)  Faillon,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  370. 


72  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Il  apporta  la  même  sollicitude  à  l'instruction  primaire 
des  petites  filles  pauvres  et  à  l'accroissement  du  nombre 
des  écoles  qui  la  leur  procuraient. 

Les  premières  et  les  plus  anciennes  qui  existaient  sur 
la  paroisse  lorsqu'il  y  arriva,  étaient  les  trois  que  te- 
naient, rue  du  Gindre,  des  dames  pieuses  et  instruites, 
placées  sous  la  direction  de  Marie  Rousseau,  et  où  elles 
enseignaient  gratuitement  aux  enfants  qu'elles  gardaient 
du  matin  au  soir,  la  doctrine  chrétienne,  la  lecture, 
l'écriture,  les  éléments  du  calcul  et  quelques  travaux 
manuels  (1). 

Il  en  trouva  une  autre,  dont  la  création  datait  de  1639, 
dirigée,  rue  Saint-Dominique,  par  les  Filles  de  la  Provi- 
dence, dites  de  Saint-Joseph,  vouées  à  l'éducation  des 
pauvres  petites  filles  orphelines,  qu'elles  recevaient  dès 
l'âge  de  neuf  à  dix  ans,  auxquelles  elles  apprenaient  les 
divers  travaux  convenables  à  leur  sexe ,  et  qu'elles  rete- 
naient jusqu'à  ce  qu'elles  pussent  se  placer  (2). 

En  16i8,  il  fonda  lui-même,  pour  une  quarantaine 
d'enfants  orphelins,  des  deux  sexes,  la  maison  de  la  Mère 
de  Dieu,  à  la  tète  de  laquelle  il  plaça  des  filles  vertueu- 
ses, qui,  sans  faire  de  vœux,  étaient  appelées  Sœurs  et 
dont  la  mission  était  de  placer  les  garçons  en  métier  chez 
différents  maîtres  et  d'instruire  les  filles  qu'elles  gar- 
daient auprès  d'elles  (3). 

La  même  année,  Mme  Lebret,  veuve  d'un  conseiller  au 
Chàtelet  de  Paris,  avait  fait  une  fondation  pour  l'instruc- 
tion des  petites  filles  pauvres  et  avait  ouvert  pour  elles 


(1)  Faillon,  loc.  ci!.,  t.  II,  p.  384,  et  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  67. 

(2)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  71  et  286. 

3)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  72.  Cette  maison,  établie  d'abord  rue  de  Gre- 
nelle, puis  rue  du  l'elil-Bourbon,  fut  ensuite  installée,  en  1678,  par  M.  de 
Poussé,  rue  du  Vieux-Coloinb'.er,  après  que  le  Roi  eut  autorisé  cette  ins- 
tilution  sous  le  nom  de  Maison  des  orphelins  par  ses  lettres  patentes 
du  mois  de  mai  1678. 


M.  OLIER  (16i2-i652).  73 

plusieurs  petites  écoles  au  quartier  des  Incurables. 
M.  Olier  augmenta  le  nombre  de  ces  écoles,  et  nomma 
des  Inspecteurs,  qui  durent  les  visiter  deux  fois  par  mois 
et  lui  faire  des  rapports  sur  l'exactitude  des  enfants  à  les 
fréquenter  et  sur  leur  application  au  travail.  Un  des  prê- 
tres de  sou  Séminaire  était  chargé  d'aller  leur  faire  une 
instruction ,  toutes  les  semaines. 

Ces  écoles  l'amenèrent  à  créer  une  institution  qui  en 
fut  le  complément,  la  Maison  de  l'Instruction.  C'était  un 
grand  ouvroir,  fruit  de  son  zèle  et  de  celui  de  Marie  Rous- 
seau, qui  en  resta  la  directrice  jusqu'à  sa  mort  (1),  où, 
sous  le  nom  de  Filles  de  la  Très  Sainte  Vierge  ou  de  Sœurs 
de  l'Instruction  chrétienne ,  de  pieuses  filles  ou  veuves, 
après  avoir  subi  un  examen  de  capacité  à  l'abbaye  Saint- 
Germain,  apprenaient  gratuitement  divers  états  aux  jeunes 
filles  sorties  de  ces  écoles  et  que  leurs  parents  ne  pou- 
vaient pas  entretenir,  et  les  retenaient  auprès  d'elles 
jusqu'à  leur  mariage  ou  à  leur  établissement. 

OEuvre  précieuse,  qui,  tout  en  préservant  ces  enfants 
des  périls  sans  nombre  que  leur  faisaient  courir  leur 
jeunesse  et  leur  pauvreté,  les  préparait  à  gagner  hon- 
nêtement leur  vie.  C'est  là  la  véritable  origine  de  nos 
écoles  professionnelles  actuelles  (2). 

On  ne  voit  pas  qu'il  ait  pu  fonder  des  écoles  de  gar- 
çons (3)  et  faire  autre  chose  que  stimuler  à  l'accomplis- 
sement de  tous  leurs  devoirs  les  maîtres  qu'il  trouva  à  leur 


(1)  Marie  Rousseau  mourut  en  odeur  de  sainteté  le  4  août  1688,  et  fut 
enterrée  à  Saint-Sulnice,  le  6.  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  221. 

(2)  Rem.  hist.,  I,  68  et  286.  Faillon ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  384. 

(3)  A  celte  époque  et  «  jusqu'en  1669,  l'abbé  de  Saint-Germain,  nous  ap- 
prend M.  A.  Ravelet  dans  son  étude  si  attachante  sur  le  Bienheureux 
J.  D.  de  La  Satie,  fondateur  de  l'Institut  des  Frères  des  Écoles  Chrétiennes, 
grand  in-4°,  1888,  p.  20i),  avait  sous  sa  direction  les  petites  écoles  du 
faubourg.  Les  maîtres  étaient  obligés  d'enseigner  gratuitement  les  pauvres 
qui  se  présenteraient  avec  un  certificat  du  Bureau.  Le  faubourg  Saint-Ger- 


74  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

tète  et  dont  malheureusement  un  grand  nombre  laissait 
à  désirer,  soit  pour  la  tenue  de  leurs  classes,  soit  pour  l'ins- 
truction de  leurs  élèves,  soit  même  pour  la  moralité.  Mais 
il  priait  et  faisait  prier  Dieu  incessamment  pour  cette 
grande  œuvre  dont  il  estimait  tout  le  prix,  et  dont  il 
souhaitait  que  quelque  congrégation  nouvelle  de  reli- 
gieux voulût  bien  prendre  la  direction;  car  il  ne  souhai- 
tait pas  avec  moins  d'ardeur  que  son  ami,  M.  Bourdoise, 
le  grand  propagateur  de  la  réforme  ecclésiastique,  «  de 
voir  les  écoles  des  enfants  du  peuple  dans  un  esprit  sur- 
naturel »  et  dirigées  par  de  vrais  maîtres  d'école  qui 
non  seulement  leur  apprissent  la  lecture,  l'écriture,  la 
grammaire,  le  calcul  et  les  éléments  de  l'histoire,  mais 
surtout  qui  les  formassent  à  être  de  bons  paroissiens  en 
les  instruisant  de  cette  doctrine  chrétienne,  la  seule  base 
vraie  de  toute  morale,  individuelle  ou  sociale  (1).  La 
Providence  ne  resta  pas  sourde  à  ses  vœux  :  car  ce  fut 
sa  réputation  de  sainteté  qui  décida  le  bienheureux  de 
La  Salle  à  entrer,  en  1670,  à  Saint-Sulpice,  sous  M.  Tron- 
son;  et,  en  1688,  il  revint  à  Paris,  avec  deux  frères  de 
son  nouvel  Institut,  fonder  sa  première  école,  rue  Prin- 
cesse, sur  la  paroisse  Saint-Sulpice. 

Il  s'occupa  avec  non  moins  d'ardeur  d'extirper  le  vice 
de  sa  paroisse.  Les  mauvais  lieux  y  abondaient.  Il  en  fit 
fermer  un  grand  nombre,  et  veilla  à  ce  que  les  proprié- 
taires n'en  introduisissent  plus  chez  eux.  11  pourvut  aux 
besoins  des  malheureuses  tilles  qui  se  montraient  dispo- 
sées à  les  quitter,  et  en  plaça  plusieurs  à  la  Madeleine, 


main  avait  ainsi  été  divisé  en  dix-sept  quartiers  et  dans  chacun  d'eux  il  y 
avait  un  maître  et  une  maîtresse,  ce  qui  représentait  trente-quatre  écoles. 
Tous  les  mailres,  à  l'exception  d'un  seul,  étaient  laïques;  et  le  plus  souvent 
le  mari  et  la  femme  tenaient  deux  écoles,  l'une  pour  les  garçons,  l'autre 
pour  les  filles  ».  Ces  écoles  payantes  étaient  indépendantes  des  écoles  de 
charité  établies  par  M.  Olier. 
(1)  Lettre  de  M.  Bourdoise  à  M.  Olier,  citée  par  M.  Ravelet,  loc  cit.,  p.  '.»2. 


M.  OLIER  (1042-1652).  75 

asile  de  Pénitentes  situé  près  du  Temple.  Et  comme  il  en 
restait  encore  beaucoup  à  sa  charge,  il  songea  à  leur 
ouvrir  une  maison  semblable  sur  sa  paroisse.  Mais  il  en 
fut  empêché  par  des  personnes  de  qualité,  qui  craignaient 
que  cette  seconde  maison  ne  nuisit  à  la  première.  Et  ce 
ne  fut  qu'un  peu  plus  tard  qu'un  de  ses  successeurs, 
M.  de  la  Barmondière,  reprit  son  projet  et  parvint  à  le 
faire  réussir  en  fondant,  en  1G84,  la  Communauté  du  Bon- 
Pas  feur  (1). 

Il  mit  également  tous  ses  soins  à  préserver  l'innocence 
des  jeunes  fdles  exposées  au  mal,  soit  en  assistant  leurs 
parents,  dont  la  misère  pouvait  èlre  un  danger  pour  elles, 
soit  en  les  plaçant  à  la  Maison  de  l  Instruction  ou  chez 
d'honnêtes  ouvrières,  soit  par  toutes  sortes  d'industries 
de  son  zèle.  Et  au  moment  où  la  maladie  l'obligea  à  se 
démettre  de  sa  cure ,  il  méditait  le  dessein  de  fonder  une 
autre  maison  où  la  Compagnie  des  Pauvres  pourrait 
envoyer  toutes  celles  qu'elle  croirait  en  danger,  faute 
d'assistance  (2). 

En  même  temps,  il  s'efforçait  de  développer  la  vertu 
et  la  piété  chez  ses  paroissiens  en  les  exhortant,  dans  tous 
ses  sermons  et  tous  ses  prunes,  à  la  fréquentation  des  sa- 
crements et  à  l'assistance  aux  offices.  Et  pour  les  y  attirer 
plus  nombreux  il  donna  une  nouvelle  pompe  au  culte, 
exigea  la  présence  du  séminaire  à  toutes  les  grandes  so- 
lennités de  son  église ,  restaura  à  grands  frais  le  maitre- 
autel,  dota  la  sacristie  de  riches  ornements  et  de  vases 
sacrés  qui  lui  manquaient  (3),  releva  la  dignité  des  céré- 
monies en  établissant  une  exacte  discipline  parmi  tous  les 
ofliciersde  l'église  et  en  ordonnant  que  les  chantres  fus- 


(1)  Nagot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  102  et  163. 

(2)  Rem.  hist.,  4°  part.,  p.  024. 

(3)  11  n'y  avait  trouvé  que  trois  calices  à  son  entrée  dans  la  cure.  Rem. 
hist.,  t.  I,  p.  37. 


76  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

sent  tous  ecclésiastiques  (1),  et  encouragea  surtout  de  tout 
son  pouvoir,  par  de  nouvelles  pratiques  ajoutées  aux  an- 
ciennes, la  dévotion  au  Saiut-Sacrement  et  à  la  Sainte 
Vierge. 

La  confrérie  du  Saint-Sacrement  de  la  paroisse,  fort  en 
honneur  de  temps  immémorial,  avait  déjà  l'adoration 
perpétuelle  de  jour  du  Très  Saint-Sacrement.  Il  lui  donna 
un  nouveau  lustre  en  lui  obtenant  l'adoration  perpétuelle 
même  de  nuit.  Il  en  fixa  le  lieu  dans  la  chapelle  de  la 
Sainte  Vierge,  exigea  que  deux  cierges,  fournis  à  ses  frais, 
brûlassent  continuellement  des  deux  côtés  de  l'autel ,  et 
lit  don  d'une  magnifique  lampe  à  sept  branches  représen- 
tant les  sept  esprits  montrés  à  saint  Jean  autour  du  trône 
éternel,  pour  qu'elle  demeurât  toujours  allumée  devant 
le  tabernacle  (-2).  Il  institua  et  fit  célébrer  solennellement 
les  prières  des  quarante  heures  pendant  les  trois  derniers 
jours  du  carnaval,  et  établit  l'exposition  du  Saint-Sacre- 
ment aux  fêtes  de  l'Epiphanie  et  de  Saint -Martin,  qui 
étaient  l'occasion  de  graves  désordres  dans  le  faubourg. 

Il  fonda  encore,  tous  les  premiers  jeudis  de  chaque 
mois,  la  grand'messe  du  Très  Saint-Sacrement  avec  le 
salut  et  la  procession  le  soir,  ainsi  que  la  procession  après 
vêpres,  tous  les  premiers  dimanches  du  mois. 

Par  ces  pieuses  industries  de  son  zèle,  il  réussit  à  ins- 
pirer à  toutes  les  classes  de  ses  paroissiens  une  religion 
profonde  pour  la  sainte  Eucharistie,  et  il  en  obtint  une 
preuve  touchante  lors  de  l'horrible  sacrilège,  commis 
dans  la  nuit  du  27  au  28  juillet  1648,  où  des  voleurs,  au 
nombre  de  douze,  pénétrèrent  dans  l'église  par  une  fe- 
nêtre de  la  chapelle  de  sainte  Barbe,  forcèrent  la  porte 
du  balustre  de  celle  de  la  Sainte  Vierge,  et,  après  avoir 
brisé  la  porte  du  tabernacle  où  reposait  le  Saint-Sacre- 


(1)  Na»ot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  149. 

(2)  Ibid.,  p.  15i. 


M.  OLIER  (1642-1652).  77 

ment,  emportèrent  le  saint  ciboire  ,  et  jetèrent  les  saintes 


hosties  qu'il  contenait  sur  les  dalles  de  la  chapelle  de 
sainte  Barbe  (1). 


(1)  Trois  mois  après,  un  des  voleurs  fut  pris  et  exécuté  au  bas  de  la 
rue  de  Tournon.  M.  Olier  l'assista  lui-même  et  l'accompagna  sur  l'écha- 
faud. 


78  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

La  population  tout  entière  s'associa  aux  cérémonies  de 
réparation  de  cet  attentat  que  M.  Olier  prescrivit,  au  jeûne 
de  trois  jours  et  aux  prières  des  quarante  heures  qu'il 
ordonna;  le  troisième  jour,  toutes  les  boutiques  fermè- 
rent dans  le  faubourg;  et,  au  milieu  d'un  concours  im- 
mense de  fidèles,  la  reine  Anne  d'Autriche  suivit  la  pro- 
cession  solennelle  du  Saint-Sacrement  que  portait  le 
Nonce  du  Pape.  La  mémoire  de  cette  réparation  se  célèbre 
depuis  lors,  chaque  année,  à  Saint-Sulpice,  le  premier 
dimanche  d'août  (1). 

Pour  ranimer  la  dévotion  à  la  Très  Sainte  Vierge,  il 
établit  une  autre  procession  en  son  honneur  tous  les  pre- 
miers samedis  du  mois,  afin  de  mettre  sa  paroisse  sous  sa 
protection,  donna  une  extension  nouvelle  à  sa  confrérie, 
institua  la  communion  des  premiers  samedis  du  mois  pour 
les  enfants  qu'il  lui  consacrait,  décida  que  désormais  sa 
bannière  se  déploierait  en  tête  de  toutes  les  processions, 
et  ne  cessa  de  prêcher  et  de  faire  prêcher  par  les  prêtres 
de  sa  Communauté  cette  doctrine  si  admirablement  cxpli- 


(1)  Une  aulre  preuve  frappante  de  l'efficacité  du  zèle  de  M.  Olier  pour 
faire  pénétrer  les  sentiments  chrétiens  dans  toutes  les  classes  des  fidèles, 
et  qui  fait  trop  d'honneur  à  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  pour  ne  pas  être 
consignée  ici,  est  celte  touchante  paraphrase  du  Pater,  inspirée  à  une 
pauvre  jardinière  qui  l'habitait,  par  l'amour  de  Dieu  que  le  pieux  Pasteur 
savait  si  bien  inculquer  à  ses  ouailles.  Un  des  prêtres  de  sa  communauté, 
M.  de  Flamenville,  qui  mourut  évêque  de  Perpignan,  dans  une  de  ses 
visites  aux  pauvres  du  quartier  dont  il  était  chargé,  la  lui  entendit  ré- 
cller,  et  la  trouva  si  belle  dans  sa  simplicité  qu'il  s'empressa  de  la  mettre 
par  écrit  et  de  la  publier  sous  le  litre  du  Pater  de  la  jardinière. 

M.  le  curé  Meritan,  si  bon  juge  de  la  vraie  piété,  n'a  pas  manqué  de 
la  reproduire,  a  la  page  lfi4  de  son  excellent  Manuel  de  la  vie  et  de  la 
piété  chrétiennes.  Un  vol.  in-18,  Paris,  Lecoffre,  éd.  1899.  Nous  lui  en 
empruntons  le  passage  suivant  :  «  Donnez-nous  aujourd'hui  notre  pain 
«  quotidien.  Mon  Dieu,  je  vous  demande  trois  sortes  de  pain  :  Celui  de  votre 
«  divine  parole  pour  m'apprendre  ce  que  je  dois  faire;  celui  de  la  sainte  Eu- 
«  charislië,  qui  fortifie  mon  âme;  et  celui  qui  m'est  nécessaire poursustenter 
«  mon  corps;  et  je  vous  promets,  mon  Dieu,  après  avoir  pris  ce  qui  me  sera 

nécessaire,  d'en  assister  du  reste  ceux  qui  pourront  en  avoir  besoin.  » 


M.  OLIER  (1642-1652).  79 

quée  par  Bossuet  (1)  après  saint  Bernard,  que  «  Dieu 
«  ayant  une  fois  voulu  nous  donner  Jésus-Christ  par  la 
<(  Sainte  Vierge,  les  dons  de  Dieu  sont  sans  repentance , 
<(  et  cet  ordre  ne  se  change  plus  »;  et  qu'  «  il  est  et  sera 
«  toujours  véritable  qu'ayant  reçu,  par  sa  charité,  le 
«  principe  universel  de  la  grâce,  nous  en  recevions  en- 
«  core,  par  son  entremise,  les  diverses  applications,  dans 
«  tous  les  états  différents  qui  composent  la  vie  chré- 
«  tienne  (2)  ». 

Toutes  les  autres  confréries  de  la  paroisse  (3)  lui  du- 
rent, elles  aussi,  leur  retour  à  l'esprit  de  piété  qui  avait 
inspiré  leur  fondation. 

Enfin  il  installa  une  librairie  aux  portes  de  l'église,  à 
l'endroit  même  où,  avant  lui,  on  ne  vendait  que  des  ins- 
truments et  des  ouvrages  de  superstition  et  de  magie, 
pour  que  ses  paroissiens  pussent  trouver,  dans  une  collec- 
tion choisie  de  bons  livres,  les  antidotes  nécessaires  aux 
poisons  renfermés  dans  la  multitude  de  mauvais  livres 
que  les  protestants  et  les  impies  répandaient  à  profusion 
dans  le  public. 

La  rénovation  de  la  paroisse,  opérée  par  l'ensemble  de 
ces  sages  mesures,  était  trop  prompte  et  trop  complèle 
pour  ne  pas  provoquer  la  rage   du  démon.  Aussi  sus- 


(1)  Bossuet.  Sermon  sur  la  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  pour  la  fête  de 
la  Conception,  9  décembre  1G69  :  éd.  Lebarq,  t.  V,  p.  609. 

(2)  Cette  idée  fondamentale  est  développée  dans  la  savante  étude  de 
M.  lcard  sur  la  Doctrine  de  M.  Olier  expliquée  par  sa  vie  et  par  ses  écrits, 
au  chapitre  intitulé  :  la  Sainte  Vierge,  et  spécialement  au  3e  paragraphe  : 
Ce  que  la  Sainte  Vierge  est  par  rapport  à  l'Église,  aux  congrégations 
religieuses  et  aux  âmes,  qu'il  termine  par  ces  lignes  que  nous  nous 
[liaisons  à  reproduire  :  «  Nous  ne  pouvons  que  respecter,  bénir  et  aimer 
«  cette  conduite  de  Notre-Seigneur  qui  daigne  donner  à  son  Église,  au 
«  clergé,  aux  congrégations  religieuses,  âuv  simples  lidèles  et  d'une  m'a- 
«  nière  spéciale  aux  âmes  les  plus  désireuses  de  lui  plaire,  sa  sainte 
«  Mère,  comme  protectrice,  soutien  et  consolation.  Vita,  Dulccdo  et 
«  spes  nostrx,  Salve.  »  P.  287  à  352. 

(3)  Voir  leur  liste  supra,  p.  9  et  10. 


80  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

cita-t-il  contre  M.  Olier,  en  juin  1615,  une  persécution 
violente  à  laquelle  prirent  part  tous  les  libertins  du  fau- 
bourg, et  jusqu'à  ses  marguilliers,  au  prince  de  Condé  et 
à  l'abbé  de  Saint-Germain  lui-même,  dans  le  but  de  le 
contraindre  à  se  démettre  de  la  cure,  pour  y  réintégrer 
M.  de  Fiesque.  Une  émeute  éclata  le  jeudi  de  la  Pentecôte  ; 
des  factieux  attaquèrent  le  presbytère,  en  forcèrent  l'en- 
trée, se  saisirent  de  M.  Olier  et,  après  lui  avoir  fait  subir 
mille  outrages,  le  tramèrent  dans  la  rue,  où  quelques 
amis,  entre  autres  saint  Vincent  de  Paul,  parvinrent  à 
grand'peine  à  le  dégager  des  mains  de  la  populace  et  à 
le  faire  entrer  au  Luxembourg  où  la  maréchale  d'Estrées 
le  combla  d'égards. 

Il  conserva  dans  ce  tumulte  son  calme  et  sa  sérénité 
habituels;  il  intercéda  même  pour  ses  ennemis,  fit  élar- 
gir plusieurs  des  émeutiers  qu'on  avait  mis  en  prison  et 
épargna  à  M.  de  Fiesque,  qui  l'avait  abreuvé  d'injures, 
une  prise  de  corps  dont  le  menaçait  un  gentilhomme  du 
faubourg. 

On  lui  proposa  alors,  pour  son  repos,  d'abandonner  sa 
cure.  «  La  croix,  répondit-il,  est  l'apanage  des  œuvres 
qu'on  entreprend  pour  Dieu  »;  et  quand,  peu  de  temps 
après,  la  reine  s'associa  au  désir  de  l'évêque  de  Rodez, 
Msr  de  Gorneillan,  qui  renouvela  ses  démarches  pour  l'a- 
voir comme  coadjuteur,  il  se  borna  à  en  référera  l'abbé  de 
Saint-Germain,  son  supérieur  naturel,  dont  il  se  déclara 
prêt  à  accepter  la  décision  comme  l'expression  de  la  vo- 
lonté de  la  Providence.  L'abbé,  tout  opposé  qu'il  lui  fût, 
admira  son  humilité,  le  maintint  à  la  tête  de  ses  deux 
grandes  œuvres  et  lui  promit  de  le  seconder  dans  leur  ac- 
complissement; il  renonça  même  aux  7.500  livres  qu'il  lui 
devait,  comme  seigneur  temporel  du  faubourg,  sur  les  locls 
et  vente  du  terrain  qu'il  venait  d'acheter  pour  l'agran- 
dissement du  séminaire,  et  lui  facilita  l'octroi  des  lettres 
patentes  du  Roi,  qui  en  approuvaient  l'établissement. 


M.  0L1ER  (1642-1652).  81 

Cependant  il  ne  put  obtenir  la  paix  qu'au  prix  de  con- 
cessions pécuniaires  fort  onéreuses  qu'il  fit  à  M.  de  Fies- 
que.  Il  dut,  en  effet,  prendre  avec  lui  de  nouveaux  ar- 
rangements, bien  qu'il  sût  qu'il  n'y  était  pas  obligé,  et 
lui  procurer  pour  dix  mille  livres  de  bénéfices  avec  l'aide 
de  deux  prêtres  de  la  Communauté,  MM.  de  Lantage  et  de 
Sève,  qui  se  démirent  à  son  profit  de  ceux  qu'ils  pos- 
sédaient. 

Il  eut  beaucoup  de  peine  à  se  résigner  à  ces  sacrifices  ; 
il  les  trouvait  exorbitants  :  car  cette  somme  de  10.000  li- 
vres équivalait  à  la  totalité  des  revenus  de  la  cure.  Aussi, 
pour  les  épargner  à  ses  amis ,  hésita-t-il  un  instant  à  la 
conserver;  mais  sur  l'ordre  du  Roi,  il  se  décida  à  la  gar- 
der (1). 

Dès  que  le  calme  fut  rétabli,  il  s'employa  avec  une 
nouvelle  ardeur  aux  intérêts  multiples  de  sa  paroisse. 

Son  premier  soin  fut  de  donner  suite  à  un  projet  qu'il 
avait  formé  dès  qu'il  en  avait  pris  la  direction,  celui  de 
commencer  la  construction  d'une  nouvelle  église  parois- 
siale, qu'il  voulait  voir  édifier  sur  l'emplacement  de 
l'ancienne,  mais  beaucoup  plus  vaste  et  plus  en  harmo- 
nie, par  ses  proportions,  son  style  et  sa  belle  ordon- 
nance, avec  l'importance  de  la  population,  le  nombre 
I croissant  des  fidèles  et  aussi  avec  la  somptuosité  du  nou- 
veau palais  du  Luxembourg  :  car  en  apprenant  la  mort 
de  la  reine  Marie  de  Médicis  (2),  il  avait  été  saisi  de  tristesse 
à  la  pensée  des  sommes  énormes  qu'elle  avait  employées 
à  faire  bâtir,  'pour  sa  personne  et  pour  sa  mémoire,  ce 
palais  dont  la  magnificence  étonnait  le  Bernin,  tandis 
qu'elle  souffrait  que  la  personne  adorable  de  Notre-Sei- 


(1)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  223. 

(2)  Elle  mourut  à  Cologne,  le  3  juillet  1642,  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans, 
dans  les  sentiments  de  la  plus  vive  piété.  V.  Sa  vie  par  M""-'  d'Arconville, 
3°  vol. 

ÉCMSE    SAINT-SUI.Pir.E.  6 


82  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

gneur  restât  si  mal  logée  sur  sa  paroisse,  dans  cette  petite 
église  de  Saint-Sulpice,  qui  menaçait  ruine  et  qui  était  si 
incommode  et  si  exiguë,  que  les  jours  de  grandes  fêtes, 
pour  éviter  l'encombrement  des  foules,  on  était  obligé 
de  faire  l'office  paroissial  à  l'église  de  l'abbaye;  et 
ayant  été  averti  intérieurement  qu'elle  était  redevable  à 
la  justice  divine  à  cause  de  ce  superbe  édifice,  il  se  sentit 
porté  à  satisfaire  pour  elle  en  sa  qualité  de  pasteur  (1). 

Aussi,  dès  le  mois  de  décembre  suivant,  il  exposait  à 
ses  fabriciens  ses  vues  sur  la  reconstruction  de  l'église  ; 
le  10  mars  1643,  il  les  soumit  de  nouveau  aune  assemblée 
générale  de  la  paroisse,  qui  les  approuva  d'une  voix 
unanime  et  choisit,  pour  dresser  les  plans  de  la  future 
église,  le  célèbre  architecte  Christophe  Gamard,  qui  déjà, 
de  1615  à  1631,  avait  dirigé  les  divers  travaux  d'agran- 
dissement de  l'ancienne  (2)  ;  et  comme  les  constructions 
nouvelles  devaient  s'étendre  dans  le  cimetière  adjacent, 
M.  Olier  cédaàla  Fabrique,  en  échange  du  terrain  qu'elles 
allaient  occuper,  la  moitié  du  jardin  dont  jouissait  la 
Communauté  (3). 

Le  2  novembre,  il  réunit  encore  les  notables  de  la  pa- 
roisse pour  solliciter  leur  concours  à  cette  grande  entre- 
prise. Mais,  malgré  toute  son  activité  et  bien  que  le  Roi, 
avec  l'assentiment  de  la  Régente,  lui  ait  fait  don  de  toutes 
les  pierres  de  taille  nécessaires  aux  substructions,  au 
mois  de  mars  1644,  la  construction  resta  à  l'état  de  pro- 
jet jusqu'au  jour  de  l'Assomption  de  1645,  où  le  Conseil 
de  Fabrique  adopta  l'un  des  trois  plans  que  M.  Gamard 
était  venu  lui  présenter,  et  donna,  séance  tenante,  l'ordre 
de  l'exécuter.  Immédiatement  l'architecte  traça  les  fon- 
dements du  chœur  de  la  nouvelle  église  et  en  fit  com- 


(1)  Faillon,  foc.  cit.,  t.  II,  p.  361. 

(2)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  9. 

(3)  Faillon  ,  loc.  cit.,  1.  II,  p.  362. 


M.  OLIER  (1642-1652).  83 

mencer  les  fouilles;  et,  le  20  février  16i6,  la  Reine  ré- 
gente, Anne  d'Autriche,  vint  en  grande  pompe,  avec  toute 
sa  cour,  en  poser  et  maçonner  la  première  pierre  qui  fut 
placée  dans  le  cimetière  à  l'endroit  où  devait  s'élever  le 
maitre-autel  (1). 

Après  la  cérémonie,  M.  Olier  lui  déroula  le  plan  et  le  lui 
expliqua.  Elle  en  fit  l'éloge,  promit  de  contribuer  large- 
ment à  son  exécution  et  demanda  que  les  deux  chapelles 
les  plus  voisines  de  celle  de  la  Sainte  Vierge  portassent, 
l'une,  le  nom  de  sainte  Anne,  sa  patronne  (2);  l'autre, 
celui  de  saint  Louis,  le  patron  do  son  fils,  Louis  XIV.  Tous 
les  grands  qui  l'entouraient  promirent  de  leur  côté  une 
généreuse  souscription;  et  le  duc  d'Orléans,  qui  était  ab- 
sent, s'engagea  à  verser  une  somme  de  10.000  livres 
par  an  jusqu'à  l'achèvement  de  l'édifice. 

Lorsque  les  fondements  du  chœur  eurent  été  ainsi  je- 
tés, M.  Olier  exigea  que  les  travaux  commençassent  par  la 
construction  de  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  comme 
pour  offrir  les  prémices  de  la  nouvelle  église  à  cette  au- 
guste Reine.  Mais  les  troubles  politiques  qui  éclatèrent 
alors  clans  la  capitale,  la  misère  qu'ils  aggravèrent,  et 
aussi  l'obligation  pour  M.  Olier  de  pourvoir  à  l'entretien 
de  son  séminaire,  ne  lui  permirent  pas  de  donner  à  ce 
grand  ouvrage  toute  l'impulsion  qu'il  eût  désirée;  il  ne 
put  qu'achever  les  murs  de  cette  chapelle  et  les  voir,  avant 
sa  mort,  élevés  à  toute  la  hauteur  qu'ils  ont  aujour- 
d'hui (3).  Néanmoins  c'est  à  lui  qu'il  est  juste  d'attribuer 
l'honneur  de  la  conception  de  la  vaste  étendue  du  nouvel 


(1)  La  Heine  était  accompagnée,  entre  antres  personnages  de  marque,  du 
prince  et  de  la  princesse  de  Condé,  de  la  duchesse  d'Aiguillon,  de  la  com- 
tesse de  Brienne,  du  duc  de  Guise  et  du  duc  d'Uzes.  flan,  hist.,  t.  I, 
p.  10. 

(2)  La  chapelle  actuelle  de  Sainte  Anne  était,  dans  l'ancienne  église,  sous 
le  vocable  de  Sniale  Barbr. 

(3)  Faillon,  loc.  cil.,  t.  IF,  p.  3G5. 


84 


HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SLLPICE. 


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Plaa  du  rez-de-chaussée  de  l'église  actuelle  et  tracé  de  l'ancienne. 


M.  0L1ER  (1642-1652) 


SS 


Plan  des  caveaux  de  l'église  actuelle  et  du  reste  des  piliers  de  l'ancienne. 


86  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

édifice  (1),  comme  tout  le  mérite  de  son  style,  si  majes- 
tueux dans  sa  simplicité  sévère,  revient  en  entier  à  Ga- 
mard,  dont  le  plan,  dans  son  ensemble  et  sauf  l'agran- 
dissement par  Levau  des  proportions  du  chœur,  a  été 
respecté  et  suivi  par  ses  successeurs  (2). 

Il  reprit  en  même  temps  l'œuvre  ébauchée  par  le  Père 
de  Condren  vis-à-vis  de  la  noblesse  d'épéc  et  parvint 
bientôt  à  exercer  sur  elle  un  très  grand  ascendant.  11  réus- 
sit à  former  dans  son  sein  une  compagnie  de  cent  gentils- 
hommes auxquels  il  fit  accepter  de  renoncer  aux  maximes 
du  monde,  de  vivre  entre  eux  en  une  étroite  union  et  d'ho- 
norer par  une  dévotion  spéciale  le  mystère  de  la  Passion 
de  Notrè-Seigneur;  ce  qui  leur  fit  prendre  le  nom  de 
Compaq h ie  de  la  Passion. 

Leurs  principaux  membres  étaient  : 

1°  Le  marquis  de  Fénelon  qu'il  avait  converti  ; 

2°  Le  baron  de  Renty,  redevable  à  la  lecture  de  Y  Imi- 
tation de  son  retour  à  la  vie  chrétienne,  et  qui  vint  se 
mettre  sous  la  direction  de  M.  Olier  quoiqu'il  ne  fût  pas 
son  paroissien  ; 

3"  M.  de  Laistre,  conseiller-secrétaire  du  Roi; 

k°  Le  maréchal  de  Fabert  qui,  pendant  plus  de  trente 
ans,  avait  rendu  à  la  France  les  plus  signalés  services. 

M.  Olier  les  employa  surtout  à  empêcher  les  duels  dont 


(1)  L'ancienne  église  ne  mesurait  extérieurement  que  60  mètres  de  long 
sur  27  de  large,  et  était  très  basse.  Le  sol  de  la  nouvelle  mesure  118  mè- 
tres 80e  de  long  et  57  mètres  30e  de  large;  et  ses  voûtes  ont  une  hauteur 
de  33  mètres.  Voir  le  plan  comparatif,  ci-contre,  des  deux  églises. 

(2)  D'abord  par  Levau,  l'habile  architecte  de  l'hôtel  Lambert,  puis  par 
Gillard,  qui,  de  1G60  à  1675,  dirigèrent  et  terminèrent  les  travaux  de  cons- 
truction du  nouveau  chœur,  des  bas-côtés  et  du  bras  gauche  du  trans- 
sept;  ensuite  par  Oppenord,  qui  éleva,  en  1719,  la  grande  nef  et  le  por- 
tail de  la  rue  des  Fossoyeurs;  après  lui,  par  le  florentin  Servandoni  qui 
commença  la  façade  en  1732;  par  Maclaurin  qui  la  continua  en  1768,  et 
enfin  par  Chalgrin  qui  l'acheva,  de  1777  à  1781.  Levau  mourut,  en  1670, 
premier  architecte  du  Roi. 


M.  OLIER  (1642-1652  ,  87 

la  fréquence  le  désolait.  Un  jour  de  Pentecôte,  il  reçut  le 
serment  du  maréchal  de  Fabert  et  du  marquis  de  Féne- 
lon,  que  désormais  ils  refuseraient  tout  duel.  Leur  décla- 
ration à  ce  sujet  toucha  le  grand  Condé,  jusque-là  mal 
disposé  pour  M.  Olier;  elle  fut  approuvée  par  le  Conseil 
des  Maréchaux;  et  l'un  des  premiers  édits  du  jeune  Roi 
décréta  l'abolition  des  duels  (1). 

M.  Olier  fut  aussi  l'instrument  de  la  sanctification  d'un 
grand  nombre  de  princes  et  de  princesses  et  de  personnes 
du  plus  haut  rang. 

Une  de  ses  filles  spirituelles,  Catherine  de  Montberon, 
que  le  marquis  de  Fénelon  épousa  à  cause  de  sa  piété, 
mourut  à  vingt-sept  ans,  en  odeur  de  sainteté. 

La  maréchale  de  Rantzau,  après  avoir  abjuré  l'héré- 
sie de  Luther,  devint,  en  suivant  ses  conseils,  une  chré- 
tienne exemplaire  et  se  dévoua  avec  succès,  avec  Mm  de  la 
Rochejaquelein ,  à  la  conversion  des  huguenots. 

Sous  sa  conduite,  la  duchesse  d'Aiguillon  s'adonna  aux 
bonnes  œuvres  avec  un  zèle  admirable.  Elle  devint  no- 
tamment la  généreuse  protectrice  des  Religieuses  de 
Notre-Dame  df  Miséricorde  qu'en  pleine  guerre  civile,  en 
janvier  16i9,  M.  Olier  établit  sur  sa  paroisse,  pour  la- 
quelle elles  furent  une  source  d'édification  (2). 

Le  prince  de  Condé,  Henri  II,  qui  s'était  déclaré  contre 


(1)  Après  la  mort  de  M.  Olier  et  vers  la  fia  de  la  vie  de  M.  de  Breton- 
villiers,  cette  Compagnie  se  changea  en  une  communauté  de  gentilshommes, 
anciens  militaires,  placés  sous  la  direction  d'un  prêtre  de  Saint-Salpice, 
et  dont  la  chapelle,  située  dans  l'église,  était  dédiée  à  saint  Maurice.  Fail- 
lon,  loc.  cit.,  t.  il,  p.  '272. 

(2)  Le  père  Yvan,  leur  fondateur,  qui  les  établit  d'abord  à  Aix  en  Pro- 
vence, lieu  de  sa  résidence,  où  il  avait  fait  des  prodiges  pendant  la  peste 
qui  ravagea  celte  ville,  les  soumit  à  la  règle  de  saint  Augustin  et  leur 
assigna,  comme  fin  de  leur  Institut,  la  charge  de  recevoir  gratuitement 
et  de  former  les  filles  qui  avaient  la  vocation  religieuse.  Installées  d'abord 
rue  Mézières,  elles  demeurèrent  ensuite  rue  Cassetle,  puis  rue  du  Co- 
lombier. Rem.  hist.,  t.  I,  p.  129-131. 


88  .HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULP1CE. 

lui  lors  de  la  persécution  de  1645,  revint  à  de  tout  autres 
sentiments,  Tannée  suivante,  qui  fut  celle  de  sa  mort. 

Il  reçut  avec  piété  le  ministère  de  M.  Olier,  se  repentit 
de  ses  fautes  privées  et  de  son  alliance  avec  les  huguenots, 
recommanda  à  ses  trois  enfants  de  demeurer  fidèles  au 
Roi  et,  en  mourant ,  chargea  M.  Olier  de  transmettre  à  la 
Reine  un  avis  important  pour  le  maintien  de  son  autorité, 
celui  de  détruire  la  cabale  de  la  nouvelle  secte  qui  s'or- 
ganisait à  Port-Royal. 

M.  Olier  demeura  le  conseiller  de  sa  veuve,  lui  traça 
un  règlement  de  vie,  où  il  lui  rappelait  tous  les  devoirs 
des  grands,  et  l'assista  elle-même,  à  ses  derniers  mo- 
ments, à  Chàtillon-sur-Loing. 

Il  eut  aussi  une  grande  part  à  la  conversion  du  duc 
d'Orléans,  que  son  exil  à  son  château  de  Blois,  après  la 
première  Fronde ,  l'abaissement  de  sa  maison  et  les 
prières  de  sa  femme  avaient  préparée.  Il  se  servit  à  cette 
fin  de  Mme  de  Saujeon,  fille  d'honneur  de  la  duchesse. 
Cette  conversion  s'acheva  lors  de  la  naissance  de  son  fils 
et  se  consolida  par  la  mort  de  cet  enfant.  Le  prince,  pour 
réparer  ses  torts  dans  la  guerre  civile  et  les  ruines  qu'elle 
avait  entraînées,  employa,  sur  le  conseil  de  M.  Olier,  des 
sommes  considérables  en  aumônes. 

Mme  de  Saujeon  l'aida  encore  à  former  à  la  piété  la  fille 
de  ce  prince,  Isabelle,  qui,  devenue  duchesse  de  Guise,  fut 
un  modèle  de  vertu  à  la  cour,  et,  lorsqu'elle  se  retira 
dans  son  duché  d'Alençon,  fit  nommer  curé  de  cette  ville 
un  sulpicien,  M.  Ghenart,  qui  y  convertit  un  grand  nom- 
bre de  huguenots  et  y  établit  une  communauté  de  prê- 
tres. 

Le  prince  de  Conti,  autre  paroissien  de  M.  Olier  qui 
avait  tant  prié  pour  sa  conversion,  revint  à  Dieu  après  la 
défaite  de  la  Fronde,  dont  il  avait  été  un  des  appuis.  Il 
eut  alors  de  fréquents  rapports  avec  M.  Olier  et ,  d'après 
ses  avis,  prit  part  à  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres  et 


M.  0L1ER  (1642-1652).  89 

consacra  à  des  aumônes  plus  de  deux  millions  de  francs 
pour  réparer  les  maux  de  la  Fronde  qu'il  avait  excitée. 

La  Reine  elle-même,  qui  l'avait  en  grande  estime  et  qui 
le  lit  entrer  dans  son  Conseil  (1),  se  montra  plus  d'une 
fois  déférente  à  ses  vues  :  car,  après  la  première  Fronde, 
quand  le  peuple  força  Mazarin  à  quitter  le  royaume, 
M.  Olier  écrivit  à  la  Reine  pour  lui  rappeler  qu'elle  avait 
suivi  trop  complaisamment  les  conseils  de  ce  ministre 
dans  l'attribution  des  évêchés  et  des  bénéfices  ;  et  d'après 
ses  observations,  elle  n'en  disposa  plus  qu'après  avoir  con- 
sulté saint  Vincent  de  Paul.  En  janvier  1G52,  il  lui  écrivit 
encore  pour  l'engager  à  céder  aux  circonstances  et  à  ren- 
voyer Mazarin.  Anne  d'Autriche  ne  sut  alors  que  tem- 
poriser et  ses  hésitations  coûtèrent  bien  des  maux  à  l'État. 

Le  zèle  ardent  de  M.  Olier  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le 
salut  des  âmes  lui  avait  toujours  inspiré  le  désir  de  se 
consacrer  à  l'évangélisatiou  des  peuples  infidèles.  Il  s'en 
était  ouvert  au  Père  de  Rhodes,  jésuite,  le  grand  apôtre 
de  la  Cochinchine  et  du  Tonkin,  qui  l'en  avait  dissuadé. 
«  Il  y  a  huit  jours,  »  écrivait-il  à  ce  sujet,  à  un  pieux  ami, 
«  que  je  vous  fis  paraître  la  superbe  de  mon  cœur,  vous 
«  témoignant  le  désir  que  j'avais  de  suivre  ce  grand  apô- 
«  tre  du  Tonkin  et  de  la  Cochinchine  :  mais,  après  lui  avoir 
«  parlé  à  fond  de  ce  dessein,  ou  plutôt  de  ce  projet,  ce 
«  saint  homme,  ou  Notre-Seigneur  en  lui,  m'a  jugé  indi- 
«  gne  de  cette  grâce.  Aussi  je  me  vois  obligé  de  demeurer 
«  ici  dans  mon  néant,  attaché  à  l'emploi  que  la  divine  Ma- 
«  jesté  m'a  donné,  où,  rempli  de  la  vue  de  ma  misère,  je 
«  gémirai  et  soupirerai  toute  ma  vie  pour  m'ètre  rendu 
«  par  mes  infidélités  si  indigne  de  cet  honneur.  Si  du 


(1)  Dans  un  acte  de  vente  par  les  époux  Thène  à  la  Communauté  du 
séminaire  de  Saint-Sulpice,  passé  devant  Me  Boindin,  notaire  à  Paris, 
le  15  mars  1655,  dont  la  minute  est  aujourd'hui  conservée  en  l'étude  de 
Me  Breuillaud,  notaire  à  Paris,  rue  Saint-Martin,  n°  333,  M.  Olier  est  qua- 
lifié des  titres  de  Conseiller  du,  Roi  en  ses  Conseils. 


90  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  moins,  dans  le  néant  où  la  grâce  me  retient  et  me 
«  renferme,  j'osais  encore  espérer  et  regarder  quelque 
«  chose  de  la  solide  gloire  qu'on  peut  trouver  dans  le  ser- 
«  vice  du  divin  Maître,  en  donnant  sa  vie  et  répandant  son 
«  sang  pour  lui,  je  regarderais  l'Angleterre  comme  mon 
«  espérance;  et  comme  ce  grand  apôtre,  dont  je  vous 
«  parle ,  me  dit  que  toutes  ses  intentions  avaient  toujours 
«  été,  dès  sa  jeunesse,  d'aller  ou  du  côté  de  la  Chine, 
«  ou ,  s'il  ne  le  pouvait  obtenir,  d'aller  du  moins  en  kn- 
«  gleterre,  je  m'offre  à  lui  pour  accomplir  son  zèle  par 
«  tous  les  services  que  je  pourrais  lui  procurer  et  à  toute 
«  l'Église  (1).  » 

Et  lorsque,  en  lGi*2,  il  jetait  à  Vaugirard  les  fondements 
de  sa  Compagnie,  il  écrivait  quelques  jours  après,  le 
12  mars,  fête  de  saint  Grégoire  le  Grand  :  «  Ce  jour-là 
«  je  me  sentis  porté  en  esprit  à  m'offrir  à  Dieu  comme 
«  victime  pour  la  conversion  de  l'Angleterre  et  me  pré- 
«  senter  à  mourir  pour  la  conversion  de  cette  pauvre 
«  province  dont  saint  Grégoire  était  l'apôtre.  A  l'is- 
«  sue  de  l'office,  je  me  sentis  obligé  à  porter  notre  jeu- 
ce  nesse  à  communier,  ce  jour,  à  l'honneur  de  ce  grand 
«  saint,  pour  demander  à  Dieu  la  conversion  de  l'Angle - 
«  terre  dont  j'avais  ouï  dire,  les  jours  passés,  qu'il  s'y  fai- 
«  sait  des  martyrs  et  que  quelques  prêtres  l'avaient  été 
«  depuis  peu  (2).  » 

La  Providence  le  retint  attaché  à  l'emploi  d'éducateur 
du  clergé  qu'elle  lui  avait  confié  ;  mais  elle  lui  tint  compte 
de  son  désir  et  exauça  ses  ferventes  prières,  qu'il  accom- 
pagnait même  de  rudes  macérations  (3),  en  lui  procurant 
le  moyen  de  contribuer  personnellement  à  arracher  l'An- 
gleterre des  mains  du  prince  des  téuèbres. 


(1)  Lettres  <l<>  M.  (Hier,  éd.  Gainon,  lettre  247,  à  M.  de  la  Dauversière, 
février  1G53. 

(2)  Mémoires,  le  16  mars  1642. 

(3)  Paillon,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  320. 


M.  OLIER  (1642-1652).  91 

Elle  le  lui  fournit  lorsque  Charles  II,  roi  d'Angleterre , 
vint  se  réfugier  en  France,  où  était  déjà  sa  mère,  la  reine 
Henriette-Marie,  pendant  la  tyrannie  de  Cromwell.  La 
conversion  de  ce  prince  était  ardemment  souhaitée  par  un 
de  ses  parents,  l'abbé  d'Aubigny  (1),  qui  en  appréciait 
toute  l'importance  pour  l'Angleterre,  l'Ecosse  et  l'Irlande. 
Ce  pieux  abbé  était  entré  en  relations  avec  M.  Olier  à  l'oc- 
casion du  mariage  de  son  cousin  Edouard  Stuart,  prince 
palatin  du  Rhin  (2),  avec  la  princesse  Anne  de  Gonzag'uc, 
fille  du  duc  de  Nevers  (3) ,  et  des  difficultés  soulevées 
par  cette  alliance,  que  le  curé  de  Saint-Sulpice  avait  su 
aplanir.  Depuis  lors,  plein  de  vénération  pour  sa  per- 
sonne et  d'estime  pour  sa  science  théologique  et  sa  rare 
sagesse  dans  la  conduite  des  âmes,  il  le  regardait  comme 
le  seul  prêtre  capable  d'opérer  cette  conversion,  et  il  n'eut 
de  cesse  qu'il  l'eût  mis  en  rapport  avec  le  Roi.  11  y  parvint 
avec  l'aide  d'un  des  favoris  du  prince,  Edouard  de  Som- 
merset,  marquis  de  \Yorcester,  qui  lui-même  avait  la  plus 
haute  opinion  de  la  vertu  et  des  talents  de  M.  Olier. 

Charles  II  s'intéressait  fort  peu  alors  aux  questions  reli- 
gieuses, et  ses  premiers  entretiens  avec  M.  Olier  l'y  laissè- 
rent très  indifférent.  Tout  entier  à  ses  plaisirs,  il  n'y 
faisait  trôve  que  pour  s'occuper  de  reconquérir  son 
royaume.  Il  avait  écrit  au  Pape  pour  lui  demander  du 
secours  et  il  se  montrait  très  froissé  du  silence  de  Sa  Sain- 
teté. M.  Olier  saisit  cette  occasion  d'entrer  dans  ses  inté- 
rêts et  fut  assez  heureux  pour  pouvoir  lui  promettre  dix 


(1)  Dès  qu'il  fut  reçu  dans  les  saints  Ordres,  le  prince  Louis  Stuart, 
(ils  du  duc  de  Lennox,  issu  du  sang  royal  d'Ecosse,  se  fit  appeler  l'abbé 
d'Aubigny,  du  nom  de  la  terre  d'Aubigny,  en  Berry,  qui  fut  donnée,  en 
1422,  par  Charles  VII,  roi  de  France,  à  Jean  Stuart,  pour  lui  et  ses  des- 
cendants, en  récompense  de  ses  services.  Lingard,  H/s  t.  d'Angleterre, 
t.  XII,  p.  453. 

(2)  Ce  Prince  était  petit  -fils  par  sa  mère,  Elisabeth  Stuart,  de  Jacques  Ier. 
roi  d'Angleterre. 

(3)  Le  mariage  fut  célébré  le  24  avril  1645. 


92  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAUNT-SULPICE. 

mille  hommes  de  troupes  réglées  afin  de  l'aider  à  rentrer 
en  possession  de  ses  États,  s'il  voulait  s'engager  à  y  ré- 
tablir la  foi  catholique  (1).  Le  prince,  touché  de  son  dé- 
vouement à  sa  cause,  prêta  désormais  une  oreille  plus 
attentive  à  ses  instructions;  il  fut  frappé  de  l'exposé  lu- 
mineux qu'il  lui  fit  de  la  vérité  catholique ,  avoua  que 
personne  jusque-là  ne  l'avait  aussi  bien  éclairé  et  se  dé- 
clara pleinement  satisfait. 

A  la  suite  de  ces  conférences,  le  Roi  ne  fit  pas  son  abju- 
ration publique  par  des  raisons  d'État  que  le  Pape  voulut 
bien  admettre  (2).  Du  moins,  il  tint  à  n'épouser  qu'use 
princesse  catholique,  malgré  les  instances  de  la  cour 
d'Espagne  pour  l'unir  à  une  princesse  protestante  de 
Danemark;  il  leva  le  séquestre  sur  les  biens  d'un  grand 
nombre  de  catholiques;  fit  élargir  tous  les  prêtres  et 
religieux  incarcérés;  fit  entrer  dans  la  Chambre  haute  des 
lords  catholiques;  réclama,  en  1GG2,  un  concordat  d'A- 
lexandre VII  pour  établir  la  liberté  de  conscience  dans 
ses  États;  sollicita,  pour  la  mieux  assurer,  le  chapeau  de 
cardinal  en  faveur  de  l'abbé  d'Aubigny  (3Ï  ;  et  à  l'article 
de  la  mort,  fit  son  abjuration  publique  entre  les  mains 
du  Père  Hudleston  (i). 

Ces  résultats  des  etïbrts  de  M.  Olier  étaient  considéra- 
bles; les  catholiques  anglais  ne  l'ont  jamais  oublié.  Aussi, 


(1)  Faillon,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  323.  Ce  fut  Mazarin ,  donl  la  politique 
était  favorable  au  Protecteur,  qui  empêcha  l'exécution  de  cette  promesse. 
Faillon,  ibid.,  p.  324. 

(2)  Faillon,  ibid.,  p.  324.  Son  abjuration  secrète  eut  lieu  en  1655. 

(3)  L'abbé  d'Aubigny  mourut  à  Paris,  à  l'âge  de  quarante-six  ans,  le  11  no- 
vembre 16G5,  quelques  heures  après  l'arrivée  du  courrier  qui  lui  apportait 
la  barrette  de  Cardinal.  Faillon,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  350. 

(4)  «  A  son  lit  de  mort,  se  repentant  de  sa  faiblesse,  —  celle  d'avoir  pré- 
tendu, après  coup,  être  protestant,  —  il  réitérait  la  profession  de  foi  que 
M.  Olier  l'avait  engagé  à  faire  à  Paris  ;  il  mourait  catholique.  »  Discours 
du  cardinal  Vaughan,  à  Arles,  du  12  octobre  1897,  reproduit  dans  la  .Se- 
maine religieuse  de  Paris,  du  23  du  même  mois,  p.  511. 


M.  OLIER  (1  (',42- 1652).  93 

lorsque  deux  siècles  et  demi  plus  tard,  en  1897,  Léon  XIII 
érigea,  sous  le  nom  de  Notre-Dame  de  la  Compassion, 
une  archiconfrérie  de  prières  pour  la  conversion  de  l'An- 
gleterre, ce  fut  le  cardinal  Vaughan,  Primat  de  ce 
royaume ,  qui,  en  reconnaissance  des  services  rendus  par 
M.  Olier  à  la  cause  du  catholicisme  dans  son  pays,  sollicita 
et  obtint  du  Saint-Père  que  cette  archiconfrérie  eût  son 
siège  à  l'église  et  au  séminaire  de  Saint-Sulpice,  à  Paris,  et 
que  son  directeur  fût  toujours  le  supérieur  général  de  la 
Compagnie  de  Saint-Sulpice  (1). 

Les  rapports  de  M.  Olier  avec  les  grands  ne  lui  faisaient 
pas  négliger  la  persévérance  de  ses  autres  paroissiens  et 
l'accroissement  de  la  piété  parmi  eux.  Pour  mieux  l'assu- 
rer, il  composa  à  leur  usage  une  Journée  chrétienne  pour 
la  sanctification  de  toutes  nos  actions;  il  facilita  aux  fem- 
mes de  toute  condition  les  exercices  de  la  retraite,  qu'il 
jugeait,  avec  tous  les  saints  personnages  de  son  temps, 
l'un  des  moyens  les  plus  efficaces  pour  établir  les  âmes 
dans  une  piété  solide,  en  leur  ouvrant  une  maison  de  re- 
traites où,  sous  la  direction  de  Marie  Rousseau  et  de  quel- 
ques autres  vertueuses  et  intelligentes  veuves,  elles  pou- 
vaient venir,  pendant  une  dizaine  de  jours  chacune, 
méditer  les  grandes  vérités  du  salut  (2). 

Il  réorganisa  enfin,  en  la  développant,  la  Compagnie  de 
Charité,  qu'il  avait  instituée  dès  le  début  de  son  ministère 
pastoral,  et  qui,  composée  exclusivement  de  dames,  ne 
se  vouait  qu'au  soulagement  des  pauvres  honteux.  Il  y 


(1)  Lettres  apostoliques  du  22  août  1897. 

(2)  Ce  fut  là  l'origine  de  la  Communauté  des  Filles  de  l'Intérieur  de  la 
Très  Sainte  Vierge,  fondée  en  1659,  aux  frais  de  M.  de  Bretonvilliers,  d'après 
les  intentions  de  M.  Olier,  pour  procurer  aux  daines  le  bienfait  des  retraites 
spirituelles.  M.  Olier  en  avait  dicté  les  règles  à  M"v  de  Saujeon  ;  et  M.  de 
Bretonvilliers  les  publia  sous  le  titre  d'Instructions  pour  les  Filles  de  l'In- 
térieur de  la  Très  Sainte  Vierge,  en  y  ajoutant  seulement  quelques  arti- 
cles moins  importants  que  M.  Olier  lui  avait  fait  connaître  à  lui-même. 
Bertrand,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  65. 


9i  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-Sl'LPICE. 

admit  désormais  les  hommes  et  augmenta  le  nombre  des 
œuvres  de  miséricorde  dont  il  la  chargea. 

Atiu  de  bien  connaître  les  pauvres,  objet  de  sa  sollici- 
tude la  plus  tendre,  et  de  les  assister  utilement,  il  en  fit 
dresser  un  nouveau  rôle  détaillé.  A  cet  effet,  il  divisa  la 
paroisse  en  sept  quartiers,  attacha  à  chacun  d'eux  quatre 
préposés  spéciaux  et  les  chargea  d'en  découvrir  tous  les 
pauvres,  d'étudier  leurs  besoins  et  d'en  faire  rapport  à  la 
Compagnie.  C'est  ainsi  qu'à  son  assemblée  générale  du 
10  avril  1651,  il  compta  866  familles  de  pauvres  hon- 
teux, renfermant  2.V96  bouches,  réduites  à  de  telles  ex- 
trémités que  les  relations  sur  les  misères  des  pauvres  de 
Picardie,  de  Champagne  et  des  autres  provinces  ruinées 
par  le  passage  ou  le  séjour  des  armées,  n'en  signalent 
pas  de  plus  grandes  (1). 

Il  les  divisa  alors  en  trois  catégories  :  les  valides,  lçs 
malades  et  les  infirmes. 

Les  pauvres  valides  durent  être  visités,  tous  les  quinze 
jours,  par  les  membres  de  la  Compagnie  de  Charité,  dont 
les  assemblées  bi-mensuelles  furent  fixées  aux  deuxième 
et  quatrième  dimanches  de  chaque  mois.  Le  principal 
soin  de  leurs  visiteurs  devait  être  de  leur  procurer  du 

(1)  «  Nous  en  avons  vu  beaucoup,  dit  le  Rapport  général  de  ces  prê- 
te posés,  qui  n'avaient  pas  seulement  de  la  paille  pour  se  coucher;  d'au- 
«  très  qui  languissaient  dans  de  méchants  lits  entre  deux  et  trois  de 
«  leurs  enfants  sains  et  malades;  quelques-uns  que  nous  avions  connus 
«  fort  accommodés,  qui,  taule  de  haillons  pour  se  couvrir,  traînaient 
«  une  vie  malheureuse  dans  des  greniers  ou  des  caveaux,  sans  oser  sortir, 
«  même  pour  assister  à  la  messe.  Nous  en  avons  rencontré,  dans  le  quar- 
«  tier  des  Incurables,  qui  passaient  plusieurs  jours  sans  manger;  d'au- 
«  très  qui  vivaient  d'un  peu  de  son  cuit  dans  de  l'eau  de  morue,  ou  qui 
«  adoucissaient  l'aigreur  de  leur  pain  par  la  chair  qu'ils  allaient  ramasser 
«  dans  des  voiries.  Enfin,  nous  avons  trouvé  des  enfants  qui  tiraient  le 
«  sang  des  mamelles  de  leurs  mères,  après  avoir  sucé  le  peu  de  lait  que 
«  le  manque  de  nourriture  avait  produit.  Il  y  eut  même  des  hommes  et 
«  des  femmes  que  le  déplaisir  de  ne  se  voir  pas  de  quoi  subvenir  à  leurs 
«  familles  porta  jusqu'à  se  pendre  aux  planchers  de  leurs  chambres.  » 
Doncourt,  Ilcm.  hist.,  4°  part.,  p.  14. 


M.  OLIER  (1642-1652).  05 

travail.  Chacune  de  ces  visites  coûtait  à  M.  Olier  de  1.000 
à  2.000  livres. 

Les  pauvres  malades  furent  confiés  par  lui  à  une  Com- 
pagnie spéciale  de  dames,  dont  les  assemblées  se  tenaient 
le  1er  jeudi  de  chaque  mois.  Et  un  peu  plus  tard,  en  1G5G, 
de  concert  avec  M.  de  Bretonvilliers,  son  successeur,  il 
établit,  rue  du  Pot-de-Fer  (1),  les  premières  Filles  de  la 
Charité,  à  titre  de  servantes  des  pauvres  malades. 

Les  pauvres  infirmes,  aveugles,  estropiés,  paralytiques, 
furent  remis  par  lui  aux  soins  d'autres  membres  de  la 
Compagnie,  dont  les  assemblées  se  tenaient  les  premiers 
samedis  de  chaque  mois. 

En  outre,  il  se  réserva  à  lui-même  la  possibilité  de  re- 
lever, par  des  secours  exceptionnels  ou  par  un  appui 
spécial,  certaines  familles  que  des  causes  particulières 
avaient  fait  tomber  dans  l'infortune  (2). 

Sa  charité  n'excluait  pas  les  mendiants.  Au  nombre 
quelquefois  de  huit  et  neuf  cents,  il  leur  faisait  distribuer 
de  la  soupe  ou  du  pain,  deux  fois  par  semaine,  à  la  porte 
du  séminaire.  En  plus,  il  faisait  distribuer,  tous  les 
jours,  aux  pauvres  honteux,  au  tour  de  la  paroisse,  neuf 
cents  potages  qui  étaient  pour  lui  une  dépense  de  50  li- 
vres par  jour,  soit  de  18.250  livres  par  an  (3). 

Pour  ces  diverses  catégories  de  pauvres,  il  ouvrit  un 
vestiaire  où  les  dames  de  la  Compagnie  de  Charité  ve- 
naient leur  confectionner  des  vêtements  avec  des  étoffes 
qu'il  leur  faisait  acheter. 

Il  institua  en  même  temps,  pour  la  défense  de  leurs 
droits,  «  l'accommodement  de  leurs  procès  »  et  le  règle- 
ment de  leurs  intérêts,  un  Conseil  charitable,  dont  les 


(1)  Rem.  Iiisf.,  1. 1,  p.  67.  En  1732,  leur  maison  fut  transférée  rue  Férou. 

(2)  C'étaient  le  frère  Jean  Blbndeau  et  l'abbé  Gibily,    le  confesseur  des 
pauvres,  qui  élaient  les  distributeurs  ordinaires  de  ses  aumônes. 

(3)  Rem.  hist-,  ie  part.,  p.  170. 


96  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

réunions  avaient  lieu  les  premier  et  troisième  dimanches 
de  chaque  mois  (1). 

Il  compléta  enfin  cette  réorganisation  de  la  Compagnie 
<lo  la  Charité  par  une  refonte  de  son  règlement  général, 
dans  lequel  il  précisa  la  fin  de  cette  Compagnie,  les  sujets 
qui  pouvaient  en  faire  partie ,  la  composition  de  son  bu- 
reau, l'élection  et  les  fonctions  de  chacun  de  ses  mem- 
bres, la  date,  le  lieu  et  l'ordre  du  jour  de  ses  diverses 
assemblées,  le  mode  de  distribution  des  secours,  les  con- 
ditions d'admission  et  les  causes  d'exclusion  des  pau- 
vres (2). 

Autant  M.  Olier  montra  de  sollicitude  pour  faire  croître 


(1)  Rem.  hist.,  4e  part.,  p.  49.  «  Toutes  ces  aumônes,  dit  M.  Icard,  l'obli- 
geaient à  mettre  des  sommes  considérables  à  la  disposition  des  Compa- 
gnies de  charité  et  des  autres  personnes  dont  il  se  servait.  Il  se  voyait 
quelquefois  sans  argent,  toutes  ses  ressources  étant  épuisées;  mais  la  foi 
vive  avec  laquelle  il  recourait  à  la  Sainte  Vierge  lui  attirait  des  secours 
inespérés.  «  La  bourse  du  Père  des  pauvres,  disait-il,  est  inépuisable  pour 
a  ceux  qui  recourent  à  lui.  »  Il  avait  attaché  aux  sacs,  destinés  à  renfermer 
l'argent  des  pauvres,  une  image  de  la  Sainte  Vierge,  qu'il  avait  établie 
leur  avocate  et  gardienne  de  leur  trésor.  Il  disait,  un  jour,  à  des  ecclé- 
siastiques en  leur  montrant  celte  image  :  «  Voilà  sur  quoi  je. me  repose, 
«  pour  le  soin  des  pauvres  de  la  paroisse;  j'en  laisse  la  conduite  et  le 
x  maniement  à  la  Mère  de  Dieu.  Je  lui  expose  mes  nécessités  et  elle  a  la 
«  bonté  d'y  pourvoir.  Elle  ne  m'a  jamais  manqué;  il  n'y  a  qu'a  s'aban- 
«  donner  à  elle  pour  tout.  »  Doctrine  de  M.  Olier,  p.  482. 

(2)  La  sagesse  et  l'esprit  pratique  de  ce  Règlement  le  tirent  adopter 
bientôt  par  la  plupart  des  autres  confréries  charitables.  Son  article  2  fixait 
a  trois  années  consécutives  le  temps  de  résidence  des  pauvres  sur  la  pa- 
roisse pour  y  acquérir  le  droit  de  domicile  et  de  secours.  Toute  distri- 
bution de  sommes  fixes  et  réglées  en  forme  de  pension  était  interdite  par 
l'article  5;  et  l'article  7  portait  :  «  Par  ce  que  l'usage  de  l'argent  à 
«  mains  des  pauvres  est  rarement  bon  et  presque  toujours  infructueux, 
«  on  fera  ordinairement  les  aumônes  en  pain,  à  prendre  chez  les  boulan- 
»  gers,  affidés  en  chaque  quartier,  ou  bien  aux  artisans,  en  espèces  de 
«  cuir,  bois,  soie  et  autres  matières  de  leur  art,  ou  en  habits,  lits,  cou- 
«  verlures,  ustensiles,  ou  en  bois  à  brûler,  charbon  et  chaussures  pen- 
«  dant  l'hiver,  et  jamais  à  aucun  des  dits  pauvres  en  deniers,  que  dans 
«  des  occasions  rares  et  extraordinaires  pour  relever  les  familles.  »  Rem. 
hist.,  4'  part.,  p.  48  à  74. 


M.  OLIER  (1642-1852).  97 

la  piété  parmi  ses  paroissiens,  autant  il  déploya  de  zèle 
pour  les  préserver  des  funestes  atteintes  du  jansénisme, 
«  cette  hérésie  déloyale,  a  dit  d'elle  justement  le  Père 
«  Lacordaire,  qui  n'osa  jamais  attaquer  l'Église  en  face  et 
«  qui  se  cacha  dans  son  sein  comme  un  serpent  (1)  ». 
Saint-Cyran  et  ses  disciples  cherchèrent  d'abord  à  attirer 
à  eux  les  jeunes  lévites  de  Saint-Sulpice;  mais  ils  n'y  fi- 
rent d'autre  recrue  que  M.  de  Gondrin,  le  neveu  de  l'ar- 
chevêque de  Sens,  que  M.  Olier  exclut  aussitôt  de  sa 
Communauté.  Ils  s'efforcèrent  alors  de  faire  croire  que 
M.  Olier  était  des  leurs;  mais  dès  qu'il  en  fut  informé,  il 
professa  hautement,  du  haut  de  la  chaire,  ses  sentiments 
d'opposition  à  leur  doctrine;  et  il  écrivit  à  Mlle  de  Por- 
tes, qu'il  dirigeait  et  qui  s'était  laissé  gagner  par  ces 
novateurs,  une  lettre  remarquable  pour  l'éloigner  de  cette 
secte  artificieuse.  «  Si  vous  me  voulez  promettre  en  Jésus- 
ce  Christ,  lui  dit-il,  de  ne  garder  aucun  commerce  avec 
«  ce  parti ,  qui  fait  présentement  un  schisme  formé  dans 
«  l'Église,  et  qui,  nonobstant  les  sentiments  supérieurs, 
«  ne  laisse  pas  de  contrister  dans  son  obstination,  je  puis 
«  vous  assurer  en  Notre-Seigneur  que  je  vous  rendrai 


(1)  J.  de  Maistre,  dans  son  livre  de  l'Église  gallicane,  l'avait  déjà 
flétrie  en  la  qualifiant  d'hypocrite  et  de  vile.  Et  M.  l'abbé  Houssaye, 
dans  ses  études  magistrales  sur  le  cardinal  de  Bérulle,  a  parfaitement  ré- 
sumé ses  déplorables  suites  :  «  Qui  ne  sait,  dit-il,  les  ravages  qu'elle  fit 
dans  l'Église  de  France,  dont  elle  divisa  les  forces;  dans  les  âmes  qu'elle 
séduisit  par  l'apparente  rigueur  de  ses  principes,  le  talent  de  ses  docteurs, 
les  incontestables  vertus  de  quelques-uns  de  ses  disciples;  dans  la  société 
tout  entière,  où  elle  jeta  des  semences  trop  fécondes  de  révolte  contre 
l'an lorité.  »  M.  de  Bérulle  et  les  Carmélites  de  France,  t.  I,  p.  8.  Et  il 
ajoute  :  «  Qu'on  lise  le  mémoire  confidentiel  adressé,  en  1705,  au  Souve- 
rain Pontife  par  Fénelon,  et  on  sera  confondu  de  voir  avec  quelle  passion 
non  seulement  des  docteurs  séculiers,  mais  les  théologiens  des  ordres  les 
plus  réformés,  des  compagnies  les  plus  pieuses,  s'étaient  enrôlés  sous  la 
bannière  de  l'évêque  d'Ypres.  Saint-Sulpice  seul  résistait  avec  cette  foi 
sûre,  ce  bon  sens  modeste  et  ferme  qui  lui  attira  les  hautaines  injures 
de  Saint-Simon.  » 

ÉGLISE    SAINT-SULPICE.  7 


98  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  tous  les  devoirs  que  vous  pouvez  attendre  de  ma  eon- 
«  dition.  Je  me  fie  en  Notre-Seigneur,  en  qui  j'ai  pris  les 
«  ordres  et  la  puissance  de  vous  conduire;  et,  d'autant 
«  plus  que  je  me  trouve  dépendant  de  lui,  autant  je  me 
«  trouve  en  impuissance  et  en  interdit  de  servir  les  âmes 
«  qui  se  jettent  en  un  parti  contraire  et  injurieux  à  son 
«  épouse,  la  sainte  Église  (1).  » 

Dès  16i5,  ils  avaient  fait  nommer  un  des  leurs,  M.  du 
Hamel ,  à  la  cure  de  Saint-Merry  qui  affectait  une  sorte 
de  rivalité  avec  celle  de  Saint-Sulpice ,  et  ils  étaient  par- 
venus à  y  attirer  de  grands  personnages,  entre  autres  le  duc 
et  la  duchesse  de  Liancourt,  qui  avaient  leur  hôtel,  rue 
de  Seine,  près  Saint-Sulpice;  le  duc  de  Luynes  et  les  ha- 
bitants de  l'hôtel  de  Nevers  qui  appartenait  au  comte  du 
Plessis-Guénégaud.  Aussitôt  que  le  nouveau  curé  de  Saint- 
Merry  y  eut  établi  la  pénitence  publique,  M.  Olier  crut 
nécessaire  de  la  combattre;  et,  le  jour  delà  fête  de  saint 
Sulpice ,  il  monta  en  chaire  pour  s'élever  contre  la  pré- 
tendue nécessité  de  cette  pénitence  pour  tous  les  pé- 
cheurs et  contre  la  prédication  de  l'inutilité  de  l'absolu- 
tion, non  précédée  de  la  satisfaction  et  de  la  contrition 
parfaite.  C'était,  en  effet,  avec  ce  rigorisme  outré,  que 
saint  Vincent  de  Paul  constatait  à  Saint-Sulpice  3.000  com- 
munions de  moins  que  les  années  précédentes. 

Il  fit  plus;  il  sollicita  et  obtint  du  Chancelier  l'interdic- 
tion pour  les  prédicateurs  de  la  secte,  entre  autres  pour 
les  Pères  Desmares  et  Esprit,  Oratoriens,  de  prêcher  dans 
Paris. 

La  Reine ,  du  reste ,  n'était  pas  disposée  à  favoriser  les 
Jansénistes,  depuis  les  troubles  de  la  première  Fronde, 
où  ils  cherchèrent  à  former  une  armée,  sous  le  nom  de 
VOEuvre  sainte ,  pour  faire  la  guerre  au  Roi;  elle  n'igno- 


(1    Lettre  256,  à  la  marquise  de  Portes,  premiers  mois  de  1G53,  éd. 
Gainon. 


i 


M.  OLIER  (1642-1652).  99 

rait  pas  d'ailleurs  qu'ils  encourageaient  les  plus  mons- 
trueux dérèglements,  en  soutenant  que  nous  péchons  par 
faute  de  grâce  et  non  par  abus  de  notre  liberté. 

Tant  de  travaux  avaient  épuisé  la  santé  de  M.  Olier. 
Son  médecin  lui  prescrivit  un  voyage  dans  le  midi,  qui 
ne  fut  pour  lui  qu'une  occasion  nouvelle  de  se  sanctifier 
davantage. 

Il  s'arrêta  en  pèlerin  aux  sanctuaires  les  plus  célèbres  : 
à  Chàtillon-sur-Seine,  où  le  culte  de  Marie  était  en  hon- 
neur ;  à  Clairvaux,  où  il  resta  deux  jours  en  prières  dans  la 
cellule  de  saint  Bernard;  à  Dijon,  qui  le  retint  dix  jours 
à  sa  Chartreuse,  dont  l'abbé  l'associa,  lui  et  son  Sémi- 
naire, à  tous  les  mérites  de  ses  religieux;  dans  le  Jura, 
où,  après  s'être  égaré  dans  la  montagne,  il  passa  tout  un 
jour  à  vénérer  le  corps  de  saint  Claude;  à  Annecy,  où 
il  pria  longtemps  au  tombeau  de  saint  François  de  Sales. 

Il  ne  manqua  pas  non  plus  de  visiter  les  personnages 
les  plus  vénérables  des  lieux  qu'il  traversait  : 

ABeaune,  la  sœur  Marguerite  du  Saint-Sacrement,  car- 
mélite, à  laquelle  il  donna  le  crucifix  qu'il  portait  tou- 
jours sur  lui;  c'était  celui  qu'il  tenait  de  la  Mère  Agnès, 
dont  il  décida  le  Père  Amelotte  à  écrire  la  vie,  après 
qu'il  eut  introduit  à  Saint -Sulpice  les  pratiques  de  la 
dévotion  de  cette  grande  servante  de  Dieu  à  l'enfance  du 
Sauveur,  dont  il  fit  célébrer  l'office  le  25  de  chaque  mois 
et  dont  un  prêtre  de  la  Communauté,  le  futur  archevêque 
de  Cambrai,  Fénelon,  composa  plus  tard  les  litanies; 

A  Valence ,  la  pieuse  fille  Marie  Teissonnière ,  après  la 
mort  de  laquelle  il  revint  prier  sur  son  tombeau  comme 
sur  celui  d'une  sainte  (1)  ; 


(1)  Ce  fut  à  son  retour  à  Valence,  qu'étant  allé  chez  un  peintre  pour 
acheter  le  portrait  de  Marie  Teissonnière,  il  remarqua  dans  l'atelier  une 
toile  obscène,  qu'il  acheta  incontinent  pour  la  déchirer  et  la  brûler  sous 
les  veux  de  l'artiste. 


100  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULHCE. 

Au  Pont-Saint-Esprit,  la  Mère  Françoise  de   Mazelli, 
fondatrice  du  couvent  de  la  Visitation  de  cette  ville; 

A  Avignon,  la  Mère  de  Saint-Michel,  morte,  quelque 
temps  après,  en  odeur  de  sainteté. 

Ce  voyage  ne  lui  fut  pas  salutaire;  il  revint  aussi  faible 
qu'il  était  parti  ;  le  repos  seul  eût  pu  le  remettre  ;  mais  il  lui 
était  odieux.  L'hiver  aggrava  encore  son  état;  et  en  juin 
1852,  une  station  de  toute  une  nuit  qu'il  fit  devant  la 
châsse  de  sainte  Geneviève  provoqua  une  fièvre  intense 
qui  mit  ses  jours  en  danger  et  lui  fit  recevoir  les  derniers 
sacrements.  Il  guérit  cependant,  suivant  l'assurance  que 
lui  en  avait  donnée  la  Très  Sainte  Vierge;  mais  il  crut 
devoir  se  démettre  de  sa  cure  entre  les  mains  de  l'abbé 
de  Saint-Germain,  qui  la  confia  à  M.  de  Bretonvilliers, 
son  disciple,  h  qui  il  avait  prédit  lui-même  qu'il  serait  son 
successeur. 

Quelques  semaines  après,  son  médecin  l'envoyait  aux 
eaux  de  Bourbon. 

Ce  nouveau  voyage  fut  pour  lui  l'occasion  de  l'établis- 
sement du  séminaire  de  Viviers,  qui  devint  bientôt  une 
source  de  grâces  pour  les  vastes  régions  de  l'Auvergne, 
du  Comtat,  du  Dauphiné  et  de  la  Provence.  Il  prépara 
également  la  création  de  celui  d'Avignon  et  ne  fut  pas 
étranger  à  celle  des  séminaires  de  Toulouse,  de  Saint- 
Irénée  de  Lyon  et  de  Besançon,  dont  un  de  ses  disciples, 
M.  de  Villetertre,  devint  supérieur. 

Mais  le  zèle  apostolique  dont  il  était  rempli  et  qui  lui 
avait  fait  désirer  de  former  de  bons  prêtres  pour  gagner 
par  eux  le  plus  grand  nombre  possible  d'âmes  à  Jésus- 
Christ,  le  poussa  jusqu'à  renoncer  à  la  conduite  de  son 
séminaire  pour  aller  en  Perse  travailler  à  l'extension  de 
la  Foi.  L'évêque  d'Ispahan  venait  de  rentrer  en  France  et 
le  Schah  se  faisait  fort  de  procurer  à  l'Église  romaine  la 
soumission  de  quatre-vingts  évèques  arméniens  schisma- 
tiques  de  ses  États,  si  le  Pape  lui  envoyait  un  délégué  qui 


M.  OLIER  (16i2-1652).  101 

ne  fût  ni  italien,  ni  anglais,  ni  espagnol.  C'est  alors  que 
le  Nonce  offrit  à  M.  Olier  le  siège  de  Babylone  que  ses 
confrères  l'empêchèrent  d'accepter,  pour  le  laisser,  sui- 
vant l'avis  du  Père  de  Rhodes  lui-même,  tout  à  son  tra- 
vail de  rénovation  de  l'ordre  sacerdotal  en  France. 

Il  se  dédommagea  de  ces  entraves  à  ses  désirs  en  met- 
tant à  exécution  le  dessein  qu'il  avait  formé  depuis 
longtemps  d'aller  travailler  à  la  conversion  des  héréti- 
ques des  Cévennes;  et  malgré  ses  infirmités  et  la  rigueur 
de  l'hiver,  il  se  mit  en  route  avec  quelques-uns  de  ses 
prêtres,  pour  aller  droit  à  Privas,  le  boulevard  de  l'hé- 
résie. En  quelques  semaines,  il  transforma  cette  ville ,  y 
décupla  le  nombre  des  catholiques  et  y  ouvrit  plusieurs 
petites  écoles  pour  les  enfants  des  huguenots.  A  son 
retour,  il  s'arrêta  au  Puy  pour  y  fonder  une  maison  d'é- 
ducation spéciale  aux  enfants  de  huguenots,  dont  les 
parents  voulaient  les  contier  à  des  ecclésiastiques.  Ce  fut 
là  le  prélude  de  plusieurs  autres  établissements  sembla- 
bles qui  s'ouvrirent  en  France  sous  le  nom  de  Propaga- 
tion de  la  Foi  ou  du  Saint-Sacrement. 

Mais  l'œuvre  qu'il  eut  le  plus  à  cœur,  après  celle  de  la 
sanctification  du  clergé  et  du  retour  de  l'Angleterre  à 
l'unité  catholique,  fut  celle  de  la  conversion  des  sauvages 
du  Canada  ou  Nouvelle  France ,  dont  il  se  préoccupait  dès 
les  premières  années  de  son  sacerdoce. 

Peiné  de  voir  que  l'ambition  ou  l'intérêt  avaient  seuls 
inspiré  les  Compagnies  qui,  depuis  plus  d'un  siècle  que 
ce  pays  était  soumis  à  la  France,  exploitaient  ses  ri- 
chesses, il  résolut  à  son  tour  d'en  former  une  qui  n'eût 
d'autre  but  que  le  salut  de  ces  nations  abandonnées  ;  et 
sachant  que  Québec,  le  seul  établissement  qui  y  fût  encore 
ouvert,  était  trop  éloigné  pour  les  sauvages,  il  conçut  le 
projet  de  bâtir,  dans  l'Ile  de  Montréal,  une  ville  qui  serait 
à  la  fois  le  siège  des  missions,  une  barrière  contre  les 
incursions  des  sauvages,  et  le  centre  de  leur  commerce , 


102  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

et  qu'il  consacrerait  à  la  Sainte  Vierge,  sous  le  nom  de 
Ville  Marie. 

De  l'aveu  du  P.  Leclercq,  missionnaire  récollet,  il  n'y 
eut  pas  de  dessein  mieux  combiné  ni  plus  désintéressé.  Il 
fut  aidé  dans  son  exécution  par  M.  de  la  Dauversière  qui, 
de  son  côté,  avait  formé  un  plan  analogue,  et  il  lui  remit 
cent  louis  d'or  pour  jeter  les  premiers  fondements  d'une 
colonie  dans  cette  ile,  encore  inculte  et  déserte.  En  même 
temps  il  forma  une  association  de  personnes  riches  et 
zélées  sous  le  nom  de  «  Société  de  Notre-Dame  de  Mon- 
tréal »  et  lui  obtint  du  Saint-Siège  d'abondantes  indul- 
gences. M.  de  la  Dauversière,  qui  en  fut  le  procureur, 
obtint  de  M.  de  Lauzon,  intendant  du  Dauphiné,  par  acte 
du  17  août  16-VO,  la  cession  de  l 'ile  de  Montréal  au  profit 
de  M.  Olier  et  des  autres  membres  de  la  Société,  et  y 
envoya,  comme  premiers  colons,  quarante  hommes  sous 
la  conduite  d'un  chef  habile,  M.  de  Maisonneuve. 

M.  Olier  consacra  la  colonie  naissante,  en  février  16 12, 
à  la  Sainte  Famille,  dans  l'église  de  Notre-Dame,  et  ne 
cessa  jamais  de  nourrir  l'espoir  de  s'y  rendre  lui-même. 
M"  Manse,  de  Langres,  s'offrit  alors  à  lui  pour  aller  y 
soigner  les  malades,  en  même  temps  qu'une  fille  non 
moins  dévouée,  de  Troyes,  Mlle  Marguerite  Bourgeois, 
y  partit  de  son  côté  pour  y  fonder,  en  faveur  de  l'ins- 
truction des  petites  filles,  une  congrégation  aujourd'hui 
encore  très  nombreuse  et  très  prospère. 

La  première  mission  qu'il  y  envoya  à  la  demande  de  la 
Société  et  dont  il  accepta  la  conduite,  se  composa  de 
MM.  de  Queylus,  Souart,  Galinieret  d'Allet;  et  lorsqu'elle 
s'y  fut  développée,  il  songea  à  affermir  la  colonie  par 
l'érection  d'un  Siège  épiscopal,  pour  lequel  il  proposa 
M.  de  Queylus.  En  outre,  par  son  testament,  il  laissa 
10.000  livres  pour  la  dotation  de  l'évèque  et  de  son  cha- 
pitre. 

Les  dernières  années  de  M.  Olier  furent  des  années  de 


M.  OLIER  (1642-1652).  103 

souffrances  physiques  et  de  sécheresses  morales,  qu'il 
supporta  constamment  avec  la  plus  admirable  patience. 
Atteint  de  paralysie  d'une  moitié  du  corps,  au  Péray, 
près  CorJjeil ,  chez  Mrae  Tronson,  en  septembre  1653,  ce 
mal,  qu'il  sentit  s'aggraver  d'année  en  année,  ne  fit  que  le 
fortifier  dans  sa  résolution  de  tout  souffrir  en  union  à 
Notre-Seigneur  attaché  à  la  croix,  et  de  redoubler  de  zèle 
à  son  service.  Ce  fut  alors,  en  effet,  que  conservant  toute 
la  liberté  de  son  esprit,  il  composa  plusieurs  ouvrages  du 
plus  grand  mérite  pour  le  bien  des  âmes  :  le  Catéchisme 
chrétien,  pour  la  vie  intérieure;  Y  Introduction  à  la  vie  et 
aux  vertus  chrétiennes  ;  Y  Explication  des  cérémonies  de 
la  grand'messe  de  paroisse. 

Sentant  sa  fin  approcher,  il  renouvela  ses  pèlerinages 
au  Puy  d'abord  et  ensuite  à  Notre-Dame  des  Anges,  près 
le  château  d'Avron,  annonça  sa  mort,  le  premier  jour 
du  Carême  de  1657,  et  eut  avec  M.  de  Breton villiers  sur  la 
conduite  et  les  règlements  du  séminaire  de  longs  entre- 
tiens que  ce  dernier  eut  soin  de  consigner  par  écrit  et 
dont  M.  Tronson,  en  1678,  tira  le  Règlement  des  Supé- 
rieurs et  Directeurs  des  séminaires  de  province. 

Enfin  une  dernière  attaque  d'apoplexie  l'enleva  le 
lundi  de  Pâques,  1"  avril  1657.  Il  n'avait  que  quarante - 
huit  ans. 

Saint  Vincent  de  Paul,  qui  était  présent  à  ses  derniers 
moments,  le  regardait  comme  un  saint  et  ne  cessa  pas 
de  l'invoquer  pendant  les  trois  années  qu'il  lui  survécut. 
Et  trois  guérisons,  qui  ont  tous  les  caractères  de  guéri- 
sons  miraculeuses  :  celle  de  Mlle  Manse  au  contact  de  son 
cœur;  celle  du  marin  Trescartes,  au  Havre,  par  l'attou- 
chement d'un  linge  imbibé  de  son  sang;  et,  en  18i6,  celle 
de  la  sœur  Dufresne,  à  l'hôtel-Dieu  de  Montréal,  corro- 
borent le  témoignage,  déjà  si  considérable  par  lui- 
même,  de  saint  Vincent  de  Paul. 

Aujourd'hui  la  cour  de  Rome  est  nantie  des  pièces  du 


104  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

procès  tendant  à  l'introduction  de  la  cause  de  sa  canoni- 
sation, et  les  paroissiens  de  Saint-Sulpice  peuvent  adres- 
ser avec  confiance  leurs  plus  ferventes  prières  à  Notre-Sei- 
gneur  et  à  sa  sainte  Mère,  qu'il  a  tant  aimés,  pour  qu'ils 
daignent  hâter  le  jour  où  la  déclaration  par  le  Saint-Siège 
de  son  titre  de  bienheureux  leur  permettra  de  l'invoquer 
publiquement;  caria  vie  admirable  de  ce  grand  homme, 
dans  laquelle  le  surnaturel  se  rencontre  si  souvent,  ma- 
nifeste avec  éclat,  dans  chacune  de  ses  phases,  sa  sain- 
teté éminente,  par  les  grâces  insignes  dont  Dieu  l'a  pré- 
venu, par  sa  fidélité  constante  à  y  correspondre,  mais 
surtout  par  l'objet  de  sa  mission  et  par  la  permanence  de 
son  œuvre. 

L'œuvre  capitale  à  laquelle  M.  Olier  a  consacré  sa  vie,  a 
été,  en  effet,  l'établissement  du  séminaire  de  Saint-Sulpice, 
pour  y  former  lui-même  de  saints  prêtres,  et  en  même 
temps  la  fondation  de  la  Compagnie  qui  devait,  après 
lui,  continuer  cette  œuvre  unique. 

Or,  ces  deux  créations  simultanées  et  connexes  suffi- 
raient à  elles  seules,  par  leur  importance  et  leurs  diffi- 
cultés, à  prouver  que  leur  auteur  était  vraiment  l'élu 
de  Dieu. 

En  ce  qui  touche  d'abord  celle  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qu'avant  M.  Olier 
cette  grande  œuvre  des  séminaires,  quoique  ordonnée  par 
le  concile  de  Trente  comme  le  moyen  le  plus  efficace  de 
renouveler  le  clergé  et  de  réformer  l'Église ,  n'existait  pas. 

Saint  Charles  Borromée  l'avait  bien,  il  est  vrai,  com- 
mencée en  Italie.  Mais  son  premier  essai  n'était  qu'une 
ébauche;  ses  règlements  pour  la  conduite  de  ses  maisons 
cléricales  pouvaient  bien  s'adapter  aux  besoins  et  aux 
mœurs  de  l'Italie  ;  mais  en  France ,  s'ils  suffisaient  pour 
de  jeunes  écoliers  qu'il  faut  maintenir  dans  le  devoir  par 
une  vigilance  constante  et  une  exacte  discipline,  ils  ne 
convenaient   pas  à  des  élèves   du    sanctuaire,   engagés 


M.  OLIER  (1642-1652).  105 

déjà  clans  les  saints  Ordres  ou  près  de  les  recevoir,  et  qui 
n'entraient  d'eux-mêmes  dans  ces  maisons  que  pour  se 
perfectionner  dans  l'exercice  et  les  vertus  de  leur  saint 
état.  Aussi  leur  application  ne  donna-t-elle  aucun  résul- 
tat satisfaisant  dans  les  diocèses  qui  les  adoptèrent ,  tels 
que  ceux  de  Bordeaux,  d'Agen,  de  Limoges,  de  Reims  et 
de  Rouen.  Saint  Vincent  de  Paul  n'avait  pas  mieux  réussi 
dans  son  collège  des  Bons-Enfants.  Et  l'Oratoire  lui-même, 
qui  semblait  tout  d'abord  avoir  pour  mission  spéciale  la 
formation  du  clergé,  se  bornait  dans  la  maison  de  Saint- 
Magloire,  reconnue  cependant,  depuis  vingt-trois  ans 
déjà,  comme  séminaire  diocésain,  à  y  enseigner  la  théo- 
logie à  ceux  de  ses  élèves  qui  se  destinaient  à  l'état  ecclé- 
siastique et  limitait  ses  exercices  pour  les  Ordinands  à  la 
retraite  de  dix  jours  prescrite  par  l'archevêque  de  Paris, 
Mgr  de  Gondy. 

Dès  lors  les  évêques  de  France  en  étaient  toujours  à 
chercher  la  forme  à  donner  à  ces  noviciats  du  sacerdoce, 
pour  que  les  jeunes  clercs  qui  en  sortiraient  fussent  péné- 
trés suffisamment  de  l'esprit  ecclésiastique. 

Le  séminaire  de  Saint- Sulpice  fut  ainsi  le  premier 
grand  séminaire  établi  en  France;  et  la  perfection  de 
son  organisation,  comme  l'excellence  de  ses  résultats,  le 
firent  considérer  bien  vite  comme  un  modèle  sur  lequel 
la  plupart  des  évèques  s'empressèrent  de  calquer  les  leurs. 

La  création  de  la  Compagnie  de  Saint-Sulpice ,  condi- 
tion indispensable  de  la  durée  du  séminaire  lui-même, 
était  tout  aussi  nécessaire  et  non  moins  difficile  :  car  il 
n'est  pas  aisé  de  réunir  des  prêtres,  d'une  science  et  d'une 
vertu  éprouvées,  qui  consentent  à  se  vouer  exclusivement, 
toule  leur  vie,  à  la  formation  des  jeunes  clercs.  Saint 
François  de  Sales  avait  échoué  dans  ses  efforts  pour  doter 
son  diocèse  d'un  séminaire,  parce  qu'il  n'avait  jamais  pu 
parvenir  à  former  trois  hommes  capables  d'en  prendre 
la  direction. 


106  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  J'avoue,  disait-il  à  M.  Bourdoise,  qu'il  n'y  a  rien  de 
«  plus  nécessaire  dans  l'Église  que  la  formation  des  ecclé- 
«  siastiques.  Mais  après  avoir  travaillé  moi-même  pendant 
«  dix-sept  ans  à  former  seulement  trois  prêtres,  tels  que 
«  je  les  souhaitais,  pour  m' aider  à  réformer  le  clergé  de 
«  mon  diocèse,  je  n'ai  pu  en  former  qiiim  et  demi;  et  je 
«  n'ai  pensé  aux  filles  de  la  Visitation  que  lorsque  j'ai  eu 
«  perdu  tout  espoir  à  l'égard  des  ecclésiastiques  (1).  » 

Aussi  M.  Bourdoise,  en  voyant  la  facilité  avec  laquelle 
M.  Olier  jetait  les  fondements  de  son  nouvel  Institut,  au 
milieu  des  plus  rudes  et  des  plus  humiliantes  épreuves, 
voyait  là  l'œuvre  de  Dieu  (2). 

«  L'érection  d'une  nouvelle  communauté  dans  l'Église, 
«  écrivait-il,  n'est  pas  une  œuvre  triviale  et  ordinaire. 
«  Dieu  ue  donne  pas  son  esprit  à  toutes  sortes  de  per- 
«  sonnes  indifféremment  pour  établir  des  Instituts  ;  mais 
«  ceux  qu'il  choisit  pour  ces  entreprises,  il  les  dispose  par 
«  des  voies  qui  n'ont  rien  d'humain,  c'est-à-dire  qu'il  les 
«  fait  passer  par  les  croix,  et  les  humiliations,  les  persé- 
«  cutions  accompagnées  de  patience,  de  fidélité,  de  cou- 
«  rage  et  de  persévérance,  tenant  sur  eux  une  conduite 
«  de  grâce  peu  commune  (3).  » 

Combien  ce  saint  prêtre  eût  été  confirmé  dans  son 
opinion  s'il  avait  pu  constater,  comme  nous,  le  dévelop- 
pement progressif  et  continu  de  l'œuvre  de  M.  Olier,  qui, 
aujourd'hui,  s'étend  à  34  séminaires,  tant  en  France  qu'aux 
États-Unis  et  au  Canada,  dirigés  par  près  de  400  membres 
de  sa  Compagnie,  tous  animés  de  son  esprit  et  donnant 
partout  l'exemple  de  ses  vertus  (4). 


(1)  Vie  de  M.  Bourdoise,  Ms.  in-4°,  p.  110. 

[2  Pendant  plus  de  trente  ans,  M.  Bourdoise  essaya  en  vain  d'établir 
un  séminaire  et  ne  réussit  qu'à  former  une  communauté  de  prêtres  de 
paroisse  à  Saint-Nicolas  du  Cliardonnet. 

(3)  Vie  de  M.  Bourdoise,  Ms.  in-fn,  p.  1093. 
i    La  Compagnie  de  Saint-Sulpice  dirige  vingt-neuf  grands  séminaires  : 


M.  OLIER  (1642-1652).  107 

Nous  pouvons  donc,  avec  ce  grand  serviteur  de  Dieu, 
regarder  M.  Olier,  à  raison  de  l'importance,  de  la  diffi- 
culté, du  succès  et  de  la  permanence  de  son  œuvre, 
comme  un  des  hommes  de  la  droite  du  Très-Haut,  choisi 
par  lui  pour  être  l'instrument  principal  du  relèvement 
de  l'Église  de  France  au  dix-septième  siècle  (1). 


vingt-quatre  en  France,  quatre  aux  États-Unis,  à  Baltimore,  à  Boston,  à 
New  York  et  à  San-Francisco,  et  un  à  Montréal,  au  Canada,  plus  les  cinq 
séminaires  des  Instituts  catholiques  de  Paris,  Lyon,  Angers,  Toulouse  et  de 
l'Université  de  Washington,  et  les  petits  séminaires  de  Montréal,  de  Balti- 
more et  de  San-Francisco. 

(1)  M.  Baudrand,  le  quatrième  successeur  de  M.  Olier  dans  la  cure  de 
Saint-Sulpice,  et  qui  l'avait  connu  dans  sa  jeunesse,  a  fait  de  lui  le  por- 
trait suivant  : 

«  Il  était  d'une  taille  médiocre,  un  peu  replet;  il  avait  le  port  libre, 
«  dégagé,  avantageux.  Sa  complexion  était  sanguine,  délicate  quoique 
«  forte  et  robuste,  s'il  ne  l'eût  point  altérée  par  ses  jeûnes ,  ses  longues 
«  veilles  et  sa  rigoureuse  pénitence.  Son  teint  était  blanc  et  mêlé  de 
«  vermeil;  son  visage  plein,  son  nez  aquilin,  son  front  large  et  se- 
«  rein;  il  avait  les  yeux  vifs,  remplis  d'un  feu  doux  et  engageant,  la 
«  physionomie  fine,  la  bouche  d'une  grandeur  médiocre,  les  lèvres  ver- 
«  meilles,  la  voix  belle  et  argentine,,  flexible,  la  prononciation  libre  et 
•<  dévote,  soutenue  d'une  éloquence  mâle,  élevée  et  si  heureuse  que  sur- 
«  le-champ,  sans  étude  et  sans  rien  puiser  que  dans  son  propre  fonds, 
«  il  ravissait  les  esprits  et  enlevait  les  cœurs.  Enfin,  il  avait  le  visage  beau, 
«  agréable  et  bien  proportionné,  accompagné  d'un  air  de  tant  de  grâce,  de 
«  modestie  et  de  majesté,  qu'il  était  impossible  de  l'approcher  sans  en 
«  concevoir  de  l'estime  et  du  respect  et  sans  en  être  élevé  à  Dieu.  » 
Mémoire  manuscrit  à  laBibl.  nationale  et  Nagot,  Vie  de  M.  Olier,  p.  320. 

Son  portrait  que  nous  donnons  ci-dessus,  page  33,  est  la  reproduction  de 
celui  qui  a  été  peint  par  Stresor  et  gravé  par  Boulanger. 


CHAPITRE  IV 

M.   DE   BRETOXVILLIERS    (1652-1658). 


Sommaire  :  Il  succède,  à  trente-deux  ans,  à  M.  Olier  comme  cure  de  Saint-Sul- 
pice.  —  Son  origine.  —  Ses  premières  études.  —  Il  embrasse  l'état  ecclésias- 
tique sous  la  conduite  de  M.  Olier.  —  Ses  talents;  sa  grande  fortune;  son  hu- 
milité :  sa  vie  pauvre  et  mortifiée.  —  Sa  tendre  piété  envers  la  Sainte  Vierge. 
—  Son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu.  —  Son  application  à  continuer  toutes  les 
œuvres  de  M.  Olier.  selon  ses  vues  et  son  esprit.  —  Estime  dont  il  jouit  dans 
le  clergé  de  Paris.  —  Générosité  de  ses  dons  pour  la  construction  de  la  nou- 
velle église.  —  Sa  démission  de  la  cure. 


M.  de  Bretonvilliers  n'avait  que  trente-deux  ans  lors- 
que, le  19  juin  1652.  il  prit  possession  de  la  cure  de 
Saint-Sulpice,  en  remplacement  de  M.  Olier  qui  se  plai- 
sait à  l'appeler  son  cher  enfant. 

Né  à  Paris  en  1620,  M.  Alexandre  le  Ragois  de  Breton- 
villiers était  le  second  fils  de  M.  de  Bretonvilliers,  con- 
seiller d'Etat  et  secrétaire  du  Conseil  du  Roi.  Après  avoir 
fait  ses  premières  études  au  collège  de  Navarre  avec 
M.  Tronson  et  les  avoir  achevées  chez  les  jésuites  (1),  il  se 
livra  à  celle  du  droit.  Lorsqu'il  l'eut  terminée,  son  père 
aurait  voulu  l'attacher  à  la  personne  de  M.  d'Avaux,  son 
parent,  notre  ministre  plénipotentiaire  au  congrès  de 
Munster,  pour  ensuite,  à  son  retour,  se  démettre  en  sa 
faveur  de  sa  charge  qui  valait  un  million.  Mais  déjà  le 
jeune  homme  songeait  à  se  faire  prêtre,  même  jésuite, 

(1)  Au  collège  de  Clermont. 


M.  DE  BRETONVILLIERS  (1652-1658).  109 

lorsque  s'étant  rencontré  avec  M.  Olier,  il  fut  tellement 
séduit  par  sa  modestie,  sa  piété  et  le  charme  de  sa  con- 
versation, qu'il  éprouva  un  vif  désir  d'entrer  en  relations 
plus  étroites  avec  lui.  De  son  côté,  M.  Olier,  prévenu  en 
sa  faveur  par  son  ingénuité,  la  candeur  et  la  droiture  de 
son  âme,  le  prit  bientôt  en  affection,  et  fut  assuré,  un 
jour  qu'il  avait  dit  la  messe  pour  lui,  que  la  Providence 
le  destinait  à  collaborer  à  son  œuvre. 

A  dater  de  ce  moment,  le  jeune  de  Bretonvilliers  réso- 
lut d'embrasser,  sous  sa  conduite,  l'état  ecclésiastique.  Il 
s'en  ouvrit  à  son  père  qui  tout  d'abord  en  éprouva  un 
très  vif  chagrin;  car  c'était  le  renversement  de  tous  ses 
rêves  d'avenir  pour  ce  fils  bien-aimé.  Mais  très  pieux  lui- 
même,  il  prit  conseil  de  M.  Olier  qu'il  vénérait  et  qui  lui 
affirma  que  c'était  bien  là  un  appel  de  Dieu  ;  et  se  rap- 
pelant ce  que  lui  avait  dit  le  Père  Georges,  capucin,  alors 
que  son  fils  n'avait  que  neuf  à  dix  ans  :  «  Élevez  bien  cet 
«  enfant;  car  Dieu  le  destine  à  être  un  jour  à  la  tête 
«  d une  communauté  considérable  d'ecclésiastiques ,  »  il 
se  résigna,  amena  lui-même  son  fils  au  presbytère  de 
Saint-Sulpice ,  le  19  juin  1643,  lui  donna  sa  bénédiction 
et  le  confia  à  M.  Olier. 

La  joie  fut  grande  dans  la  Communauté;  c'était  pour 
elle  une  précieuse  recrue  que  ce  jeune  homme  simple, 
franc,  ouvert,  charitable,  d'une  pureté  angélique,  d'uue 
tendre  piété  envers  la  Sainte  Vierge  et  si  porté  déjà  à 
l'oraison,  que  ses  condisciples  le  surnommèrent  bientôt 
le  grand  prieur  de  France.  Son  esprit  cultivé,  sa  mémoire 
heureuse  et  son  ferme  bon  sens  lui  permirent  d'acquérir, 
en  moins  de  quatre  années  d'études,  une  vraie  science 
théologique.  Une  fois  admis  aux  saints  ordres,  son  père, 
qui  jouissait  d'une  grande  faveur  auprès  de  la  Reine  et  du 
cardinal  de  Richelieu,  chercha  à  le  produire  à  la  cour  en 
qualité  d'aumônier  du  Roi.  Mais  il  s'y  refusa  en  disant 
qu'il  n'avait  pas  quitté  le  monde  pour  y  rentrer;  que 


110  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAIINT-SULPICE. 

toute  son  ambition  était  de  devenir  un  bon  prêtre,  de 
procurer  la  gloire  de  Dieu  et  son  salut.  Son  père  n'insista 
pas.  Peu  de  temps  après,  il  eut  le  malheur  de  le  perdre, 
ainsi  que  son  frère  aine,  et  hérita  d'eux  de  plus  de  40.000 
écus  de  rente  (2i0.000  francs),  qui  le  rendirent  le  plus 
riche  ecclésiastique  de  France ,  bien  qu'il  n'eût  aucun  bé- 
néfice. Cette  énorme  fortune  n'enfla  pas  son  cœur;  il  s'hu- 
milia, au  contraire,  de  se  voir  dans  un  état  si  contraire  à 
celui  qu'avait  choisi  le  Fils  de  Dieu ,  ne  se  regarda  plus 
que  comme  le  trésorier  des  pauvres  et  le  dépositaire  de 
leurs  biens,  et  considérant  la  Très  Sainte  Vierge  comme 
sa  souveraine  et,  à  ce  titre,  maîtresse  de  sa  fortune,  ne 
voulut  plus  en  disposer  que  sous  son  autorité  et  en  son 
nom. 

Aussi  personne  n'était-il  plus  pauvre  que  lui  dans  ses 
meubles,  son  linge,  ses  habits.  Il  ne  quittait  ceux  qu'il 
portait  qu'à  la  dernière  exlrémité,  et  les  pauvres  eux- 
mêmes  les  refusaient  comme  étant  trop  usés. 

Constamment  en  la  présence  de  Dieu,  il  ne  commen- 
çait jamais  une  action  sans  la  lui  avoir  olferte.  Sa  vie  était 
une  oraison  continuelle.  A  Paris,  il  entrait  à  l'église  entre 
huit  et  neuf  heures  du  matin,  et  n'en  sortait  qu'à  une 
heure,  employant  tout  ce  temps  à  préparer  et  à  célébrer 
la  sainte  messe  et  à  faire  ses  oraisons,  quand  la  direction 
des  fidèles  ne  le  réclamait  pas.  Il  ne  disait  son  office  et 
ses  autres  prières  que  le  soir. 

Tous  les  jours,  il  récitait  le  chapelet  de  Notre-Seigneur 
et  celui  de  la  Sainte  Vierge;  il  disait  aussi  celui  de  la 
Sainte  Trinité  et  celui  des  défunts,  l'un  composé  de  cent 
Gloria  Patri,  l'autre  de  cent  Requiem  œternam  doua  eis. 

Son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  était  admirable.  Il  se 
réjouissait  de  la  conversion  des  âmes,  et,  afin  d'y  contri- 
buer lui-même  davantage,  il  donna  des  sommes  considé- 
rables à  l'Hôtel-Dieu  de  Paris  pour  en  agrandir  les  bâti- 
ments et  y  multiplier  les  lits  ;  et  clans  le  désir  ardent  qu'il 


M.  DE  BRETONVILLIERS  (1652-  1G58).  111 

avait  toujours  eu  de  travailler  à  l'évangélisation  des  infi- 
dèles, il  n'était  jamais  plus  heureux  que  lorsqu'il  rece- 
vait des  nouvelles  de  la  propagation  de  la  Foi. 

Sa  tendre  dévotion  envers  la  Très  Sainte  Vierge  re- 
montait à  ses  plus  jeunes  années  :  au  collège  de  Cler- 
mont,  il  entra  de  suite  dans  sa  congrégation  et,  à  dater 
de  ce  moment,  il  dit  tous  les  jours  son  petit  office  et  son 
chapelet  de  six  dizaines ,  entendit  la  messe  de  préférence 
dans  les  églises  ou  aux  autels  qui  lui  étaient  dédiés,  jeûna 
tous  les  samedis,  se  confessa  et  communia  tous  les  diman- 
ches. Elle  s'accrut  encore  sous  l'influence  de  M.  Olier  qui 
mettait  tous  ses  soins  à  la  faire  progresser  dans  son  cher 
disciple ,  par  un  ordre  exprès  de  cette  divine  Mère  qui  lui 
avait  dit,  un  jour,  dans  l'oraison  :  Regardez-le  comme 
mon  enfant  (1).  Au  début  de  chaque  année,  il  allait  lui 
rendre  ses  devoirs  à  Notre-Dame,  qu'il  regardait  comme 
sa  principale  demeure,  lui  demander  la  continuation  de 
ses  bontés  et  lui  renouveler  l'offrande  de  tout  lui-même 
et  de  tout  ce  qui  lui  appartenait  (2).  Chaque  jour,  la  pre- 
mière et  la  dernière  de  sa  prière  était  un  Ave  Maria;  et  il 
n'en  laissait  pas  passer  un  seul  sans  écrire  quelque  chose 
à  son  sujet  et  sans  faire  quelque  aumône  en  son  hon- 
neur, pour  remercier  Dieu  des  grandes  bontés  qu'il  avait 
eues  envers  elle. 

Et  quand  arrivait  le  temps  des  vacances,  il  les  com- 
mençait toujours  par  le  pèlerinage  à  Notre-Dame  des  Ver- 
tus (à  Aubervilliers)  ;  il  les  employait  autant  qu'il  le 
pouvait  à  visiter  les  lieux  où  son  culte  était  le  plus  en 
honneur  (3),   et   il  les  terminait  par   le   pèlerinage  de 


(1)  Simon  de  Doncourt,  ibid.,  4  e  part.,  p.  756. 

(2)  Ibid.,  p.  764. 

(3)  Entre  ces  divers  pèlerinages,  ceux  qui  étaient  le  plus  selon  son 
cœur,  étaient,  en  France,  celui  de  Chartres,  qu'il  faisait  presque  tous  les 
ans,  et  celui  de  Notre-Dame  de  Bethléem,  à  Ferrières  en  Gàtinais,  nommé 
aussi   Ferrières   en   chrétienté,    parce  que    cette  bourgade,  berceau  du 


112  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Notre-Dame  de  toutes  grâces,  chez  les  minimes  de  Chail- 
lot,  où  il  ne  manquait  jamais  d'aller  dire  la  sainte  messe, 
lorsqu'il  séjournait  à  Issy,  parce  que  c'était  pour  lui  un 
plaisir  extrême  de  considérer  la  Très  Sainte  Vierge  sous 
ce  titre  de  Notre-Dame  de  toutes  grâces  (1). 

Entre  les  mains  de  ce  vrai  fils  de  M.  Olier,  le  gouver- 
nement de  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  continua  à  pro- 
duire les  mêmes  fruits  de  bénédiction.  Entrant  dans 
toutes  les  vues  de  son  maître  vénéré,  il  s'appliqua,  avec 
son  assistance,  à  continuer  toutes  ses  œuvres  et  à  affer- 
mir le  règne  de  Dieu  dans  les  âmes,  vaquant  comme 
lui  à  tous  les  devoirs  de  sa  charge  pastorale,  aux  prônes, 
aux  confessions,  à  la  visite  des  malades,  au  soulagement 
des  pauvres,  à  la  surveillance  des  écoles,  à  l'extirpation 
des  vices,  et  s'y  dépensant  avec  une  telle  ardeur  que  sa 
santé  affaiblie  et  sa  poitrine  épuisée  le  jetèrent,  pendant 
de  longs  mois ,  dans  un  grand  accablement. 

Entouré  de  l'estime  de  tout  le  clergé  de  Paris,  il  en 
reçut  la  preuve  en  deux  circonstances  solennelles  : 

Lors  de  l'emprisonnement  au  château  de  Vincennes 
du  cardinal  de  Retz,  qui  s'était  trop  engagé  dans  les  af- 
faires de  la  politique  pendant  les  deux  guerres  civiles, 
les  curés  de  Paris,  privés  de  leur  premier  pasteur  et  ne 
le  jugeant  pas  aussi  coupable  que  le  croyait  la  Cour,  s'as- 
semblèrent pour  délibérer  sur  les  moyens  d'obtenir  son 
élargissement;  et  ce  fut  M.  de  Bretonvilliers  qu'ils  choisi- 


Christianisme  en  France,  aurait  été  la  première  de  notre  pays  appelée  à  la 
lumière  de  la  Foi,  que  seraient  venus  lui  apporter,  onze  ans  seulement  après 
la  mort  de  Notre-Seigneur,  les  trois  disciples  de  saint  Pierre  :  Savinien,  Al- 
tin  et  Polenlien  ;  et  en  Italie,  celui  de  Lorette,  qu'il  fit  en  1671.  En  vertu 
d'un  bref  spécial  du  pape  Léon  XIII,  le  couronnement  de  Notre-Dame  de 
Bethléem  a  eu  lieu,  le  6  septembre  1898,  sous  la  présidence  de  Me*  Tou- 
chet,  évêque  d'Orléans. 

(1)  Il  ne  cessait  pas  de  louer  saint  François  de  Paule  d'avoir  dédié  son 
monastère  à  la  Sainte  Vierge  sous  cet  excellent  titre,  qui  lui  convient  si 
bien. 


M.  DE  BRETONVILLIERS  (1G52-1G58).  113 

rent  pour  porter  aux  pieds  de  Leurs  Majestés  l'expression 
de  leurs  vœux  et  qui  s'acquitta  de  cette  mission  délicate 
avec  un  tact  parfait  et  à  la  satisfaction  de  tous. 

Il  fut  encore  une  autre  fois  député  par  eux  pour  de- 
mander justice  contre  le  livre  "du  Père  Bagot,  qui,  sous 
prétexte  de  défendre  l'épiscopat,  renversait  la  hiérarchie 
et  ruinait  les  droits  des  curés;  et  le  résultat  de  sa  dé- 
marche, dont  il  rendit  compte  à  ses  collègues,  reçut  leur 
approbation  unanime  (1). 

Un  de  ses  plus  ardents  désirs  était  de  voir  avancer  la 
construction  de  la  nouvelle  église  de  Saint-Sulpice.  11  con- 
sacra à  ces  travaux  plus  de  iO.OOO  livres  de  ses  deniers, 
et  légua  à  la  fabrique  une  somme  de  12.000  livres  pour 
leur  continuation  (2).  Ce  fut  aussi  dans  ce  but  qu'il  en- 
gagea le  séminaire  à  acheter  à  un  prix  élevé  la  chapelle 
de  Saint-Jean  l'Évangéliste,  patron  du  clergé  de  Paris, 
dans  l'espoir  que  ce  prix  servirait  de  base  à  celui  de  la 
cession  des  autres  chapelles  (3). 

Il  n'occupa  la  cure  que  pendant  six  ans  et  s'en  démit, 
en  1658,  à  la  mort  de  M.  Olier,  qui  l'avait  désigné  pour 
son  successeur  dans  la  supériorité  du  séminaire,  par  un 
billet  de  sa  main.  Il  vécut  encore  dix-huit  ans,  pour  le 
'  plus  grand  avantage  de  ce  séminaire  qu'il  sut  maintenir 
dans  sa  régularité  première  par  sa  sagesse  et  sa  fermeté. 
Il  y  mourut  le  samedi  13  juin  1G78,  âgé  de  cinquante- 
I  six  ans,  et  y  fut  inhumé,  au-dessus  du  corps  de  M.  Olier, 
dans  la  chapelle  souterraine,  près  de  l'autel,  du  côté  de 


(1)  Simon  de  Doncourt,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  237  et  238. 

(2)  Ibid.,  t.  I,  p.  239  et  240. 

(3)  En  1731,  cette  chapelle  fut  cédée  par  le  séminaire  à  M.  le  curé  Lan- 
guet  de  Gergy  ,  qui  dut  en  faire  abandon  à  Mme  de  Chevreuse,  de  la 
maison  de  Luynes,  en  échange  de  celle  de  Saint-François  de  Sales,  dont  celte 
dame  était  depuis  longtemps  en  possession,  et  que  M.  Languet  fut 
obligé  de  supprimer  pour  en  faire  la  sacristie  des  messes  basses.  Simon 
de  Doncourt,  ibid.,  p.  17  et  239,  en  note. 

ÉGLISE    SAINT-SULPJCE.  8 


114  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

L'Évangile.  La  Compagnie  avait  été  instituée  sa  légataire 
pour  une  grande  partie  de  son  immense  fortune  ;  mais 
par  l'organe  de  son  supérieur,  M.  Tronson,  elle  n'en  re- 
tint à  peu  près  que  la  maison  d'Issy  (1). 


(l)  Bertrand,  Bibliothèque  sulpicienne  ou  Histoire  littéraire  de  la 
Compagnie  de  Saint-Sulpice,  t.  I,  p.  51.  Le  portrait  de  M.  de  Bretonvil- 
liers,  peint  par  Montagne,  a  été  gravé  par  L.  Barbery.  Ibid.  L'inscription 
qu'on  lit  au  bas  de  celte  gravure  résume  bien  les  vertus  éminentes  de  ce 
disciple  de  prédilection  de  M.  Olier  :  Alexander  Le  Ragois  de  Bretonvilliers 
presbyler,  loannis  Iacobi  Olier  lundatoris  et  primi  superioris  seminarii 
Sancli  Sulpitii  successor,  hteres  operis,  aemulus  pietatis;  stupendum  in 
ditissimo  patrimonio  paupertalis  exemplar;  semper  sibi  parcus,  pauperi- 
bus  nunquam,  verè  pauperuin  dator;  spiritu  precum,  sacerdotii  zelo,  ac  Dei- 
parae  Virginis  amoreconspicuus,  obiit  13  Jun.  ann.  Dom.  1670.  /Etat.  sua3  56. 


CHAPITRE  V 
M.  de  poussé  (1658-1678). 


Sommaire  :  L'abbé  de  Saint-Germain  appelle  M.  de  Poussé  à  la  cure  de  Saint- 
Sulpice  en  remplacement  de  M.  de  Bretonvilliers.  —  Ses  antécédents  ;  son 
dévouement  à  ses  fonctions  pastorales.  —  Retraite  donnée  par  le  P.  Eudes.  — 
Prédications  de  Bossuet  et  de  Bourdaloue  à  Saint-Sulpice.  —  Estime  de  Bossuet 
pour  M.  de  Poussé.  —  Développements  donnés  à  la  Compagnie  de  la  Passion 
par  l'abbé  Brenicr.  —  Règlement  de  la  Compagnie  des  Gentilshommes.  — 
Luîtes  de  M.  de  Poussé  contre  le  Jansénisme.  —  Nouvel  attentat  sacrilège  à 
Saint-Sulpice.  —  Sa  réparation.  —  Active  impulsion  donnée  par  M.  de  Poussé 
aux  travaux  de  reconstruction  de  l'église;  dette  de  500.000  francs  qu'ils  en- 
traînent pour  la  Fabrique.  —  Suspension  de  travaux.  —  M.  de  Poussé  résigne 
sa  cure  à  M.  de  la  Barmondière.  —  Sa  retraite  au  presbytère.  —  Sa  mort  édi- 
fiante. 


Son  successeur  dans  la  cure  de  Saint-Sulpice  fut  M.  de 
Poussé,  un  autre  des  premiers  et  des  plus  distingués  dis- 
ciples de  M.  Olier. 

Né  en  1617,  au  diocèse  de  Sens,  Antoine  Ragnier  de 
Poussé  appartenait  à  une  des  premières  familles  de  Cham- 
pagne. A  l'instigation  de  son  ami,  l'abbé  de  Gondrin,  plus 
tard  archevêque  de  Sens,  il  entra  au  séminaire  de  la  rue 
Guisarde  le  1er  septembre  1642,  alors  qu'il  n'était  encore 
que  clerc  et  bachelier  de  Sorbonne.  Sa  piété,  sa  modestie, 
sa  grande  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  (1),  ses  talents 
d'orateur  et  d'écrivain  le  firent  remarquer  de  M.  Olier 


(1)  En  tête  de  toutes  ses  lettres,  il  mettait  cette  devise,  qui  était  déjà 
celle  de  M.  Olier  :  «  Qui  a  Jésus  a  tout  »  ;  et  au  bas,  il  ajoutait  à  sa 
signature  les  trois  lettres  S.  A.  D.,  qui  signifiaient  :  servus  ancillae  Domini. 
serviteur  de  la  servante  du  Seigneur. 


1]6  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

qui,  dès  qu'il  fut  revêtu  du  caractère  sacerdotal  et 
pourvu  du  bonnet  de  docteur  de  Sorbonne,  l'attacha 
d'abord  à  la  personne  de  M.  de  Bretonvilliers  en  qualité 
de  vicaire,  le  chargea  de  la  rédaction  du  Livre  des  Exa- 
mens particuliers,  auquel  il  collabora  lui-même  et  qui  fut 
ensuite  complété  par  M.  Tronson,  puis  lui  conlia  succes- 
sivement les  postes  importants  de  directeur  du  sémi- 
naire, de  directeur  de  la  Solitude  et  enfin,  en  1657,  de 
supérieur  du  séminaire  de  Clermont,  lorsque  son  chef, 
M.  de  Caylus,  fut  envoyé  à  Montréal. 

C'est  de  Clermont  qu'il  fut  appelé  par  l'abbé  de  Saint- 
Germain  à  la  cure  de  Saint-Sulpice,  dont  il  prit  posses- 
sion le  7  février  1658.  Il  n'en  resta  pas  moins  uni  par 
des  liens  très  étroits  au  Séminaire  et  à  la  Compagnie  de 
Saint-Sulpice  :  car,  l'année  suivante,  en  1659,  l'assemblée 
générale  le  nomma  premier  consulteur  et  lui  en  renouvela 
jusqu'à  sa  mort  le  titre  et  les  pouvoirs  qui  lui  permirent 
de  prendre  une  part  active  au  gouvernement  de  la  Com- 
pagnie. 

Dans  ses  fonctions  pastorales  auxquelles  il  se  dévoua 
avec  un  grand  zèle,  il  s'appliqua  à  mettre  constamment 
en  œuvre  tous  les  moyens  qui  avaient  réussi  à  ses  deux 
vénérables  prédécesseurs  pour  opérer  le  renouvellement 
de  la  paroisse. 

Après  les  troubles  de  la  Fronde,  M.  Olier  était  parvenu 
à  arrêter  les  désordres  qu'ils  avaient  entraînés  dans  sa 
paroisse,  par  une  mission  qu'avait  prêchée,  pendant  le 
Carême  et  le  Jubilé  de  1651 ,  le  Père  Eudes,  son  ami.  qu'il 
appelait  la  Merveille  de  son  siècle,  tant  il  avait  le  don 
d'annoncer  avec  fruit  la  parole  de  Dieu  et  de  provoquer 
les  plus  éclatantes  conversions. 

M.  de  Poussé  voulut  procurer  le  même  bienfait  à  ses 
ouailles;  et,  à  sa  demande,  le  Père  Eudes  revint,  en  1660, 
avec  plusieurs  de  ses  prêtres,  présider  aux  exercices 
d'une  retraite  générale,  que  la  Reine  Mère  suivit  plu- 


M.  DE  POUSSÉ  (1658-1678).  11" 

sieurs  fois.  Cette  nouvelle  mission  dura  trois  mois  et  pro- 
duisit, comme  la  première,  les  plus  heureux  effets. 

Au  mois  de  février  de  la  même  année ,  un  service 
solennel  pour  le  repos  de  l'âme  de  Gaston  d'Orléans,  duc 
de  Montpensier,  avait  été  célébré  à  Saint-Sulpice ,  sa  pa- 
roisse. M.  de  Poussé  y  fit  prononcer  le  sermon  de  circons- 
tance par  un  prédicateur  en  vogue,  le  Père  Girou ,  jésuite. 

Quatre  ans  plus  tard,  en  lCGi,  la  grande  voix  de 
Bossuet,  déjà  célèbre,  se  fit  entendre  à  Saint-Sulpice,  une 
première  fois,  le  19  janvier,  jour  de  sa  fête  patronale,  où 
il  prononça,  devant  la  Reine  iMère,  son  beau  panégyrique 
de  Saint-Sulpice,  dans  lequel  il  flétrit  avec  tant  de  force 
la  licence  effrénée  des  mœurs  de  son  temps;  une  seconde, 
le  28  avril,  à  la  solennité  du  baptême  qui  y  fut  administré 
à  un  jeune  Maure  par  l'évèque  de  Dax,  Guillaume  Leboux. 

Quelques  chroniqueurs  ont  même  regardé  comme  pro- 
bable qu'il  avait  prêché  toute  la  station  du  Carême  de  cette 
même  année  1).  Leur  assertion  est  gratuite  et  dénuée  de 
fondements.  Il  est  possible  cependant  que  Bossuet  ait 
prêché  d'autres  fois  encore  à  Saint-Sulpice  :  car  il  tenait 
M.  de  Poussé  en  très  grande  estime  ;  et  il  lui  en  donna  la 
preuve  lorsque,  après  sa  nomination  à  Févêché  de  Con- 
dom,  le  Roi  le  choisit,  en  1670,  pour  précepteur  du  Dau- 
phin. Des  scrupules  troublèrent  alors  sa  conscience  :  il 
ne  croyait  pas  pouvoir  exercer  à  la  fois  ces  deux  fonctions  ; 
et,  sur  l'insistance  du  Roi,  il  désigna  quatre  théologiens, 
entre  autres  le  curé  de  Saint-Sulpice,  pour  trancher  la 
question  de  cette  incompatibilité;  mais  ils  jugèrent  qu'il 
pouvait  accepter  provisoirement  le  préceptorat  du  Dau- 
phin ,  sans  avoir  pour  cela  à  différer  la  cérémonie  de  son 


(1)  Mémoires  manuscrits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  Compagnie 
de  Saint-Sulpice,  T  partie,  p.  6.  L'abbé  Lebarq  classe  le  sermon  du 
28  avril  166  i,  parmi  ceux  de  Bossuet  qui  sont  perdus  et  sur  lesquels  on  n'a 
aucune  donnée.  Il  lui  assigne,  par  erreur,  la  dale  du  18. 


118  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

sacre,  se  réservant  à  eux-mêmes  de  décider  plus  tard, 
d'après  les  circonstances,  s'il  pourrait  conserver  cette 
charge  ou  s'il  devrait  la  résigner.  Louis  XIV  agréa  cette 
décision  et  nomma  définitivement  Bossuet  précepteur  de 
son  fils,  le  5  septembre  1670. 

Le  Père  Bourdaloue  monta,  lui  aussi,  quelquefois  dans 
la  chaire  de  Saint-Sulpice ,  à  partir  de  cette  même  année 
1670,  quand  il  venait  à  la  maison  professe  de  la  rue  du 
Pot-de-Fer,  préparer  pour  Versailles  ses  éloquentes  sta- 
tions de  l'Avent.  Il  y  prêcha  également  la  station  du 
Carême  de  1678  (1),  montrant  dans  tous  ses  sermons  de 
cette  station  c.  cette  continuelle  et  touchante  sollicitude 
«  pour  le  salut  des  âmes  et  cette  intrépidité  dans  ses 
«  censures  de  la  conduite  des  grands  qui  ont  fait  de  lui, 
«  aux  yeux  de  ses  contemporains,  le  parfait  modèle  des 
«  vertus  apostoliques  (2)  ». 

Ce  fut  aussi  vers  le  même  temps,  que  Fénelon,  le  futur 
et  illustre  archevêque  de  Cambrai,  lit  ses  débuts  dans 
cette  même  chaire  de  Saint-Sulpice ,  et  qu'il  y  révéla  un 
talent  oratoire  de  premier  ordre.  Ordonné  prêtre,  en 
167i,  au  séminaire  de  Saint-Sulpice,  il  se  consacra  immé- 
diatement aux  fonctions  du  saint  ministère  et  entra,  à  cet 
effet,  dans  la  Communauté  des  prêtres  de  la  paroisse,  où 
le  curé,  M.  de  Poussé,  le  chargea  spécialement  d'expli- 
quer l'Écriture  Sainte  aux  fidèles,  les  jours  de  dimanche 
et  fêtes.  Il  y  resta  trois  années  entières,  jusqu'au  jour  où 
son  rare  mérite,  signalé  à  l'archevêque  dé  Paris,  Mgl  de 
Harlay,  le  fît  nommer  par  ce  prélat  supérieur  des  Nouvelles 
Catholiques  et  des  filles  de  la  Madeleine  de  Traisnel  (3). 


(1)  A.  Feugère,  Bourdaloue,  sa  prédication  et  son  temjis,  p.  35. 

(2)  Ibid.  et  Journal  de  M.  Bourbon  secrétaire  de  M.  Tronson,  supé- 
rieur de  la  compagnie.  Mss.  du  Sém.  de  Sainl-Sulpice. 

'3)  Histoire  de  Fénelon,  par  le  cardinal  de  Bausset,  t.  I,  pages  30  à  3", 
6e  éd.  La  communauté  des  Nouvelles  Catholiques  était  une  association 
de  quelques  personnes  pieuses,  qu'aucun  vœu  religieux  ne  liait  entre  elles. 


M.  DE  POUSSÉ  (1658-1678).  119 

Il  quitta  alors  la  Communauté  pour  aller  s'installer  chez 
le  marquis  de  Fénelon.  son  oncle,  à  qui  le  Roi  avait  ac- 
cordé un  logement  dans  l'abbaye  de  Saint-Germain  des 
Prés. 

Le  Conseil  charitable,  créé  par  M.  Olier  pour  la  défense 
des  intérêts  des  pauvres,  ne  fonctionnait  plus  depuis  plu- 
sieurs années.  M.  de  Poussé  lui  donna  une  nouvelle  vie  en 
y  faisant  entrer  des  magistrats  et  des  hommes  de  loi,  re- 
commandables  par  leurs  talents  comme  par  leur  piété. 

La  Compagnie  de  la  Passion,  qu'il  avait  également 
fondée  et  qui  réunissait  les  gentilshommes  et  les  anciens 
militaires  désireux  de  travailler  à  leur  salut  loin  du 
tumulte  du  monde ,  avait  été  modifiée  et  étendue  par  un 
prêtre  de  la  Compagnie ,  fondateur  du  petit  séminaire 
de  Saint-Sulpice ,  M.  Brenier.  M.  de  Poussé  approuva  le 
nouveau  règlement  que  ce  pieux  et  intelligent  confrère 
avait  rédigé  pour  elle,  en  1676,  sous  le  titre  de  Commu- 
nauté des  gentilshommes,  et  sut  trouver  dans  ses  mem- 
bres de  précieux  auxiliaires  pour  la  visite  des  hôpitaux  et 
des  prisons  et  pour  le  soulagement  des  pauvres  honteux. 

Très  attentif  à  maintenir  dans  sa  paroisse  les  saines 
doctrines  sur  les  matières  de  la  grâce,  si  vivement  agitées 
autour  de  lui,  il  ramena  à  la  vérité  le  Père  Thomassin  qui 
s'était  tout  d'abord  laissé  entraîner  aux  erreurs  de  Jan- 
sénius,  força  l'abbé  Feydit  à  les  rétracter  sur  son  lit  de 
mort,  et  signala  avec  une  respectueuse  fermeté  à  la  du- 
chesse de  Liancourt  les  dangers  auxquels  elle  exposait  son 


Elle  avait  été  instituée,  en  1634,  par  M?r  de  Gondi  (Jean-François),  le  pre- 
mier archevêque  de  Paris,  et  approuvée  par  une  bulle  d'Urbain  VIII.  Son 
but  était  d'affermir  les  nouvelles  converties  dans  la  doctrine  catholique  et 
d'instruire  les  personnes  du  même  sexe  qui  se  montraient  disposées  à  se 
converlir.  Elle  s'était  établie  tout  d'abord,  près  de  l'église  Saint-Sulpice, 
dans  la  rue  des  Fossoyeurs,  et  y  resta  jusqu'au  jour  où  le  maréchal  de 
Turenne,  après  son  abjuration  du  calvinisme,  lui  eut  acquis  une  maison 
plus  spacieuse  dans  la  rue  Sainte-Anne.  Ibid.,  p.  37  et  38. 


120  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPICE. 

salut  par  son  opposition  aux  décisions  du    Saint-Siège. 

A  son  tour  aussi,  il  éprouva  une  poignante  douleur. 
L'attentat  sacrilège  qui  avait  tant  affligé  M.  Olier  en  16'*8, 
se  renouvela  dans  la  nuit  du  25  octobre  1665,  avec  cette 
aggravation  que  les  voleurs,  après  avoir  brisé  les  grilles 
du  sanctuaire  et  forcé  le  tabernacle ,  y  prirent  quatre 
ciboires  avec  les  saintes  hosties  qu'ils  renfermaient  et 
qu'on  ne  retrouva  jamais.  Les  cérémonies  de  réparation 
de  ce  sacrilège  eurent  lieu  le  28,  jour  de  la  fête  de  saint 
Simon  et  saint  Jucle,  et  les  deux  jours  suivants.  Une  pro- 
cession solennelle  du  Très  Saint-Sacrement  parcourut  les 
principales  rues  du  Faubourg  et  s'arrêta  à  trois  stations, 
suivie  par  une  foule  de  fidèles,  en  tête  desquels  le  Roi 
marcha ,  entouré  de  plusieurs  princes  et  princesses  de  sa 
famille,  depuis  la  rue  Dauphine  jusqu'au  Luxembourg  et 
à  l'église  où  il  assista  à  l'office  célébré  en  grande  pompe. 
Le  soir  la  Reine  y  vint  entendre  le  sermon  et  le  salut  ainsi 
que  l'amende  honorable,  prononcée  du  haut  de  la  chaire 
par  M.  le  curé  (1).  La  mémoire  de  cette  réparation  se 
célèbre  depuis  lors,  tous  les  ans,  à  Saint-Sulpice,  le  dernier 
dimanche  d'octobre. 

La  sollicitude  incessante  de  M.  de  Poussé  pour  le  bien 
des  âmes  confiées  à  sa  direction,  ne  l'empêcha  pas  de 
pousser  activement  les  travaux  de  construction  de  la  nou- 
velle église.  C'est  même  lui  peut-être  qui  les  a  le  plus  fait 
avancer  :  car  non  seulement  il  a  achevé  la  chapelle  de  la 
Sainte  Vierge ,  mais  il  a  fait  construire  tout  le  chœur  avec 
ses  bas-côtés  et  les  chapelles  adjacentes  du  pourtour,  et 
commencer  les  fondements  du  portail  septentrional,  dit 
de  Saint-Pierre  (2),  et  des  quatre  piliers  de  la  croisée.  Mal- 


Ci)  A  celte  occasion,  la  Reine,  mère  du  Roi,  et  la  Reine,  son  épouse, 
liient  don  à  Saint-Sulpice  de  deux  superbes  ciboires  de  vermeil,  qui  ser- 
virent au  grand  autel  jusqu'à  la  Révolution.  Mém.  mss.,  art.  sur  M.  de 
Poussé,  p.  16. 

(2)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.    182.  Le  cboeur  et  les  cbapelles  de  son  pourtour 


M.  DE  POUSSÉ  (1658-1678).  121 

heureusement  il  ne  songea  pas  assez  à  proportionner 
l'importance  de  ces  travaux  à  l'étendue  des  ressources 
dont  il  pouvait  disposer.  Aussi,  pour  les  solder,  en- 
traina-t-il  sa  fabrique  à  s'obérer  d'une  dette  de  plus  de 
500.000  livres  en  principal  (1),  dont  elle  mit  plus  de  vingt- 
deux  années  à  opérer  l'extinction,  et  qui  ne  lui  permi- 
rent pas  de  reprendre  ces  travaux  avant  l'année  1718 
sous  M.  Languet. 

M.  de  Poussé  était  d'une  santé  délicate  ;  et  déjà  en  1662 . 
à  la  suite  d'une  maladie  très  dangereuse,  il  avait  parlé 
de  sa  démission,  et  l'abbé  de  Saint-Germain  s'était  montré 
disposé  à  l'accepter  et  à  nommer  à  sa  place  Bossuet,  de  pré- 
férence à  M.  d'Hurtevent  qu'eût  souhaité  la  Compagnie.  Au 
cours  de  cette  maladie,  le  P.  Eudes  vint  le  voir  un  jour  et 
lui  dit  à  voix  haute  :  «  On  dit,  Monsieur  le  curé,  que  vous 
«  en  faites  trop  et  que  les  excès  de  votre  zèle  sont  la  vraie 
«  cause  de  votre  maladie.  »  Puis  s'approchant  de  lui ,  il  lui 
dit  tout  bas  à  l'oreille  :  «  Et  moi ,  je  vous  assure  que  vous 
«  n'en  faites  pas  assez  et  que  si  Dieu  vous  rend  la  santé, 
«  vous  devrez  en  faire  davantage.  » 

Le  pieux  pasteur,  qui  ne  sut  jamais  ce  que  c'était  que  de 
se  ménager  quand  il  s'agissait  de  procurer  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  âmes,  suivit  si  bien  le  conseil  de  son 


furent  bénits,  le  20  décembre  1673,  par  M?1'  de  Harlay,  archevêque  de 
Paris,  assisté  de  MBr  de  Péricard,  évoque  d'Angoulême,  de  Fromentin, 
évêque  d'Aire,  et  de  Sève,  évèque  d'Arras:  celle  du  Rond-Point  à  l'hon- 
neur de  la  Sainte  Vierge;  la  première  à  droite,  en  sortant  de  celte  cha- 
pelle, et  qui  est  aujourd'hui  celle  de  Saint-Louis,  fut  dédiée  au  Saint- 
Esprit;  la  seconde  (celle  de  Saint-Joseph)  à  l'honneur  de  sainte  Marguerite: 
la  troisième  de  saint  Charles;  la  quatrième  de  saint  Jean  l'évangélisle: 
la  cinquième  de  saint  François  de  Sales;  la  première  à  gauche,  à  l'hon- 
neur du  saint  Ange  Gardien;  la  seconde  de  sainte  Catherine;  la  troisième 
de  saint  Éloi;  la  quatrième  de  saint  Denis.  Après  cette  bénédiction  les 
trois  évêques  consacrèrent  le  maître-autel ,  celui  de  la  Sainte  Vierge  et 
les  neuf  autres  en  présence  de  M.  le  curé.  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  278. 

(1)  Mém.  mss.,  art.  sur  M.  de  Poussé,  p.  17,  et  sur  M.  de  la  liarmon- 
dière,  p.  37. 


122  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

ami  qu'en  peu  d'années  les  fatigues  du  saint  ministère 
épuisèrent  totalement  ses  forces  et  qnen  octobre  1678  il 
fut  obligé  de  résigner  sa  cure  à  M.  de  la  Barmondière. 

Il  se  retira  alors  au  presbytère,  où  il  choisit  pour  sa 
retraite  la  plus  pauvre  chambre,  meublée  seulement  de 
six  chaises  de  paille ,  d'une  petite  table  et  d'un  lit  com- 
mun, et  consacrant  tout  son  revenu  assez  considérable 
au  soulagement  des  pauvres.  Il  y  mourut,  moins  de  deux 
ans  après,  le  8  juillet  1680,  à  l'âge  de  soixante-trois  ans, 
regretté  de  tout  le  clergé  de  Paris  auquel  il  avait  su  ins- 
pirer la  même  estime  qu'à  saint  Vincent  de  Paul  qui  dé- 
clarait à  l'évèque  de  Genève,  Mgr  d'Arenthon,  «  qu'il  ne 
«  connaissait  pas  de  prêtre  plus  humble  que  lui  ». 


CHAPITRE  VI 

M.    DE   LA  BARMONDIÉRE   (1678-1689) 


Sommaire  :  Son  origine;  ses  études;  son  admission  et  ses  fonctions  dans  la 
Compagnie.  —  Incidents  à  l'occasion  des  obsèques  du  Nonce  du  Saint-Siège, 
Msr  Vareri.  —  Sollicitude  de  M.  de  la  Barmondiére  pour  les  catéchismes' et 
les  écoles.  —  Il  installe  une  manufacture  de  tricots  de  laine  dans  une  de 
ces  écoles.  — Il  ouvre  la  première  maison  des  Sœurs  des  Écoles  chrétiennes 
dites  de  V Enfant  Jésus  et  la  première  maison  des  Frères  des  Écoles  chré- 
tiennes.—  Il  donne  à  l'abbé  de  La  Salle  la  haute  direction  de  toutes  ses  écoles. 
—  Il  ouvre  encore  d'autres  petites  écoles.  —  Il  fonde  une  communauté  du  Bon- 
Pasteur.  —  Sa  charité  envers  les  pauvres.  —  Il  crée  la  Petite  Paroisse.  — 
Kloigncriient  des  baladins.  —  Maintien  des  comédiens  français.  —  Embarras 
que  lui  causent  les  dettes  laissées  par  son  prédécesseur.  —  Il  se  démet  de 
sa  cure  en  faveur  de  M.  Baudrand.  —  Sa  sainte  mort. 


Issu  d'une  famille  noble  du  Lyonnais,  M.  Claude  Bottu 
de  la  Barmondiére  était  né,  en  1631,  à  Villefranche  en 
Beaujolais.  Lorsqu'il  eut  achevé  ses  premières  études,  ses 
heureuses  dispositions  pour  la  science  et  la  piété  détermi- 
nèrent ses  parents  à  l'envoyer  à  Paris  suivre  les  cours  de 
philosophie  et  de  théologie.  Il  entra  au  Séminaire  de 
Saint-Sulpice  le  7  avril  1655,  et  après  avoir  obtenu  le  bon- 
net de  docteur  de  Sorbonne  (1),  il  fut  reçu  dans  la  Com- 
pagnie, en  166i,  par  M.  de  Bretonvilliers. 

(1)  11  avait  passé  sa  seconde  thèse  de  Licence,  le  12  décembre  1661,  sous 
la  présidence  de  M.  de  Poussé,  curé  de  Saint-Sulpice,  et  sa  soutenance  fit 
quelque  bruit  en  Sorbonne.  il  avait  choisi  pour  sujet  :  l'Infaillibilité  du 
Pape  dans  les  faits  dogmatiques,  sujet  qui,  comme  on  sait,  causa  un  grand 
émoi  dans  la  Faculté  et  au  Parlement;  et  il  en  défendit  brillamment  les 
conclusions  qui  se  résumaient  en  ces  termes  :  «  Roman  us  Pontifex  contro- 


124  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Chargé  immédiatement  de  l'enseignement  de  la  théolo- 
gie au  Séminaire,  il  y  acquit,  en  peu  d'années,  la  répu- 
tation d'un  des  directeurs  les  plus  accomplis  par  l'éten- 
due de  son  savoir  et  la  pénétration  de  son  esprit  non 
moins  que  par  sa  haute  vertu  :  car,  aussi  indulgent  pour 
les  autres  que  sévère  pour  lui-même,  il  couchait  habi- 
tuellement sur  la  dure  et  la  maigreur  de  son  visage  attes- 
tait la  rigueur  de  ses  jeûnes  et  de  ses  austérités.  En  1665, 
rassemblée  générale  de  la  Compagnie  l'élut  pour  un  des 
assistants  du  supérieur;  et  M.  Tronson,  qui  en  avait  la 
charge,  désirant  opérer  une  réforme  dans  la  Commu- 
nauté de  la  paroisse,  ira  peu  déchue  de  son  premier  es- 
prit, lui  donna  M.  de  la  Barmondière  pour  supérieur  en 
1676. 

Le  succès  avec  lequel  il  s'acquitta  de  ce  dernier  emploi 
décida  M.  de  Poussé  à  résigner  sa  cure  en  sa  faveur.  Il 
ne  l'accepta  que  par  obéissance  et  en  prit  possession  le 
4  novembre  1678. 

Il  eut  aussitôt  à  donner  la  mesure  de  sa  fermeté  dans 
l'accomplissement  de  son  devoir. 

Le  Nonce  du  Saint-Siège,  Mgl  Vareri,  archevêque  d'An- 
drinople,  dont  l'hôtel  était  situé  sur  la  paroisse,  venait 
de  recevoir  les  derniers  sacrements  sans  que  le  curé  de 
Saint-Sulpice  ni  personne  en  son  nom  eut  été  invité  à 
cette  cérémonie;  et  à  sa  mort,  qui  eut  lieu  dans  la  nuit 
du  ï  au  5  novembre,  ses  officiers  cherchèrent  à  transpor- 
ter son  corps  directement  à  l'église  des  Théatins,  où,  par 
son  testament,  il  avait  choisi  sa  sépulture,  sans  le  présenter 
auparavant  à  l'église  paroissiale.  L'archevêque  de  Paris, 


versiarum  ecclesiaslicarum  est  conslilutus  judex  a  Chrislo  qui  ejus  défini- 
tionibus  indelicientem  lidem  promisit  (Luc,  xn).  Caveant  proinde  catholici 
a  fermente-  recentium  luereticorum  qui  ea  quœ  apostolicis  conslitutionibus 
Innocentii  X  et  Alexandri  VII  abunde  fuerunt  definita ,  contra  Jansenium 
ejusque  sectatores,  in  dubium  revocare  vel  subdolis  interpretationibus  la- 
befacere  non  verentur.  »  Bertrand,  loc.  cit.,  I,  p.  104. 


M.  DE  LA  DARMONDIÈRE  (1078-1689).  125 

Mgr  de  Harlay,  après  avoir  pris  l'avis  du  Roi,  dans  la 
crainte  de  paraître  porter  atteinte  aux  privilèges  d'un 
ambassadeur  du  Pape  et  de  soulever  un  conflit  entre  les 
deux  Cours,  rendit  une  ordonnance  qui  prescrivait  la  pré- 
sentation du  corps  du  défunt  à  Saint-Sulpice.  sa  paroisse, 
avant  d'être  porté  aux  Théatins. 

A  sa  réception,  M.  de  la  Barmondière  s'empressa  d'en- 
voyer dix  de  ses  prêtres  prier,  en  habits  de  chœur,  auprès 
du  corps;  et  la  veille  des  funérailles,  fixées  au  10,  sur 
les  quatre  heures  du  soir,  il  se  transporta  lui-même  à 
l'hôtel  du  Nonce,  précédé  de  la  croix  et  accompagné  de 
son  clergé,  fit  la  levée  du  corps  avec  les  cérémonies  pres- 
crites, l'emmena  à  l'église  et  le  déposa  dans  le  chœur  où, 
le  lendemain,  il  célébra  un  service  solennel  en  sa  pré- 
sence, le  fît  placer  ensuite  sur  son  carrosse  de  deuil  et  le 
conduisit,  suivi  d'une  partie  de  son  clergé  ,  à  l'église  des 
Théatins. 

La  paroisse  avait  accueilli  sa  nomination  avec  une 
grande  joie;  elle  ne  fut  pas  déçue  dans  ses  espérances. 
Après  s'être  enquis  de  sa  situation  et  de  ses  divers  besoins, 
du  nombre  et  du  degré  de  misère  des  familles  indigentes, 
de  l'état  des  écoles  et  des  autres  établissements  fondés 
par  ses  prédécesseurs ,  il  prit  la  résolution ,  dont  il  ne  se 
départit  plus,  d'employer  à  les  soutenir  et  à  les  dévelop- 
per, les  revenus  de  son  patrimoine  aussi  bien  que  ceux  de 
la  cure. 

Il  s'occupa  tout  d'abord  des  catéchismes  et  seconda 
efficacement  le  zèle  de  leur  directeur,  M.  Baiihin,  par  les 
fréquentes  visites  qu'il  leur  faisait  et  à  chacune  desquelles 
il  récompensait,  parla  distribution  d'images,  de  chape- 
lets ou  de  livres ,  ceux  des  enfants  qui  avaient  le  mieux 
répondu  à  ses  interrogations. 

Son  attention  se  porta  tout  particulièrement  sur  les 
écoles  établies  dans  les  divers  quartiers  de  la  paroisse. 
Il  les   inspectait  fréquemment,  stimulant  dans  chacune 


126  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

d'elles  les  efforts  des  maîtres  et  l'application  des  élèves 
et  saisissant  toutes  les  occasions  de  perfectionner  leur 
enseignement  et  d'en  augmenter  le  nombre. 

Ce  fut  ainsi  que  dans  le  bâtiment  que  la  Fabrique  leur 
avait  affecté,  il  installa  une  manufacture ,  où  l'on  ap- 
prenait aux  enfants  à  faire  divers  ouvrages  de  laine  et 
spécialement  de  tricot.  Il  avait  placé  à  sa  tète  un  homme 
entendu  qui,  sous  le  titre  de  Promoteur  de  la  manufac- 
ture, dirigeait,  avec  plusieurs  ouvriers  sous  ses  ordres, 
le  travail  des  enfants  et  en  opérait  la  vente  dont  le  pro- 
duit était  consacré  au  soulagement  des  plus  nécessiteux. 
Grâce  à  cette  heureuse  innovation  de  M.  de  la  Barmon- 
dière,  origine  de  nos  modernes  écoles  professionnelles, 
les  enfants  apprenaient,  dans  les  écoles  de  la  paroisse, 
avec  les  principes  de  la  religion  et  les  éléments  des  lettres, 
un  état  manuel  qui  les  préservait  de  l'oisiveté  et  de  la 
misère  en  leur  assurant  un  gagne-pain. 

Ce  fut  lui  encore  qui,  en  1686,  dota  sa  paroisse  de  la  pre- 
mière maison  (1)  des  Sœurs  des  Écoles  chrétiennes,  dites 
de  l'Enfant  Jésus ,  vouées  à  l'éducation  chrétienne  des 
jeunes  filles  pauvres ,  dont  l'Institut  venait  d'être  créé  à 
Rouen,  en  1666,  par  le  P.  Barré,  minime.  Et  il  eut  la  joie 
de  les  voir  y  ouvrir  successivement  huit  écoles  :  à  Saint- 
Joseph,  rue  Saint-Dominique,  à  la  Grenouillère,  rue  de 
Seine  et  rue  Saint-Placide ,  et  y  fixer  même ,  rue  Saint- 
Maur,  leur  noviciat,  qui  subsista  jusqu'à  la  Révolution. 

Elle  lui  est  également  redevable  de  l'établissement  sur 
son  territoire  ,  rue  Princesse ,  de  la  première  maison  des 
Frères  des  Écoles  chrétiennes,  institués  à  Reims,  en  1679, 
par  l'abbé  de  la  Salle. 

M.  de  la  Barmondière  avait  connu  au  séminaire  le  saint 


(lj  Celle  première  maison  avait  été  ouverte  tout  d'abord,  en  1677,  sur 
la  paroisse  de  Saint-Jean  en  Grève,  à  l'appel  du  curé  de  cette  paroisse; 
mais  elle  n'avait  pas  pu  s'y  maintenir. 


M.  DE  LA  BARM03DIÉRE  (1678-1689).  127 

fondateur  de  l'admirable  Institut.  Il  le  pressa  à  maintes 
reprises  de  venir  s'installer  à  Paris,  et  parvint  à  l'y  dé- 
cider en  lui  faisant  écrire  par  M.  Baudrand,  son  assistant, 
qu'il  pouvait  venir  avec  deux  maîtres,  et  qu'il  leur  donne- 
rait le  logement  et  une  pension  de  250  livres  par  tête. 
L'abbé  de  la  Salle  lui  arriva  avec  deux  de  ses  frères ,  le  25 
février  1688.  Il  les  installa  dans  le  bâtiment  des  écoles  de 
la  paroisse  (1)  et  les  autorisa  à  partager  avec  les  anciens 
maîtres  la  direction  de  ces  écoles,  qui,  sous  leur  conduite, 
ne  tardèrent  pas  à  changer  de  face;  car  quelques  jours 
seulement  leur  suffirent  pour  y  faire  succéder  la  régularité 
la  plus  parfaite  au  désordre  et  à  la  confusion  que  la  né- 
gligence des  maîtres  et  l'insubordination  des  élèves  y 
avaient  entretenus  jusque-là  (2). 

Frappé  de  cette  prompte  et  complète  métamorphose ,  il 
profita  de  sa  visite  du  mois  d'avril  suivant  pour  donner  à 
l'abbé  de  la  Salle  la  haute  direction  de  toutes  ses  écoles 
et  pour  enjoindre  aux  anciens  maîtres  de  se  borner  à 
travailler  sous  ses  ordres.  Ceux-ci,  jaloux  de  se  voir  ainsi 
supplantés,  mirent  tout  en  œuvre  pour  le  perdre  dans  son 
esprit  et  finirent  même  par  décider  le  promoteur  de  la 
manufacture  à  se  retirer  en  lui  persuadant  que  la  nou- 
velle méthode  d'enseignement  des  Frères  ne  laissait  plus 
assez  de  temps  pour  le  travail  manuel  et  compromettait 
l'avenir  de  ses  ateliers  auxquels  ils  savaient  que  M.  le  curé 
attachait  une  grande  importance.  Mais  M.  de  la  Barmon- 
dière  ne  fut  pas  dupe  de  ces  manœuvres;  éclairé  sur  la 
vérité  des  faits  par  l'abbé  de  Janson  (depuis  archevêque) 
qu'il  avait  chargé  de  s'en  enquérir  et  par  M.  Baudrand . 


(1)  «  Celait  une  grande  maison,  la  3e  et  la  4e  du  côté  gauche  de  la  rue  Prin- 
cesse, en  entrant  par  la  rue  Guisarde,  d'après  les  censiers  de  Saint-Germain. 
Cette  maison  appartenait  au  curé  et  était  conliguë  à  celle  qu'occupèrent 
les  prêtres  de  la  Communauté.  »  Ravelet,  loc.  cit.,  p.  206. 

(2)  Mémoires  mss.  de  la  Compagnie,  article  sur  M.  de  la  Barmon- 
dière,  p.  il. 


,28  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

toujours  plein  d'estime  pour  le  Bienheureux  qu'il  avait 
eu  pour  pénitent  au  séminaire,  il  maintint  sa  confiance 
à  M.  de  la  Salle  et  se  borna  à  remplacer  son  promoteur 
par  un  frère  fort  habile  à  travailler  la  laine  et  à  tricoter, 
qui,  en  peu  de  temps,  sut  obtenir  des  enfants  une  appli- 
cation soutenue  et  des  ouvrages  mieux  faits  et  plus  lu- 
cratifs que  ceux  que  leur  faisait  produire  son  prédéces- 
seur. 

M.  de  la  Barmondière  établit  encore  d'autres  petites 
écoles,  auxquelles  il  portait  un  vif  intérêt,  mais  qui  sub- 
sistèrent peu  de  temps,  faute  de  ressources,  entre  autres 
celles  de  la  communauté  de  filles  que  Mme  Picart.  la 
veuve  de  l'intendant  de  M.  le  Prince  et  la  trésorière  de 
l'Assemblée  des  Pauvres  malades  de  la  paroisse ,  avait 
fondée  rue  des  Fossoyeurs,  pour  instruire  gratuitement  les 
pauvres  filles  de  la  paroisse,  leur  apprendre  un  métier  et 
leur  faire  faire  des  ouvrages  qui  leur  permissent  plus  tard 
de  gagner  honnêtement  leur  vie.  Cette  communauté  fut 
dissoute  en  1698  (1),  et  une  partie  des  revenus  des  écoles 
qu'elle  dirigeait  fut  appliquée  au  soutien  d'une  autre 
communauté,  établie  dans  le  même  but  par  M,le  Séguier, 
mais  qui  n'eut,  comme  la  première,  qu'une  très  courte 
existence. 

Par  ces  créations  si  utiles,  M.  de  la  Barmondière  mérite 
d'être  rangé  au  nombre  des  plus  grands  bienfaiteurs  et 
des  propagateurs  les  plus  insignes  de  l'œuvre  essentielle 
de  l'éducation  chrétienne  de  l'enfance. 

11  travailla  aussi  à  préparer  à  l'Église  de  bons  ministres, 
par  la  fondation  qu'il  fit,  en  1686,  dans  le  voisinage  du 
séminaire,  d'une  communauté  qui  fut  appelée  de  son 
nom  :  Communauté  de  M.  de  la  Barmondière .  dans  le 
but  d'élever  des  enfants  de  familles  peu  aisées,  qui  ne 


(l)  Sa  fondatrice  mourut  le   18  décembre   1710,    âgée  de  qualre-vingl- 
cinq  ans. 


M.  DE  LA  RARM0ND1ERE  (1  GTS- 1  r.s«.)  .  129 

pouvaient  pas  payer  leur  pension  au  séminaire,  et  de  fa- 
voriser leur  vocation  à  l'état  ecclésiastique.  A  sa  mort,  en 
1694,  et  en  vertu  des  dispositions  de  son  teslament,  cette 
communauté  fut  réunie  au  petit  séminaire. 

Il  procura  en  môme  temps  à  la  paroisse  un  autre  éta- 
blissement, des  plus  importants  pour  la  réforme  des 
mœurs,  et  que  M.  Olier  avait  en  vain  cherché  à  créer,  celui 
d'une  Communauté  du  Bon-Pasteur,  destinée  à  servir 
d'asile  aux  filles  pénitentes.  La  Providence  le  lui  facilita 
en  lui  ménageant  la  collaboration  d'une  jeune  veuve, 
IMm1'  de  Combé,  protestante  convertie  (1),  d'une  intelli- 
gence aussi  haute  que  la  piété,  qui  sut  donner  à  cette 
icommunauté,  dont  il  lui  confia  la  direction,  un  si  prompt 
jidéveloppement,  qu'en  peu  d'années  elle  put  y  recueillir 
jusqu'à  deux  cents  de  ces  pauvres  filles,  et  que  sa  maison 
de  la  rue  du  Cherche-Midi,  qui  lui  avait  été  procurée  par 
le  Roi  en  1688  (2),  devint  bientôt  le  modèle  et  le  chef-lieu 


(1)  Elle  était  née  à  Leyde,  en  1650,  de  parents  protestants. 

(2)  Le  Roi,  en  effet,  instruit  des  services  rendus  par  cette  communauté, 
la  prit  sous  sa  protection  spéciale;  et,  tout  en  lui  facilitant  son  installa- 
ion  dans  cette  maison  de  la  rue  du  Cherche-Midi,  il  donna  encore  1.500 
ivres  à  MmP  de  Combé,  pour  y  faire  les  réparations  nécessaires.  Elle  fut 
uitorisée,  en  1G98,  par  des  Lettres  patentes,  et  subsista  florissante  jus- 
lu'à  la  Révolution. 

Sa  pieuse  fondatrice  mourut  en  odeur  de  sainteté,  le  16  juin  1692,  âgée 
e  trente-six  ans  seulement.  Son  biographe  rapporte  un  trait  singulier  de 
a  vie  :  Le  premier  jour  de  l'an  1691,  elle  fut  tout  à  coup  saisie  d'une 
ièvre  violente  et  en  proie  à  d'atroces  douleurs  d'intestin.  Se  croyant  à 
a  tin,  elle  communia  en  viatique,  avec  une  sainte  joie,  des  mains  de  M.  de 

Il  Rarmondière  et  le  pria  de  lui  donner  l'extrème-onction.  Tout  en  se 
réparant  à  déférer  à  son  désir,  il  se  (it  apporter  un  peu  d'eau  chaude  et 
li  en  fit  prendre  quelques  cuillerées.  Instantanément  la  fièvre  la  quitta 
lt  elle  se  sentit  guérie.  Quelle  que  soit  la  cause  à  laquelle  on  doive  at- 
ihuer  cette  guérison  extraordinaire,  ou  L'efficacité  de  l'eau  chaude  que 
lint  Grégoire  le  Grand,  dans  son  pastoral,  recommande  comme  un  vrai 
cMnède,  ou  celle  des  prières  et  de  la  foi  du  vénérable  pasteur,  de  la 
oalaJe  et  de  ses  pieuses  filles,  toujours  est-il  que  M.  de  la  Barmondière 
vait  grande  confiance  dans  ce  remède,  en  usait  de  temps  en  temps,  le 
commandait  autour  de  lui  et  composa  môme  un  petit  traité  sur  la  vertu 

ÉCLISE   SA1NT-SDLPICE.  9 


130  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

de  plusieurs  autres  qui  s'ouvrirent  ensuite,  en  province,  à 
Amiens,  à  Angers,  à  Orléans,  à  Troyes,  à  Toulouse. 

L'application  de  M.  de  la  Barmondière  à  soutenir  cette 
fondation  si  utile,  ne  lui  faisait  pas  négliger  les  besoins  des 
familles  indigentes  de  sa  paroisse,  dont  le  malheur  des 
temps  avait  élevé  le  nombre  à  plus  de  quatre  mille,  ni 
ceux  des  malades  dont  plus  de  deux  cents,  dans  un  entier 
dénuement,  ne  pouvaient  pas  trouver  place  dans  les  hô- 
pitaux, ni  surtout  ceux  des  pauvres  petits  enfants,  or- 
phelins ou  abandonnés.  Toutes  ces  misères  étaient  l'objet 
de  sa  plus  vive  compassion  et,  chaque  semaine,  il  con- 
sacrait de  longues  heures  à  présider,  à  la  cure,  les 
diverses  assemblées  de  charité  dont  les  membres  se  dé- 
vouaient à  leur  soulagement. 

Ces  œuvres  de  zèle,  si  multiples  et  dont  la  charge  pe- 
sait si  lourdement  sur  lui,  ne  l'empêchaient  pas  de  s'em- 
ployer aux  fonctions  habituelles  du  saint  ministère.  Il  se 
faisait  un  devoir  de  les  partager  avec  les  prêtres  de  sa 
Communauté;  et  pour  être  toujours  prêt  lui-môme  à  ad- 
ministrer les  derniers  sacrements,  il  portait  constam- 
ment sur  lui  les  objets  nécessaires,  savoir  :  un  rituel,  une 
étole,  un  surplis,  de  l'eau  bénite  et  un  crucifix. 

L'accroissement  de  la  population  dans  les  quartiers  les 
plus  éloignés  de  la  paroisse  lui  inspira  l'idée  de  créer 


curative  de  l'eau  chaude.  Mém.  Mss.,  ibid.,  p.  20  et  21.  Le  passage  du 
traité  de  saint  Grégoire  de  Cura  paslorali,  part.  3,  cap.  XIV,  est  ainsi 
conçu  :  Plerumque  aegros  quos  fortis  pigmcntorum  potio  curare  non  valuil, 
ad  saluteni  pristinam  tepens  aqua  revocavit  :  Le  plus  souvent  les  malades 
qu'une  forte  potion  de  drogues  n'a  pu  guérir,  recouvrent  la  santé  simple- 
ment par  l'eau  chaude. 

On  peut  croire  que  le  P.  Louis  le  Comte,  Jésuite,  avait  lu  ce  petit  opuscule 
de  M.  de  la  Barmondière,  quand  il  écrivait,  au  tome  premier  de  ses  Nouveaux 
mémoires  sur  l'état  présent  de  la  Chine,  publiés,  en  1697,  par  Jean 
Anisson,  à  Paris  :  «  Peut-être  que  l'eau  chaude  est  toute  seule  un  bon 
«  remède  contre  les  maladies ,  dont  on  attribue  la  guérison  au  Thé  :  et  il 
«  y  a  des  gens  qui  sont  exempts  de  beaucoup  d'incommodités  parce  qu'ils 
«  se  sont  l'ait  une  habitude  de  boire  chaud.  » 


M.  DE  LA  BARMONDIÈRE  (1078-1689).  131 

une  succursale ,  pour  faciliter  aux  habitants  de  ces  quar- 
tiers l'accomplissement  de  leurs  devoirs.  C'était  le  renou- 
vellement du  projet  qu'avait  conçu  déjà  M.  Olier,  qui  avait 
même  reçu  de  lui  un  commencement  d'exécution,  mais 
auquel  ses  inconvénients  l'avaient  obligé  de  renoncer. 
M.  de  la  Barmondière  crut  devoir  le  reprendre  en  1G86, 
à  la  suite  d'une  pétition  signée  d'environ  deux  cents  ha- 
bitants du  faubourg,  qui  fut  présentée  à  l'archevêque  de 
Paris  pour  demander  l'érection  non  seulement  d'une  suc- 
cursale, mais  bien  de  cinq  à  six  nouvelles  paroisses;  et  il 
lui  adressa  lui-même  un  mémoire  favorable  à  la  création 
de  la  succursale.   Mais  le  prélat  ajourna  sa  décision  sur 
cette  question,  qui  ne  fut  résolue  que  cinquante  ans  plus 
tard,  en  1738,  par  l'autorisation  de  la  succursale  du  Gros- 
Caillou.  Et  cet  ajournement  fut  pleinement  justifié  par  un 
opuscule,  publié  en  1691,  qui  montrait  fort  bien  que  le 
nombreux  clergé  de  Saint-Sulpice  et  le  bel  ordre  établi 
par  M.  Olier  et  entretenu  par  ses  successeurs  pour  l'ad- 
ministration de  cette  paroisse,  procuraient  alors  aux  pa- 
roissiens,  même   les  plus  éloignés  de  l'église,  plus  de 
secours  spirituels  que  n'en  recevaient  les  habitants  des 
autres  paroisses  les  mieux  administrées. 

Mais  alors  le  désir  de  faciliter  aux  écoliers  et  aux  pau- 
vres la  pratique  de  leurs  devoirs  religieux,  suggéra  à 
de  la  Barmondière  la  pensée  d'une  œuvre  beaucoup 
plus  utile,  celle  qu'il  créa  sous  le  nom  de  la  Petite  Pa- 
roisse. Ayant  remarqué  que  nombre  de  ces  enfants  et  de 
ces  pauvres  s'excusaient  de  ne  pas  assister  au  prône  et  à 
la  messe  de  paroisse,  sous  prétexte  qu'ils  ne  savaient  où 
jse  placer  et  qu'ils  n'avaient  pas  de  bancs  à  l'église,  il  fit 
construire  pour  eux  la  chapelle,  dite  aujourd'hui  des 
Allemands,  et  qui  fut  appelée  alors  la  Petite  Paroisse, 
jparce  qu'elle  leur  servait  en  quelque  sorte  d'église  pa- 
jroissiale;  et  il  régla  qu'à  l'avenir,  tous  les  dimanches  et 
fêtes,  un  prêtre  de  la  Communauté  viendrait  leur  y  dire 


132  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

la  messe  à  huit  heures  du  matin  et  leur  ferait  ensuite  une 
exhortation.  Un  peu  plus  tard,  il  réunit  séparément  dans 
une  autre  chapelle  les  écoliers  des  pensions,  auxquels 
deux  prêtres  du  Séminaire  disaient  la  messe  et  adressaient 
une  instruction.  Enfin,  lors  de  l'installation  des  Frères  en 
1688,  il  rassembla  les  enfants  de  leurs  écoles  dans  une 
autre  chapelle  (1),  où  un  autre  prêtre  du  Séminaire  leur 
disait  la  messe  à  la  même  heure  et  leur  faisait  aussi  une 
instruction. 

La  sollicitude  de  M.  de  la  Barmondière  pour  le  bien 
spirituel  de  ses  paroissiens  le  faisait  gémir  de  la  présence 
d'une  troupe  de  baladins  et  de  farceurs,  qui  s'était  ins- 
tallée rue  des  Quatrë-Vents,  à  proximité  de  la  foire  Saint- 
Germain,  et  dont  les  plaisanteries  grossières  et  souvent 
obscènes  ou  impies  affaiblissaient  dans  le  peuple  le  res- 
pect dû  au  saint  Lieu  et  à  l'adorable  Eucharistie.  11  de- 
manda leur  éloignement  et  sa  requête  fut  accueillie  par 
le  lieutenant  de  police,  M.  de  la  Reynie,  qui,  en  1080, 
leur  fit  défense  de  rester  dans  cette  rue,  et  aux  proprié- 
taires des  maisons  qui  la  bordaient,  de  les  y  souffrir,  à 
peine  de  500  livres  d'amende  pour  chaque  contrevenant. 
L'année  suivante,  il  dut  renouveler  sa  demande,  parce 
qu'ils  avaient  voulu  s'établir  dans  la  rue  des  Cordeliers(2); 
et  la  même  défense  leur  fut  faite  par  arrêt  du  Parlement, 
du  -2ï  janvier  108*2. 

Il  fut  moins  heureux  dans  sa  lutte  contre  les  Comédiens 
français.  L'ouverture  du  collège  Mazarin,  en  1085,  avait 
décidé  le  Roi  à  leur  enjoindre  de  transporter  ailleurs  leur 
salle  de  spectacle,  installée  rue  des  Fossés  de  Nesle  (3),1 
pour  soustraire  les  étudiants  à  ce  dangereux  voisinage. 


(1)  Très  probablement  la  chapelle  neuve  de  la  Communion  en  face  de 
celle  des  Allemands. 

(2)  Aujourd'hui  la  rue  de  l'Ecole-de-Médecine. 

(3)  Aujourd'hui  la  rue  Mazarine. 


M.  DE  LA  BARMONDIÈRE  (1078-1689).  133 

Ils  cherchèrent  à  l'installer  rue  du  Bouloy  ;  mais  la  Reine, 
qui  avait  fondé  dans  cette  rue  un  couvent  de  Carmélites, 
leur  en  fit  refuser  la  permission;  ils  jetèrent  alors  leur  dé- 
volu sur  une  propriété,  dite  du  Jeu  de  Paume  de  l'Étoile, 
située  rue  des  Fossés  Saint-Germain  des  Prés;  et  tous  les 
etlbrts  de  M.  de  la  Barmondière  pour  la  leur  enlever,  sa 
demande  au  propriétaire,  sa  requête  au  Roi,  ses  offres 
aux  comédiens  eux-mêmes  de  la  leur  racheter  au  prix  de 
50.000  livres,  plus  du  double  de  sa  valeur,  demeurèrent 
inutiles;  il  eut  la  douleur  de  les  voir  s'installer  sur  sa 
paroisse  et  ne  put  qu'interdire,  en  1088,  le  passage  par 
cette  rue  de  la  grande  procession  de  la  Fête-Dieu. 

Ce  ne  fut  pas  le  seul  chagrin  que  lui  ait  causé  l'admi- 
nistration de  la  paroisse;  les  dettes  que  son  prédécesseur 
avait  fait  contracter  à  la  Fabrique  pour  la  construction 
de  la  nouvelle  église,  lui  en  suscitèrent  de  bien  plus  grands, 
parce  que  la  plupart  des  créanciers,  réduits  à  la  misère 
par  les  calamités  publiques  et  ne  pouvant  pas  attendre 
leur  paiement,  s'en  prenaient  à  lui  de  leurs  souffrances, 
dont  il  n'était  cependant  pas  l'auteur,  et  exhalaient  leur 
mécontentement  en  plaintes  violentes  contre  lui. 

Ces  dettes,  nous  l'avons  vu,  dépassaient  500.000  livres, 
et  la  Fabrique  était  si  obérée  qu'elle  ne  pouvait  même 
pas  en  servir  les  intérêts.  Dans  cette  extrémité,  M.  de  la 
Barmondière  proposa,  dans  une  assemblée  de  la  Fabri- 
que, du  lor  octobre  1679,  de  s'adresser  à  l'archevêque  de 
Paris,  MBT  de  Harlay,  dans  l'espoir  que  sa  charité  et  son 
crédit  lui  viendraient  en  aide.  Le  prélat  fut  d'avis  de  recou- 
rir à  la  bienveillance  du  Boi  qui,  dès  qu'il  fut  instruit 
de  l'état  des  choses,  ordonna  la  convocation  en  Assemblée 
extraordinaire  des  principaux  habitants  de  la  paroisse ,  à 
l'effet  d'aviser  aux  moyens  d'acquitter  cette  dette  (1);  et 
il  s'engagea  lui-même,  en  sa  qualité  de  propriétaire  de 

(1)  Arrêt  du  Conseil  d'Élat,  du  22  février  1G83,  signé  :  Colbert. 


134  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SLLP1CE. 

plusieurs  immeubles  sur  la  paroisse,  de  donner,  pour  cet 
objet,  dix  fois  plus  que  celui  des  paroissiens  qui  offrirait 
davantage.  Cette  assemblée  se  tint,  le  22  mars  1683, 
dans  la  chapelle  nouvelle  de  la  Communion.  Des  sous- 
criptions considérables  y  furent  recueillies;  la  duchesse 
Isabelle  d'Orléans  promit  G. 000  livres.  Mais  toutes  ces 
sommes  réunies  restèrent  insuffisantes.  Il  fallut  vendre 
tous  les  immeubles  de  la  Fabrique,  dont  le  prix,  montant 
à  200.000  livres,  suffit  à  peine  pour  solder  les  intérêts 
échus. 

Pour  arriver  au  paiement  du  principal,  un  arrêt  fut 
rendu,  le  4  janvier  1689,  par  le  Conseil  d'État,  qui  imposa 
à  tous  les  propriétaires  des  maisons  du  faubourg"  une 
taxe  spéciale,  dont  le  sixième  (1)  dut  être  supporté  par 
L'abbaye  et  les  cinq  autres  sixièmes  par  les  autres  pro- 
priétaires du  faubourg.  Au  moyen  de  cet  impôt  extraor- 
dinaire la  Fabrique  fut  libérée  de  sa  dette  en  douze 
années;  et  un  arrêt  du  Roi,  en  son  Conseil,  du  2i  juillet 
1700,  la  déchargea  de  toutes  ses  obligations  envers  ses 
créanciers. 

Mais  afin  d'éviter  à  l'avenir  de  semblables  embarras, 
le  Roi  défendit  expressément,  par  une  déclaration  du 
30  janvier  1690,  à  tous  les  marguilliers  de  fabriques, 
paroisses  ou  Confréries,  d'entreprendre  aucun  bâtiment 
pour  la  construction  ou  l'agrandissement  de  leurs  égli- 
ses, sans  y  avoir  été  autorités  par  des  Lettres  patentes 
qui  ne  seraient  expédiées  qu'après  avoir  pris  l'avis  des 
archevêques,  évèques  et  juges  des  lieux  sur  la  nécessite 
de  ces  nouveaux  bâtiments. 

Tous  ces  soucis,  auxquels  vint  s'ajouter  une  maladie 


(1)  Les  deux  tiers  de  ce  sixième  furent  mis  à  la  charge  de  la  mense  ab- 
batiale et  le  dernier  tiers  à  celle  de  la  mense  conventuelle.  Voir  plus  loin, 
au  chapitre  XVIII  :  Finances,  §  2,  les  détails  que  nous  donnons  sur  cette 
taxe. 


M.  DE  LA  BARMONDIÈRE  (1678-1689).  13° 

grave  dont  il  fut  atteint  dans  les  derniers  mois  de  cette 
même  année  1688,  déterminèrent  M.  de  la  Barmondière 
à  se  démettre  de  sa  cure,  le  7  février  suivant,  en  faveur 
de  M.  Baudrand,  directeur  du  Séminaire  et  son  assistant, 
qui  en  prit  possession  quelques  jours  après. 

M.  de  la  Barmondière  continua  à  demeurer  à  la  Com- 
munauté, édifiant  ses  confrères  par  sa  régularité,  sa 
générosité  envers  les  pauvres  et  son  entière  subordina- 
tion à  l'égard  de  son  successeur,  continuant  à  rendre  à 
la  paroisse  tous  les  services  qui  dépendaient  de  lui,  et 
ne  s'absentant  guère  que  pour  se  rendre  dans  les  Sémi- 
naires de  province  dont  le  supérieur  général,  M.  Tronson, 
le  chargeait  de  faire  la  visite  à  sa  place. 

Ce  fut  à  son  retour  d'une  de  ces  visites,  qu'il  tomba 
dangereusement  malade  au  commencement  de  l'année 
1694.  Il  se  fit  transporter  à  l'infirmerie  du  Séminaire  où 
il  édifia  tout  le  monde  par  sa  foi  vive,  sa  parfaite  rési- 
gnation et  sa  confiance  toute  filiale  envers  la  Très  Sainte 
Vierge.  Il  y  mourut,  en  odeur  de  sainteté,  le  18  septem- 
bre de  cette  même  année,  âgé  de  soixante-trois  ans. 


CHAPITRE  VII 

M.    BAUDRAND   (1 089-1696). 


Sommaire:  Sa  naissance. —  Premières  années  de  sa  vie  sulpicienne.  —  Il  as- 
sure la  prospérité  des  écoles  de  l'abbé  de  la  Salle.  —  ><>n  respect  de  l'ordre 
établi  par  M.  Olier  pour  l'administration  de  sa  paroisse.  —  Mission  de  1690.  — 
Translation  d'une  nouvelle  relique  de  saint  Sulpice.  —  Renouvellement  et 
bénédiction  solennelle  des  cloches  de  l'église.  —  Substitution  du  rite  pa- 
risien au  rite  romain.  —  Opinion  du  cardinal  Guibert  sur  ce  changement.  — 
Une  paralysie  oblige  M.  Baudrand  à  résigner  sa  cure  à  M.  île  la  Chétardye.  — 
Sa  mort  :  ses  ouvrages. 


Né  à  Paris  en  1637,  M.  Henri  Baudrand  était  le  fils  de 
M.  Baudrand  de  la  Combe,  sieur  de  Montréal,  d'une  an- 
cienne famille  du  Lyonnais.  Il  entra  au  Séminaire  de 
Saint-Sulpice  le  6  janvier  1659,  s'y  distingua  dans  ses 
études,  et  fut  admis,  en  1664,  dans  la  Compagnie  par 
M.  de  Bretonvilliers.  Après  avoir  pris  le  bonnet  de  doc- 
teur en  1666,  et  avoir  enseigné  la  théologie  dans  un  des 
Séminaires  de  province,  il  remplaça,  en  1675,  M.  de  Lan- 
tage  dans  sa  charge  de  supérieur  de  celui  de  Clermont. 
Il  y  resta  dix  ans  et  fut  alors  rappelé  à  Paris  pour  y  rem- 
plir les  fonctions  de  directeur  du  Séminaire,  qu'il  exerça 
jusqu'au  jour  où  sa  grande  réputation  de  lumières  et  de 
vertus  le  désigna  au  choix  du  supérieur,  M.  Tronson,  pour 
la  cure  de  Saint-Sulpice  (1).  Son  premier  soin  fut  d'assu- 

(1)  L'assemblée  de  1681  l'avait  nommé  Assistant  du  supérieur  général 
et  celle  de  1682  lui  conféra  le  titre  de  Consultent  substitué,  qui  lui  fut 
maintenu  parcelle  de  1692. 


M.  BAUDRAND  (168(.t-1696).  137 

rer  à  l'abbé  de  la  Salle  le  gouvernement  paisible  des  écoles 
de  la  paroisse,  en  congédiant  sans  éclat  leur  ancien  di- 
recteur, l'abbé  Compagnon,  prêtre  de  la  Communauté, 
auteur  des  Contradictions  et  des  entraves  auxquelles 
M.  de  la  Salle  avait  été  en  butte  dans  les  derniers  temps 
de  l'administration  de  son  prédécesseur,  et  en  lui  procu- 
rant la  place  de  directeur  des  enfants  de  chœur  de  la 
paroisse  (1).  A  partir  de  ce  moment  ces  écoles  devinrent 
florissantes  et  les  élèves  y  affluèrent  en  tel  nombre  qu'il 
fut  obligé  de  leur  en  ouvrir  une  nouvelle,  rue  du  Bac, 
près  du  Pont  Royal  qui  venait  d'être  livré  à  la  circulation, 
au  commencement  de  l'année  1690. 

En  même  temps  il  fit  dresser  un  état  de  la  paroisse, 
qu'il  lit  imprimer  en  1691  et  qui  indiquait  exactement  sa 
situation  lorsqu'il  en  prit  possession,  le  nombre  des  prê- 
tres et  des  établissements  de  piété  qu'elle  renfermait  et 
l'ordre  établi  pour  son  administration. 

On  y  comptait  plus  de  300  ecclésiastiques  :  80  à  la 
Communauté;  72  au  grand  Séminaire;  77  au  petit  ;  31  à 
la  communauté  de  M.  de  la  Barmondière;  15  à  celle  de 
l'abbé  Chanciergue,  autorisée  peu  après  sous  le  nom  de 
Séminaire  Saint-Louis.  Il  y  avait  en  plus  7  couvents 
d'hommes,  15  de  religieuses;  3  hôpitaux,  des  maisons  de 
refuges;  plusieurs  communautés  des  deux  sexes,  dont  les 
unes  étaient  destinées  à  l'éducation  gratuite  des  enfants, 
et  les  autres  offraient  un  asile  aux  personnes  du  monde 
qui  désiraient  se  livrer,  dans  la  retraite,  aux  exercices  de 
piété  ou  au  service  du  prochain  (2). 

L'ordre  établi  par  M.  Olier  pour  l'administration  de  la 
paroisse  était  toujours  religieusement  observé,  seulement 
avec  quelques  modifications  légères  que  le  temps  et  l'ex- 


(1)  A.  Ravelet,  le  Bienheureux  J.  B.  de  la  Salle,  p.  210  à  212. 

(2)  Mem.  mss.  sur  les  curés  de  Saint-  Sulpice ,  2"  partie,  art.  Baudrand  , 
p.  3. 


13s  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULP1CE. 

périence  avaient  imposées.  La  paroisse  restait  divisée  en 
huit  quartiers;  et  chacun  d'eux  était  placé  sous  la  sur- 
veillance de  deux  prêtres  de  la  Communauté,  qui  de- 
vaient rendre  compte,  chaque  semaine,  à  M.  le  curé  de 
tout  ce  qui  s'y  passait. 

L'administration  des  divers  Sacrements  était  confiée  à 
plusieurs  autres  prêtres.  D'autres  encore  étaient  chargés 
de  la  conduite  des  clercs  de  la  paroisse,  du  soin  des  pri- 
sonniers, de  la  surveillance  des  communautés. 

Le  Séminaire  était  spécialement  chargé  du  soin  des  ca- 
téchismes ordinaires  qui  étaient  au  nombre  de  14  et  occu- 
paient 35  catéchistes,  tant  au  dedans  qu'en  dehors  de  l'é- 
glise. Il  y  avait  en  plus  10  catéchismes  extraordinaires, 
desservis  par  *20  catéchistes,  et  dont  l'objet  était  de  pré- 
parer à  la  confirmation  et  à  la  première  communion  non 
seulement  les  enfants  mais  aussi  les  adultes ,  comme  les 
domestiques,  qui  ne  pouvaient  pas  assister  aux  catéchis- 
mes ordinaires.  Tous  ces  catéchismes  étaient  faits  par  des 
prêtres  du  Séminaire,  à  l'exception  de  celui  des  servantes 
réservé  aux  prêtres  de  la  Communauté. 

On  continuait  également  à  appliquer  toutes  les  me- 
sures si  sages  qu'avait  prises  M.  Olier  pour  le  soulagement 
des  pauvres  et  le  règlement  de  leurs  affaires,  comme  pour 
la  tenue  des  assemblées  de  charité  qu'il  avait  instituées 
à  l'effet  d'y  pourvoir. 

Non  content  de  maintenir  dans  tous  ses  détails  cette 
belle  organisation  des  divers  services  spirituels  et  tem- 
porels de  la  paroisse,  M.  Baudrand,  pour  y  ranimer  l'es- 
prit de  foi  et  de  piété,  y  fit  donner,  en  1690,  une  nouvelle 
mission  qui  s'ouvrit  le  5  février  et  ne  se  termina  qu'à 
Pâques;  et  les  exercices  en  furent  si  bien  distribués  tant  à 
l'église  que  dans  les  chapelles  qui  en  dépendaient,  que 
les  personnes  de  toute  condition  purent  y  prendre  part 
et  qu'elle  produisit  un  notable  renouvellement  de  fer- 
veur parmi  les  fidèles. 


M.   MUDRAXD  (1689-1696).  139 

La  même  année,  il  reçut  de  l'archevêque  de  Bourges, 
Mgl  Phelipeaux  de  la  Vrillière ,  un  os  du  bras  droit  de 
saint  Sulpice ,  qui  fut  solennellement  transféré  dnns  l'é- 
glise, le  27  août.  On  y  possédait  déjà  deux  os  du  chef  du 
saint,  donnés  à  la  fabrique,  en  1586,  par  l'abbé  de  Saint- 
Sulpice  de  Bourges,  et  dont  la  fête  de  la  translation  se  cé- 
lébrait le  même  jour.  A  la  demande  de  M.  Baudrand,  le 
poète  Santeuil,  qui  avait  déjà  composé  les  hymnes  de 
l'office  de  Saint-Sulpice ,  en  composa  deux  autres  à  l'oc- 
casion du  don  de  cette  nouvelle  relique  (1). 

Deux  ans  après,  en  1692,  eut  lieu  le  renouvellement 
des  cloches  de  l'église.  Les  anciennes,  au  nombre  de 
quatre  (2).  étaient  toutes  cassées.  91.  Baudrand  les  fit  des- 
cendre du  clocher,  prescrivit  leur  refonte,  pour  qu'elles 
pussent  entrer  dans  la  composition  des  nouvelles,  et  les 
remplaça  par  quatre  autres  plus  fortes,  qu'il  bénit  solen- 
nellement, le  15  juillet  de  cette  année. 

La  première,  du  poids  de  i.000  livres  et  sur  laquelle 
furent  gravées  les  paroles  :  congregabo  ad  Deum  congre- 
gatos  ejus,  eut  pour  parrain  et  marraine  le  prince  de 
Condé  et  la  duchesse  d'Alençon,  qui  lui  donnèrent  les 
noms  d'Élisabeth-Henriette; 

La  seconde,  du  poids  de  2.800  livres  et  sur  laquelle  on 
inscrivit  ces  mots  :  in  Excèlsis  sonitus  lœtiliœ,  fut  appelée 
Anne-Louise,  par  le  duc  de  Bourbon,  prince  du  sang,  et 
la  princesse  Palatine,  ses  parrain  et  marraine  ; 

La  troisième,  pesant  2.000  livres,  fut  nommée  Mar- 
guerite par  ses  parrain  et  marraine,  M.  Bignon ,  premier 


(1)  La  mémoire  de  ces  deux  translations  se  célèbre  chaque  année,  à  Saint- 
Sulpice,  le  quatrième  dimanche  de  juillet. 

(2)  La  première  pesait  3.418  livres  et  avait  été  bénite,  en  1614,  par  M.  Le- 
maire;  la  seconde  pesait  2.560  livres  et  avait  été  bénite,  en  1632,  par  M.  de 
Fiesque;  la  troisième,  du  poids  de  1.918  livres,  avait  été  bénite,  en  1630, 
par  M.  de  Montereul;  et  la  quatrième,  du  poids  de  1.438  livres,  avait  été 
bénite,  en  1658,  par  M.  de  Poussé.  Rem.  hist..  t.  I,  p.  151. 


140  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

président  au  Grand  Conseil,  et  la  duchesse  de  Luynes; 

La  quatrième,  pesant  1.500  livres,  reçut  les  noms  de 
Jeanne-Françoise ,  que  lui  donnèrent  le  chancelier  Teyrat 
et  la  marquise  d'Aligre,  ses  parrain  et  marraine. 

Deux  autres  y  furent  ajoutées  en  1700,  Tune  du  poids 
de  1.200  livres,  l'autre  de  800,  qui  furent  bénites  par 
M.  de  la  Chétardye. 

De  cette  même  année  1692  encore,  date  un  changement 
considérable  dans  la  célébration  des  offices  de  la  paroisse. 
Le  11  avril,  jour  de  Quasimodo,  le  rite  romain,  en  usage 
jusque-là,  fut  remplacé  par  le  rite  parisien,  tant  pour 
le  rituel  que  pour  le  missel,  d'après  les  ordres  exprès  de 
l'archevêque  de  Paris,  Mgr  de  Harlay,  qui  avait  prescrit 
cette  substitution  dès  l'année  1680,  mais  qui  avait  ac- 
cordé des  délais  successifs  pour  l'exécuter  (1). 

Quelles  purent  être  alors  les  raisons  de  cette  réforme 
d'une  liturgie,  de  temps  immémorial  en  vigueur  dans  le 
diocèse  de  Paris?  C'était  une  époque,  dit  le  cardinal  Gui- 
bert,  dans  son  mandement  du  1er  novembre  1873  pour  le 
retour  à  la  liturgie  romaine ,  où  déjà  s'annonçait  <•  un 

mouvement  d'opinion  qui  conduisait  à  des  innovations 
"  de  tout  genre.  On  suivit  ce  courant,  sans  trop  se  rendre 
«compte  des  conséquences,  et  ainsi  furent  introduits 
«  dans  les  prières  publiques  des  changements  cjui  sem- 


(1)  Le  Séminaire  cependant,  n'étant  pas  un  séminaire  diocésain,  continua 
à  suivie  le  rite  romain,  jusqu'en  1708  où  M-'  de  Noailles  l'obligea  à  pren- 
dre le  rite  parisien.  Il  n'y  eut  plus  que  la  Solitude  qui  conserva  le  rite  ro- 
main jusque  la  Révolution.  La  Solitude  n'est  pas  seulement  le  Noviciat  de 
la  Compagnie,  mais  encore,  selon  les  vues  de  M.  Olier,  un  lieu  de  retraite, 
où  les  supérieurs  et  directeurs  des  différents  Séminaires  peuvent  aller,  de 
temps  en  temps,  passer  quelques  jours  ou  même  quelques  mois  pour  se  re- 
nouveler dans  l'esprit  de  leur  vocation.  Gosselin,   Vie  de  M.  Emery.  I,  8. 

Au  mois  de  juin  1739,  on  commença,  dans  la  paroisse,  à  se  servir  pour 
l'ollice  public  du  nouveau  Bréviaire  et  du  nouveau  Missel,  pour  se  con- 
former au  mandement  de  l'archevêque,  W  de  Vintimille.  V.  Gosselin,  Vie 
de  M.  Entery,  t.  I,  p.  36,  et  Simon  de  Doncourt,  Rem.   hist.,  t.  I,  p.  158. 


M.  BAUDRAND  (1689-1696).  141 

«  blaient  répondre  aux  exigences  d'un  goût  plus  délicat  ». 
On  se  persuadait  que  cette  innovation  n'élait  qu'une  ré- 
forme littéraire  heureuse,  et  qui  ne  touchait  à  rien  d'es- 
sentiel dans  les  choses  de  la  Foi.  «  Oui,  sans  doute,  ajoute 
(<  l'émment  cardinal,  la  Foi  était  sauvegardée;  mais  la 
«  prière  publique  se  recommande  par  un  autre  mérite, 
«  celui  d'être  approuvée  par  l'autorité,  qui  doit  tout  ré- 
«  g'ier  dans  le  culte  divin.  Or,  l'Église  romaine,  mère  et 
«  maîtresse  de  toutes  les  Églises,  ainsi  que  l'appelle  Bos- 
«  suet,  ne  reconnaissait  pas  le  droit  qu'on  s'était  attribué 
«  de  modifier  les  prières  canoniques  et  jugeait  cette  entre- 
«  prise  comme  un  empiétement  sur  les  pouvoirs  du  Saint- 
ce  Siège.  »  C'est  donc,  concluait  le  cardinal,  faire  acte 
d'obéissance  au  Pape  et  donner  une  preuve  d'attachement 
à  l'Église  que  de  revenir  à  la  Liturgie  romaine;  et  il  fai- 
sait observer  encore  que  cette  Liturgie,  «  en  nous  faisant 
«  prier  avec  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  nous  associe  plus 
«  expressément  à  la  médiation  du  Pontife  éternel  et  nous 
«  met  aussi  plus  parfaitement  en  communauté  de  prières 
«  avec  tous  les  fidèles  qui  sont  sur  la  terre  »,  et  qu'en 
même  temps  elle  nous  procure  la  satisfaction  de  penser 
que  «   dans  nos  entretiens  avec   Dieu  et  dans  la  prière 
«  publique,  nous  exprimons  notre  adoration  ou  nos  sup- 
«  plications,  notre  repentir  ou  nos  actions  de  grâces  avec 
«  les  mêmes  paroles  qui  passèrent  sur  les  lèvres  de  tant 
«  de  générations  chrétiennes  et  que  répétèrent  pendant 
«  si  longtemps  les  voûtes  de  nos  vieilles  églises  ». 

La  paroisse  Saint-Sulpice  ne  conserva  pas  longtemps 
son  excellent  curé.  Au  commencement  de  1(596,  il  fut 
obligé  de  résigner  ses  fonctions,  à  la  suite  d'une  violente 
attaque  de  paralysie  dont  depuis  longtemps  déjà  il  res- 
sentait les  atteintes;  et  de  concert  avec  M.  Tronson,  il 
choisit  pour  son  successeur  M.  de  la  Chétardye,  alors  curé 
de  la  paroisse  de  Notre-Dame  de  Moutier-Moyen  unie  au 
Séminaire  de  Bourges,  et  titulaire  du  prieuré  de  Saint- 


142  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Cosme-les-Tours,  qu'il  céda  à  M.  Baudrand  en  échange  de 
sa  cure  de  Saint-Sulpice. 

Il  vécut  encore  jusqu'en  1699,  où  une  nouvelle  attaque 
l'emporta,  le  19  octobre,  à  sa  maison  de  campagne,  près 
de  Beaune  en  Gâtinais.  Il  n'avait  que  soixante-deux  ans. 

Il  reste  de  lui  plusieurs  ouvrages  manuscrits  : 

1°  Un  mémoire  sur  la  vie  de  M.  Olier  et  sur  le  séminaire 
de  Saint-Sulpice,  80  pages  in-4"; 

2°  Une  vie  de  M.  de  Breton villiers  en  79  pages  in-i°; 

3°  Le  recueil  des  actes  de  la  Faculté  de  Théologie  de 
Paris  en  ï  volumes  in-f°. 

Ce  recueil,  qui  renferme  de  précieux  documents  sur 
l'histoire  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris  et  aussi  sur 
un  grand  nombre  de  faits  relatifs  à  l'histoire  de  l'Église 
de  France  depuis  le  milieu  de  xin°  siècle  jusqu'à  la  fin  du 
xvif,  est  d'autant  plus  précieux  qu'un  incendie  a  dé- 
truit, dans  le  cours  du  xvne  siècle,  en  1670,  une  partie 
des  actes  de  cette  Faculté,  qui  étaient  conservés  à  la  bi- 
bliothèque de  la  Sorbonnc; 

4°  Un  recueil  de  pièces  sur  la  controverse  relative  à 
l'Immaculée  Conception  de  la  Très  Sainte  Vierge,  à  l'occa- 
sion d'un  sermon,  prêché  le  8  décembre  1672,  par  l'abbé 
Marais,  chanoine  de  Saint-Denis  du  Pas,  dans  la  chapelle 
du  collège  d'Harcourt  où  la  Nation  de  Normandie,  l'une 
des  quatre  de  la  Faculté  des  Arts,  célébrait  avec  beaucoup 
de  solennité  la  fête  de  la  Conception  de  la  Sainte  Vierge. 
500  pages,  p'  in-f°; 

5°  Et  un  mémoire  sur  les  Devoirs  des  Evêques,  in-f°  de 
2V0  p.  conservé  au  Séminaire  de  Saint-Sulpice.  Bertrand, 
loc.  cit.,  I,  p.  119  à  123. 


CHAPITRE  VIII 

M.    DE    LA    CHÉTARDYE    (1)    (1696-171V 


Sommaire  :  Ancienneté  de  sa  Camille.—  Son  admission  dans  la  Compagnie.  — 
Succès  de  son  cours  de  morale  et  de  ses  conférences  ecclésiastiques  au  Pu> . 
Il  est  l'auteur  du  catéchisme  de  Bourges.  —  Son  explication  de  l'Apocalypse  : 
en  quoi  elle  dilfére  de  celle  de  Bossuet.  —  Bévision  du  règlement  de  la 
communauté  des  prêtres  de  la  paroisse.  —  M.  de  la  Chétardye  augmente  le 
nombre  des  écoles  et  des  catéchismes.  —  Il  crée  une  école  dominicale  de 
garçons.  —  Il  encourage  les  deux  congrégations  d'hommes  et  de  femmes 
fondées  par  l'abbé  Deschamps  sous  la  protection  de  la  Sainte  Vierge. 
—  Sa  générosité  envers  les  pauvres.  —  Confiance  qu'il  inspire  au  Cardinal  de 
Noailles.  —  Il  devient  directeur  de  conscience  de  Mma  de  Maintenon.  —  ses 
rapports  avec  Louis  Xiv.  —  son  refus  de  l'évêclié  de  Poitiers.  —  Bien- 
veillance que  lui  témoigne  le  pape  Clément  XI.  —  Sa  mort.  —  Son  testament. 


M.  Joachim  Trotti  de  la  Chétardye  naquit,  le  22  novem- 
bre 1636,  au  château  de  la  Chétardye,  près  d'Excideuil, 
en  Ang-oumois,  d'une  ancienne  famille  originaire  d'Italie. 
Entré  au  Séminaire  de  Saint-Sulpice  le  24-  décem- 
bre 1657,  il  était  déjà  docteur  en  théologie  quand  il  prit 
en  Sorbonne  son  premier  et  son  seul  titre  de  Bachelier. 
Admis  dans  la  Compagnie  par  M.  de  Bretonvilliers  vers  la 
fin  de  1663,  il  resta  près  de  deux  ans  à  la  Solitude  et  fut 
envoyé  ensuite  au  Puy  pour  y  enseigner  la  morale.  Le 
succès  de  son  cours  engagea  Févêque,  Mgr  de  Béthune,  h 
le  charger  de  continuer  les  conférences  ecclésiastiques, 
établies  quelques  années  auparavant  par  son  prédéces- 

(1)  Nous  écrivons  son  nom  comme  il  le  signait. 


1,4  HISTOIRE  DE  LÉGL1SE  SAINT-SULP1CE. 

seur,  M-1  de  Maupas,  et  dirigées  jusque-là  par  M.  de  Langa- 
ges; et  elles  furent  elles-mêmes  si  goûtées,  qu'à  la  de- 
mande de  Sa  Grandeur,  il  les  publia  en  1679  (1).  11  se  lia 
alors  avec  l'abbé  Grousson,  vicaire  à  Saint-Georges,  et 
prit  avec  lui  une  part  active  à  l'établissement  des  Filles 
de  l'Instruction,  qui  fut  formé  en  1668  et  renouvela  en 
peu  de  temps  les  mœurs  de  la  ville. 

Son  zèle  ne  se  limitait  pas  au  diocèse  du  Puy.  Pourvu 
en  commende  du  prieuré  de  Sain t-Cosme-les-Tours  que  lui 
avait  résigné  son  grand-oncle,  M.  de  la  Chétardye,  con- 
seiller-clerc au  Parlement  de  Paris,  il  en  employait  tous 
les  revenus,  d'au  moins  2  à  3.000  livres,  en  aumônes,  en 
bourses  pour  de  pauvres  ecclésiastiques,  ou  en  répara- 
tions ou  décorations  d'églises  dépendant  de  son  béné- 
fice. Souvent  aussi,  pendant  ses  vacances,  il  allait  prè- 
cber  des  missions  ou  des  retraites  dans  le  diocèse  de 
Bayeux,  dont  l'évèque,  Mgr  de  Nesmond,  était  son  cousin 
germain. 

Il  quitta  le  Puy  en  1679,  pour  aller  à  Bourges  où 
M.  Tronson,  qui  venait  d'accepter  la  direction  du  grand 
Séminaire,  l'adjoignit  aux;  directeurs  de  cette  nouvelle 
maison.  Il  y  fut  spécialement  cbargé  de  la  cure  de  Notre- 
Dame  de  Moutier-Moyen ,  unie  alors  au  séminaire,  où  ses 
prônes  du  dimancbe  attirèrent  bientôt  un  nombreux  au- 
ditoire, et  où  il  se  distingua  surtout  comme  catéchiste 
dans  ses  instructions  aux  enfants.  Frappé  de  son  talent, 
l'archevêque,  Mgl  de  la  Vrillière,  l'invita  à  rédiger  par 
écrit  ses  catéchismes  :  ce  fut  là  l'origine  du  Catéchisme  de 
Bourges,  qu'il  fit  paraître  pour  la  première  fois  en  1688, 
et  dont  un  mandement  archiépiscopal,  du  5  mai  de  la 

(l)  Pondant  son  séjour  au  Puy,  il  fit  encore,  pour  l'édification  de  sa 
sœur,  Charlotte  de  la  Chétardye,  abbesse  du  couvent  de  Sainte-Claire,  à 
Clermont,  une  savante  traduction,  avec  notes  et  remarques,  de  la  vie 
de  sainte  Thecle,  la  première  martyre  de  son  sexe,  composée  par  saint 
Basile  de  Séleucie.  Mëm.  mss.,  art.  M.  de  la  Chtlardye,  p.  106. 


M.  DE  LA  CHÉTARDVE  (1696-1714).  145 

même  année,  prescrivit  l'usage  exclusif  clans  son  diocèse. 

Le  prélat  aurait  bien  désiré  s'attacher  un  prêtre  d'un 
aussi  haut  mérite;  et  dans  cet  espoir,  il  lui  offrit  le 
doyenné  de  sa  cathédrale;  mais  M.  de  la  Chétardye  le 
refusa  pour  demeurer  fidèle  à  sa  vocation  d'éducateur 
du  clergé. 

Tous  les  dimanches  et  fêtes  également,  pendant  quatre 
mois  de  l'année,  il  faisait  les  catéchismes  de  tonsure,  en- 
tretiens ecclésiastiques  destinés  aux  jeunes  gens  qui  se 
disposaient  à  recevoir  la  tonsure.  11  les  imprima  à  Bour- 
ges sous  le  titre  de  :  Instruction  sur  la  tonsure,  à  l'usage 
des  Ordinands.  11  fut  même  chargé  d'un  cours  de  morale, 
dont  l'objet  principal  était  la  matière  des  sacrements,  et 
dont  les  leçons  formèrent  un  abrégé  de  théologie  morale 
qu'il  publia  en  1691,  par  ordre  de  l'archevêque,  sous  le 
titre  de  :  Compendia  quorumdam  tractatuum  moralium  : 
ouvrage  précieux  pour  les  jeunes  prêtres  qui,  n'ayant 
pas  soit  le  temps,  soit  le  moyen  de  lire  des  ouvrages  plus 
étendus,  désirent  cependant  entretenir  les  connaissances 
qu'ils  ont  acquises  au  Séminaire  sur  cette  matière  difficile. 

La  même  année,  il  livra  encore  au  public  son  Explica* 
lion  de  l'Apocalypse  par  l'histoire  ecclésiastique,  destinée 
spécialement  aux  nouveaux  convertis  du  diocèse  de  Bour- 
ges, dans  le  but  d'opposer  une  explication  plausible  de 
l'Apocalypse  aux  systèmes  protestants  qui  appliquent  au 
Pape  et  à  l'Église  romaine  ce  qui  est  dit  dans  ce  livre  de 
l'Antéchrist  et  de  Borne  idolâtre. 

Déjà,  deux  ans  auparavant,  Bossuet  avait  publié,  clans 
le  même  but,  une  étude  sur  l'Apocalypse  dont  les  prédic- 
tions lui  semblaient  avoir  pour  objet  prochain  la  chute 
de  l'idolâtrie  et  la  destruction  de  Borne  païenne,  sans 
qu'il  contestât  cependant  qu'elles  pussent  avoir  aussi  un 
objet  plus  éloigné,  la  chute  de  l'Antéchrist  et  la  destruc- 
tion de  son  empire  à  la  fin  des  temps.  Le  livre  de  M.  de 
la  Chétardye  étend  bien  davantage  l'objet  direct  et  le  sens 

ÉCLISE   SAINT-SLLPICE.  10 


146  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

littéral  de  l'Apocalypse;  il  y  trouve  l'histoire  entière  de 
l'Église  depuis  son  origine  jusqu'à  la  fin  du  monde;  et 
selon  lui,  les  sept  sceaux  désignent  les  sept  âges  de 
l'Église  avec  les  événements  qui  caractérisent  chacun 
d'eux. 

Malgré  la  grande  autorité  de  Bossuet,  cette  explication 
de  l'Apocalypse  par  M.  de  la  Chétardye,  quelque  diffé- 
rente qu'elle  fût  de  la  sienne ,  fut  très  bien  accueillie  du 
public.  Un  savant  prélat  anglais,  Charles  Walmesley,  l'a- 
dopta, à  la  fin  du  xvinc  siècle,  dans  son  Histoire  générale 
de  l'Église  chrétienne  tirée  principalement  de  l 'Apoca- 
lypse, qu'il  publia  sous  le  nom  de  Pastorini  et  qui  fut 
traduite  en  français  par  Jacques  'Wilson,  religieux  béné- 
dictin de  la  congrégation  de  Saint-Maur;  et  M.  Garnier,  le 
dixième  supérieur  de  la  Compagnie  de  Saint-Sulpice,  si 
connu  par  ses  profondes  études  sur  l'Écriture  Sainte,  in- 
clina longtemps  à  préférer  l'explication  de  M.  de  la  Ché- 
tardye à  celle  de  Bossuet  qu'il  n'adopta  que  dans  sa 
vieillesse. 

C'est  au  milieu  de  ces  savants  travaux,  que  M.  de  la 
Chétardye  fut  appelé  à  la  cure  de  Saint-Sulpice,  dont  il 
prit  possession,  le  13  février  169G.  D'une  taille  élevée, 
beau  de  visage  et  distingué  de  manières,  il  ne  tarda  pas  à 
gagner  l'affection  de  sa* paroisse  par  son  affabilité,  sa 
droiture  et  sa  bonté. 

Son  premier  soin  fut  de  revoir  avec  M.  Leschassier  et  de 
compléter  le  Règlement  de  la  Communauté  de  ses  prêtres, 
dont  il  exigea  ensuite  la  stricte  application,  donnant 
l'exemple  de  l'assiduité  aux  exercices  communs  et  ne 
manquant  jamais  ni  à  l'oraison  du  matin,  à  laquelle  il 
arrivait  toujours  le  premier,  ni  aux  exercices  de  la  retraite 
de  huit  jours,  à  la  fin  d'octobre. 

A  partir  du  dimanche  de  la  Septuagésime,  le  premier 
qui  suivit  son  installation ,  il  se  fit  un  devoir,  chaque  di- 
manche et  fête,  de  célébrer  la  première  grand'messe  et 


M.  DE  LA  CHÉTARDYE  (1696-1714).  147 

de  faire  ensuite  le  prône ,  et  il  ne  s'en  exempta  plus  que 
pendant  ses  vacances  (1). 

Les  divers  états  de  la  paroisse,  imprimés  en  1697  et 
en  1698,  montrent  sa  vigilance  à  développer  toutes  les 
œuvres  établies  par  ses  prédécesseurs,  dont  l'accroisse- 
ment de  la  population  du  faubourg  appelait  l'extension  : 
Il  multiplia  les  écoles  qu'il  porta  au  nombre  de  12,  dont 
k  de  garçons,  tenues  par  les  Frères  des  Écoles  chrétien- 
nes, et  renfermant  li  classes  (2)  avec  1.100  élèves;  et  8  de 
filles  tenues  par  différentes  communautés,  spécialement 
par  les  filles  du  Père  Barré,  par  celles  de  Sainte-Thècle  (3) 


(1)  Les  prônes  de  M.  de  la  Chétardye  consistaient  d'ordinaire  dans  une 
homélie  sur  l'Épitre  on  l'Évangile  du  jour,  dont  il  donnait  une  explication 
simple  et  familière  et  où  il  excellait  à  tirer  les  réflexions  morales,  les  plus 
appropriées  aux  besoins  de  ses  auditeurs,  du  sens  naturel  des  paroles  et  des 
exemples  du  Fils  de  Dieu. 

Il  a  publié  lui-même,  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie ,  le  Recueil  de  ses 
homélies,  qui  se  compose  de  42  homélies  françaises  et  de  75  homélies  la- 
tines. Bertrand,  loc  cit.,  t.  I,  p.  194  à  200. 

«  Il  avait  la  coutume,  dit  encore  M.  l'abbé  Bertrand  [ibid.,  p.  195),  d'é- 
crire en  latin  les  homélies  qu'il  devait  ensuite  prononcer  en  français, 
l'expérience  lui  ayant  appris,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  sa  préface,  que 
par  ce  moyen  elles  se  gravaient  plus  aisément  dans  sa  mémoire.  Plusieurs 
célèbres  sermonnaires  de  son  temps  faisaient  de  même  :  tel  le  P.  de  Lin- 
gendes...;  tel  aussi  Bossuet,  au  témoignage  de  l'abbé  Ledieu.  » 

(2)  Les  quatre  écoles  des  frères  étaient  celles  de  : 

1°  La  communauté  de  Saint-Cassien,  rue  de  Vaugirard 1  classe. 

2°  Rue  Princesse 5 

3°  Rue  Saint-Placide 5 

4°  Rue  de  Bourbon,  près  le  Pont  Royal 3 

14 

Et  le  traitement  de  chaque  frère,  que  M.  de  la  Barmondière  avait  fixé  à 
250  1.,  fut  porté  à  300  1.  par  M.  de  la  Chétardye. 

(3)  Cette  communauté,  établie,  en  1676,  par  un  prêtre  de  la  Communauté, 
M.  de  Mony,  dirigeait  quatre  écoles  gratuites  et  un  pensionnat  payant  sur 
la  paroisse.  Elle  recevait  aussi  les  femmes  de  chambre  et  autres  domestiques 
qui  attendaient  pour  entrer  en  place,  et  les  formait  à  la  piété  et  au  travail. 
Rem.  hist.,  t.  I,  p.  80,  en  note. 


148 


HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 


et  de  l'Annonciation  et  renfermant  19  classes  (1)  avec 
900  élèves. 

Ces  diverses  écoles  comptaient  ensemble  plus  de  2.000 
élèves,  auxquels  on  faisait  des  aumônes  considérables  en 
leur  distribuant,  tous  les  jours,  du  potage  à  diner  et  du 
pain  à  souper,  sans  parler  des  aumônes  extraordinaires 
accordées  aux  plus  pauvres,  surtout  en  cas  de  maladie. 
Dans  toutes,  on  leur  enseignait  le  catéchisme,  la  lecture, 
l'écriture,  le  calcul;  et,  en  outre,  on  les  initiait  à  divers 
travaux  manuels,  selon  leur  sexe  et  leurs  aptitudes,  pour 
les  mettre  à  même  de  gagner  plus  tard  et  honnêtement 
leur  vie. 

Chacune  d'elles  était  visitée,  toutes  les  semaines,  par 
des  ecclésiastiques  ou  des  dames  de  charité ,  qui  devaient 
rendre  compte  de  leurs  visites  à  M.  de  la  Chétardye;  et, 
tous  les  mois,  il  les  réunissait  chez  lui  avec  les  maîtres  et 
maîtresses-  qu'ils  avaient  inspectés,  pour  concerter  en- 
semble les  améliorations  dont  le  régime  de  leurs  écoles 
était  susceptible. 

Il  compléta  cette  grande  œuvre  scolaire  parla  création, 


(1)  Les  huit  écoles  de  filles  étaient  celles  de  : 

1°  La  communauté  des  filles  de  l'Instruction,  rue  du  Gindre. ..     3  classes 

2°  La  communauté  des  filles  de  Saint-Thomas  de  Villeneuve, 

rue  de  Grenelle 3 

3°  La  communauté  des  filles  de  Sainte-Thècle,  rue  de   Vau- 

girard 4 

4°  La  communauté  des  filles  des  Écoles  chrétiennes  de  l'Eu- 

fant-Jésus,  rue  Saint-Dominique,  à  Saint-Joseph 2 

5°  La  communauté  des  filles  des  Ecoles  chrétiennes  de  l'En- 

fant- Jésus,  rue  Saint-Placide 2 

G0  La  communauté  des  filles  des  Écoles  chrétiennes  de  l'En- 

fant-Jésus,  à  la  Grenouillère 2 

7»  La  communauté  des  filles  des  Écoles  chrétiennes  de  l'En- 

fant-Jésus ,  rue  de  Sèvres 2 

8°  La   communauté     des    filles    de    l'Annonciation,    rue    du 

Cherche-Midi -  1 

19 


M.  DE  LA  CHETARDYE  (1696-1714).  140 

en  1699,  d'une  Ecole  dominicale  qu'il  confia  aux  plus  ha- 
biles des  Frères  de  M.  de  la  Salle  et  dans  laquelle,  chaque 
dimanche  et  fête,  il  réunissait  les  apprentis  et  les  jeunes 
ouvriers  âgés  de  moins  de  vingt  et  un  ans.  Après  la 
messe,  trois  heures  y  étaient  consacrées,  le  matin,  à  leur 
donner  des  leçons  d'abord  d'orthographe  et  de  calcul, 
puis  de  géométrie,  d'architecture  et  de  dessin;  et,  l'a- 
près-midi, à  leur  faire  le  catéchisme  et  une  exhortation. 

En  peu  de  temps  cette  école  devint  florissante;  les 
jeunes  gens  goûtaient  beaucoup  son  enseignement  spé- 
cial; mais  elle  excita  les  ombrages  des  maîtres  d'écriture, 
qui  intentèrent  un  procès  à  MM.  de  la  Chétardye  et  de  la 
Salle  et  les  obligèrent  à  la  fermer  en  1705.  Ils  la  rouvri- 
rent bientôt  après,  le  soir  des  jours  ouvrables,  sous  le 
titre  d 'École  gratuite  de  dessin;  mais  elle  leur  suscita,  à 
son  tour,  de  telles  difficultés,  qu'ils  durent  la  supprimer. 

Néanmoins,  c'est  l'honneur  de  l'Église  d'avoir  inauguré 
ainsi  en  faveur  des  ouvriers,  par  l'initiative  de  M.  de  la 
Chétardye  et  l'intelligent  concours  de  l'abbé  de  la  Salle, 
cet  enseignement  si  utile  des  arts  du  dessin  appliqués  à 
l'industrie  (1). 

Il  multiplia  également  les  catéchismes,  surtout  ceux  des 
divers  quartiers  de  la  paroisse,  et  en  éleva  le  nombre  total 
de  14-  à  19.  Ces  catéchismes  étaient  confiés  aux  élèves  du 
Séminaire  sous  la  conduite  d'un  de  leurs  Directeurs.  Il 
les  inspectait  souvent,  interrogeant  les  élèves,  leur  don- 
nant des  explications  et  des  récompenses,  et  excitant 
ainsi  leur  émulation  en  même  temps  qu'il  stimulait  l'ap- 


(1)  Indépendamment  de  ces  diverses  écoles  de  charité,  créées  en  faveur  des 
enfants  des  pauvres,  M.  de  la  Chétardye  détermina  encore  M.  de  la  Salle  à 
ouvrir,  dans  sa  maison,  un  pensionnat  destiné  à  donner  une  éducation  plus 
relevée  aux  fils  des  familles  nobles  et  spécialement  des  enfants  des  sei- 
gneurs, anglais  et  irlandais,  qui  avaient  suivi  Jacques  II  dans  son  exil  en 
France,  où  Louis  XIV  lui  accordait ,  au  château  de  Saint-Germain,  uns  hos- 
pitalité fastueuse.  A.  Ravelet,  loc.  cit.,  p.  253. 


150  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

plication  de  leurs  maîtres,  en  leur  imposant  le  pro- 
gramme de  son  catéchisme  de  Bourges,  qu'il  réédita 
plusieurs  fois  à  leur  usage. 

Tout  en  répandant  dans  sa  paroisse  l'instruction  reli- 
gieuse ,  primaire  et  professionnelle ,  il  sut  y  développer 
aussi  l'esprit  de  foi  et  de  piété,  en  encourageant  les  nou- 
velles congrégations  d'hommes  et  de  femmes  qu'un  neveu 
de  M.  Baudrand,  M.  Deschamps,  l'un  des  prêtres  les  plus 
zélés  de  la  Communauté,  avait  établies,  de  1700  à  1702, 
en  l'honneur  et  sous  la  protection  de  la  Très  Sainte  Vierge, 
refuge  et  avocate  des  pécheurs. 

Cet  homme  de  Dieu  avait  commencé  par  réunir  huit  ou 
dix  hommes,  marchands  ou  artisans  du  quartier  dont  il 
avait  la  surveillance,  dans  une  des  chapelles  de  Saint- 
Sulpice ,  leur  disant  la  messe  et  leur  faisant  une  instruc- 
tion, tous  les  dimanches,  et  ne  manquant  jamais  de  les 
exciter  à  devenir  de  pieux  enfants  et  de  tidèles  serviteurs 
de  Marie.  Peu  à  peu,  il  eut  le  bonheur  de  voir  leur  nom- 
bre s'accroître  et  bientôt  même  s'élever  jusqu'à  trois 
cents,  qui  tous  étaient  heureux  de  s'associer  ainsi  et  de 
venir  réclamer  ensemble  le  secours  de  cette  bonne  Mère 
pour  obtenir  de  son  divin  Fils  le  pardon  de  leurs  péchés  et 
le  changement  de  leur  vie. 

Ce  succès  l'enhardit  à  prier  la  Sainte  Vierge  de  l'aider 
à  former  une  congrégation  semblable  de  filles;  il  l'entre- 
prit sans  tarder;  et  dès  l'année  1702,  elle  était  aussi  nom- 
breuse que  celle  des  hommes. 

En  peu  de  temps,  ces  deux  congrégations  devinrent 
un  grand  sujet  d'édification  pour  la  paroisse.  Placées 
sous  la  protection  de  la  Sainte  Vierge  :  celle  des  hom- 
mes dans  son  Immaculée  Conception  et  celle  des  filles 
dans  son  Annonciation ,  elles  virent  souvent  leur  filiale 
dévotion  envers  l'auguste  Keine  du  ciel  récompensée  par 
d'éclatantes  conversions  parmi  leurs  membres.  Elles  se 
réunissaient  tous  les  dimanches,  d'abord  alternativement, 


i 


M.  DE  LA  CHETARDYE  (1006-1714).  151 

ensuite  simultanément;  et  elles  assistaient,  sous  leurs 
bannières  respectives ,  aux  processions  du  Saint-Sacre- 
ment et  de  la  Fête-Dieu.  Chacune  d'elles  avait  sa  retraite 
à  Noël  et  faisait  célébrer  des  services  pour  ses  associés 
défunts.  Le  cardinal  de  Noailles,  archevêque  de  Paris, 
les  approuva  toutes  deux,  et  le  pape  Clément  XI  leur 
accorda,  en  1706,  des  indulgences  particulières.  Plus 
tard,  la  congrégation  des  hommes  forma,  parmi  ses 
membres,  une  association  d'Assistance  mutuelle,  qui  fut 
approuvée,  en  1772,  par  W*  de  Beau  mont,  archevêque 
de  Paris. 

A  cette  sollicitude  incessante  de  M.  de  la  Chétardye 
pour  le  salut  des  Ames  qui  lui  étaient  confiées,  s'en  ajou- 
tait pour  lui  une  plus  grande  encore,  celle  de  toutes  les 
misères  qui  l'entouraient.  Dès  1697,  il  comptait  plus  de 
quinze  mille  pauvres  à  sa  charge,  et  leur  nombre  s'accrut 
d'année  en  année,  par  suite  du  chômage  du  travail  et  de 
la  cherté  du  pain.  Pour  procurer  des  secours  à  cette  foule 
d'indigents  :  pauvres  malades,  prisonniers,  pauvres  hon- 
teux, enfants  délaissés,  il  multiplia  les  assemblées  de 
charité  et  les  appels  à  la  piété;  et,  chaque  hiver,  il  fit  dis- 
tribuer de  fréquentes  annonces  ou  prospectus ,  indiquant 
en  détail  le  nombre  et  les  besoins  des  pauvres,  les  som- 
mes dont  il  disposait,  celles  qui  lui  étaient  nécessaires,  et 
invitant  les  fidèles  à  lui  venir  en  aide  par  des  aumônes, 
en  deniers  ou  en  nature  et  par  des  dispositions  testamen- 
taires. Dans  cette  année  si  malheureuse  de  1709,  où  la  ri- 
gueur de  l'hiver  se  joignit  aux  calamités  de  la  guerre,  il 
fit  preuve  d'une  admirable  charité.  Après  avoir  épuisé 
toutes  ses  ressources  personnelles  et  celles  de  ses  prêtres, 
il  s'entendit  avec  eux  pour  vendre  tous  ceux  de  leurs 
meubles  qui  ne  leur  étaient  pas  strictement  nécessaires; 
et  ils  se  réduisirent  à  une  telle  gène  que  le  Séminaire  fut 
obligé  de  pourvoir,  pendant  plusieurs  mois,  à  leur  nour- 
riture et  à  leur  entretien.  Son  désintéressement,  du  reste, 


152  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULP1CE. 

était  sans  bornes  :  Les  religieuses  du  Val-de-Gràce ,  dont  il 
était  le  supérieur,  avaient  été  forcées  de  lui  emprunter 
une  somme  considérable;  lorsqu'elles  la  lui  remboursè- 
rent, il  la  fit  distribuer  tout  entière  aux  pauvres  (1). 

Une  telle  générosité  ne  pouvait  manquer  d'être  com- 
municative.  Aussi  trouva-t-il  un  appui  pécuniaire  et  des 
secours  considérables  parmi  ses  paroissiens,  qui  étaient 
heureux  de  lui  témoigner  ainsi  la  vénération  qu'il  leur 
inspirait. 

Cette  considération,  d'ailleurs,  était  générale.  Le  car- 
dinal de  Xoailles,  quoiqu'il  le  sût  opposé  à  ses  opinions 
gallicanes,  l'entourait  d'égards;  dès  l'année  1G96,  il  l'a- 
vait chargé,  de  concert  avec  M.  Tronson ,  d'obtenir  de 
,Mme  Guyon  la  rétractation  de  toutes  les  erreurs  contenues 
dans  ses  écrils;  et  plus  tard,  après  qu'il  y  eut  réussi,  il 
lui  confia  la  conduite  de  plusieurs  communautés  reli- 
gieuses, entre  autres  des  Carmélites  de  la  rue  de  Gre- 
nelle; des  Récollettes  de  la  rue  du  Bac;  des  Bénédictines 
du  Val-de-Gràce  et  des  religieuses  de  la  Visitation  de  la 
rue  Saint-Jacques  et  de  Chaillot  (2). 


(1)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  80. 

(2)  Une  lettre  de  M.  de  la  Chétardye.  qui  lui  fait  honneur,  est  celle  qu'il 
écrivit,  le  26  juin  1711,  au  cardinal  de  N'oailles  pour  le  prier  de  condamner 
publiquement  le  livre  des  Réflexions  morales  sur  le  Nouveau  Testament., 
de  Quesnel,  le  chef  du  parti  janséniste.  Ce  livre,  fort  à  la  mode  et  qui 
avait  été  l'objet  d'une  approbation  imprudente  de  la  part  du  prélat,  quand 
il  était  encore  évêque  de  Cbàlons,  avait  élé  condamné  depuis  lors  par  le 
pape  Clément  XI,  le  13  juillet  1708.  (La  bulle  Unigeniius  du  même  Pape, 
publiée  le  8  septembre  1713,  ne  fit  que  confirmer,  en  la  précisant ,  cette 
première  condamnation  pontificale.)  Nous  donnons  ici  le  texte  de  cette  lettre 
dont  nous  devons  la  connaissance  à  l'extrême  obligeance  de  M.  Levesque,  le 
savant  bibliothécaire  du  Séminaire  de  Sainl-Sulpice,  qui  l'a  trouvée  à  la  Bi- 
bliothèque nationale  :  Mss.  f.  français,  n°  23.183  : 

«  La  confiance  don!  vous  m'honorez,  Monseigneur,  et  mon  sincère  attache- 
«  ment  pour  vos  intérêts,  me  donnent  la  hardiesse  d'écrire  cette  lettre  à 
«  Voslre  Éminence.  Je  vous  dirai,  Monseigneur,  que  rempli  des  tristes  idées 
«  que  me  cause  l'ail'aire  qu'on  vous  a  suscitée  et  dont  je  vois  les  suites  fas- 
«  cheuses,  et  priant  tel  que  je  suis  pour  vous,  Monseigneur,  il  m'est  venu 


M.  DE  LA  CHETARDYE    169G-171V.  153 

Les  cardinaux  d'Eslréés  et  de  Janson  l'honoraient  de 
leur  amitié;  et  ce  dernier  voulut  être  assisté  par  lui,  à  ses 
derniers  moments. 

Le  premier  Président  du  Parlement  de  Paris,  M.  de 
Harlay,  l'appela  également  à  son  lit  de  mort.  La  princesse 
de  Condé  et  la  princesse  de  Conti  l'avaient  choisi  pour 
leur  directeur.  Mme  de  Maintenon  le  consultait  souvent 
sur  des  affaires  importantes,  et  en  1709,  elle  lui  confia 
la  direction  de  sa  conscience,  à  la  mort  de  l'évèque  de 
Chartres,  Mgr  Godet-Desmarais  (1). 


«  tout  d'un  coup  dans  l'esprit  de  vous  mander  que  vous  feriez  bien  de  con- 
«  damner  solennellement  Quesnel;  que  ce  seroit  un  acte  héroïque  de  vertu 
«  pour  vous,  que  peut  estre  vostre  salut  estoit-il  attaché  à  celte  huinilia- 
«  tion  dont  je  vois  la  grandeur,  et  que  je  ne  vous  avois  pas  jusques  ici 
«  conseillée;  que  cette  condamnation  édifieroit  toute  l'Église;  qu'elle  cou- 
«  vriroit  de  confusion  ceux  qui  ont  voulu  faire  soupçonner  vostre  fov.  et 
«  leur  aprendroit  à  cux-mesmes  à  s'humilier  et  à  se  soumettre,  que  rien 
«  ne  seroit  plus  glorieux  pour  vous;  que  vous  apaiseriez  entièrement  le 
«  schisme  qui  va  s'élever,  que  le  Pape  et  le  lloy  en  seroient  plus  touchez 
«  que  personne,  et  reprendraient  un  cœur  nouveau  pour  vous;  que  vous 
«  devriez  fouler  aux  pieds  toute  considération  humaine,  et  n'écouter  là- 
«  dessus  aucun  autre  conseiller  que  vostre  conscience,  nullement  le  main- 
te tien  d'une  autorité  mal  entendue  en  cette  occasion,  que  vous  devez  mon- 
«  trer  plus  de  vertu  que  de  fermeté,  s'agissant  bien  moins  icy  de  soutenir 
«  les  droits  de  l'Episcopat  que  ceux  de  vostre  propre  gloire;  songez-y, 
«  Monseigneur,  de  peur  que  vous  ne  répondiez  pas  aux  desseins  de  Dieu 
«  sur  vous,  ce  qui  est  toujours  suivi  d'une  diminution  de  grâces,  et  d'une 
«  soustraction  de  secours;  enfin  qu'une  semblable  victoire  sur  vous-mesme 
«  vous  attirerait  des  bénédictions  infinies,  que  vous  mettriez  Dieu  de  vostre 
«  côté  et  qu'il  prendrait  vostre  défense  en  main.  Excusez.  Monseigneur. 
«  la  liberté  de  celuy  qui  croirait  se  rendre  responsable  à  Dieu,  s'il  ne  vous 
«  exposoit  ce  qui  luy  est  venu  dans  l'esprit. 

«  Joach.  T.  de  la  Chétardye,  curé  de  Saint-Sulpice.  » 

(1)  Dans  la  préface  dont  il  a  fait  précéder  les  quarante  lettres  inédites 
de  Mme  de  Maintenon  à  M.  le  curé  Languet  de  Gergy,  son  dernier  confes- 
seur, qu'il  a  publiées  dans  le  Correspondant  du  1er  décembre  1859,  p.  Cil 
à  69'2,  M.  Foisset  explique  ainsi  comment  elle  avait  été  amenée  à  choisir 
au  même  litre  M.  de  la  Chétard\e,  son  prédécesseur  : 

«  M"'c  de  Maintenon,  dit-il,  était  toute  sulpicienne.  Elle  avait  fait  de 
«  l'évèque  Godet  des  Marais  l'unique  dépositaire  de  son  coeur  et  de  son 
«  âme;  et  ce  Prélat  n'avait  de  passion  que  pour  Dieu  et  pour  la  Commu- 


[51  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Louis  XIV  lui-même,  frappé  de  la  sagesse  et  de  la  recti- 
tude de  son  jugement,  se  plaisait  à  l'appeler  dans  son 
cabinet  et  à  converser  avec  lui.  En  1702,  il  le  nomma  à 
l'évêché  de  Poitiers,  vacant  par  la  mort  de  Msr  de  Gérard. 
«  J'ai  soixante-six  raisons  de  décliner  l'honneur  que 
Sa  Majesté  veut  me  faire,  répondit  le  pieux  curé  au 
chambellan  qui  venait  le  lui  annoncer  de  sa  part  :  car,  à 
soixante-six  ans,  je  suis  hors  d'état  d'être  évèque  (1).  » 

Le  Roi,  loin  d'être  froissé  de  son  refus,  n'en  conçut 
qu'une  plus  haute  estime  de  son  mérite.  Il  parait  même 
qu'il  songea  à  le  prendre  pour  confesseur  en  1709,  à  la 
mort  du  P.  de  la  Chaise,  et  qu'il  ne  choisit  le  Père 
Letellier  que  lorsque  M.  de  la  Chétardye  lui  eut  fait  ré- 
pondre qu'il  lui  était  impossible  de  quitter  sa  paroisse.  Et 
lorsqu'il  eut  la  douleur  de  perdre  le  Dauphin  et  le  duc  de 
Bourgogne,  il  n'admit  auprès  de  lui  que  le  curé  de 
Saint-Sulpice,  avec  lequel  il  resta  enfermé  plus  de  deux 
heures  dans  son  cabinet. 

La  réputation  de  M.  de  la  Chétardye  s'étendit  jusqu'à 
Home  où  le  pape  Clément  XI  lui  donna,  lui  aussi,  des 
marques  particulières  de  sa  bienveillance  dans  les  deux 
brefs  qu'il  lui  adressa,  le  19  juin  1713  et  le  15  mai  171i, 
pour  le  remercier  de  l'envoi  de  ses  ouvrages  qu'il  avait 
manifesté  le  désir  de  connaître  et  de  lire   (2).   Dans  le 


«  nauté  de  Saint-Sulpice  dont  il  était  l'élève.  Lui  mort,  Mme  de  Maintenon 
«  se  partagea  entre  deux  hommes,  qu'il  lui  avait  recommandés  entre  tous  : 
«  Bissy.  évêque  de  Meaux,  et  La  Chétardye,  curé  de  Saint-Sulpice.  » 

(1)  Sa  nomination  à  l'évêché  de  Poitiers  lui  avait  fait  concevoir  une 
grande  dévotion  pour  saint  Hilaire.  dont  le  corps  reposait  dans  l'église 
collégiale  de  Saint-Georges,  unie  au  Séminaire  du  Puy.  Afin  de  la  satisfaire, 
il  demanda  une  relique  de  ce  grand  saint  aux  Directeurs  de  ce  séminaire, 
qui  s'empressèrent  de  lui  envoyer  un  os  de  son  bras.  Il  ne  voulut  pas  la 
garder  à  Saint-Sulpice,  mais  l'offrit  à  l'église  paroissiale  de  Saint-Hilaire, 
à  Paris,  et  l'y  transféra  solennellement,  le  12  janvier  1706. 

(2)  Le  Pape,  à  qui  on  avait  signalé  surtout  ses  homélies  et  son  caté- 
chisme, avait  chargé  son  ministre  d'État,  le  cardinal  Paulucci,  de  les  lui 


M.  DE  LA  CHETARDYE    1096-171  i  .  155 

second  de  ces  brefs,  Sa  Sainteté  le  félicite,  dans  les  termes 
les  plus  flatteurs,  du  mérite  de  ses  ouvrages  et  de  la 
solidité  de  la  doctrine  qu'ils  contiennent,  mais  surtout  de 
son  zèle  pour  le  ministère  pastoral  et  pour  l'instruction 
religieuse  des  enfants.  «  Nous  avons  reçu  vos  livres  avec 
«  une  joie  extrême,  lui  écrit  Clément  XI,  soit  parce 
«  qu'ils  nous  viennent  de  vous,  que  nous  aimons  cordia- 
«  lement  et  que  nous  estimons  d'une  manière  toute  par- 
«  ticulière,  soit  parce  que  vous  en  êtes  l'auteur  et  qu'ils 
«  sont  à  nos  yeux  des  marques  sensibles  de  votre  piété, 
«  de  votre  doctrine  et  du  soin  continuel  que  vous  avez 
«  d'expliquer  au  peuple  qui  vous  est  confié  les  saintes 
«  vérités  de  la  foi  et  la  doctrine  du  salut  et  de  lui  inspi- 
«  rer  l'amour  et  l'observation  de  la  Loi  du  Seigneur. 
«  Mais  ce  qui  nous  console  surtout,  c'est  de  voir  que  vous 
«  vous  appliquez  avec  tant  de  zèle  et  d'assiduité  à  cn- 
«  seigner  aux  enfants,  les  éléments  de  la  foi,  ce  qui  est 
«  en  effet  le  devoir  principal  d'un  pasteur  des  âmes. 
«  Nous  souhaitons  de  tout  notre  cœur  que  vous  continuiez 
«  d'apporter  vos  soins,  comme  vous  l'avez  fait  jusqu'ici, 
<(  à  une  œuvre  si  sainte  et  si  salutaire,  qui  est  le  fonde- 
«  ment  de  la  piété  chrétienne  et  à  laquelle,  comme  vous 
o  l'avez  appris,  nous  avons  coutume  de  nous  appliquer 
«  nous-même,  pendant  notre  séjour  à  la  campagne.  Soyez, 
«  au  reste,  bien  persuadé,  notre  cher  Fils,  qu'il  n'y  a 
«  pas  de  marques  d'affection  ni  de  bienveillance  que  nous 
«  ne  croyions  être  dues  à  vos  vertus  et  à  vos  saints  tra- 
«  vaux.  En  attendant  nous  vous  dormons,  avec  affection, 
h  notre  bénédiction  apostolique.  » 

Un  tel  éloge  était  la  plus  belle  récompense  que  M.  de 

faire  demander  par  son  nonce  auprès  de  la  cour  de  France,  W  Benli- 
voglio;  et  il  le  remercia  de  leur  envoi  par  son  premier  bref,  du  19  juin 
1710.  Mais  leur  lecture  lui  fut  si  agréable,  qu'il  exprima  le  désir  d'avoir 
tous  ses  autres  ouvrages;  et  c'est  après  les  avoir  reçus,  qu'il  lui  adressa  son 
second  bref,  du  15  mai  1714. 


156  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

la  Chétardye  pût  attendre,  ici-bas,  de  sa  vie  toute  sacerdo- 
tale. Malheureusement  il  ne  lui  fut  pas  donné  d'en  jouir. 
Il  venait  de  recevoir  les  derniers  sacrements  et  de  se  dé- 
mettre de  sa  cure  entre  les  mains  du  cardinal  d'Estrées, 
abbé  de  Saint-Germain  des  Prés,  au  profit  de  son  vicaire, 
M.  Languet  de  Gergy,  lorsque,  le  19  juin,  le  Nonce  vint 
lui  apporter  ce  dernier  Bref  du  Pape,  en  lui  disant  qu'il 
«  était  conçu  en  termes  si  affectueux  et  si  obligeants, 
«  qu'il  n'en  employait  pas  d'autres  dans  ses  lettres  aux 
«  cardinaux  et  aux  souverains  ».  M.  de  la  Chétardye  n'eut 
pas  la  force  de  le  lire  ;  mais  il  le  baisa ,  l'appliqua  sur 
ses  yeux  et  sur  son  cœur,  et  le  garda  sur  lui  jusqu'à  son 
dernier  soupir,  en  signe  de  respect  pour  le  Saint-Siège  et 
de  reconnaissance  pour  les  bontés  du  Saint-Père.  Il  s'étei- 
gnit le  29  juin  171i,  en  la  fête  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul,  comme  si  ces  deux  grands  Apôtres  avaient  voulu 
présider  à  la  mort  d'un  Pasteur  qui,  toute  sa  vie,  avait  été 
inviolablement  attaché  au  Saint-Siège.  Il  était  âgé  de 
soixante-dix-sept  ans  (1), 

Son  testament,  qui  porte  la  date  du  24  avril  1712, 
révèle  la  beauté  de  son  àme  et  sa  profonde  humilité. 

«  Je  déclare,  dit-il,  vouloir  vivre  et  mourir  dans  le  sein 
«  et  la  loi  de  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine. 
«  Je  remercie  Dieu  des  innombrables  bienfaits  que  j'ai 
«  reçus  de  sa  bonté  pendant  tout  le  cours  de  ma  vie.  Je  lui 
«  demande  pardon  du  mauvais  usage  que  j'en  ai  fait  et 
«  des  péchés  infinis  dont  je  suis  coupable  envers  sa 
«  Divine  Majesté,  le  priant  de  me  les  remettre  par  les 
«  mérites  de  son  Fils  bien-aimé,  Jésus-Christ,  Notre-Sei- 
«  gneur,  et  du  sang  précieux  qu'il  a  versé  pour  tout  le 
«  genre  humain... 

«  Je  ne  mérite  pas  d'être  inhumé  dans  le  caveau  de 


(1)  Menu   mss.  sur  les  cures  de  Saint-Sulpiee,  art.  de  la  Chétardye, 
p.  97. 


M.  DE  LA  CHÈTARDYE  (1696-1714).  157 

«  MM.  les  prêtres  et  autres  ecclésiastiques  du  Séminaire 
«  de  Saint-Sulpice,  que  j'ai  toujours  regardés  comme  des 
«  saints.  Je  suis  très  lâché  de  n'avoir  pas  profité  de  l'édu- 
«  cation  chrétienne  et  ecclésiastique  que  j'ai  reçue  chez 
«  eux.  Je  les  révère  comme  des  vrais  serviteurs  de  Dieu. 

«  Je  prie  mon  exécuteur  testamentaire  de  faire  mettre 
h  mon  cœur  dans  un  vase  de  plomb  et  de  l'inhumer  à 
«  leurs  pieds,  voulant  y  être  pour  rendre  hommage  à 
«  leur  sainteté  et  pour  y  avoir  cette  situation  humble .  en 
«  réparation  des  fautes  que  j'ai  commises  en  leur  Com- 
«  pagnie  et  qui  sans  doute  les  ont  mal  édifiés  et  contristés. 
«  J'espère  qu'ils  m'admettront  par  grâce  clans  leur  Com- 
te pagnie,  où  je  ne  mérite  tout  au  plus  que  le  dernier  lieu. 

«  Pour  mon  corps,  je  me  tiendrai  heureux  d'être 
«  inhumé  au  cimetière,  près  la  communauté  de  MM.  nos 
«  prêtres  et  confrères,  aux  prières  et  sacrifices  desquels 
«  je  me  recommande,  autant  que  Dieu  le  leur  inspirera. 

«  Je  déclare  n'avoir  ni  or,  ni  argent  qui  m'appartienne 
«  en  propre...  et  que  ce  qu'on  en  pourra  trouver,  à  ma 
«  mort,  est  un  dépôt  que  Messieurs  et  Daines  de  la  paroisse 
«  m'ont  mis  entre  les  mains  pour  le  dépenser  aux  besoins 
«  des  pauvres  et  au  maintien  des  bonnes  œuvres  de  la 
«  paroisse;  et  par  conséquent,  il  faut  le  remettre  aux 
«  assemblées  de  charité... 

«  Telles  sont  mes  dernières  dispositions  au  sortir  de  ce 
«  monde,  où  je  quitte  tout  sans  regret,  excepté  l'Église 
«  de  Jésus-Christ,  fondée  sur  les  mérites  et  les  miséricordes 
«  infinis  de  Dieu.  Je  ne  crains  pas  la  mort,  comprenant 
«  bien  qu'un  homme,  éclairé  sur  la  religion,  doit  haïr  la 
«  vie  d'Adam  et  soupirer  après  la  vie  de  Jésus-Christ. 
«  Ainsi,  je  m'en  vais,  mais  je  reviendrai;  je  m'endors, 
«  mais  je  me  réveillerai;  je  meurs,  mais  je  ressusciterai. 
«  J'en  porte  la  douce  espérance  dans  mon  sein;  et  j'entre 
a  dans  le  tombeau,  attendant  la  résurrection  des. morts  et 
«  la  vie  du  siècle  à  venir.  Ainsi  soit-il.  » 


15S  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SL'LPIOE. 

En  présence  d'une  telle  vie,  on  constate  sans  surprise, 
par  les  écrits  du  temps,  qu'à  peine  M.  de  la  Chétardye 
avait  disparu,  il  n'y  eut  qu'une  voix  dans  le  public, 
parmi  ses  ennemis  non  moins  que  parmi  ses  amis,  pour 
proclamer  sa  sainteté.  Mme  de  Maintenon,  en  parlant  de 
lui  dans  ses  lettres  à  M.  Languet,  ne  l'appelle  que  «  votre 
saint  prédécesseur  ».  Saint-Simon,  qui  le  détestait  comme 
sulpicien,  comme  adversaire  des  jansénistes  et  comme 
guide  spirituel  de  l'épouse  de  Louis  XIV.  ne  peut  s'em- 
pêcher, dans  ses  Mémoires  (1),  tout  en  le  traitant  «  du 
plus  imbécile  et  du  plus  ignorant  des  hommes  »,  de  re- 
connaître que  c'était  un  fort  saint  prêtre.  Et  Montes- 
quieu, malgré  son  dédain  des  théologiens,  dont  la  science 
ne  lui  semblait  qu'«  un  fratras  d'obscurités  »,  dit  de  lui, 
dans  ses  notes  de  voyages  1 2)  :  «  ce  La  Chétardye  était  un 
petit  esprit,  mais  un  saint,  et  ne  voulut  jamais  être  car- 
dinal, mais  mourir  curé  ». 

Un  beau  portrait  de  M.  de  la  Chétardye,  conservé  dans 
sa  famille,  au  château  d'Excideuil  sur  Vienne,  jusqu'à  la 
Révolution,  orne  aujourd'hui,  au  Séminaire  d'Issy,  la 
chambre  du  supérieur  général  de  la  Compagnie,  M.  Cap- 
tier,  qui  l'a  reçu  en  don  du  supérieur  du  grand  Sémi- 
naire d'Angers,  M.  Letourneau   3  . 


(1)  Mémoires  de  Saint-Simon,  Paris,  1858,  in-8°,  t.  VII,  p.  405-406. 

(2)  Voyages   de  Montesquieu,  publiés  par  le  baron  Albert  de  Montes- 
quieu. Bordeaux,  189G,  in-4°,  t.  II,  p.  42,  43. 

(3)  Bertrand,  toc.  cit.,  t.  I,  p.  179. 


CHAPITRE  IX 

M.    LA1\GUET    DE    GERGY.    17H-1748. 


Sommaire  :  Sa  naissance;  sa  famille;  ses  talents  et  son  amour  des  pauvres. 

—  M.  de  la  Chétardye  le  choisit  pour  son  vicaire.  —  Sa  candidature  à  la 
coadjutorerie  de  l'évêque  de  Québec.  —  Sa  nomination  à  la  cure  de  Saint- 
Sulpice.  —  Son  admission  exceptionnelle  dans  la  Compagnie;  son  refus  du 
titre  d'Assistant.  —  Rares  qualités  qu'il  déploie  dans  ses  fondions  curiales; 
sa  fermeté  dans  l'application  des  régies  de  l'Église.  —  Sa  conduite  au  lit  de 
mort  de  la  duchesse  de  Iierry  et  au  décès  d'Adrienne  Lecouvreur.  —  Ses 
rapports  avec  Mme  de  Maintenon.  —  il  débarrasse  la  paroisse  des  convul- 
sionnaires.  —  Il  rétablit  l'office  canonial  et  crée  la  confrérie  de  l'amende 
honorable  au  Saint-Sacrement.  —  OEuvre  des  jeunes  soldats.  —  Création  de 
l'église  succursale  du  Gros-Caillou.  —  M.  Languet  fonde  l'établissement  de 
V Enfant-Jésus.  —  Il  y  installe  une  Manufacture  de  mousseline,  dont  il  est 
l'inventeur.  —  Lettres  patentes  en  faveur  de  la  Manufacture  royale  de  Saint- 
Sulpice;  condition  à  laquelle  il  accepte  ce  privilège. —  Il  achève  la  nou- 
velle église  sur  les  plans  d'Oppcnort.  —  Énormes  sacrifices  qu'elle  lui  im- 
pose. —  Loterie  spéciale,  autorisée  par  arrêt  du  Conseil  d'État.  —  Autres 
ressources  qu'il  sait  se  procurer.  —  Il  embellit  la  chapelle  de  la  Sainte 
Vierge.  —  Il  autorise  l'établissement  du  Gnomon.  —  Cérémonie  de  la  con- 
sécration de  la  nouvelle  église.  —  il  en  envoie  la  relation  au  roi  de  Prusse. 

—  Réponse  de  Frédéric  II.  —  Il  consacre  une  chapelle  spéciale  au  Sacré- 
Cœur  de  Notre-Seigneur  et  institue  l'adoration  perpétuelle  du  Sacré-Cœur. 

—  il  résigne  sa  cure  à  son  vicaire,  M.  Dulau.  —  Sa  mort;  son  mausolée. 


Fils  de  M.  Denis  Languet,  procureur  général  au  Parle- 
ment de  Dijon,  M.  Jean-Baptiste  Languet  de  Gergy  naquit 
en  cette  ville,  le  6  juin  1675.  Après  y  avoir  fait  ses  pre- 
mières études  chez  les  Jésuites,  il  entra  au  petit  séminaire 
de  Saint-Sulpice,  le  26  novembre  1691,  avec  son  frère 
puîné,  Jean-Joseph,  le  futur  archevêque  de  Sens,  fit 
sa  licence  avec  distinction  et,  après  avoir  été  ordonné 
prêtre  à  Vienne ,  en  Dauphiné ,  revint  à  Paris  prendre  le 


160  I1ISTOIKE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

bonnet  de  docteur  en  Sorbonne,  le  15  janvier  1703.  Il 
entra  alors  dans  la  Communauté  des  prêtres  de  Saint- 
Sulpice  où  ses  talents  et  son  amour  des  pauvres  en  faveur 
desquels  il  vendit  tout  son  patrimoine,  le  signalèrent  à 
l'attention  de  M.  de  la  Chétardye  qui  le  choisit,  en  1704, 
pour  son  vicaire. 

L'année  suivante,  l'évèque  de  Québec,  Mgr  de  Saint- 
Yallier,  qu'il  avait  désiré  accompagner  à  son  départ 
pour  le  Canada,  et  qui  appréciait  son  rare  mérite,  le 
demanda  avec  instance  au  Roi  comme  coadjuteur,  lors- 
qu'il eut  été  fait  prisonnier  par  les  Anglais  et  conduit  à 
Londres.  Son  zèle  pour  les  missions  l'eût  porté  à  accepter, 
mais  la  faiblesse  de  sa  santé  l'en  empêcha;  d'ailleurs  le 
Roi  n'était  pas  disposé  à  se  prêter  au  désir  du  prélat, 
qu'il  eût  préféré  voir  donner  sa  démission  en  faveur  de 
M-1'  de  Laval,  l'ancien  évèque  de  Québec,  qui  y  rési- 
dait   1  . 

Quoi  qu'il  en  fût,  l'attachement  de  M.  Languet  à  son 
curé  lui  avait  fait  renoncer  depuis  longtemps  à  la  mis- 
sion du  Canada  et  à  son  épiscopat  (2),  quand  il  fut  dé- 
signé par  lui  pour  Je  remplacer.  Il  hésita  beaucoup  à 
assumer  ce  fardeau,  qu'il  jugeait  trop  pesant  pour  lui; 
mais  après  une  retraite  de  plusieurs  jours  qu'il  fit  au  Sé- 
minaire, ses  amis  et  son  directeur  parvinrent  à  triompher 
de  ses  appréhensions;  et  il  prit  possession  de  la  cure,  le 
21  juin  171i. 

Sur  sa  demande,  il  fut  admis  dans  la  Compagnie  de 
Saint-Sulpice  par  le  supérieur  général,  M.  Lesehassier, 
quoiqu'il  n'eût  pas  subi  l'épreuve  ordinaire  de  la  Soli- 
tude. Mais  lorsque,  en  1724-,  l'assemblée  générale  le  désigna 
pour  la  place  d'Assistant,  vacante  par  la  mort  de  M.  Guy- 


(1)  Mém.  mss.,  ait.  sur  M.  Languet,  p.  6. 

(2)  Plus  tard,  son  humilité  lui  fit  refuser  les  évêchés  de  Poitiers  et  de 
Conserans.  ilbid.,  p.  89.) 


M.  LANGUE!  DE  GERGY  (1714-1748).  161 

ton,  l'un  des  directeurs  du  Séminaire,  sa  modestie  lui  fit 
décliner  cet  honneur  :  «  Je  suis  indigne  d'une  si  sainte 
((  vocation,  écrivait-il  à  M.  Lepelletier,  l'un  des  direc- 
«  teurs;  et  il  me  semble  que  c'est  la  volonté  de  Dieu  que 
m  je  reste  dans  l'état  dans  lequel  je  suis  depuis  dix  ans. 
«  J'ai  à  donner  tout  le  jour  à  mes  brebis  et  non  à  mes 
«  pasteurs.  Vous  nommerez  donc  un  autre,  s'il  vous  phiit, 
«  à  la  place  de  M.  Guyton,  qui  ait  le  bonheur  de  lui 
«  ressembler  dans  son  esprit  d'oraison  et  dans  tout  le 
«  caractère  de  la  sainteté  dont  je  suis  trop  éloigné.  Ce 
«.  serait  faire  tort  à  votre  sainte  Société  que  d'y  élever 
«  un  aussi  pauvre  sujet.  J'espère  en  toute  autre  chose 
«  vous  donner  des  preuves  de  mon  obéissance,  de  ma 
a  reconnaissance  et  de  mon  zèle  pour  M.  le  supérieur 
«  général,  pour  tous  nos  messieurs  et  pour  la  mai- 
«  son  (1).   » 

L'expérience  de  ses  dix  années  de  vicariat  à  Saint-Sul- 
pice  lui  avait  appris  combien  le  concours  empressé  de 
tous  les  membres  de  sa  Communauté  lui  était  indispen- 
sable pour  mener  à  bien  l'œuvre  divine  du  salut  des 
âmes  à  laquelle  il  était  voué  désormais.  Il  sut  l'obtenir 
en  gagnant  leurs  cœurs  par  sa  bonté,  l'aménité  de  ses 
manières  et  la  simplicité  de  sa  vie. 

Accessible  à  tous,  riches  et  pauvres,  gens  du  peuple  et 
gens  du  monde,  il  eut  bien  vite  gagné  la  confiance  affec- 
tueuse de  ses  paroissiens  par  l'agrément  de  son  com- 
merce, la  sûreté  de  son  jugement,  la  sagacité  et  la  jus- 
tesse de  ses  avis. 

Plein  d'égards  pour  les  grands,  qu'il  savait  séduire 
par  l'onction  de  sa  parole ,  les  charmes  de  son  esprit  et 
de  sa  conversation,  il  ne  transigeait  jamais  avec  sa  cons- 
cience quand  il  avait  à  exiger  d'eux  l'observation  des  rè- 
gles de  l'Église.  Appelé,  en  1719,  à  administrer  les  der- 

(1)  Mém.  mss.,  art.  sur  M.  Langue!,  p.  13. 

ÉGLISE    SAIM-SLLMCE.  1  1 


162  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

niers  sacrements  à  la  duchesse  de  Berry,  il  exigea,  au 
préalable,  le  renvoi  de  deux  personnes  dont  la  présence 
auprès  d'elle  était  un  scandale  public,  et  demeura  in- 
flexible à  cet  égard,  malgré  toutes  les  instances  du  duc 
d'Orléans,  dont  il  était  cependant  l'obligé.  11  montra  la 
même  fermeté  au  décès,  sur  la  paroisse,  d'Adrienne  Le- 
couvreur,  la  célèbre  actrice  du  Théâtre  Français,  qui 
mourut,  le  20  mars  1730,  sans  avoir  voulu  se  rendre  à 
ses  exhortations  ni  recevoir  les  derniers  sacrements.  Il  lui 
refusa  la  sépulture  chrétienne;  et  son  corps  fut  enterré 
nuitamment  et  en  secret  dans  un  jardin  de  la  rue  de 
Bourgogne,  près  des  bords  de  la  Seine.  Voltaire  ne 
manqua  pas  l'occasion  d'exhaler  sa  haine  contre  la  reli- 
gion et  ses  ministres,  et  il  dédia  aux  Mânes  de  la  fa- 
meuse tragédienne  une  épitre,  dans  laquelle  il  taxe 
d'injure  flétrissante  ce  refus  de  sépulture.  Mais  toute  sa 
colère  n'eut  d'autre  effet  que  de  grandir  le  courageux 
pasteur  dans  l'estime  des  gens  de  bien. 

Cette  estime,  d'ailleurs,  ne  lui  était  pas  témoignée  par 
ses  paroissiens  seuls;  le  Roi  et  les  principaux  personnages 
de  la  cour  lui  en  donnaient  aussi  des  preuves,  auxquelles 
il  était  d'autant  plus  sensible  qu'il  en  savait  Mme  de  Main- 
tenon  l'inspiratrice.  Prévenue,  en  effet,  de  longue  date, 
en  sa  faveur  par  M.  de  la  Chétardye,  elle  n'hésita  pas, 
aussitôt  après  la  démission  de  ce  dernier,  à  le  prendre 
pour  confesseur.  A  mesure  qu'elle  le  connut  mieux ,  elle 
lui  accorda  de  plus  en  plus  sa  confiance;  bientôt  même, 
elle  la  lui  donna  tout  entière  et,  de  ce  moment,  elle  s'ap- 
pliqua à  la  faire  partager  à  son  entourage. 

Dès  le  21  juin  171  i,  trois  jours  seulement  après  son 
installation,  elle  lui  écrivait  :  «  Je  voudrais  bien,  Mon- 
te sieur,  vous  avoir  fait  curé  de  Saint-Sulpice;  car  j'espé- 
«  rerais  quelque  part  au  bien  que  Dieu  va  y  faire  par 
«  vous.  J'y  prendrais  un  intérêt  particulier;  et  j'espère 
«  que  votre  saint  prédécesseur  vous  répondra  de  l'es- 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  163 

«  lime  qu'il  m'a  inspirée  pour  votre  personne  et  de  mon 
«  attachement  pour  Saint-Sulpice.  Que  nous  serions  heu- 
«  reux,  Monsieur,  si  la  maladie  ne  nous  coûtait  que  sa 
«  démission  et  qu'il  pût  vivre  encore  quelque  temps  pour 
«  l'Église  et  pour  ses  amis.  » 

Et  le  k  juillet  suivant,  insistant  sur  la  prière  qu'elle 
lui  avait  faite  de  vouloir  bien  se  charger  de  la  direction 
de  sa  conscience,  et  à  laquelle,  par  modestie,  il  hésitait  à 
se  rendre,  elle  lui  mandait  de  Marly  :  «  Je  serais  bien  fà- 
«  chée,  Monsieur,  que  vous  ne  voulussiez  pas  avoir  de 
«  commerce  avec  moi.  Il  est  difficile  que  je  m'en  passe, 
«  ayant  une  très  grande  confiance  en  vous  ;  et  quoique 
«  je  n'aie  guère  l'honneur  de  vous  connaître  par  moi- 
ce  même,  je  ne  crois  pas  agir  imprudemment,  quand  je 
«  le  fais  par  rapport  à  votre  réputation  et  au  témoi- 
«  gnage  de  gens  que  j'estime  infiniment.  M  de  Meaux 
«  (M.  de  Bissy)  me  confirma  encore  hier  dans  ce  senti- 
«  ment-là. 

«  Je  crois  pourtant  qu'il  faudra  prendre  un  milieu  et 
«  cacher  une  partie  de  notre  commerce,  pour  vous  évi- 
«  ter  bien  des  accablements.  » 

Le  6  août,  encore  de  Marly  :  «  Madame  la  Princesse 
«  (de  Condé)  a  paru  penser  à  vous  pour  la  conduire,  en 
«  parlant  à  la  reine  d'Angleterre  (Marie  d'Este-Modène, 
«  veuve  de  Jacques  II).  J'espère,  Monsieur,  que  vous  ne 
«  la  refuserez  pas.  » 

Le  2i  octobre  :  «  Je  n'ai  jamais  rien  entendu  de  vous, 
«  Monsieur,  qui  ne  soit  à  votre  louange.  Je  crains  que 
«  vous  ne  trouviez  pas  de  ressources  à  la  cour  pour  vos 
«  pauvres.  On  y  jette  l'argent  pour  son  plaisir  et  on  y 
«  crie  misère... 

«  S'il  vous  revenait  quelque  chose  de  moi,  Monsieur, 
«  qui  fût  répréhensible,  vous  m'obligeriez  infiniment  de 
«  m'en  avertir;  je  tâcherais  de  m'en  corriger  ou  je  vous 
«  éclaircirais  les  faits.  » 


1G4  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Et  le  3  décembre  :  «  Jamais  personne,  Monsieur,  n'eut 
a  tant  besoin  de  vos  prières  que  moi,  ni  ne  fera  plus  de 
«  cas  des  vôtres.  » 

Le  1er  de  l'an  1715  :  «  Je  suis  ravie  quand  vous  mettez 
«  quelques  mots  de  piété  dans  vos  lettres;  celui  de  l'a- 
ce bandon  où  est  Notre- Seigneur  m'a  fait  du  bien,  en  me 
«  donnant  de  la  confusion  de  m'être  plainte  de  la  perte 
«  de  mes  amies,  et  cela  à  la  veille  de  ma  mort. 

«  Celui  qui  vous  trouve  si  propre  à  remplir  l'évèché 
«  de  Soissons  (1),  trouvait  que  la  cure  de  Saint-Sulpice 
«  vous  convenait  particulièrement.  C'est  un  grand  bon- 
«  beur  pour  cette  paroisse  que  Dieu  vous  y  ait  attaché; 
«  elle  est  bien  aussi  importante  qu'un  diocèse. 

«  Je  bénis  souvent  Dieu  de  m'avoir  mise  entre  les 
«  mains  de  gens  qui  m'ont  inspiré  la  crainte  des  nou- 
«  veautés,  l'attachement  à  l'Eglise  catholique,  aposto- 
«  lique  et  romaine,  et  la  soumission  convenable  à  mon 
«  sexe  et  à  mon  ignorance.  » 

Le  20  du  même  mois  :  «...  Le  Roi  est  prévenu  de 
«  beaucoup  d'estime  pour  vous,  que  j'espère  qui  aug- 
«  mentera  tous  les  jours.  Il  y  a  si  longtemps  que  je  vois 
«  le  monde,  que  je  sais  le  mépriser  avec  toutes  ses  inu- 
«  tiles  et  incertaines  faveurs;  mais  je  sais  aussi  que  le 
<(  crédit  et  l'estime  du  maître  est  nécessaire  pour  faire  le 
«  bien;  c'est  pourquoi,  Monsieur,  je  vous  en  parle,  et 
«  que  je  vois  avec  joie  que  votre  réputation  s'établit  et 
((  qu'il  revient  de  tous  côtés  qu'on  est  bien  content  de 
«  vous  voir  dans  la  place  où  vous  êtes.  » 

Le  2i  mars,  de  Saint-Cyr  :  «  Vos  lettres  ne  m'impor- 
te tunent  jamais,  Monsieur;  je  les  reçois  toujours  avec 
«  plaisir  et  je  les  lis  avec  empressement.  Je  suis  ravie 
«  d'être   en   commerce   avec  un  saint,  et  il  me  semble 


(1)  Ce  fui  son  frère  qui  l'oblint,  quelques  jours  après,  le  12  janvier  1715. 


Si.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748j.  165 

«  qu'il  rectifie  tous  ceux  que  j'ai  avec  des  gens  qui  ne 
«  sont  point  des  saints.  » 

Et  le  8  août,  de  Versailles  :  «  Ne  m'oubliez  pas  clans 
«  vos  prières  en  ce  saint  temps,  Monsieur,  et  demandez 
«  pour  moi  la  foi,  l'humilité  et  la  patience.  » 

Ces  quelques  extraits  des  lettres  de  Mme  de  Maintenon 
à  son  confesseur,  suffisent  à  montrer  l'intérêt  qui  s'at- 
tache à  leur  publication  (1)  :  car  elles  fournissent  une 
preuve  éclatante  du  rare  mérite  de  M.  Languet,  par  le 
témoignage  qu'en  rend,  à  maintes  reprises,  dans  cette 
correspondance,  son  illustre  pénitente;  et  en  même 
temps,  elles  révèlent  dans  cette  femme  supérieure,  à 
lame  vraiment  royale,  l'esprit  de  foi  et  toute  l'humilité 
d'une  grande  chrétienne. 

Plein  de  vigilance  pour  préserver  ses  ouailles  du  venin 
des  doctrines  fallacieuses  de  Jansénius  et  de  Quesnel,  et 
pour  les  affermir  dans  le  respect  des  décisions  pontificales, 
il  ne  négligeait  pas  l'arme  du  ridicule ,  quand  elle  s'offrait 
à  propos  à  lui;  et  ce  fut  elle  qui  le  débarrassa  des  con- 
vulsionnai res  de  son  quartier,  que  la  secte  avait  affiliés 
à  son  parti  et  dont  elle  exploitait  les  prétendus  miracles 
pour  grossir  le  nombre  de  ses  adhérents.  Un  dimanche 
de  juin  173i,  pendant  qu'il  prêchait,  une  femme,  placée 
dans  une  des  chapelles  de  la  nef,  se  mit  tout  à  coup  à 
faire  des  contorsions,  accompagnées  de  sauts  et  de  gam- 
bades. Il  s'en  aperçut,  abrégea  son  prône  et  allant  droit 
à  elle,  il  lui  renversa  sur  la  tête  toute  l'eau  d'un  bénitier 
qu'il  s'était  fait  apporter,  en  lui  disant  :  «  Comme  ainsi 
«  soit,  ma  chère  fille,  que  le  démon  qui  vous  possède  est 
<•  un  esprit  d'orgueil,  je  vous  commande,  au  nom  de  Dieu, 
«  d'aller  de  suite  à  la  Salpètrière  pour  y  recevoir  les 
«  humiliations  et  corrections,  qui  sont  le  seul  remède  à 


(1)  Celte  publication  a  été  faite  par  M.  Foisset  dans  le  numéro  du  Corres- 
pondant du  10  décembre  1859,  p-  641  à  692.  V.  p.  153,  supra,  note  1. 


166  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  votre  maladie,  sans  quoi,  je  vous  y  ferai  enfermer  (1).  » 
A  ces  mots,  elle  se  sauva  et  ne  reparut  plus.  Une  autre 
fois,  informé  qu'une  trentaine  de  personnes  se  rassem- 
blaient dans  une  maison  de  la  paroisse  pour  s'y  livrer  à 
des  convulsions,  il  les  recommanda  au  prône ,  comme 
étant  atteintes  d'une  folie  contagieuse,  et  invita  tous  ceux 
de  ses  paroissiens  qui  passeraient  devant  la  porte  de  cette 
maison  affligée ,  à  s'y  arrêter,  et  à  y  réciter,  à  genoux  sur 
le  seuil,  cinq  Pater  et  cinq  Ave,  pour  que  Dieu  les  gué- 
risse de  leur  folie.  Plusieurs  de  ses  auditeurs  sourirent  à 
ces  paroles;  mais  d'autres  les  prirent  au  sérieux  et,  par 
leur  attitude  et  leurs  patenôtres  à  la  porte  de  cette  mai- 
son, provoquèrent  une  hilarité  homérique  dans  tout  le 
voisinage.  La  nuit  suivante,  tous  les  convulsionnantes 
avaient  déguerpi. 

Non  moins  attentif  à  entretenir  en  elles  l'esprit  de  piété, 
il  rétablit,  à  l'église  Saint-Sulpice,  l'ancien  usage  de 
l'office  canonial  quotidien,  auquel  M.  Olier  n'avait  réussi 
que  momentanément  à  donner  une  nouvelle  vie,  et  qui, 
peu  à  peu,  ne  se  disait  plus  qu'aux  grandes  fêtes.  Il  en 
assura  la  régularité  de  chaque  jour  par  des  fondations  spé- 
ciales et  par  un  règlement  sévère,  qui  reçurent  l'appro- 
bation de  l'archevêque  de  Paris,  Mgr  de  Vintimille. 

Leur  instruction  religieuse  fut  également  l'objet  de 
tous  s^s  soins.  Chaque  dimanche,  quelles  que  fussent  ses 
occupations,  il  faisait  assidûment  le  prône.  Il  étendit 
l'œuvre  des  catéchismes  et  en  institua  trois  nouveaux, 
qu'il  confia,  comme  les  autres,  au  Séminaire  :  deux  au 
Gros-Caillou,  en  1717,  l'un  pour  les  garçons  et  l'autre 
pour  les  filles,  et  un  troisième,  l'année  suivante,  pour  les 
ramoneurs  et  les  décrotteurs,  dont  l'assiduité  était  encou- 
ragée par  de  légères  aumônes  que  les  présents  recevaient 
des  membres  de  la  Communauté  des  gentilshommes. 

(1)  Mém.  mss.,  art.  sur  M.  Languet,  p.  38. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  ir,7 

Les  prisonniers  de  l'Abbaye  éprouvèrent  aussi  les  effets 
de  son  zèle.  La  chapelle  de  cette  prison  était  desservie 
par  un  prêtre  de  la  Communauté,  M.  Plainpel,  qui  y  disait 
la  messe  tous  les  jours  et  y  célébrait  les  offices  du 
dimanche.  Il  remarqua  la  diminution  du  nombre  des 
particuliers  qui  la  fréquentaient;  il  en  fit  part  à  M.  Lan- 
guet  qui,  de  concert  avec  lui,  établit  la  confrérie  de 
X Amende  honorable  an  Saint-Sacrement  de  l'autel,  dans 
le  but  de  raviver  cette  œuvre  des  prisonniers.  Cette  con- 
frérie ne  tarda  pas  à  devenir  prospère  et  nombreuse  ;  et 
le  pape  Clément  XII  l'enrichit  d'indulgences  particu- 
lières (1).  Tous  les  mois,  elle  tenait  une  assemblée  de 
charité  pour  pourvoir  au  soulagement  des  prisonniers;  et, 
chaque  année ,  lorsque  le  Saint-Sacrement  passait  devant 
la  porte  de  la  prison,  elle  faisait  les  frais  de  la  délivrance 
de  plusieurs  prisonniers  pour  dettes  ou  pour  défaut  de 
paiement  de  mois  de  nourrice. 

Enfin,  il  commença  l'œuvre  des  jeunes  soldats,  c'est- 
à-dire  de  ceux  que  le  sort  appelait  au  service  militaire. 
Il  les  réunissait  chez  lui  après  leur  avoir  dit  la  sainte 
Messe  et  les  avoir  exhortés  à  mettre  ordre  à  leur  cons- 
cience, et  distribuait  des  secours  aux  plus  pauvres. 

La  création  de  l'église  succursale  du  Gros-Caillou,  en 
1738,  fut  un  des  principaux  événements  qui  signalèrent 
l'administration  de  M.  Languet.  Déjà  M.  Olier  s'y  était 
montré  favorable;  et,  en  1688,  M.  de  la  Barmondière  l'a- 
vait approuvée;  mais  l'archevêque  de  Paris  ne  l'avait  pas 
jugée  alors  opportune.  Quarante  ans  plus  tard,  la  situation 
n'était  plus  la  même  :  la  construction  de  l'Hôtel  des  Inva- 
lides et  celle  du  Palais  Bourbon  avaient  attiré  la  popula- 
tion dans  ce  quartier;  et  ses  habitants,  de  plus  en  plus 


(1)  Bulles  des  8  mars  1735  et  18  juillet  suivant,  analysées  dans  les  Rem. 
hist.,  t.  I,  p.  94.  Le  loyer  des  chaises  de  cetle  chapelle,  située  rue  Sainte- 
Marguerite,  était  entièrement  au  profit  des  prisonniers.  IOid.,  p.  93. 


168  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

nombreux,  souffraient  aussi  davantage  de  l'éloignement 
de  l'église  et  de  la  difficulté  de  leurs  rapports  avec  son 
clergé.  Leurs  plaintes  étaient  fondées;  et  vers  1735  ils 
sollicitèrent  et  obtinrent  l'autorisation  de  faire,  pendant 
trois  ans,  une  quête  à  Saint-Sulpice,  pour  l'érection  d'une 
succursale  dans  leur  quartier.  Ils  ajoutèrent  à  son  produit 
leurs  propres  souscriptions  qui,  malgré  leur  pauvreté, 
atteignirent  un  chiffre  assez  considérable;  et  munis  alors 
de  Lettres  patentes,  avec  le  consentement  de  l'archevêque, 
du  curé  et  des  marguilliers  de  Saint-Sulpice,  ils  en  com- 
mencèrent, dès  l'année  1737,  la  construction  qui  fut  ache- 
vée l'année  suivante  (1).  M.  Languet  y  désigna  pour  des- 
servant M.  de  Renières,  un  des  sujets  les  plus  distingués 
de  la  Communauté,  et  lui  adjoignit  deux  autres  confrères 
pour  l'aider  dans  ses  fonctions ,  et  huit  prêtres  du  Sémi- 
naire pour  y  faire  le  catéchisme,  tous  les  dimanches  et 
fêtes.  Les  écoles  de  garçons  furent  confiées  aux  Frères  des 
Écoles  chrétiennes,  et  celles  de  filles  d'abord  aux  Reli- 
gieuses de  Saint-Thomas  de  Villeneuve,  puis,  à  partir  de 
1762,  aux  Filles  de  la  Charité. 

Le  zèle  de  M.  Languet  pour  le  bien  spirituel  de  ses 
paroissiens  ne  lui  faisait  pas  perdre  de  vue  leurs  besoins 
temporels.  A  ne  considérer  même  que  l'activité  qu'il  dé- 
ployait et  que  les  industries  de  toute  sorte  dont  il  usait 
pour  accroître  sans  cesse  le  pécule  des  pauvres,  on  eût  dit 
qu'il  ne  vivait  que  pour  eux  et  que  le  soin  de  leurs  inté- 
rêts était  son  unique  occupation.  «  Jamais  homme,  dit  un 
«  de  ses  contemporains,  l'abbé  Ladvocat,  ne  s'est  montré 
«  plus  habile  et  plus  industrieux  que  lui  pour  se  procurer 
«  d'abondantes  aumônes  et  des  legs  considérables  en  fa- 
«  veur  de  ses  pauvres;  et  l'on  sait  de  bonne  part  qu'il 
«  distribuait  environ  pour  un  million  d'aumônes  chaque 
«  année.  »  Mais  en  même  temps,  nul  n'apportait  plus  de 

(1)  La  bénédiction  de  cette  succursale  eut  lieu  le  11  août  1738. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  169 

discrétion  et  de  réserve  dans  l'acceptation  de  ces  libéra- 
lités. Mmo  de  Cavoye,  qui  l'avait  toujours  aidé  généreuse- 
ment pendant  sa  vie,  lui  laissa,  en  mourant,  600.000 livres 
pour  ses  pauvres.  Il  sut  que_plusieurs  de  ses  héritiers 
étaient  sans  fortune;  il  ne  préleva  que  30.000  livres 
sur  ce  legs  important,  et  en  abandonna  le  reste  à  ses 
parents.  Le  cardinal  Maury,  dans  son  Essai  sur  l'éloquence 
de  la  chaire,  cite  de  lui  un  beau  trait,  qui  le  peint  bien 
tel  qu'il  était,  plein  d'esprit  et  plus  encore  de  charité  : 
«  Le  célèbre  Languet,  dit-il,  curé  de  Saint-Sulpice,  fai- 
<(  sant  la  quête  dans  son  église,  insistait  pour  obtenir 
«  quelque  secours  d'un  inconnu  qui ,  impatienté  de  ses 
«  instances,  le  repoussa  par  un  soufflet  :  Ce  que  je  viens 
«  de  recevoir  est  pour  moi,  lui  dit  le  vénérable  Pasteur; 
«  à  présent  ce  que  je  demande  sera  pour  mes  pauvres. 
«  L'inconnu  lui  remit  aussitôt  sa  bourse  et  disparut  (1).  » 

C'était  surtout  dans  les  calamités  publiques  qu'on  pou- 
vait juger  de  son  dévouement  et  de  son  abnégation.  Dans 
les  incendies,  il  était  toujours  le  premier  au  feu,  payant 
de  sa  personne  pour  l'éteindre,  de  sa  bourse  pour  en 
soulager  les  victimes.  Lors  de  la  charte  du  pain,  en  172Ô, 
il  vendit  tous  ses  meubles  et  tous  les  tableaux  de  prix  qu'il 
avait  collectionnés,  n'ayant  plus,  et  encore  à  titre  d'em- 
prunt, que  trois  couverts  d'argent  et  un  lit  de  serge, 
que  M'ne  de  Cavoye  se  borna  à  lui  prêter,  parce  qu'il  avait 
vendu  auparavant  pour  les  pauvres  tous  ceux  qu'elle  lui 
avait  donnés  en  différents  temps. 

Ces  prodigieuses  largesses  de  M.  Languet  avaient  fait 
croire  à  bien  des  personnes  que  le  revenu  de  sa  cure  lui 
procurait  de  très  grandes  ressources.  Il  les  détrompa,  lors- 
que l'Assemblée  du  clergé,  de  1726,  pour  se  diriger  dans 
la  répartition  des  taxes  qu'elle  avait  à  lever  sur  les  béné- 
ficiers  à  l'occasion  de  dons  gratuits  qu'elle  avait  promis 

(1)  T.  I,  p.  447,  en  noie. 


170  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

au  Roi,  exigea  d'eux,  sous  peine  d'une  double  taxe,  la  dé- 
claration exacte  des  revenus  et  des  charges  de  leurs  béné- 
fices. M.  Languet,  dans  sa  déclaration  du  28  septembre 
1729,  établit,  tant  pour  lui  que  pour  sa  Communauté, 
qu'elle  n'avait  pas  le  revenu  nécessaire  à  son  entretien, 
et  que  la  charité  seule  des  fidèles  lui  permettait  de  sou- 
tenir ses  œuvres  (1). 

C'est  grâce  à  ce  concours,  qui  lui  fut  toujours  généreux 
et  dévoué,  qu'il  put  fonder  l'établissement  de  TEnfant- 
Jésus,  une  des  institutions  qui  lui  ont  fait  le  plus  d'hon- 
neur. 

L'origine  de  cette  maison  date  de  la  création  d'une 
manufacture  de  mousseline  que  M.  Languet  monla  en 
1718.  Dans  son  amour  éclairé  des  pauvres,  il  ne  lui  suffi- 
sait pas  de  soulager  leur  indigence  par  d'abondants  se- 
cours, il  voulait  surtout  pouvoir  les  sortir  de  la  misère  et 
du  désordre  qu'elle  engendre,  en  leur  procurant  du  tra- 
vail, qui  les  préservât  de  l'oisiveté  et  leur  permit  de  gagner 
honnêtement  leur  vie. 

Ayant  observé  que  la  mousseline  est  d'un  usage  général 
en  France  et  dans  les  pays  voisins ,  que  le  public  lui  trouve 
des  qualités  de  blancheur,  de  souplesse,  de  douceur  et  de 
force  qui  la  lui  font  préférer  aux  plus  belles  batistes  et 
aux  linons  les  plus  fins,  et  que  pour  se  la  procurer  il 
n'hésite  à  aller  l'acheter  jusque  dans  les  Indes,  il  étudia 
sa  fabrication,  en  constata  la  facilité,  —  car  tout  le  travail 
consiste  à  carder  le  coton,  à  le  filer,  à  faire  la  toile  et  à 
la  blanchir;  —  et  comme  le  coton,  qui  croit  en  abondance 
dans  nos  colonies,  est  moins  cher,  plus  beau,  plus  soyeux 
et  plus  long  que  celui  des  Indes,  il  chercha  et  inventa 
un  très  fin  filage  de  ce  coton,  que  des  petites  filles  de  six 


(1)  Trente  ans  auparavant,  M.  de  la  Barmondière  avait  déjà  prouvé  que 
le  revenu  de  la  cure  de  Saint-Sulpice  ne  dépassait  pas  11.000  livres.  Nau, 
loc.  cit.,  p.  161. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  171 

à  sept  ans  pouvaient  faire  à  l'école,  et  en  quoi  consiste 
tout  le  principal  de  V  opérât  ion  de  la  mousseline  ;  et  dès 
qu'il  l'eut  trouvé,  il  entreprit  sa  fabrication.  Ses  premiers 
essais  furent  des  plus  heureux  ;  le  Gouvernement  en  ap- 
précia tous  les  avantages,  non  seulement  pour  l'amélio- 
ration du  sort  de  bien  des  pauvres,  mais  même  pour  la 
richesse  du  Royaume  qui  cesserait  d'être  tributaire  de 
i  l'étranger  pour  l'achat  de  ce  produit,  et  qui  même,  dès 
qu'il  dépasserait  les  besoins  de  la   consommation  inté- 
rieure, pourrait  se  vendre  dans  les  pays  voisins,  à  meil- 
leur marché  que  celui  des  Indes.  Et  par  lettres  patentes 
du  Régent,  du  17  octobre  1719,  M.  Languet  obtint  pour 
trente  ans  le  privilège,  accordé  à  lui  et  à  ses  successeurs 
dans  la  cure  de  Saint-Sulpice ,  d'établir  et  faire  établir,  par 
telles  personnes  qu'il  choisirait,  des  fabriques  de  mous- 
seline dans  la  ville  et  généralité  de  Paris,  comme  aussi 
dans  la  ville  de  Chartres  et  pays  chartrain,  sous  le  titre  de 
Manufacture  royale  de  Saint-Sulpice  (1).  Mais  il  poussait 
si  loin  le  désintéressement,  qu'il  ne  consentit  à  accepter 
ce  privilège  qu'à  la  condition  que  s'il  y  avait  quelque 
avantage  dans  cette  fabrique,  comme  tout  portait  à  le 
croire,  il  ne  tournerait  pas  à  son  profit  personnel,  mais  à 
celui  des  pauvres  et  du  bien  public;  et  il  pria  le  Régent 
de  lui  nommer  un  des  membres  du  Conseil  du  commerce 
de  Paris  pour  Inspecteur  de  la  conduite  de  cet  ouvrage , 
des  dépenses  qu'entraînerait  son  parfait  établissement  et 
des  fruits  qu'on  en  pourrait  recueillir  (2).  Grand  exemple 
d'abnégation  et  d'amour  du  bien  public,  bien  rare  en 
tous  les  temps,  mais  sur  lequel  il  est  surtout  bon  d'appeler 
l'attention  de  nos  contemporains! 


(1)  Le  texte  de  ces  lettres  patentes  est  reproduit  in  extenso  à  la  4e  part, 
des  Rem.  hist.,  p.  282. 

(2)  Mémoire  de  M.  Languet  à  MM.  du  Conseil  du  commerce,  p.  289  des 
Hem.  hist.,  4e  part. 


[72  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SLLPICE. 

Dès  que  ce  monopole  lui  eut  été  octroyé,  il  modifia  le 
but  de  l'oeuvre  de  l'Enfant- Jésus  et  en  étendit  le  bienfait 
aux  classes  élevées  aussi  bien  qu'aux  classes  pauvres. 

D'après  son  nouveau  plan,  elle  eut  deux  objets  :  l'un,  de 
donner  dans  la  maison  l'éducation  à  une  vingtaine  de 
jeunes  filles,  appartenant  à  des  familles  nobles  mais  sans 
fortune.  Ce  premier  objet,  analogue  à  celui  de  la  maison 
de  Saint-Cyr,  en  différait  cependant  par  le  mode  d'édu- 
cation, plus  simple,  moins  brillant  et  qui,  sans  négliger 
entièrement  les  arts  d'agrément,  s'attachait  surtout  aux 
soins  de  l'économie  domestique,  de  manière  à  faire  de 
ces  jeunes  filles  des  femmes  d'intérieur  et  de  bonnes 
mères  de  famille;  l'autre,  beaucoup  plus  important,  d'y 
fournir  du  travail  à  un  grand  nombre  de  pauvres  femmes 
de  la  ville  et  de  la  campagne,  qu'on  y  employait  à  la 
filature  du  lin  et  du  coton.  On  leur  donnait,  tous  les 
jours,  la  soupe  et  un  salaire  proportionné  à  leur  travail, 
mais  sans  les  loger.  Elles  y  complétaient  aussi  leur  ins- 
truction religieuse.  En  peu  de  temps  on  en  compta  plus 
de  quatorze  cents,  occupées  dans  cette  maison,  que 
M.  Languet  plaça  sous  la  direction  des  dames  de  Saint- 
Thomas  de  Villeneuve,  dont  il  était  le  supérieur. 

Le  travail  de  ces  ouvrières  constituait  le  principal  re- 
venu de  l'établissement,  lequel,  selon  l'engagement  de  soi 
fondateur,  était  employé  en  entier  à  procurer  des  secours 
à  une  multitude  de  pauvres  de  la  paroisse.  Mais  il  n'était 
pas  le  seul.  Cette  maison  était  située  entre  les  rues  de  Se 
vres  et  de  Vaugïrard ,  à  l'endroit  où  fut  établi  plus  tard 
l'hospice  des  enfants  malades;  et  ses  dépendances  s'éten- 
daient sur  une  superticie  de  dix-sept  arpents.  M.  Languet 
sut  en  tirer  un  produit  important.  Il  y  avait  là,  en  ef- 
fet, une  grande  basse-cour  où  l'on  nourrissait  des  vaches, 
qui  fournissaient  du  lait  à  plus  de  deux  mille  enfants  de 
la  paroisse  ;  plusieurs  bauges  de  sangliers,  dont  on  ven- 
dait les  marcassins;  des  volailles  de  toute  sorte;  une  bou- 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  173 

langerie  qui  cuisait,  par  mois,  plus  de  cent  mille  livres 
de  pain,  qu'on  distribuait  aux  indigents  de  la  paroisse; 
des  filages,  un  jardin  d'un  grand  rapport,  une  apothicai- 
rerie  superbe,  où  Ton  faisait  toutes  sortes  de  distillations 
très  lucratives  (1). 

L'ordre  parfait  qui  régnait  dans  cette  maison  et  l'ex- 
cellente direction  qui  y  était  donnée  à  l'éducation  comme 
au  travail,  avaient  inspiré  au  cardinal  de  Fleury  une  si 
haute  idée  du  mérite  de  M.  Languet,  qu'il  lui  proposa  la 
charge  à1  Intendant  général  de  tous  les  hôpitaux  du 
royaume.  Mais  il  déclina  l'offre  du  Prélat  et  lui  répondit 
en  riant  :  «  Je  l'avais  toujours  dit,  Monseigneur,  que  les 
«  bontés  de  Votre  Éminence  me  conduiraient  à  l'hôpital.  » 

Pour  assurer  l'équilibre  des  budgets  de  cet  établisse- 
ment, dont  les  dépenses  étaient  considérables,  il  lui  pro- 
cura huit  à  dix  mille  livres  de  revenu  annuel.  Mais  cela 
ne  suffit  pas;  il  dut  encore  y  ajouter,  outre  ses  propres 
revenus,  et  ceux  de  l'abbaye  de  Bernay,  que  le  Roi  lui 
avait  donnée  en  1745,  la  part  qui  lui  échut,  en  1743,  dans 
la  succession  du  baron  de  Montigny,  son  frère. 

Cette  maison  subsista  ainsi,  pour  le  plus  grand  bien 
des  pauvres,  jusqu'à  la  Piévolution  (2).  Mercier  le  conven- 
tionnel, dans  ses  Tableaux  de  Paris,  en  parle  avec  en- 
thousiasme. <(  Cet  utile  établissement,  dit-il,  est  un  mo- 
«  dèle  d'humanité  et  de  saine  politique.  Nous  osons  offrir 
«  le  bel  ordre  d'administration  qui  y  règne  comme  le 
«  plus  propre  à  servir  l'humanité  sans  la  dégrader,  à  la 
«  conduire  sans  la  révolter  et  à  la  diriger  avec  douceur 
«  vers  l'honnêteté,  la  droiture  et  le  travail  (3). 

Mais  de  toutes  les  œuvres  de  M.  Languet,  la  plus  consi- 

(1)  Mnss.,  article  sur  M.  Languet,  p.  55. 

(2)  Cène  fut  qu'après  la  mort  de  M.  Languet,  en  1751,  que  des  Lettres 
patentes  autorisèrent  la  maison  de  l'Enfant- Jésus,  ainsi  que  tous  les  règle- 
ments qu'il  lui  avait  donnés. 

(3)  Mercier,  Tableaux  de  Paris,  t.  IV,  p.  140. 


174  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

dérable  assurément  et  celle  qui  rend  à  jamais  glorieuse 
son  administration  curiale,  a  été  l'achèvement  de  la  nou- 
velle église,  dont  l'épuisement  des  ressources  avait  fait 
interrompre  les  travaux  depuis  quarante  ans,  mais  que 
l'accroissement  continu  de  la  population  de  la  paroisse, 
évaluée  alors  à  125.000  âmes,  rendait  indispensable. 

Plein  de  confiance  en  la  Providence ,  mais  ne  pouvant 
compter  que  sur  elle  et  sur  sa  propre  énergie  (1),  il  se 
mit  résolument  à  l'œuvre  au  printemps  de  1718,  sans 
autres  fonds  cependant  qu'une  somme  de  cent  écus 
(300  francs),  que  lui  avait  léguée  à  cet  effet  une  pauvre 
femme  de  la  paroisse.  Il  l'employa  à  l'achat  de  pierres 
qu'il  fit  placer  au  coin  de  toutes  les  rues  pour  annoncer 
son  dessein  au  public.  Aussitôt  les  secours  lui  arrivèrent 
nombreux.  Il  en  tint  un  registre  exact;  et,  en  tête  de  la 
liste  des  donateurs,  il  inscrivit  son  nom,  celui  du  Supé- 
rieur général,  M.  Leschassier,  puis  ceux  des  prêtres  de  sa 
Communauté  et  des  membres  de  la  Compagnie  des  gen- 
tilshommes. Une  de  ses  plus  généreuses  bienfaitrices, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  fut  cette  marquise  de  Cavoye, 
née  Louise  Philippe  de  Coëtlogon,  qui,  presque  tous  les 
mois,  lui  remettait  de  très  fortes  sommes  et  ne  deman- 
dait, pour  toute  reconnaissance,  que  d'avoir  part,  pen- 
dant sa  vie  et  après  sa  mort,  aux  prières  et  aux  bonnes 
œuvres  qui  se  feraient  dans  la  nouvelle  église. 

Dès  qu'il  eut  réuni  ainsi  18.000  livres,  il  chargea  l'ar- 
chitecte Oppenort,  directeur  des  bâtiments  et  des  jardins 


(1)  Sa  Fabrique  ne  lui  fut,  en  effet,  d'aucun  secours.  Elle  l'autorisa  bien. 
par  sa  délibération  du  19  juin  1718,  à  continuer  les  travaux;  mais  elle 
refusa  de  prendre  aucun  engagement  de  les  payer,  interdit  même  de  faire 
aucun  emprunt  pour  leur  acquit  et  fit  stipuler,  dans  tous  les  marchés  avec 
les  entrepreneurs,  que  si  ces  derniers  faisaient  des  avances  au  delà  des 
sommes  portées  dans  ces  marchés,  elles  demeureraient  en  pure  perte  pour 
eux,  sans  qu'ils  puissent  en  réclamer  le  montant.  Nau,  Rapport  ms.  sui- 
tes arcitices  de  Saint-Stdpice,  p.  268. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  175 

de  M.  le  duc  d'Orléans,  de  dresser  les  plans  du  reste  de 
l'édifice  (1);  et  en  même  temps,  il  sollicita  et  obtint  de 
l'archevêque  de  Paris,  MS1'  de  Noailles,  la  permission  de 
supprimer  le  cimetière  de  la  rue  des  Fossoyeurs  (2)  qui 
occupait  le  terrain  sur  lequel  devait  être  bâti  le  portail 


(1)  Ces  plans  furent  suivis  pour  la  nef,  les  bas-côtés,  les  chapelles  ad- 
jacentes, les  deux  tambours  et  le  maitre-autel,  excepté  qu'on  a  mis  sept 
marches  au  lieu  de  trois.  11  avait  aussi  donné  les  plans  du  grand  portail 
de  la  nef;  mais  ce  portail  fut  exécuté  sur  ceux  de  Servandoni  qui  furent 
adoptés  à  la  suite  d'un  concours  ouvert  en  1732.  Il  donna  encore  ceux  de 
deux  chapelles  qui  devaient  communiquer  avec  la  chapelle  de  la  Sainte 
Vierge  par  les  portes  qui  sont   au  milieu  de  chaque  coté. 

L'une  de  ces  chapelles,  située  à  l'angle  de  la  rue  des  Aveugles  (aujour- 
d'hui la  rue  Saint-Sulpice),  était  connue  sous  le  nom  de  Chapelle  de  la 
Communion,  parce  que  les  confréries  de  la  paroisse  s'y  réunissaient  pour 
y  faire  leurs  dévotions.  Entièrement  détruite  lors  de  l'incendie  de  la  foire 
Saint-Germain,  du  17  mars  1762,  qui  endommagea  aussi  les  combles  de  la 
chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  elle  fut  reconstruite  en  1770.  Brûlée  une  se- 
conde fois  dans  l'incendie  du  4  novembre  1798,  on  ne  songea  plus  à  la 
rebâtir. 

L'autre,  située  de  l'autre  côté,  sur  la  rue  Garancière,  est  appelée  la  Cha- 
pelle des  Allemands,  parce  qu'a  l'origine  elle  était  le  lieu  de  réunion  d'une 
colonie  d'Allemands,  et  qu'elle  était  desservie  par  des  prêtres  de  leur  natio- 
nalité. Aujourd'hui,  elle  est  réservée  au  grand  catéchisme  de  persévérance 
des  jeunes  filles. 

De  forme  polygonale,  elle  est  revêtue  de  boiseries  sculptées  dans  le  style 
du  xvme  siècle,  et  possède  plusieurs  objets  d'art  de  prix  :  deux  statues 
d'anges  en  bois,  dues  au  ciseau  de  Bouchardon,  placées  de  chaque  côté  de 
l'autel,  également  en  bois  sculpté  et  surmonté  d'une  statue  de  la  Vierge; 
un  beau  plafond,  peint  par  Halle  en  1726  et  représentant  des  groupes 
d'anges  qui  précèdent  l'étoile  du  matin  ;  un  tableau  du  même  peintre  :  le 
Christ  aux  petits  enfants,  et  un  autre  de  Carie  Vanloo  (1734)  :  une  Ado- 
ration des  Bergers,  à  droite  et  à  gauche  de  la  chaire. 

Cette  jolie  chapelle  «  est  éclairée  par  quatre  fenêtres  à  cintres  surbais- 
«  ses,  fermées  de  vitreries  verdàtres  à  compartiments,  appelées  dans  le 
«  langage  des  verriers  doubles  :  Bornes  à  pièces  carrées  ».  Ch.  des 
Granges,  loc.  cit.,  p.  87. 

Ce  fut  encore  sur  les  dessins  d'Oppenort  qu'on  exécuta,  en  1725.  un 
dôme  ou  campanille  octogone  au-dessus  du  centre  de  la  croisée  de  l'église. 
Mais  on  fut  obligé  d'abattre  ce  dôme,  en  1731,  parce  qu'il  surchargeait  trop 
la  voûte. 

Nau,  ibid.,  p.  271,  et  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  13. 

(2)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  19 i. 


17G  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

méridional,  dit  de  Saint-Jean-Baptiste,  à  cause  de  la  cha- 
pelle de  ce  nom  qui  lui  est  adjacente.  Les  corps  et  osse- 
ments qu'il  renfermait  furent  déposés  provisoirement 
dans  les  caveaux  de  l'église ,  en  attendant  leur  transla- 
tion dans  le  nouveau  cimetière  de  la  rue  de  Sèvres;  et,  le 
25  avril  1719,  après  une  messe  solennelle  du  Saint-Esprit, 
qu'il  célébra  au  maître-autel,  M.  Languet  bénit  et  posa 
la  première  pierre  des  fondations  de  ce  portail  et  de 
cette  chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste,  qui  furent  élevés 
sur  les  dessins  de  Gittard,  le  fils,  auxquels  Oppenort  ne  fit 
que  de  légers  changements. 

Le  k  décembre  suivant,  le  duc  d'Orléans  vint  poser  la 
première  pierre  apparente  du  môme  portail,  au-dessus 
des  fondements  sous  la  première  colonne  à  droite,  en  sor- 
tant (1).  Il  fut  frappé  de  la  beauté  du  chœur  et  promit 
son  concours  pour  la  continuation  des  travaux.  M.  Lan- 
guet profita  de  cette  marque  de  sa  bienveillance  pour 
lui  présenter,  en  1719,  une  requête  à  l'effet  d'obtenir  la 
création  dune  loterie  dont  les  bénéfices  seraient  consacrés 
à  l'achèvement  de  l'église.  Il  faisait  valoir,  à  l'appui, 
que  cette  église  serait  un  des  plus  beaux  monuments  de 
Paris  ;  que  son  achèvement  procurerait  du  travail  à  nom- 
bre d'ouvriers,  laissés  sans  ouvrage  depuis  la  banque- 
route générale  produite  par  le  funeste  système  de  Law; 
et  que  déjà,  en  1705,  le  gouvernement  avait  permis  une 
loterie  semblable  pour  pouvoir  terminer  l'église  Saint- 
Roch.  Sa  demande  fut  bien  accueillie;  et  un  arrêt  du 
Conseil,  des  premiers  jours  de  janvier  1721,  lui  conféra 
le  droit  d'organiser  une  loterie,  au  bénéfice  de  15  p.  100 
au  profit  de  cette  construction.  Autorisée  d'abord  pour 
trois  ans  (2),  elle  continua  à   l'être  pendant  vingt-cinq 


(1)  lbid.,  I.  I,  p.  277. 

(2)  Le  premier  tirage  de  celte  loterie,  dite  de  Saint-Sulpice,  eut  lieu  le 
1er  février  1721. 


M.  LANGUE!  DE  GERGY    1714-1748;.  177 

ans,  et  ce  ne  fut  qu'en  17^6,  quand  les  travaux  tou- 
chèrent à  leur  fin,  qu'un  nouvel  arrêt  du  Conseil  ne  laissa 
à  M.  Languet  que  la  moitié  du  profit  total  de  cette  lo- 
terie et  attribua  l'autre  moitié  à  l'hôpital  royal  des 
Quinze -Vingts  et  à  la  construction  de  l'église  parois- 
siale de  Saint-Germain  en  Lave.  Ce  qui  fit  dire  plaisam- 
ment au  bon  curé  :  «  Les  Quinze- Vingts  m'ont  rendu 
«  borgne;  mais  parmi  les  aveugles,  les  borgnes  sont 
«  rois.  »  Un  autre  arrêt  du  même  Conseil,  du  7  septem- 
bre 1762,  réduisit  encore  la  part  de  Saint-Sulpice,  pour 
faciliter  la  construction  des  nouvelles  églises  de  Sainte- 
Geneviève  et  de  la  xMadeleine  (1). 

Il  est  difficile  d'évaluer  les  bénéfices  que  M.  Languet  a 
pu  retirer  de  cette  loterie  ,  parce  que  le  nombre  de  ses 
billets  n'était  pas  limité  par  les  arrêts  qui  l'avaient  au- 
torisée, et  qu'il  pouvait  être  multiplié  au  gré  du  curé  de 
Saint-Sulpice,  pourvu  qu'il  se  bornât  au  bénéfice  de  15 
p.  100  sur  la  totalité  des  billets;  parce  qu'aussi  un  grand 
nombre  de  lots  lui  étaient  fournis  gratuitement  et  qu'un 
plus  grand  nombre  encore  de  billets  lui  étaient  généreu- 
sement payés  par  des  personnes  qui  s'intéressaient  à  son 
œuvre.  Un  auteur,  qui  écrivait  en  17ï2,  suppose  qu'à  cette 
époque,  et  déduction  faite  des  frais,  cette  loterie  avait 
rapporté  à  M.  Languet  environ  cinq  millions  (2)  ;  d'au- 
tres ont  estimé  qu'il  en  avait  retiré  de  dix  à  douze  mil- 
lions. Nous  inclinons  à  croire  à  l'exagération  même  du 
premier  de  ces  chiffres,  qui,  pour  se  rapprocher  de  la  vé- 
rité, nous  semblerait  devoir  être  réduit  de  moitié. 

Les  produits  de  cette  loterie  ne  furent  pas,  du  reste,  les 
seules  ressources  qui  alimentèrent  la  caisse  de  cette 
grandiose  entreprise.  M.  Languet  en  trouva  d'autres,  fort 


(1)  L'église  de  la  Madeleine  fut  commencée,  en  1764,  sur  les  plans  de 
Coûtant  d'Ivrv.  Mademoiselle  (Anne-Marie-Louise  d'Orléans)  en  posa  la  pre- 
mière pierre,  le  3  août  1764. 

(2)  M  6m.  mss.,  article  sur  M.  Languet,  p.  23. 

ÉGLISE    SAINT-SULPICE.  12 


178  HISTOIKE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

importantes  elles  aussi,  dans  les  dons  et  legs  de  nom- 
breux bienfaiteurs  qu'il  excellait  à  y  intéresser.  Chaque 
étape  dans  la  construction  donnait  lieu  à  une  cérémonie 
religieuse.  Quand  le  portail  méridional,  celui  de  Saint- 
Jean-Baptiste,  et  les  deux'chapelles  adjacentes  de  la  nef 
furent  terminés,  le  13  décembre  17*23,  M.  le  curé,  après 
avoir  célébré  une  messe  du  Saint-Esprit,  vint  en  chappe, 
avec  un  diacre  et  un  sous-diacre  en  tuniques,  tous  trois 
une  pioche  à  la  main,  commencer,  au  chant  des  psau- 
mes et  à  la  grande  édification  des  assistants,  à  ouvrir  la 
terre  dans  la  partie  de  la  nef  dont  il  restait  à  creuser 
les  fondations,  puis  ensuite,  ayant  quitté  leurs  chappes 
et  tuniques,  à  prendre  chacun  une  hotte  et  à  enlever  la 
terre  qu'ils  avaient  remuée. 

Et  au  fur  et  à  mesure  que  les  fouilles  des  quatre  piliers 
qui  restaient  à  élever,  furent  terminées,  la  première 
pierre  de  chacun  de  ces  piliers  fut  solennellement  posée  : 
la  première  par  le  cardinal  de  Bissy,  qui  laissa  6.000  livres 
pour  les  travaux;  la  seconde  par  le  cardinal  de  Polignac, 
qui  en  donna  3.000;  la  troisième  par  M.  de  laHoussaye, 
qui  fit  aussi  un  don  généreux ,  et  la  quatrième  par  le 
comte  de  Glermont,  au  nom  du  duc  de  Bourbon,  qui 
remit  29.000  livres  pour  l'œuvre  et  2.690  livres  pour  les 
ouvriers  (1). 

En  1724,  on  fit  disparaître  les  derniers  vestiges  de  l'an- 
cienne nef,  démolie  Tannée  précédente;  et  l'on  abattit 
également  le  clocher,  qui  se  trouvait  au-dessus  de  la  cha- 
pelle de  Saint-François  de  Sales,  devenue  un  peu  plus 
tard  la  sacristie  des  messes;  le  li  août  1725,  les  cloches 
qu'on  en  avait  enlevées,  furent  placées  dans  le  nouveau 
dôme;  et  M.  Languet  y  sonna  lui-même,  à  midi,  Y  An- 
gélus pour  la  première  fois  (2  . 


(1)  Rem.  Itlst.,  t.  I,  p.  278. 

(2)  Ibid.,  t.  I,  p.  156. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  179 

En  1727,  mû  par  le  louable  désir  «  d'assurer  l'exacti- 
«  tude  du  comput  ecclésiastique  et  le  progrès  de  l'astro- 
«  nomie  »,  il  chargea  le  célèbre  horloger,  Henri  Sully, 
d'établir,  en  son  église,  une  méridienne  et  son  gnomon, 
pour  fixer  exactement  l'équinoxe  du  printemps  et  le  jour 
de  Pâques.  Mais  Sully  mourut  le  13  octobre  1728,  avant 
d'avoir  achevé  son  travail  qui  fut  repris  par  Lemonnier, 
de  l'Académie  des  sciences.  Lemonnier  fit  élever,  dans 
l'angle  du  transept  du  Nord,  l'obélisque  qui  s'y  voit  en- 
core (1);  traça  la  méridienne  par  une  bande  de  cuivre, 
incrustée  dans  le  pavé  de  l'église;  établit  dans  la  fenêtre 
du  transept  sud  un  nouveau  gnomon,  muni  d'une  len- 
tille de  80  pieds  de  foyer  ;  et  marqua  sur  le  sol  l'endroit 
où  arrivait  le  centre  de  l'image  du  soleil  au  solstice  d'été. 
Cette  partie  de  la  méridienne  est  recouverte  d'une  plaque 
de  cuivre,  sur  laquelle  on  grava  ces  mots  et  ces  chiffres  : 

Obliquitas  eclipticœ  maxima  23,J  28'  40"  69. 

Par  Claude  Langlois,  ingénieur,  aux  galeries  du  Lou- 
vre, 174i. 

Le  travail  fut,  en  effet,  exécuté  par  Langlois,  ingénieur 
de  Messieurs  les  membres  de  l'Académie  des  sciences,  qui 
le  termina  en  17ii;  et  ce  fut  à  cette  occasion  que  l'on 
boucha  entièrement  la  grande  fenêtre  du  gnomon  par 
des  plaques  de  tôle  (2). 

La  tendre  dévotion  de  M.  Languet  envers  la  Très  Sainte 


(1)  Sur  cet  obélisque  sont  gravées  les  deux  inscriptions  suivantes  : 
Quid  en'un  mihi  est   in  cœlo,  et  a  te  quid   volui  super   terram...  Deus 

cordis  mei  et  pars  mea  in  feternum.  Psaume  52.-53,  v.  25  et  26. 

Et  celle-ci  :  Ecce  mensurabiles  posuisti  dies  meos  :  et  substantia  mea 
tanquam  nihilum  ante  te.  Psaume  58.-59,  v.  6. 

(2)  Les  Gnomons  étaient  employés  par  les  anciens  astronomes  pour  dé- 
terminer l'obliquité  de  l'écliptique  et  sa  variation.  Ce  fut  même  l'étude 
de  ce  dernier  élément  que  se  proposa  spécialement  Lemonnier  dans  l'éta- 
blissement de  son  appareil.  Mais  il  reconnut  lui-même  que  déjà  de  son 
temps,  les  quarts  de  cercle  muraux,  avec  des  dimensions  beaucoup  plus 
restreintes,  permettaient  d'obtenir  ces  données  avec  bien  plus  de  précision 


180 


HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAIXÏ-Sl'LPICE. 


Vierge,  qui  le  portait  souvent  à  conduire  ses  paroissiens 
à  Notre-Dame,  pour  y  renouveler  avec  eux  sa  consécra- 
tion à  cette  bonne  mère  et  la  protestation  de  son  dévoue- 
ment à  son  service,  lui  avait  depuis  longtemps  suggéré  la 
pensée  d'embellir  sa  chapelle.  Il  réalisa  ce  projet  en  juil- 
let 1729  et  en  confia  l'exécution  à  Servandoni,  qui  pro- 
duisit là  une  œuvre  remarquable  par  la  richesse  de  ses 
ornementations. 

Des  arcades  faisaient  sur  les  impostes  la  jonction  de 
cette  chapelle  avec  le  chœur  et  formaient  une  tribune 
avec  orgue,  où  l'on  venait  chanter  VO  Filii  pendant  les 
fêtes  de  Pâques,  les  litanies  de  la  Sainte  Vierge  pendant 
l'octave  de  l'Assomption,  et  d'autres  prières  en  différentes 
solennités.  C'était  une  invention  hardie  de  l'architecte 
Gittard;  mais  elles  obstruaient  le  jour.  M.  Languet  les  fit 
abattre  et  mit  ainsi  en  lumière  les  quatre  grands  arceaux 
supérieurs  sur  lesquels  repose  le  dôme  élégant  qui  forme 
le  couronnement  du  centre  du  chevet  (1). 

Le  petit  dôme  de  la  chapelle  subit  le  même  sort;  et  il  le 
fit  remplacer  par  un  beaucoup  plus  grand  et  mieux 
éclairé,  qu'il  décora  de  la  belle  peinture  à  fresque  de  Le- 
moine,  représentant  Y  Assomption  de  la  Vierge,  aux  pieds 
de  laquelle  les  paroissiens  de  Saint-Sulpice  sont  amenés 
par  saint  Pierre,  saint  Sulpice  et  M.  Olier.  L'humilité  de 

que  les  gnomons.  Aujourd'hui  les  instruments  méridiens  ont  remplacé 
avec  avantage  tous  ces  engins  de  l'ancienne  astronomie. 

Le  gnomon  de  Sainl-Sulpice  et  sa  méridienne  n'offrent  donc  plus  qu'un 
intérêt  historique.  Aussi,  quand,  en  1886,  la  Fabrique  acheva  la  restaura- 
tion des  vitraux  de  l'église,  elle  sollicita  et  obtint  de  la  préfecture  de  la 
Seine  l'autorisation  d'ouvrir  la  grande  fenêtre  du  transept  sud,  fermée 
en  1744,  pour  rendre  à  cette  partie  de  l'église  la  lumière  réclamée  à  la 
fois  par  son  genre  d'architecture  et  par  les  belles  peintures  murales  de 
Signol,  à  la  condition  de  refaire  le  vitrail  de  cette  baie  sur  le  modèle  des 
autres,  et  de  conserver  toutes  les  pièces  qui  constituent  le  gnomon  de 
Lemonnier  et  qui  sont  soutenues  par  des  supports  scellés  dans  le  pied 
droit  de  cette  fenêtre. 

(1)  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  157. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  181 

M.  Languet  résista  au  désir  de  l'artiste  de  le  faire  figurer 
à  côté  du  fondateur  de  sa  Compagnie  ;  mais  il  y  fut  placé 
par  Callet,  lorsqu'il  fut  chargé  de  la  restauration  de  cette 
fresque,  après  l'incendie  de  la  foire  Saint-Germain,  du 
17  mars  1762,  qui  en  avait  abîmé  une  partie  (1). 

Il  fit  aussi  disparaître  l'ancien  retable  qu'avait  com- 
mandé M.  de  Poussé  et  dont  les  colonnes  étaient  en  mar- 
bre noir;  et  en  même  temps  il  fit  enlever  le  tableau  de 
l'autel,  une  Annonciation ,  très  prisée  des  connaisseurs, 
qui  fut  transportée  dans  la  sacristie  des  messes. 

Au-dessus  de  l'autel,  dans  une  niche,  éclairée  par  le 
haut  et  ornée  sur  ses  côtés  de  six  grandes  colonnes  en 
marbre  ,  Servandoni  avait  ménagé  le  plan  d'une  statue  de 
la  Sainte  Vierge.  M.  Languet  la  fit  exécuter,  en  1731,  tout 
en  argent  et  haute  de  six  pieds,  par  le  célèbre  sculpteur 
Bouchardon.  Mais  la  surveillance  continuelle  qu'exigeait 
la  richesse  de  ce  magnifique  objet  d'art  fît  prendre  le 
parti,  quelques  années  avant  la  Révolution,  de  lui  substi- 
tuer la  statue  en  marbre  blanc  de  la  Vierge  tenant  l'En- 
fant Jésus  dans  ses  bras ,  qu'on  y  voit  encore ,  et  qui  est 
l'œuvre  de  Pigalle,  surnommé  le  Phidias  français  (2).  Et 
dès  lors  la  statue  d'argent,  renfermée  dans  la  sacristie,  ne 
fut  plus  exposée,  dans  la  chapelle,  que  le  jour  de  l'Imma- 
culée Conception  et  le  Jeudi  Saint.  On  la  portait  égale- 
ment à  la  procession  de  la  fête  de  l'Assomption. 

Le  21  août  1732,  le  première  pierre  du  maitre-autel  fut 
posée,  au  nom  du  pape  Clément  XIII,  par  son  nonce 
Mgr  Rainier,  comte  d'Ilcio  et  archevêque  de  Rhodes;  et,  le 


(0  La  partie  architecturale  de  la  réparation  des  dommages  causés  par 
cet  incendie  au  dôme  de  la  chapelle  fut  confiée  à  Charles  de  Wailly,  qui 
l'effectua  avec  un  grand  talent  :  car  «  c'est  à  lui  qu'est  duc  la  coupole  ou- 
ïe verte  dont  le  cadre  est  entouré  d'anges,  de  fleurs  et  de  guirlandes  do- 
«  rées  du  plus  heureux  effet  ».  Des  Granges,  loc.  cit.,  p.  85. 

(2)  Les  tètes  des  Chérubins  qui  émergent  des  nuages,  formés  autour  de 
la  statue  de  la  Sainte  Vierge,  sont  de  Mouchy,  le  neveu  de  Pigalle. 


182  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SL'LHCE. 

20  mai  173i,  cet  autel  fut  consacré  à  Dieu,  en  l'honneur 
de  saint  Pierre  et  de  saint  Sulpice,  par  le  frère  du  curé, 
Mgr  Languet  de  Gergy,  archevêque  de  Sens. 

Le  11  mai  1733,  M.  Languet  donna  le  premier  coup  de 
pioche  pour  ouvrir  les  fondations  du  grand  portail,  qui 
fut  élevé  sur  les  plans  de  Servandoni  mais  ne  fut  achevé 
que  onze  ans  après  sa  mort,  en  1777,  par  Chalgrin,  qui 
apporta  quelques  modifications  à  ses  dessins. 

Il  avait  reçu  du  duc  d'Orléans,  en  1723,  quelque  temps 
avant  la  mort  de  ce  prince,  tous  les  marbres  destinés  à  re- 
vêtir à  hauteur  d'appui  les  piliers  de  l'église.  En  174-5,  le 
roi  Louis  XV  lui  fit  cadeau  des  deux  magnifiques  co- 
quilles qui  servent  aujourd'hui  de  bénitiers  à  l'entrée  de 
l'église,  et  qui  étaient  un  présent  de  la  République  de 
Venise  à  François  Ier. 

Ce  fut  ainsi  qu'après  vingt-cinq  années  de  travaux 
continus  et  de  prodiges  d'activité  et  d'énergie  déployées 
par  M.  Languet,  il  eut  la  joie  de  voir  sa  belle  église  suf- 
fisamment achevée,  pour  qu'il  pût  en  faire  célébrer  la 
consécration  (1). 


(1)  En  effet,  l'église  elle-même  était  achevée  en  1733,  époque  à  laquelle 
il  ne  restait  plus  à  élever  que  la  façade,  c'est-à-dire  le  portail  extérieur 
et  les  tours. 

La  construction  du  portail  fut  confiée  à  Servandoni,  à  la  suite  d'un 
concours  ouvert  en  1732.  où  il  remporta  le  premier  prix.  11  le  termina 
en  1744,  et  l'admiration  générale  accueillit  son  œuvre.  Il  commença  éga- 
lement les  tours,  en  1749,  et  les  éleva  à  la  hauteur  du  deuxième  ordre 
du  portail,  en  plaçant  entre  elles  un  fronton  triangulaire  qu'indique  le 
plan  de  Turgot,  exécuté  de  1734  à  173").  Mais  il  ne  les  termina  pas,  parce 
que  les  petits  campanilles  qu'il  avait  imaginés  pour  les  surmonter,  furent 
jugés  trop  maigres.  Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort,  arrivée  en  1766,  que  la 
Fabrique  provoqua  de  nouvelles  études  pour  le  couronnement  du  portail  et 
l'achèvement  des  tours;  et  un  avis  de  l'Académie  royale  d'architecture,  du 
7  mars  1768  (analysé,  page  40  du  Rapport  de  Nau),  sur  les  divers  projets 
présentés  par  les  deux  architectes  :  Oudot  de  Maclaurin  et  Patte,  donné  à 
la  pluralité  des  voix,  jugea  préférable  de  couronner  le  portail  par  un  fron- 
ton, suivant  le  projet  de  Servandoni  et  de  Patte,  plutôt  que  de  le  terminer 
par  une  balustrade  et  des  statues,  posées  sur  des  piédestaux ,  comme  le 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  183 

Cette  dédicace  eut  lieu  le  mercredi,  30  juin  17i5,  avec 
un  éclat  et  une  magnificence  qui  répondaient  à  la  ma- 
jesté du  monument. 

Il  choisit  cette  date,  parce  que  c'était  l'époque  de  l'As- 
semblée du  clergé,  qui  se  tenait  cette  année-là  et  devait 
se  terminer  au  mois  de  juillet.  Il  se  rendit  avec  le  comte 
de  Maupas,  ministre  d'État  et  son  premier  marguillier, 
chez  l'archevêque  de  Paris,  Mgr  de  Vintimille,  pour  le 
prier  de  faire  la  cérémonie  avec  les  archevêques  et  évê- 


proposait  Oudot  de  Maclaurin.  (A  celte  date  de  1768,  Maclaurin  était  l'ar- 
chitecte de  l'église  Saint-Sulpice;  il  avait  même  construit  la  porte  d'entrée 
du  cimetière  de  la  rue  des  Aveugles,  qui,  plus  lard,  après  la  fermeture  de 
ce  cimetière,  en  1782,  fut  transportée  à  celui  du  Père-Lachaise.  Et  Patle 
s'était  fait  connaître  par  la  publication  d'un  ouvrage  sur  plusieurs  monu- 
ments de  Paris.)  Voir  à  la  page  389  la  vue  cavalière  de  Saint-Sulpice. 

Ce  fut  toutefois  Maclaurin  qui  réussit  à  faire  adopter  son  plan  des  tours, 
à  deux  étages  superposés  :  l'un  octogone  sur  base  carrée,  l'autre  cir- 
culaire. Mais  à  peine  en  avait-il  fini  le  gros  œuvre,  qu'on  les  jugea,  elles 
aussi,  insuffisantes;  et  ce  fut  Chalgrin,  l'architecte  du  Roi,  qui  reçut  du  Gou- 
vernement, en  1777,  la  mission  de  les  démolir  et  de  les  reconstruire  sur 
un  plan  plus  grandiose.  Il  réédifia  en  entier  la  Tour  du  Nord,  de  1777  à 
1780.  Mais  la  Révolution  ne  lui  donna  pas  le  temps  de  refaire  la  Tour  du 
Sud  qui  est  restée,  encore  aujourd  hui,  telle  que  l'avait  laissée  Maclaurin. 
(En  1792,  le  curé  constitutionnel  et  les  marguilliers  de  Saint-Sulpice  solli- 
citèrent et  obtinrent  du  Maire  de  Paris  la  démolition  immédiate,  pour 
cause  de  sûreté  publique,  de  la  charpente  placée  à  la  Tour  du  Sud  depuis 
1782,  après  qu'elle  eut  servi,  de  1777  à  1780,  à  la  reconstruction  de  la 
Tour  du  Nord.)  Quant  au  fronton  de  Servandoni  presque  entièrement  dé- 
truit par  la  foudre,  qui  tomba  sur  l'église  en  1770,  il  s'agissait  pour 
Chalgrin  ou  de  le  rétablir  ou  de  le  remplacer.  Il  se  rangea  à  l'avis  de  Ma- 
claurin et  adopta  son  plan,  qui  substituait  à  ce  fronton  une  balustrade 
surmontée  de  quatre  statues.  Mais  il  ne  lui  fut  pas  donné  non  plus  d'en 
achever  l'exécution-,  il  ne  put  que  faire  dresser  les  quatre  grands  dés 
destinés  à  servir  de  supports  aux  statues.  Ces  dés  restèrent  isolés  et  en 
saillie  au-dessus  de  la  seconde  galerie  jusqu'en  1869,  où  l'on  renonça  défi- 
nitivement à  l'érection,  trop  difficile  et  trop  coûteuse,  des  statues.  Ce  fut 
alors  que  l'architecte  de  la  ville,  M.  Ginain,  membre  de  l'Institut,  combla 
les  vides  laissés  dans  l'intervalle  des  dés  par  des  balustres  qu'un  entable- 
ment de  pierre  relie  les  uns  aux  autres,  et  dont  l'ensemble  rappelle  assez 
heureusement  la  balustrade  supérieure  de  la  partie  du  vieux  Louvre  qui 
fait  face  au  quai. 


184 


HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAlNT-SULPICE. 


Élévation  du  grand  portail  de  l'église  de  Saint-Sulpice  de  Paris,  bâtie  sur  les  dessins 
et  sous  la  conduite  de  Sr  Servandoni,  chevalier  de  l'Orde  militaire  du  Christ,  et 
membre  de  l'Académie  rovale  de  Paris. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748). 


185 


Élévation  du  portail  de  Saint-Sulpice  élevé  et  composé  par  Servandoni,  jusqu'au  com- 
mencement des  tours  —  et  les  tours,  composées  et  élevées  par  le  Sr  Chalgrin,  ar- 
chitecte du  Roy  et  de  son  Académie,  premier  architecte  et  intendant  de  Monsieur. 


186  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

ques  de  l'Assemblée  dont  il  était  le  premier  président. 
Mais  le  prélat  déclina  son  invitation  à  cause  de  son  grand 
âge  (il  avait  quatre-vingt-dix  ans)  et  autorisa  M^  de  Ras- 
tignac.  archevêque  de  Tours  et  second  président  de  l'As- 
semblée, aie  remplacer  avec  tous  les  autres  prélats,  qu'il 
autorisa  à  officier  ponlificalement  à  Saint-Sulpice,  pen- 
dant tous  les  jours  de  l'octave  de  la  Dédicace.  Il  se  pré- 
senta ensuite  chez  tous  ces  prélats,  chez  les  agents  géné- 
raux du  clergé  et  chez  tous  les  députés  du  second  ordre, 
qu'il  invita  à  assister  à  la  cérémonie. 

La  veille,  jour  de  la  fête  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul,  après  l'office  du  soir,  il  transporta  solennellement 
de  l'église  dans  la  chapelle  du  Séminaire  les  reliques 
des  saints  martyrs,  Maurice  et  Primitif,  destinées  à  être 
déposées  dans  le  tombeau  de  l'autel  qui  devait  être 
consacré  le  lendemain,  avec  toutes  les  autres  reliques 
de  Saiuts  dont  se  composait  le  trésor  de  l'église.  Puis 
on  récita  les  Vigiles  selon  l'ordre  prescrit  par  le  Pon- 
tifical. 

Le  lendemain,  30  juin,  les  archevêques  et  évêques  de 
l'Assemblée,  désignés  pour  les  fonctions  de  consécra- 
teurs,  se  rendirent,  à  six  heures  du  matin,  au  grand  Sémi- 
naire où  ils  se  revêtirent  du  roche t  et  du  camail,  puis 
de  là  à  l'église,  avec  tout  le  clergé,  escortés  par  un  régi- 
ment de  Gardes  suisses,  tandis  que  des  officiers  du  Guet 
gardaient  toutes  les  portes  de  l'église. 

Les  prélats  étaient  au  nombre  de  vingt  et  un  :  sept 
archevêques  et  quatorze  évêques  (1).  Ils  furent  reçus  à 


(1)  Les  sppt  archevêques  étaient  NN.  SS.  de  Rastignac,  arch.  de  Tours-, 
de  Crillon,  arch.  de  Narbonne;  de  Saulx  Tavannes,  arch.  de  Rouen;  de 
la  Roche-Aymon,  arch.  de  Toulouse;  Fouquet,  arch.  d'Embrun;  de 
Bellefonds,  arch.  d'Arles;  d'Audibert  deLussan,  arch.  de  Bordeaux. 

Les  14  évêques  étaient  jNN.  SS.  de  la  Chapelle,  év.  de  Vabres  ;  de  Vacon, 
év.  d'Apt;  de  Montmorin  de  Saint-Herem,  év.  de  Langres;  de  Caulet,  év. 
de  Grenoble;  Guenet.  év.  de  Saint-Pons;  d'Albert  de  Luynes,  év.  de  Baveux; 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  187 

l'entrée  par  M.  Languet  à  la  tête  de  son  clergé,  et  con- 
duits au  milieu  de  la  croisée  ou  transept  de  l'église 
devant  le  maitre-autel.  Après  les  prières,  l'archevêque 
de  Tours  fit  sortir  tout  le  monde  de  l'église,  à  l'excep- 
tion d'un  diacre,  en  étole,  à  qui  il  en  commit  la  garde,  et 
fit  allumer  les  cierges  placés  devant  chacune  des  croix 
peintes  sur  les  douze  piliers  désignés  pour  recevoir  les 
onctions  du  saint  chrême.  Alors  tout  le  clergé,  précédant 
les  prélats,  retourna  processionnellement  à  la  chapelle 
du  Séminaire  où  l'on  récita  les  prières  prescrites  devant 
les  saintes  reliques;  les  prélats  se  revêtirent  de  leurs 
habits  pontificaux,  ayant  tous  la  mitre  en  tête,  leurs 
crosses  particulières  à  la  main  et  des  chappes  uniformes. 
Ils  revinrent  processionnellement  à  l'église  et  s'arrê- 
tèrent dans  le  vestibule  du  grand  portail.  Là,  on  chanta 
les  Litanies  des  Saints,  à  la  fin  desquelles  les  prélats 
bénirent  tous  ensemble  l'eau  et  le  sel;  après  quoi,  ils  se 
séparèrent  en  deux  groupes  pour  asperger,  à  droite 
et  à  gauche,  les  murs  extérieurs  de  l'église,  à  trois  re- 
prises différentes.  L'archevêque  de  Tours  frappa  alors, 
par  trois  fois,  à  la  porte  principale  de  l'église,  qui  fut 
ouverte  par  le  diacre  resté  dedans;  puis  les  prélats  con- 
sécrateurs  firent  avec  leurs  crosses  le  signe  de  la  Croix 
sur  le  seuil  de  cette  porte  et  entrèrent  dans  l'église 
avec  les  seuls  officiers  nécessaires  pour  la  cérémonie, 
pendant  que  le  reste  du  clergé,  demeurant  dans  le  ves- 
tibule ,  continuait  le  chant  des  antiennes  et  des  prières 
prescrites. 

Les  prélats,  rangés  au  milieu  du  transept,  entonnèrent 
le   Veni  Creator,  pendant  lequel  deux  prêtres  répandi- 


de  la  Fruglaye,  év.  de  Tréguiers;  de  Cossé  de  Brissac,  év.  de  Condom  ; 
de  Gaujac,  év.  d'Aire;  d'Aulan,  év.  d'Acqs;  du  Bellay,  év.  de  Fréjus; 
de  Beaumont  d'Autichamp,  év.  de  Tulle;  de  Ribeyre,  év.  de  Sainl- 
Flour,  de  la  Rivière,  év.  de  Troyes. 


188  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

rent  de  la  cendre,  en  forme  de  croix  de  Saint- André, 
dans  toute  la  longueur  de  la  nef.  On  chanta  ensuite ,  à 
nouveau,  les  Litanies  des  Sai/its  et  les  autres  prières 
ordinaires,  pendant  lesquelles  seize  des  prélats  consécra- 
teurs,  placés  quatre  à  quatre  devant  chacun  des  bras  de 
la  croix  de  cendres,  y  tracèrent  avec  leurs  crosses  toutes 
les  lettres  des  alphabets,  grec  et  latin,  selon  l'ordre  du 
Pontifical,  pour  marquer  l'union  de  tous  les  peuples  de 
la  terre  dans  le  sein  de  l'Église. 

Ils  se  rendirent  ensuite  à  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge 
dont  l'autel  allait  être  consacré.  Ils  trouvèrent,  au  milieu 
de  la  chapelle,  préparés  sur  une  crédence,  l'eau,  le 
sel,  la  cendre  et  le  vin,  qui  furent  bénits,  puis  mêlés  en- 
semble. Après  quoi,  les  prélats  se  rendirent  au  bas  de 
l'église,  devant  la  grande  porte  et  en  dedans.  L'arche- 
vêque de  Tours  fit  avec  le  bas  de  sa  crosse  deux  croix 
sur  cette  porte,  l'une  en  haut,  Vautre  en  bas.  On  revint 
ensuite  à  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  où  l'on  procéda 
à  la  consécration  de  l'autel,  avec  les  cérémonies  et  les 
prières  prescrites  par  le  Pontifical. 

Après  les  préliminaires  de  cette  consécration,  les  pré- 
lats sortirent  de  la  chapelle  et,  partagés  en  deux  corps, 
ils  aspergèrent,  chacun  de  leur  cùté,  à  trois  reprises,  les 
murs  intérieurs  de  l'église,  puis  arrosèrent  le  pavé  avec 
la  même  eau,  qu'ils  répandirent  en  forme  de  croix  dans 
toute  la  longueur  et  la  largeur  de  l'église.  Ils  retournèrent 
ensuite  à  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  ,  où  l'archevêque 
de  Tours  fit,  selon  l'ordre  du  Pontifical,  le  mortier  desliné 
à  sceller  le  tombeau  de  l'autel  dans  lequel  devaient  être 
renfermées  les  saintes  reliques.  Après  quoi,  on  se  rendit 
processionnellement  au  Séminaire,  pour  y  reprendre  les 
reliques  qu'on  rapporta  solennellement  clans  l'église. 
Quand  on  y  fut  arrivé ,  la  procession  fit  le  tour  extérieur 
de  l'église;  puis  l'archevêque  de  Tours  fit  l'onction  du 
saint  chrême  sur  la  grande  porte,  et  la  procession  entra 


M.  LANGUET  DE  GERGV  (1714-1748).  189 

dans  l'église  dont  elle  fit  encore  le  tour,  en  se  rendant  à 
la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  pour  y  terminer  la  con- 
sécration de  l'autel. 

Après  quoi,  six  archevêques  et  six  évèques,  du  nombre 
des  consécrateurs,  allèrent  se  placer  devant  les  piliers 
désignés  pour  recevoir  les  onctions.  Les  six  archevêques 
se  rendirent  devant  les  six  piliers  du  chœur;  les  six  évè- 
ques devant  ceux  de  la  nef.  Au  même  instant,  ils  firent 
tous  sur  la  croix  de  chaque  pilier  l'onction  du  saint 
chrême  et  encensèrent  ensuite  cette  croix  par  trois  fois. 
Pendant  ce  temps,  l'archevêque  de  Tours  achevait  la  con- 
sécration de  l'autel  de  la  Sainte  Vierge  avec  les  autres 
prélats  consécrateurs. 

Il  se  disposa  alors  à  célébrer  la  messe  pontificale.  A  ce 
moment,  huit  autres  prélats  de  l'Assemblée  du  clergé, 
qui  n'avaient  pas  pu  assister  à  la  cérémonie  de  la  Dédi- 
cace, arrivèrent  à  l'église  avec  tous  les  députés  du  second 
ordre,  précédés  de  douze  Suisses  de  la  grande  livrée  du 
Roi,  et  escortés  d'une  Compagnie  des  Gardes  suisses  (1). 
L'archevêque  de  Sens,  qui  arrivait  tout  exprès  de  son 
diocèse,  se  joignit  à  eux,  à  leur  entrée* dans  le  chœur. 
Ils  y  prirent  tous  les  places  qui  leur  avaient  été  préparées. 
Les  vingt  prélats  consécrateurs  entourèrent  seuls  le  sanc- 
tuaire, mitre  en  tète,  pendant  toute  la  grande  messe, 
excepté  aux  endroits  où  le  cérémonial  exigeait  qu'ils  le 
quittassent. 

Après  la  messe,  tous  les  prélats,  au  nombre  de  trente, 
les  agents  du  clergé  (-2)  et  les  députés  du  second  ordre  (3) 


(1)  C'étaient  NN.  SS.  les  évêques  de  Màcon ,  de  Blois,  de  Saint-Papoul, 
de  Sénez,  de  Cahors,  de  Laon.  de  Boulogne  et  de  Saint-Paul-trois-Chà- 
teaux. 

(2)  Les  deux  agents  généraux  du  clergé  étaient  les  abbés  de  Breteuil  et 
de  Nicola'y. 

(3)  Les  députés  du  second  ordre  étaient  au  nombre  de  trente-un,  tous 
en  manteau  long  et  bonnet  carré  comme  les  deux  agents  du  clergé. 


190  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

se  rendirent  à  l'hôtel  de  l'archevêque  de  Sens,  qui  les 
avait  invités  à  diner.  Après  le  repas,  tous  retournèrent  à 
l'église,  et  s'arrêtèrent  au  banc  d'oeuvre  pour  entendre 
le  sermon  sur  la  Dédicace,  qui  fut  prêché  par  l'abbé 
Clément,  aumônier  et  prédicateur  du  Roi.  Ils  reprirent 
ensuite  leurs  places  du  matin  autour  du  sanctuaire  et  au 
chœur,  où  les  vêpres  et  le  salut  furent  chantés  solennel- 
lement (1)  au  milieu  d'une  foule  de  fidèles  heureux 
d'être  les  témoins  de  la  gloire  dont  le  lieu  saint  était  en- 
vironné. 

Selon  l'usage  de  l'Église,  une  indulgence  d'une  année 
fut  accordée  par  les  prélats  cousécrateurs  à  toutes  les 
personnes  qui  visitèrent  la  nouvelle  église,  avec  les  dis- 
positions requises,  le  jour  de  sa  dédicace,  et  une  autre 
de  quarante  jours,  à  perpétuité,  à  toutes  celles  qui  la 
visiteraient  à  chaque  anniversaire  de  cette  auguste  céré- 
monie. 

Pendant  l'octave,  l'office  fut  célébré  chaque  jour,  avec 
une  grande  solennité  :  le  premier  jour,  par  le  chapitre 
de  Notre-Dame;  le  second,  par  le  clergé  de  l'église  des 
Invalides;  le  troisième,  par  le  Séminaire  Saint-Louis, 
composé  alors  de  plus  de  150  ecclésiastiques  ;  le  quatrième, 
qui  était  un  dimanche,  par  le  clergé  de  la  paroisse;  le 
cinquième,  par  le  Séminaire  des  Missions  étrangères;  le 
sixième,  par  celui  de  Saint-Nicolas  du  Chardonnet;  le 
septième  enfin,  par  le  clergé  du  Séminaire  de  Saint-Sul- 
pice,  dont  le  supérieur,  M.  Couturier,  célébra  tous  les 
offices  de  la  journée. 

En  mémoire  de  cette  Dédicace,  on  plaça  dans  le  bas 
de  l'église  deux  inscriptions  gravées  sur  des  tables  de 


(1)  La  musique  du  salut  avait  été  composée  par  M.  Clérambault,  l'or- 
ganiste de  Saint-Sulpice.  Plus  de  quatre-vingts  musiciens  et  symphonistes 
s'y  firent  entendre. 

Après  la  bénédiction,  il  se  fit  une  grande  décharge  déboîtes. 


M.  LANGOET  DE  GLRGY  (1714-1748).  191 

marbre  noir  :  la  première,  contenant  les  noms  des  pré- 
lats consécrateurs  et  des  autres  prélats  qui  avaient  honoré 
de  leur  présence  l'office  du  jour;  la  seconde,  qui  était  un 
court  exposé  de  la  cérémonie. 

M.  Languet  en  composa  aussi  une  relation  détaillée  (1) 
qu'il  fit  magnifiquement  imprimer  et  qu'il  distribua  aux 
principaux  habitants  de  la  paroisse  et  à  d'autres  person- 
nages distingués,  entre  autres  au  Roi  de  Prusse,  Fré- 
déric II,  avec  qui  deux  de  ses  frères  avaient  été  en  rap- 
ports pendant  leur  long  séjour  en  Allemagne,  et  qui  lui 
répondit  de  Potsdam,  le  i  octobre  1748,  par  la  lettre 
suivante  : 

«  Monsieur,  j'ai  reçu  avec  plaisir  le  procès-verbal  de 
«  la  consécration  de  votre  église;  l'ordre  et  la  magnifî- 
«  cence  de  ces  cérémonies  ne  peuvent  que  donner  une 
«  grande  idée  du  Temple  qui  en  a  été  l'objet  et  suffiraient 
«  pour  caractériser  votre  bon  goût.  Mais  ce  qui,  je  le 
«  sais,  vous  distingue  bien  plus  encore,  c'est  la  piété,  la 
«  charité  et  le  zèle  que  vous  faites  éclater  dans  la  con- 
«  duite  de  votre  Église,  qualités  qui,  pour  être  de  néces- 
«  site  dans  un  homme  de  votre  état,  ne  lui  en  méritent 
«  pas  moins  l'estime  et  l'attention  de  tout  le  monde. 
«  C'est  à  elles  que  vous  devez,  Monsieur,  le  témoignage 
«  que  je  veux  bien  vous  donner  ici  de  la  mienne.  Sur 
«  ce,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ait  dans  sa  sainte  et  digne 
«  garde.  » 

A  cette  époque,  il  avait  formé  le  projet  de  quitter  sa 
cure.  Mais  auparavant  il  voulut  donner  un  témoignage 
éclatant  de  sa  dévotion  au  Sacré  Cœur  de  Jésus,  en  lui 
consacrant  une  chapelle  de  son  église  et  en  y  faisant  célé- 
brer, pour  la  première  fois,  la  fête  solennelle  du  Sacré- 


(1)  Notre  récit  de  cette  consécration  n'est  que  le  résumé  de  la  relation 
de  M.  Languet,  tel  qu'il  est  consigné  dans  les  Mémoires  manuscrits  de  la 
Compagnie  de  Saint-Sulpice. 


192  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAIXT-SULP1CE. 

Cœur  (1).  H  choisit  la  première  de  la  nef,  à  côté  du  portail 
Saint-Pierre,  qui  était  placée  sous  l'invocation  de  saint 
Etienne,  de  saint  Laurent  et  de  tous  les  martyrs,  et  qui 
avait  été  bénite,  le  9  avril  172V,  par  M.  l'abbé  Abraham 
d'Harcourt,  vicaire  général  du  cardinal  de  Xoailles.  Il  lui 
donna  la  décoration  sévère ,  toute  en  chêne  foncé ,  qu'on 
y  admire  encore  (2)  :  ses  hautes  boiseries  sculptées,  avec 
moulures  dorées,  ses  deux  confessionnaux  du  même  style  : 
son  autel,  sur  le  devant  duquel  est  un  pélican,  et  le  retable 
qui  le  surmonte ,  orné  de  deux  colonnes  cannelées  avec 
bandeaux  de  pampres  de  vigne ,  et  divisé  en  deux  parties  : 
supportant  dans  Tune  un  superbe  Christ  en  croix,  de  gran- 
deur naturelle,  et  montrant  dans  l'autre  un  cœur  enflammé 
et  ouvert,  qui  se  détache  d'une  couronne  d'épines  et  d'où 
s'échappent  des  gouttes  de  sang,  recueillies  dans  un 
calice  que  tiennent  dans  leurs  mains  deux  anges  age- 
nouillés et  en  adoration  devant  lui  (3).  Et  le  dimanche, 
1er  septembre  17'+8,  l'autel  de  la  nouvelle  chapelle  du 
Sacré-Cœur  fut  consacré  par  le  Nonce  du  Pape ,  M81  Durini, 
archevêque  de  Rhodes.  L'après-midi,  le  prélat  assista  au 
sermon  Sur  la  dévotion  au  Sacré-Cœur,  prononcé  par  le 


(1)  Ce  fut  en  août  1689,  après  plusieurs  révélations,  que  la  bienheureuse 
Marguerite  Marie  écrivit  à  la  Mère  de  Saumaise  que  Noire-Seigneur  voulait 
se  servir  de  la  France  pour  réparer  les  amertumes  et  les  outrages  qui  lui 
étaient  prodigués,  et  qu'il  y  demandait  l'érection  d'un  édifice  à  la  gloire 
de  son  Sacré-Cœur  pour  y  recevoir  la  consécration  de  tout  le  pays. 

En  1720,  lors  de  la  peste  de  Marseille,  apportée  d'Orient,  M?r  de  Bel- 
zunce  consacra  son  diocèse  au  Sacré-Cœur  et  la  peste  disparut. 

En  1728,  Marie  Leczinska  décida  le  Roi  de  Pologne  et  l'évéque  de 
Cracovie  à  appuyer  la  requête  des  Monastères  de  la  Visitation  de  France, 
pour  obtenir  l'extension  de  la  Fête  du  Sacré-Cœur  à  toute  la  France;  et  elle 
avait  ,  à  Versailles,  une  chapelle  qui  lui  était  dédiée.  Mais  ce  fut  à  Saint- 
Sulpice  que  son  culte  public  fut  inauguré,  pour  la  première  fois,  à  Paris. 

(2)  Voir  la  gravure,  p.  313. 

(3)  Ce  Christ  avait  été  sculpté,  en  1696,  au  prix  de  656  livres,  par  Jean 
Poulletier,  sculpteur  du  Roi;  et  il  demeura  posé  sur  la  grille  qui  sépa- 
rait le  chœur  de  l'ancienne  nef,  jusqu'à  la  démolition  de  cette  dernière, 
en  172i.  Rem.  hist.,  t.  I,  p.  152. 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  193 

Père  Griffet,  jésuite,  et  officia  ensuite  pontificalement 
aux  vêpres  et  au  salut  (1). 

Quelques  jours  après,  M.  Languet  crut  pouvoir  ajouter 
à  l'adoration  perpétuelle  du  Saint-Sacrement  une  seconde 
adoration  perpétuelle  au  Sacré-Cœur  de  Jésus.  Il  s'y  ins- 
crivit le  premier;  et  son  exemple  fut  aussitôt  suivi  par 
un  grand  nombre  de  prêtres  et  de  pieux  fidèles.  Il  fixa  les 
lieux  de  cette  adoration  aux  trois  autels  de  l'église  où 
repose  le  Saint-Sacrement  :  devant  le  maitre-autel,  dans 
la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  et  dans  celle  du  Sacré- 
Cœur;  et  il  fixa  la  fête  de  l'Association  au  dimanche  après 
l'octave  de  la  Fête-Dieu,  jour  de  la  fête  du  Sacré-Cœur  de 
Jésus  (2). 

Deux  mois  plus  tard,  il  résignait  sa  cure  à  M.  Dulau 
d'Allemans,  son  vicaire,  et  l'en  mettait  lui-même  en  pos- 
session, le  19  novembre  17V8. 

Il  n'en  continua  pas  moins  de  rendre  à  la  paroisse  tous 
les  services  qui  dépendaient  de  lui,  faisant  habituellement 
le  prône  du  dimanche,  et  travaillant  toujours  à  l'affer- 
missement de  son  œuvre  de  V Enfant-Jésus. 


(1)  A  cette  occasion,  M.  Languet  fit  placer  dans  la  chapelle  l'inscription 
suivante,  qui  relaie  à  la  fois  sa  consécration,  celle  du  maître-autel  et  celle 
de  l'église  entière  : 

*  Princeps  altare 

Consecravit 

Joanncs  Josephus  Languet  de  Gergy, 

Archiepiscopus  senoneiisis. 

Die  -20  a  Martii  MDCCXXX1V. 

L'niversam  hanc  Basilicam 

Cleri  Gallicani  Anlistites 

Numéro  xxi  consecraverc 

30  à  junii  MDCCXLY. 

Hoc  altare  Excellentissimus 

Carolus  Franciscus  Durini, 

Archiepiscopus  Khodiensis 

Consecravit,  dicavit 

Sacris  cordibus  Iesu  et  Maria- 

Die  1°  Septembris  MDCCXLVUI. 

(2)  On  pouvait  s'inscrire  comme  membre  de    cette  Association  ou  Con- 

ÉCUSE   SAIST-SULPICE.  13 


194  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

En  1750,  avant  de  partir  en  vacances,  il  eut  le  pressen- 
timent de  sa  mort;  il  se  confessa  à  M.  Dulau  et  reçut  de 
sa  main  la  sainte  communion  dans  la  chapelle  du  Sacré- 
Cœur.  Il  y  avait  à  peine  un  mois  qu'il  était  à  son  ab- 
baye deBernay,  quand  il  y  mourut  subitement,  le  11  oc- 
tobre 1750.  La  Compagnie  de  Saint-Sulpice  perdit  en  lui 
un  de  ses  membres  qui  lui  ont  fait  le  plus  d'honneur;  la 
paroisse ,  celui  de  ses  curés  qui  lui  a  rendu  les  services 
les  plus  considérables;  et  les  pauvres,  le  plus  libéral  et 
le  plus  prodigieux  de  leurs  bienfaiteurs. 

La  Fabrique  s'acquitta  noblement  de  la  dette  de  re- 
connaissance qu'elle  avait  envers  lui.  Elle  lui  érigea, 
dans  la  chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste,  son  patron  (1), 
au-dessus  du  caveau  qui  renfermait  ses  restes,  un  fort 
beau  mausolée,  dont  elle  confia  l'exécution  à  un  sculp- 
teur de  talent,  Michel-Ange  Slodtz  (2);  M.  Languet  y  est 
représenté  au  moment  où  il  vient  d'être  frappé  par  la 
mort,  que  l'on  voit  encore  derrière  lui;  il  est  revêtu  de 
son  surplis  et  de  son  étole,  à  genoux  sur  un  coussin  et  les 
yeux  fixés  sur  le  ciel,  dont  un  ange,  debout  à  sa  droite, 
lui  permet  déjà  de  contempler  les  splendeurs,  en  rele- 
vant au-dessus  de  sa  tète  le  voile  qui  les  lui  avait  cachées 


frérie,  tous  les  jours,  à  la  sacristie.  Il  n'y  avait  aucune  somme  d'argent  à 
verser  pour  cette  inscription,  ni  aucune  cotisation  annuelle  à  payer  ensuite. 
11  n'y  avait  non  plus  aucune  prière  vocale  d'obligation  pour  la  Confrérie. 
Il  suffisait  de  choisir  une  heure,  dans  l'année,  pour  faire  son  adoration. 
On  pouvait  même  se  borner  à  se  faire  inscrire  sur  le  registre  de  l'Asso- 
ciation ,  à  offrir  son  cœur  et  son  amour  au  cœur  de  Jésus  et  à  observer  ses 
commandements.  Hem.  hist.,  t.  I,  p.  99  et  100. 

(1)  Au-dessus  de  l'autel  en  marbre  rouge  et  vert  de  cette  chapelle  est 
une  statue  en  marbre  de  Saint  Jean-Baptiste,  de  Boizot. 

(2)  Cette  œuvre  remarquable  fut  payée  28.000  livres  à  Slodtz  par  la  Fa- 
brique. Elle  lui  avait  d'abord  alloué  25.000  livres  pour  ce  travail;  mais,  sur 
sa  réclamation  de  15.000  livres  en  plus,  elle  se  borna  à  lui  offrir  3.000  li- 
vres de  supplément,  dont  il  se  déclara  satisfait. 

Les  riches  marbres  de  ce  mausolée  furent  donnés  par  M.  Dulau  qui 
paya,  en  outre,  tous  les  frais  de  sa  pose.  Nau,  ibid.,  p.  276.  « 


M.  LANGUET  DE  GERGY  (1714-1748).  195 

jusque-là;  et  elle  fit  graver,  sur  le  soubassement  de  ce 
cénotaphe,  l'inscription  suivante  un  peu  longue  peut-être , 
mais  qui  résume  bien  la  vie  si  belle  de  réminent  curé  : 
«  Ici  repose  dans  le  Seigneur,  —  Jean-Baptiste-Joseph 
Languet  de  Gergy,  né  en  Bourgogne  d'une  noble  famille, 
—  docteur  de  la  Faculté  de  Paris,  de  la  maison  de  Sor- 
bonne,  —  curé.de  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  pendant 
trente-cinq  ans,  —  sur  la  fin  de  ses  jours  abbé  de  Sainte- 
Marie  de  Bernay,  —  et  toute  sa  vie,  occupé  à  faire  écla- 
ter sa  ferveur  et  sa  magnificence  pour  le  culte  de  la  Mère 
de  Dieu.  —  Il  éleva  ce  temple  dans  toute  la  grandeur  et 
la  majesté  qu'on  y  admire,  —  il  en  conçut  le  projet  sans 
autres  fonds  qu'une  sainte  confiance,  —  il  l'exécuta  grâce 
à  la  piété  généreuse  du  souverain,  —  mais  la  conservation 
des  temples  vivants  de  Jésus-Christ  fut  le  premier  et  le 
plus  cher  de  ses  soins.  —  Ingénieux  à  découvrir  la  mi- 
sère, prodigue  pour  la  soutenir,  il  soulageait  les  indigents, 
indigent  lui-même;  —  il  leur  donnait  des  vêtements,  et 
lui-même  s'en  refusait;  il  les  nourrissait,  et  se  privait  lui- 
même  d'aliments;  — procurant  aux  pauvres  les  trésors  des 
riches,  aux  riches  les  prières  des  pauvres;  —  heureux 
médiateur  de  ce  commerce  tout  divin  qui  produit  un  in- 
térêt immortel.  —  Dans  les  inondations,  dans  les  incen- 
dies, dans  les  disettes,  il  fut  un  port,  un  refuge,  une 
ressource.  —  Actif,  vigilant,  prompt  à  exécuter,  il  n'y 
avait  sortes  de  bonnes  œuvres  qu'il  ne  secondât  par  de 
puissantes  largesses,  et  qu'il  n'entreprît  lui-même  par 
une  heureuse  prévoyance.  —  Il  ouvrit  un  asile  honorable 
à  de  jeunes  vierges  d'un  sang  noble,  qu'il  consacra  à 
Jésus  Enfant;  —  il  pourvut  à  leur  existence,  à  leur  éduca- 
tion. —  Les  grands  ont  regretté  en  lui  un  homme  d'un 
excellent  conseil  ;  son  troupeau ,  un  guide ,  un  pasteur,  un 
père;  Paris  un  citoyen  bienfaisant;  l'Église,  un  docteur 
et  un  modèle.  —  Ses  vertus  le  feront  vivre  éternellement 
avec  les  anges  dans  le  ciel,  ses  bienfaits  avec  nous  sur  la 


196  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

terre.  —  Il  mourut  le  10  octobre   de  l'année  MDCCL,  à 
l'âge  de  soixante-seize  ans. 

«  Jean  Dulau,  d'Allemans,  successeur  de  ce  grand 
homme  et  les  marguilliers  de  cette  église  lui  ont  élevé,  en 
versant  des  larmes,  ce  monument  de  leur  amour  et  de 
leur  reconnaissance.  » 


CHAPITRE  X 

M.  DDLAU   d'aLLEMAXS    (17i8-1777 


Sommaire  :  Noblesse  de  sa  famille.  —  Il  s'attache  de  bonne  heure  à  la  Com- 
pagnie; fondions  qu'elle  lui  confère.  —  Son  attention  à  suivre  les  errements 
de  ses  prédécesseurs  dans  la  direction  de  la  paroisse.  —  Il  y  fait  donner 
une  mission  par  le  P.  Bridaiue.  —  Gratuité  des  chaises  pendant  sa  durée. 
—  Note  historique  sur  le  produit  et  les  baux  successifs  des  chaises,  de  1644 
à  1787.  —  Sa  sollicitude  envers  les  pauvres.  —  Arrêt  du  Parlement  qui  rend 
obligatoire  la  présentation  du  pain  bénit.  —  Générosité  de  sa  conduite 
envers  la  succursale  du  Gros-Caillou.  —  Érection  de  cette  succursale  en  pa- 
roisse. —  Second  démembrement  de  la  paroisse  Saint-Sulpice.  —  M.  Dulau 
se  démet  de  sa  cure  en  faveur  de  M.  «le  Tersae.  —  Sa  mort. 


D'une  famille  noble,  originaire  de  la  Biscaye,  et  qui 
vint  se  fixer  en  France  vers  le  milieu  du  xie  siècle, 
M.  Jean  Dulau  d'Allemans  était  fils  de  Jean  Arnaud  Du- 
lau, marquis  de  la  Côte.  Il  naquit,  le  29  octobre  1710, 
au  château  de  la  Côte,  sur  la  paroisse  de  Biras,  au  diocèse 
de  Périgueux  (1).  Voué  de  bonne  heure  à  l'état  ecclésias- 
tique ,  il  reçut  les  ordres  mineurs  au  grand  séminaire 
d'Angers  et  entra  ensuite  à  celui  de  Saint-Sulpice ,  le 
19  octobre  1733.  Son  désir  de  s'attacher  à  la  Compagnie 
lui  fit  refuser  un  canonicat  de  la  cathédrale  de  Périgueux, 


(1)  Un  de  ses  frères,  Jean-Louis  Dulau,  fut  élevé,  en  1742,  sur  le  siège 
de  Digne,  qu'il  refusa  à  sa  mort;  et  leur  neveu,  Jean-Marie  Dulau,  qui 
devint  archevêque  d'Arles  en  1775,  fut  une  des  plus  illustres  victimes 
du  Massacre  des  Carmes.  Un  autre  de  leurs  parents,  Charles  Dulau,  fut 
nommé  évêque  de  Grenoble  en  1788,  et  mourut  en  odeur  de  sainteté  à 
Gratz,  en  Styrie,  en  1804. 


198  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

que  son  frère  aîné  voulait  lui  résigner.  Il  y  fut  admis, 
simple  diacre  encore,  en  1737,  par  le  supérieur  général, 
M.  Couturier,  qui  l'employa  dès  alors  dans  la  commu- 
nauté des  philosophes;  et  lorsqu'il  fut  prêtre  et  qu'il  eut 
reçu  le  bonnet  de  docteur,  en  mai  1742,  il  fut  nommé  Di- 
recteur au  Séminaire  d'Orléans.  Trois  mois  plus  tard ,  il 
était  appelé  à  la  Communauté  des  prêtres  de  Saint-Sul- 
pice,  où  M.  Languet  le  choisit  pour  son  vicaire. 

Dans  sa  longue  carrière  curiale  de  près  de  trente  années, 
il  s'appliqua  sans  relâche  à  continuer  et  à  étendre  le  bien 
produit  par  ses  prédécesseurs;  à  observer  l'ordre  et  les 
règlements  qu'ils  avaient  introduits  pour  la  surveillance 
de  leur  clergé,  pour  l'administration  des  sacrements, 
pour  la  direction  des  catéchismes  et  pour  la  bonne  tenue 
des  écoles;  à  soutenir  et  à  développer  toutes  les  œuvres 
qu'ils  avaient  créées  pour  le  soulagement  des  pauvres. 
Il  veilla  surtout  à  entretenir  l'esprit  de  foi  et  de  piété 
parmi  les  fidèles  par  la  pompe  des  cérémonies,  dont 
l'éclat,  notamment  dans  les  processions  de  la  Fête-Dieu, 
était  sans  égal  (1),  et  plus  encore  par  des  instructions  fré- 
quentes et  par  des  retraites  ou  missions  qu'il  leur  ména- 
geait de  temps  en  temps,  et  où  les  vérités  fondamentales 
de  la  Religion  leur  étaient  rappelées. 

La  première  de  ces  missions,  dont  le  souvenir  fut  con- 
servé longtemps  dans  la  paroisse,  y  fut  donnée,  en  1751, 
par  le  Père  Bridaine  à  l'occasion  du  Jubilé  de  l'année 
sainte.  Homme  vraiment  apostolique,  et  doué  d'une  élo- 
quence populaire  entraînante ,  le  Père  Bridaine  ne  recher- 
chait jamais  d'autre  succès  que  la  conversion  des  âmes, 
ni  d'autres  applaudissements  que  les  larmes  du  repentir. 
C'était  la  première  fois  qu'il  se  faisait  entendre  à  Paris.  Jus- 
que-là il  n'avait  prêché  qu'en  province  et  dans  les  cam- 


(t)  Les  quatre  communautés  du  Séminaire  et  celle  de  la  paroisse  for- 
maient un  clergé  d'environ  400  prêtres. 


M.  DULAU  DALLEMANS  (1748-1777).  199 

pagnes  ;  mais  on  ne  parlait  que  du  succès  inouï  de  sa 
mission  de  Grenoble  où  le  Parlement  tout  entier  suivit  la 
procession  de  clôture  pour  l'inauguration  d'une  nouvelle 
croix.  Aussi  l'assistance  était-elle  nombreuse,  ce  jour-là, 
autour  de  la  chaire  de  Saint-Sulpice,  et  comptait-elle 
dans  ses  rangs  les  plus  grands  noms  de  la  cour  et  de  la 
ville,  du  clergé  et  de  la  magistrature  (1).  A  la  vue  de  cette 
assemblée  d'élite,  le  Père  Bridaine,  loin  de  se  troubler, 
se  sentit  inspiré  et  débuta  par  cette  improvisation ,  tout 
évangélique  et  restée  célèbre  : 

«  A  la  vue  d'un  auditoire  si  nouveau  pour  moi,  il  me 
semble,  mes  Frères,  que  je  ne  devrais  ouvrir  la  bouche 
que  pour  vous  demander  grâce  en  faveur  d'un  pauvre 
missionnaire ,  dépourvu  de  tous  les  talents  que  vous  exi- 
gez quand  on  vient  vous  parler  de  votre  salut. 

«  J'éprouve  cependant  aujourd'hui  un  sentiment  bien 
différent,  et  si  je  suis  humilié,  gardez-vous  de  croire  que 
je  m'abaisse  aux  misérables  inquiétudes  de  la  vanité, 
comme  si  j'étais  accoutumé  à  me  prêcher  moi-même. 

«  A  Dieu  ne  plaise  qu'un  ministre  du  ciel  pense  jamais 
avoir  besoin  d'excuse  auprès  de  vous  !  Car  qui  que  vous 
soyez,  vous  n'êtes  tous  comme  moi  que  des  pécheurs. 
C'est  devant  votre  Dieu  et  le  mien  que  je  me  sens  pressé, 
dans  ce  moment,  de  frapper  ma  poitrine.  Jusqu'à  pré- 
sent j'ai  publié  les  justices  du  Très-Haut  dans  des  temples 
couverts  de  chaume;  j'ai  prêché  les  rigueurs  de  la  péni- 
tence à  des  infortunés  qui  manquaient  de  pain;  j'ai  an- 
noncé aux  bons  habitants  des  campagnes  les  vérités  les 
plus  effrayantes  de  ma  religion.   Qu'ai-je  fait,  malheu- 


(1)  Entre  autres  :  le  cardinal  de  Boauniont,  archevêque  de  Paris;  l'évéque 
de  Chàlons,  Ms1  de  Juigné;  le  Prince  et  la  Princesse  de  Conti,  le  duc  et 
la  Duchesse  du  Maine,  le  comte  de  Toulouse;  les  ducs  de  Richelieu,  de 
Brissac,  d'Elbeuf  et  de  Saint-Simon;  le  comte  de  Coëtlogon,  le  président 
de  Lamoisnon. 


200  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

reux!  J'ai  contristé  les  pauvres,  les  meilleurs  amis  de 
mon  Dieu;  j'ai  porté  l'épouvante  et  la  douleur  clans  ces 
âmes  simples  et  fidèles  que  j'aurais  dû  plaindre  et  con- 
soler. 

«  C'est  ici,  où  mes  regards  ne  tombent  que  sur  des 
grands,  sur  des  riches,  sur  des  oppresseurs  de  l'huma- 
nité souffrante  ou  sur  des  pécheurs  audacieux  et  endur- 
cis, ah!  c'est  ici  seulement  qu'il  fallait  faire  retentir  la 
parole  sainte  dans  toute  la  force  de  son  tonnerre,  et  pla- 
cer avec  moi,  dans  cette  chaire,  d'un  côté  la  mort  qui 
vous  menace,  de  l'autre  mon  grand  Dieu  qui  vient  vous 
juger.  Je  tiens  aujourd'hui  votre  sentence  à  la  main,  hom- 
mes superbes  et  dédaigneux  qui  m'écoutez.  La  nécessité 
du  salut,  la  certitude  de  la  mort,  l'incertitude  de  cette 
heure  si  effroyable  pour  vous,  l'impénitence  tinale,  le  ju- 
gement dernier,  le  petit  nombre  des  élus,  l'enfer  et 
par -dessus  tout  l'éternité!  L'éternité!...  Voilà  le  sujet 
dont  je  viens  vous  entretenir,  et  que  j'aurais  dû  sans 
doute  réserver  pour  vous  seuls.  Ah!  qa'ai-je  besoin  de  vos 
suffrages  qui  me  damneraient  peut-être  sans  vous  sauver. 
Dieu  va  vous  émouvoir,  tandis  que  son  indigne  ministre 
vous  parlera;  car  j'ai  acquis  une  longue  expérience  de 
ses  miséricordes.  Alors,  pénétrés  d'horreur  pour  vos  ini- 
quités passées,  vous  viendrez  vous  jeter  entre  mes  bras, 
en  versant  des  torrents  de  larmes  de  componction  et  de 
repentir;  et  à  force  de  remords,  vous  me  trouverez  assez 
éloquent.  » 

Un  maître  dans  l'art  oratoire,  le  cardinal  Maury,  a  jugé 
ce  magnifique  exorde  digne  de  Bossuet  ou  de  Démos- 
thène  (1). 

Pendant  toute  la  durée  de  ces  pieux  exercices.  M.  Du- 
lau ,  pour  permettre  à  tous  ses  paroissiens  de  les  suivre, 


(1)  Essai  sur  l'Éloquence  de  la  chaire,  par  le  cardinal  Maury,  t.  I, 
p.  143. 


M.  DULAU  D'ALLEMANS  (1748-1777).  201 

exigeait  que  l'usage  des  chaises  fût  gratuit.  Aussi,  lors 
de  la  mission  de  1759,  donnée  à  l'occasion  de  l'indul- 
gence, en  forme  de  jubilé,  accordée  à  tous  les  fidèles 
par  le  pape  Clément  XIII,  après  son  exaltation  au  sou- 
verain Pontificat,  cette  concession  de  M.  Dulau  donna 
lieu,  de  la  part  du  fermier  des  chaises  de  Saint-Sulpice, 
cà  la  réclamation  d'une  indemnité  de  2.100  francs  qui 
lui  fut  payée  moitié  par  M.  le  curé  et  moitié  par  la  Fa- 
brique (1). 

Six  ans  auparavant,  quelques  paroissiens  s'étaient  re- 
fusés à  rendre  le  pain  bénit.  M.  Dulau  saisit  les  tribunaux 
de  la  question;  et,  le  12  avril  1753,  le  Parlement  rendit 

(1)  Le  bail  des  chaises  de  l'église  Saint-Sulpice  était  alors  de  1G.000 
livres,  dont  8.000  payables  d'avance  et  imputables  sur  les  six  derniers 
mois  de  sa  jouissance,  en  vertu  d'une  délibération  du  Conseil  de  la  Fabri- 
que, du  10  août  1756. 

Le  premier  acte  de  la  Fabrique,  relatif  aux  chaises,  date  de  1644,  où 
elle  autorisa  la  femme  L'oret,  en  considération  de  ses  grandes  dépenses 
pour  l'entretien  de  l'église  en  bon  état  de  propreté,  à  louer  des  chaises 
aux  sermons  qui  auraient  lieu  dans  l'église.  La  nef  était  alors  presque  en- 
tièrement garnie  de  bancs. 

Le  15  janvier,  la  Fabrique  fait  bail  à  la  femme  du  Sr  Vesnan,  clerc  de 
l'œuvre,  à  partir  du  1er  janvier  1652,  et  moyennant  100  livres  par  an,  du 
droit  de  placer  des  chaises  aux  sermons  dans  l'église. 

Le  2  février  1701,  ce  bail  est  fait  au  prix  de  1.800  livres  par  an,  paya- 
bles par  quart  et  d'avance.  Les  chaises,  livrées  en  bon  état,  doivent  être 
rendues  de  même. 

A  ce  bail  est  annexé  le  premier  tarif,  qui  doit  être  placé  sous  l'orgue  : 
aux  messes  basses,  1  sol;  aux  sermons  (les  jours  ordinaires1,  2  sols 
6  derniers;  aux  sermons  (les  jours  de  grande  fête),  4  sols,  excepté  les 
jours  des  Rameaux,  du  Vendredi  Saint  et  de  Pâques,  où  le  fermier 
pourra  en  tirer  davantage,  mais  avec  discrétion. 

En  1703,  ce  bail  est  renouvelé  pour  deux  ans,  à  1.900  livres. 

Le  18  mai  1708,  il  y  est  procédé  par  adjudication  publique. 

Le  3  mai  1728,  il  est  fait  pour  six  ans  et  pour  600  chaises  de  la  Fabrique 
à  2.200  livres  par  an;  et,  en  lin  de  bail,  le  fermier  devra  laisser  1.000  chaises 
à  la  Fabrique. 

Les  bancs  avaient  disparu  alors  avec  l'ancienne  nef. 

En  1730,  il  est  renouvelé  pour  1.500  chaises;  et  le  fermier  devra  en 
laisser  2.000  en  fin  de  bail. 

Le  20  mai  1739,  il  est  porté  à  10.500  livres  par  an,  à  la  charge  par  le 


202  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

un  arrêt  de  principe,  conforme,  du  reste,  aux  anciens 
usages  et  à  sa  propre  jurisprudence,  qui  rendait  obliga- 
toire pour  les  paroissiens  la  présentation  du  pain  bénit, 
aujourd'hui  entièrement  facultative  (1). 


fermier  d'entretenir  l'église  en  bon   état  de  propreté,  mais  avec  un  tarif 

beaucoup  plus  élevé  : 

Les  dimanches  et  fêtes  ordinaires,  aux  messes  et  prônes «    61 

Les  mêmes  jours,  aux  sermons ls  3d 

Aux  vêpres  et  saluts  des  mêmes  jours «    6l1 

Aux  prières  du  soir,  quand  il  y  a  sermon «    6d 

Les  fêtes  annuelles  et  solennelles,  aux  sermons 3S  « 

Aux  grand'messes  solennelles ls   « 

Aux  vêpres  des  fêtes  solennelles V  » 

Aux  sermons  de  l'Avent  et  du  Carême  en  semaine 25  6J 

Aux  sermons  et  vêpres  des  dimanches  de  l'Avent  et  du  Carême.  3S    « 

Aux  ténèbres 2S    « 

Aux  sermons  du  dimanche  des  Rameaux 5S    « 

Aux  sermons  et  Passions  du  Vendredi  Saint  (le  plus  haut) 12s    « 

Aux  serinons  du  jour  de  Pâques 6S     « 

Aux  sermons  du  dimanche  de  Quasimodo 4S     « 

Le  14  janvier  1745,  il  est  renouvelé  à  12.000  livres  par  an,  dont  6.000 
comptant  et  d'avance. 

Plus  tard,  en  1768,  il  fut  porté  à  18.000  livres;  en  1775,  à  19.000  livres, 
et  en  1787,  à  22.500  livres.  (Xau,  loc.  cit.,  p.  221  à  224.) 

(1)  Voici  le  texte  de  cet  arrêt  : 

«  La  Cour  ordonne  que  les  arrêts  des  26  mars  1599,  18  juin  1639,  25 
mai  1641,  23  décembre  1672,  29  mars  1710  et  12  août  1733  seront  exé- 
cutés; ce  faisant,  que  les  paroissiens  de  Saint-Sulpice,  de  quelque  rang, 
condition  et  état  que  ce  soit,  seront  tenus  de  rendre  à  leur  tour  le  pain 
à  bénir,  les  dimanches  et  fêtes  solennelles,  avec  la  décence  convenable  à 
leurs  rangs,  conditions  et  états,  et  proportionnés  au  grand  nombre  des 
fidèles  qui  doivent  y  participer,  aux  jours  qui  leur  seront  indiqués  par 
la  présentation  du  chanteau  en  la  manière  accoutumée,  et  de  faire  faire 
les  quêtes  ordinaires  pour  les  pauvres,  par  leurs  femmes  ou  filles  ou  autres 
personnes  convenables  à  leurs  rangs,  conditions  et  états;  et  faute  par  les 
dits  paroissiens  d'y  satisfaire,  aux  jours  qui  leur  seront  indiqués  par  la 
présentation  du  chanteau,  soit  qu'ils  aient  retenu  le  chanteau,  soit  qu'ils 
l'aient  refusé,  ordonne  qu'ils  y  seront  contraints  à  la  requête  de  Mes- 
sieurs les  curé  et  marguilliers  de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  par  toutes  les 
voies  dues  et  raisonnables;  ordonne  que  le  présent  arrêt  sera  imprimé, 
lu,  publié  au  prône  de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  et  affiché  où  besoin  sera, 
pour  servir  de  Règlement.  » 

Nau,  loc.  cit.,  p.  176. 


M.  DULAU  D'ALLEMANS  (1748-1777).  203 

Le  souci  constant  de  M.  Dulau,  pendant  toute  son  admi- 
nistration, fut  de  pourvoir  aux  besoins  des  pauvres,  parce 
que  l'accroissement  continu  des  charges  qu'ils  lui 
créaient  correspondait  avec  une  diminution  graduelle 
des  ressources  qu'il  pouvait  leur  consacrer. 

Cette  grave  difficulté  résultait  de  ce  que  le  nombre  des 
indigents  de  la  paroisse  augmentait  d'année  en  année  — 
et  les  libéralités  de  M.  Languet  n'avaient  pas  peu  contri- 
bué à  les  y  attirer,  —  tandis  que  les  diverses  sources  des 
aumônes  à  la  disposition  du  curé  baissaient  de  plus  en 
plus  :  les  dons,  par  les  progrès  de  l'indifférence  religieuse 
et  du  luxe  chez  les  grands;  et  le  produit  des  quêtes  et 
des  troncs,  par  suite  de  la  crise  commerciale  dont  souf- 
frait la  bourgeoisie  de  la  capitale  (1). 

Néanmoins,  la  charité  du  zélé  pasteur  réussit  toujours 
à  la  surmonter;  et  il  n'y  eut  pas  une  seule  année  où  il  se 
vit  obliger  de  restreindre  l'importance  des  secours,  en 
nature  ou  en  argent,  qu'il  distribuait  aux  malheureux. 

D'un  entier  désintéressement,  il  se  montra  plein  de 
générosité  dans  sa  conduite  à  l'égard  de  la  succursale  du 
Gros-Caillou  et  des  pauvres  habitants  de  ce  quartier. 

La  construction  de  leur  église  leur  avait  causé  de 
grands  embarras  d'argent.  M.  Dulau  vint  à  leur  secours  ; 
il  les  aida  à  payer  leurs  dettes  et  leur  fournit  la  plus 
grande  partie  du  linge,  des  ornements,  des  livres  et  des 
vases  sacrés  nécessaires  à  la  célébration  des  offices  di- 
vins. Il  fit,  en  outre,  élever  à  ses  frais,  en  1759,  une  nou- 
velle école  de  frères  dans  leur  quartier,  et,  en  1762, 
dans  le  voisinage ,  une  autre  école  pour  les  filles  qu'il 
confia  aux  sœurs  de  Saint  Vincent  de  Paul. 


(1)  La  gène  était  si  générale  et  si  grande  que,  le  26  avril  1760,  la  Fa- 
brique de  Saint-Sulpice  envoya  à  la  monnaie,  à  titre  de  don  patriotique, 
à  raison  des  embarras  du  Trésor  public,  un  grand  nombre  de  vases  d'ar- 
gent, pesant  ensemble  255  marcs.  Nau,  Rapport  sur  les  archives  de 
Saint-Sulpice,  p.  276. 


204  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAIXT-SULPICE. 

Bien  plus  encore;  cette  église,  qui  avait  à  peine  vingt- 
cinq  ans  d'existence,  se  trouvait  tout  à  fait  insuffisante 
à  raison  du  rapide  accroissement  de  la  population  ;  il  ré- 
solut d'en  bâtir  une  nouvelle  beaucoup  plus  vaste;  et  dès 
Tannée  17G3,  il  en  fit  commencer  les  travaux.  Un  violent 
incendie  les  endommagea  gravement,  alors  qu'ils  étaient 
déjà  avancés,  et  entraîna  leur  interruption.  Mais  M.  Du- 
lau  les  fit  reprendre  bientôt  après;  et  ils  lui  avaient  déjà 
coûté  plus  de  50.000  livres,  quand,  en  1773,  il  se  vit 
obligé  de  les  suspendre,  à  la  suite  de  nouvelles  démar- 
ches faites  par  les  principaux  habitants  du  quartier,  pour 
obtenir  l'érection  de  leur  succursale  en  cure.  Malgré  l'op- 
position de  M.  Dulau,  qui  ne  voyait  aucune  utilité  à  ce 
changement,  leur  requête  fut  agréée  par  l'archevêque 
de  Paris  et  par  l'abbé  de  Saint-Germain;  et  le  17  août 
1777,  une  ordonnance  du  cardinal  de  Beaumont,  arche- 
vêque de  Paris,  suivie,  l'année  suivante,  de  Lettres  pa- 
tentes du  Boi ,  érigea  l'église  succursale  du  Gros-Caillou 
en  église  paroissiale  sous  le  nom  et  l'invocation  do  Notre- 
Dame  de  bonne  Délivrance  et  de  Saint-Christophe  île 
patron  du  Prélat),  et  à  la  condition  que  la  Fabrique  ren- 
drait, chaque  année,  le  pain  bénit  à  Saint-Sulpice ,  dont 
cette  nouvelle  paroisse  était  démembrée,  le  dimanche 
dans  l'octave  de  la  fête  de  Saint-Sulpice,  et  que  de  plus 
elle  paierait,  tous  les  ans,  six  livres  au  curé  de  Saint- 
Sulpice  et  six  livres  à  la  paroisse  (1). 

La  création  de  cette  nouvelle  paroisse  entraîna  le  se- 
cond démembrement  de  celle  de  Saint-Sulpice,  en  lui  en- 
levant tout  le  territoire  qui  s'étendait  d'une  part  depuis  la 
chaussée  des  Invalides  jusqu'à  la  Seine  et,  en  la  suivant, 


(1)  L'église  fut  brûlée  à  la  Révolution;  elle  ne  fut  réédifiée  que  sous  le 
règne  de  Louis-Philippe,  et  sa  paroisse  fut  rétablie  alors  sous  le  titre  de 
Saint-Pierre  du  Gros-Caillou.  Dans  l'intervalle,  le  service  paroissial  fut 
fait  par  Sainte-Valère,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut. 


M.  DULAU  DALLE.MANS  (1748-1777).  205 

jusqu'à  l'île  des  Cygnes,  et  d'autre  part,  jusqu'au  château 
de  Grenelle,  ainsi  que  l'École  militaire  (1). 

Sous  le  coup  de  vives  contrariétés  qu'il  avait  éprouvées, 
M.  Dulau  crut  devoir,  en  mai  176i,  donner  sa  démission 
de  la  cure  entre  les  mains  de  l'abbé  de  Saint-Germain, 
sans  consulter  l'archevêque,  Mgl  de  Beaumont,  alors  exilé 
au  château  de  Laroque,  en  Périgord,  à  la  suite  de  con- 
testations avec  le  Parlement.  L'abbé,  en  sa  qualité  de 
patron  de  la  cure  de  Saint-Sulpice,  y  nomma  l'abbé 
Noguier,  autrefois  vicaire  de  cette  paroisse.  Mais  l'ar- 
chevêque, qui  l'avait  interdit  en  1760,  lui  refusa  ses  pro- 
visions, en  motivant  son  refus  sur  son  défaut  d'acceptation 
de  la  démission  de  M.  Dulau  et  sur  la  nécessité  de  cette 
acceptation  pour  la  valider  et  pour  donner  ouverture  à 
l'exercice  du  droit  du  patron.  L'abbé  Noguier  se  pourvut 
contre  cette  décision  devant  l'archevêque  de  Lyon,  Mgr  de 
Montazet,  en  sa  qualité  de  Primat  des  Gaules,  pendant 
que  M.  Dulau,  instruit  du  mécontentement  que  sa  démis- 
sion avait  fait  éprouver  à  Mgr  de  Beaumont,  la  révoquait 
et  signifiait  cette  révocation  à  l'archevêque  de  Lyon,  qui, 
sans  en  tenir  compte,  se  prononça  en  faveur  de  l'abbé 
Noguier.  L'affaire  fut  alors  évoquée  par  les  parties  con- 
tendantes  au  Parlement  de  Paris;  elle  y  fut  discutée, 
pendant  sept  audiences,  par  les  deux  célèbres  avocats 
Gerbier  et  Aubry;  et  au  terme  des  plaidoiries,  l'abbé  No- 
guier prévint  sa  défaite  en  signifiant,  le  19  mars  1765,  à 
M.  Dulau,  le  désistement  de  ses  prétentions.  Mais  la  Cour, 
sans  s'y  arrêter  et  statuant  au  fond,  rendit,  le  surlen- 
demain, 21,  un  arrêt  qui  déclarait  bonne  et  valable  la 
révocation  faite  par  M.  Dulau  de  sa  démission,  le  mainte- 
nait, en  conséquence,  en  possession  de  la  cure  de  Saint- 
Sulpice  et  condamnait  l'abbé  Noguier  aux  dépens. 

Cette  sentence  fut  accueillie  avec  joie  dans  la  paroisse 

(1)  Nau,  Rapport  vis.  sur  les  archives  de  Saint-Sulpice,  p.  272. 


200  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-Sl'LPICE. 

où  M.  Dulau  était  généralement  aimé;  la  Cour  elle- 
même,  où  il  était  fort  estimé,  lui  en  adressa  ses  félicita- 
tions, par  l'organe  du  Dauphin,  qui  lui  écrivit,  à  la  date 
du  23  mars,  la  lettre  suivante  : 

«  J'aurais  peine  à  vous  exprimer,  Monsieur,  la  joie 
«  que  j'ai  ressentie  du  succès  de  votre  affaire  et  plus 
«  encore  de  la  manière  dont  la  paroisse  y  a  applaudi. 
('<  Jouissez  de  votre  triomphe;  il  n'est  pas  celui  de  l'or- 
«  gueil,  mais  celui  de  la  vertu,  qui  sait  toujours  recou- 
«  vrer  ses  droits,  quand  elle  est  véritable.  Elle  doit 
«   aussi  vous  être  un  sûr  garant  de  mes  sentiments.  » 

Depuis  cette  époque,  M.  Dulau  continua  de  gouverner 
paisiblement  sa  paroisse  pendant  près  de  douze  ans;  mais 
alors  le  poids  de  l'âge  et  les  infirmités  le  forcèrent  à  la 
quitter.  Il  donna  sa  démission  définitive  de  la  cure,  le  18 
mars  1777,  en  faveur  de  l'abbé  de  Tersac,  son  vicaire, 
qui  fut  nommé,  dès  le  lendemain,  par  l'abbé  de  Saint- 
Germain;  et  il  l'installa  lui-même  le  20,  en  présence  de 
sa  Communauté,  du  Séminaire  et  d'un  grand  nombre  de 
paroissiens. 

Retiré  d'abord  à  Yaugirard,  puis  à  Issy,  auprès  de 
l'ancien  supérieur  général  de  la  Compagnie,  M.  le  Gal- 
lic,  il  tint  à  s'éloigner  de  Paris  aux  approches  de  la  Ré- 
volution, et  alla  résider  dans  le  Périgord,  auprès  de  deux 
de  ses  sœurs,  à  quelques  lieues  du  château  de  la  Côte. 
11  mourut  à  Périgueux,  le  14  janvier  1791. 


CHAPITRE  XI 

M.    DE    TERSAC    (1777-1788} 


Sommaire  :  Sa  naissance.  —  Ses  études  théologiques  à  Toulouse.  —  Ses  huit 
années  de  vicariat  à  l'église  Saint-Sulpice.  —  Son  agrégation  à  la  Compagnie. 

—  Sa  nomination  à  la  cure  de  Saint-Sulpice.  —  Ses  rapports  avec  Voltaire 
dans  sa  dernière  maladie.  —  Il  lui  refuse  la  sépulture  chrétienne.  —  Chagrin 
que  lui  cause  cette  mort  affreuse.  —  Il  transforme  la  communauté  des  clercs 
i\c%  Paroisse  en  petit  Séminaire.  —  Il  relève  la  maison  des  Orphelins.  —  Il 
augmente  le  nombre  des  catéchismes,  ajoute  des  embellissements  à  la  cha- 
pelle de  la  Sainte  Vierge,  fait  achever  le  grand  orgue  et  remplace  les  cloches. 

—  Don  de  la  chaire  que  lui  fait  le  duc  d'Aiguillon.  —  Ses  démêlés  avec  la 
Fabrique.  —  Il  résigne  sa  cure  à  M.  de  Verclos.  —  Sa  mort,  survenue  avant 
la  validation  par  la  Cour  romaine  de  cette  résignation,  la  rend  nulle  et  sans 
effet. 


M.  Jean- Joseph  Faydit  de  Tersac  naquit  en  1739,  dans 
le  diocèse  de  Conserans  (Arièg-e).  Après  avoir  fait  son 
séminaire  et  pris  ses  grades  en  théologie  à  Toulouse,  il 
vint  à  Paris  et  entra,  le  2  juin  176i,  à  la  Communauté  de 
la  paroisse  de  Saint-Sulpice.  Il  était  depuis  huit  ans  le 
vicaire  de  M.  Dulau,  quand  il  lui  succéda  en  1777.  Cinq 
ans  après,  l'assemblée  générale  de  1782  ratifiait  son  agré- 
gation à  la  Compagnie. 

Il  y  avait  à  peine  un  an  qu'il  exerçait  ses  fonctions  cu- 
riales,  quand  il  eut  à  prendre  part  à  l'un  des  plus  tristes 
événements  de  son  administration,  la  mort  de  Voltaire, 
qui  eut  lieu  le  30  mai  1778,  chez  le  marquis  de  Villette, 
dont  l'hôtel,  situé  quai  des  Théatins,  était  sur  la  paroisse 
Saint-Sulpice. 

Voltaire  était  revenu  à  Paris,  le  10  février  précédent, 


208  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

après  vingt  ans  d'absence  ;  et  les  transports  de  joie  et  les 
hommages  dont  il  ne  cessait  d'être  l'objet  depuis  son 
retour,  lui  causèrent  de  si  vives  émotions  que,  vers  la  fin 
du  mois,  il  lui  survint  une  violente  hémorragie  qui  mit 
ses  jours  en  danger.  Quelques  ecclésiastiques  s'offrirent 
alors  à  travailler  à  sa  conversion,  entre  autres  l'abbé 
Gauthier,  aumônier  des  Incurables,  qu'il  fit  venir  pro- 
bablement parce  qu'il  crut  voir  en  lui  un  casuiste  assez 
commode.  Toujours  est-il  que  cet  abbé  concerta  avec  son 
pénitent  la  profession  de  foi  suivante  : 

«  Je,  soussigné,  déclare  qu'étant  attaqué,  depuis  quatre 
«  jours,  d'un  vomissement  de  sang  à  l'âge  de  quatre- 
«  vingt-quatre  ans  et  n'ayant  pu  me  traîner  à  l'église; 
«  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice  ayant  bien  voulu  ajouter  à 
«  ses  bonnes  œuvres  celle  de  m'envoyer  M.  l'abbé  (7a u- 
«  thier,  prêtre,  je  me  suis  confessé  à  lui,  et  que,  si  Dieu 
«  dispose  de  moi,  je  meurs  dans  la  sainte  religion  catho- 
«  lique  où  je  suis  né,  espérant  de  la  miséricorde  divine 
«  qu'elle  daignera  me  pardonner  toutes  mes  fautes;  et 
«  que,  si  jamais  j'avais  scandalisé  l'Église,  j'en  demande 
«  pardon  à  Dieu  et  à  elle.  Signé  :  Voltaire,  2  mars  1778.  » 

Cet  acte  était  assurément  une  bien  mince  réparation  de 
tous  les  scandales  donnés  par  ce  contempteur  du  divin 
auteur  de  notre  sainte  religion,  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  et  de  la  plus  pure  de  uos  gloires  nationales,  Jeanne 
d'Arc;  et  M.  de  Tersac  était  d'autant  plus  fondé  à  en  sus- 
pecter la  sincérité,  qu'il  y  était  déclaré  faussement  que 
c'était  lui,  le  curé  de  Saint-Sulpice,  qui  avait  chargé 
l'abbé  Gauthier  d'aller  offrir  le  secours  de  son  ministère 
à  Voltaire. 

Aussi,  en  vue  de  pouvoir  apporter  à  cet  acte  les  recti- 
fications et  additions  qu'il  comportait,  s'empressa-t-il  de 
lui  faire  demander  une  entrevue;  mais  Voltaire,  qui  ne  se 
souciait  pas  d'une  explication  avec  son  curé,  l'éluda  en 
lui  écrivant,  dès  le  k,  en  termes  dont  la  politesse  tra- 


M.  DE  TERSAC  (1777-1788).  209 

hissait  l'ironie,  que  la  seule  crainte  d'importuner  son 
pasteur  «  au  milieu  de  ses  grandes  occupations,  l'avait 
«  empêché  de  s'adresser  à  lui  directement;  que  l'abbé 
«  Gauthier  demeurant  sur  la  paroisse  de  Saint-Sulpice, 
«  il  avait  cru  que  cet  abbé  venait  de  la  part  même  du 
«  curé  de  cette  paroisse  »  ;  et  il  lui  ajoutait  :  «  Je  vous 
«  supplie  de  me  pardonner  de  n'avoir  pas  prévu  la  con- 
«  descendance  avec  laquelle  vous  seriez  descendu  jus- 
«  qu'à  moi.  Pardonnez-moi  aussi  l'importunité  de  cette 
«  lettre;  elle  n'exige  pas  l'embarras  d'une  réponse;  votre 
«  temps  est  trop  précieux.  » 

M.  de  Tersac  ne  crut  pas  devoir  user  de  cette  liberté 
du  silence  qu'il  lui  offrait;  et  revenant  à  la  charge,  il  lui 
renouvela  sa  demande  d'une  entrevue  dans  une  lettre 
pleine  d'égards  et  de  ménagements  qu'il  terminait  ainsi  : 
«  Vous  me  comblez,  Monsieur,  de  choses  obligeantes,  et 
«  que  je  ne  mérite  pas.  Pour  moi,  je  n'ai  à  vous  offrir 
«  que  le  vœu  de  votre  solide  bonheur  et  la  sincérité  des 
«  sentiments  avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être,  etc.  » 

Mais  Voltaire  se  sentait  mieux;  il  ne  se  prêta  pas  à 
cette  visite,  et  ne  profita  de  sa  convalescence  que  pour 
mettre  la  dernière  main  à  sa  tragédie  d'Irène  et  la  don- 
ner à  la  scène.  On  lui  persuada  qu'elle  avait  réussi,  et  il 
alla,  le  1er  avril,  assister  à  sa  sixième  représentation.  Ce 
soir-là,  son  buste,  placé  sur  le  théâtre,  fut  solennellement 
couronné,  aux  applaudissements  d'une  foule  enthousiaste 
qui  le  reconduisit  chez  lui  en  triomphe. 

Il  ne  jouit  pas  longtemps  de  ces  honneurs.  Dès  le  mi- 
lieu de  mai ,  de  nouveaux  accidents  se  produisirent  qui 
l'obligèrent  à  prendre  le  lit  pour  ne  plus  le  quitter.  Le 
30,  dernier  jour  de  sa  vie,  l'abbé  Mignot,  son  neveu,  con- 
seiller clerc  au  Parlement ,  le  voyant  très  mal ,  alla  cher- 
cher 31.  de  Tersac  et  l'abbé  Gauthier,  qui  essayèrent  en 
vain  de  lui  inspirer  des  sentiments  conformes  à  la  gravité 
de  son  état;  il  ne  répondit  à  leurs  exhortations  que  par  le 

ÉGLISE   SAINT-SULPICE.  14 


210  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

silence.  Alors  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice ,  s'approchant 
de  son  lit,  lui  dit  avec  douceur  :  «  Monsieur  de  Voltaire, 
<(  vous  ries  au  dernier  terme  de  votre  existence;  recon- 
<.  naissez-vous  la  divinité  de  Jésus-Christ?  »  Le  malade 
hésita  un  moment,  puis  étendant  la  main,  comme  pour 
repousser  M.  le  curé,  il  lui  répondit  :  «  Monsieur  le  curé, 
«  laissez-moi  mourir  en  paix.  »  Et  il  se  tourna  d'un 
autre  côté.  Aussitôt,  M.  de  Tersac  et  l'abbé  Gauthier  se 
retirèrent.  Une  heure  après,  Voltaire  n'était  plus  (1). 

M.  de  Tersac  lui  refusa  la  sépulture  chrétienne  (2).  Ses 
amis  jetèrent  les  hauts  cris;  d'Alembert  parla  même  de 
recourir  au  Parlement,  comme  si  le  clergé  pouvait  être 
contraint  de  rendre  les  honneurs  de   la  Religion  à  un 


(i)Les  Mémoires  manuscrits  sur  les  curés  de  Saint-Sulpice  oh  nous 
avons  puisé  les  détails  qui  précèdent  sur  la  fin  de  Voltaire,  rapportent, 
d'après  un  auteur  du  temps,  le  fr.  Harel ,  capucin,  qu'après  la  sortie 
des  deux  ecclésiastiques,  M.  Tronchin,  le  médecin  de  Voltaire,  entra  dans 
sa  chambre  et  le  trouva  dans  des  agitations  affreuses,  criant  avec  fureur  : 
«  Je  suis  abandonné  de  Dieu  et  des  hommes.  »  Le  Docteur,  en  racontant, 
dans  tous  ses  détails,  cette  mort  terrifiante  à  des  personnes  respectables, 
n'aurait  pu  s'empêcher  de  leur  dire  :  «  Je  voudrais  que  tous  ceux  qui 
«  ont  été  séduits  par  les  livres  de  Voltaire,  eussent  été  témoins  de  sa 
«  mort;  il  n'est  pas  possible  de  tenir  contre  un  pareil  spectacle.  » 

Ce  récit  de  Tronchin  aurait  fait  grand  bruit  dans  le  public;  les  disciples 
de  Voltaire  l'auraient  mis  en  doute;  mais  ie  docteur  l'aurait  confirmé  à 
l'évêque  d'Orange,  Msr  du  Tillet,  un  jour  que,  dînant  avec  lui,  le  Prélat, 
le  prenant  à  part,  après  le  repas,  lui  dit  :  «  J'ai  entendu  dire  que  vous 
avez  été  témoin  de  la  mort  de  Voltaire,  et  que  l'ayant  tu  expirer  dans 
la  rage  et  le  désespoir,  vous  avez  raconté  le  fait  dans  les  termes  qu'on 
vous  a  attribués.  Est-ce  vrai?  »  Et  Tronchin  lui  aurait  répondu  :  «  Mon- 
«  seigneur,  il  est  très  vrai  que  je  me  suis  trouvé  présent  à  la  mort  de 
«  Voltaire.  Je  ne  puis  me  rappeler  les  termes  dont  je  me  suis  servi  alors; 
«  mais  vous  pouvez  être  assuré  que  ceux  qu'on  m'attribue  rendent  le 
«  sentiment  que  j'ai  éprouvé  à  cette  épouvantable  mort.  »  Mém.  mss., 
article  sur  M.  de  Tersac,  p.  2  à  9. 

(2)  Pendant  la  dernière  maladie  de  Voltaire,  il  avait  été  décidé  à  l'ar- 
chevêché de  Paris  qu'on  ne  l'admettrait  pas  à  la  sépulture  chrétienne,  s'il 
ne  signait  une  rétractation  formelle  des  impiétés  contenues  dans  ses  écrits. 
On  avait  même  d'avance  dressé  l'acte  de  cette  rétractation,  qui  fut  remise 
à  l'abbé  Gauthier.  Mém.  mss.,  ibid.,  p.  9. 


M.  DE  TERSAC  (1777-1788).  211 

homme  qui  avait  passé  sa  vie  à  déverser  sur  elle  le  mé- 
pris et  la  haine.  Mais  ils  se  ravisèrent;  et,  sur  un  nouveau 
refus  des  Cordeliers  qui  cependant  étaient  dans  l'usage 
de  célébrer  un  service  à  la  mort  de  tout  académicien ,  ils 
se  hâtèrent  de  transporter  son  corps  à  l'abbaye  de  Scel- 
lières,  en  Champagne ,  dont  son  neveu  était  commenda- 
taire,  et  de  l'y  faire  enterrer  avant  la  défense  de  l'évèché 
de  Troyes,  qui  arriva  trop  tard  (1). 

M.  de  Tersac  ressentit  un  chagrin  profond  de  cette 
mort  horrible,  qu'il  avait  tout  fait  cependant  pour  épar- 
gner au  malheureux.  Mais  il  eut  bientôt  un  sujet  de 
grande  consolation  dans  les  témoignages  de  plus  en  plus 
nombreux  d'estime  et  d'affection  qu'il  reçut  depuis  lors 
de  ses  paroissiens.  Sa  bonté,  sa  douceur,  sa  touchante 
sollicitude  pour  les  pauvres,  jointes  à  son  talent  d'orateur 
et  à  son  habileté  en  affaires,  lui  attiraient  les  sympathies 
même  des  hérétiques.  Mme  Necker,  quoique  protestante, 
lui  avait  donné  toute  sa  confiance;  et  elle  le  chargea,  dès 
l'année  1778,  de  fonder  pour  elle  l'hospice  de  120  ma- 
lades, qui  porte  encore  son  nom. 

Aussi  pour  lui,  comme  pour  M.  Languet,  toutes  les 
bourses  demeuraient-elles  ouvertes  ;  et  il  y  puisait  large- 
ment pour  le  soutien  de  toutes  ses  œuvres  paroissiales, 
pour  le  développement  des  plus  utiles  et  pour  le  relève- 
ment de  celles  qui  étaient  en  souffrance.  C'est  ainsi  que 
de  concert  avec  M.  Emery,  il  transforma  la  communauté 
des  clercs  de  la  paroisse  en  un  petit  Séminaire,  pépinière 
précieuse  pour  le  recrutement  du  clergé,  où  il  fit  admet- 
tre, depuis  la  classe  de  quatrième  jusqu'à  celle  de  philo- 
sophie inclusivement,  tous  les  jeunes  aspirants  au  sa- 
cerdoce. C'est  ainsi  encore  qu'il  releva  la  maison  des 
Orphelins,  fondée  par  M.  Olier  en  16i8,  mais  qui,  depuis  la 


(1)  Un  décret  de  l'Assemblée  nationale,  du  8  mai  1791,  ordonna  la  trans- 
lation de  ses  restes  au  Tanthéon. 


212  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

mort  de  M.  Languet,  déclinait  d'année  en  année.  11  com- 
mença par  lui  faire  octroyer,  à  la  date  du  21  novembre 
1778,  des  lettres  patentes  du  Roi,  qui  l'autorisaient  :  1°  à 
recevoir  non  plus  seulement  des  enfants  de  l'un  et  l'autre 
sexe,  orphelins  de  père  et  de  mère,  ainsi  que  l'exigeaient 
ses  premiers  statuts  (1),  mais  même  des  tilles  qui  ne  se- 
raient orphelines  que  de  père  ou  de  mère;  2°  et  à  élever 
à  300  livres  le  prix  de  la  pension  des  orphelins  que  les 
mêmes  statuts  ne  fixaient  qu'à  150  livres.  Puis,  de  ses  de- 
niers personnels,  il  acheta  pour  elle,  au  prix  de  16.000  li- 
vres,  une  maison   contignë,  qui   appartenait  à  la  com- 
munauté    de  l'Instruction    chrétienne    établie    rue   du 
Pot-de-Fer;  il  lui  procura  également  l'acquisition  d'une 
autre  petite  maison  à  la  suite  ;  et,  après  leur  démolition,  il 
fit  élever,  sur  leur  emplacement,  un  nouveau  bâtiment, 
parfaitement  approprié  à  sa  destination,  avec  une  cha- 
pelle intérieure,  au  prix  de  120.000  livres,  sur  lesquelles 
il  lui  donna  encore  Ci. 000  livres,  ne  laissant  ainsi  à  sa 
charge  que  les  56.000  livres  de  surplus,  dont  elle  put 
aisément  se  libérer  au  moyen  d'un  emprunt,  parce  que 
ce  nouveau  bâtiment  lui  rapporta  de  suite  un  revenu  de 
i.iOO  livres,  bien  supérieur  à  l'intérêt  exigé  par  le  ser- 
vice de'cet  emprunt  (2).  Il  sut  également  mettre  à  profit 
la  bienveillance  de  M.  Emery  qui  n'avait  rien  de  plus  à 
cœur,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  que  d'entretenir 
de  bons  rapports  avec  la  paroisse ,  pour  augmenter  le 
nombre  des  catéchismes  en  les  portant  à  vingt-six  et  pour 
obtenir  de  lui  que  désormais  les  séminaristes,  employés 


(1)  Ces  premiers  statuts  avaient  été  fixés  par  les  Lettres  patentes  du 
mois  de  mai  1678. 

(2)  Le  Bureau  des  administrateurs  de  celte  maison  lui  en  témoigna  sa 
vive  reconnaissance  dans  sa  séance  du  23  avril  1784.  V.  le  Procès-verbal 
de  celte  séance  dans  le  Registre  des  délibérations  du  bureau  des  Or- 
phelins de  la  paroisse  Saint-Sulpice  de  1G79  à  1793,  conservé  dans  les 
archives  de  l'église,  p.  170  à  176. 


M.  DE  TEKSAC  (1777-1788).  213 

à  leur  direction,  fussent  au  nombre  de  soixante-dix  (1). 

Les  intérêts  spirituels  de  sa  paroisse  et  le  soutien  de  ses 
œuvres  charitables  ne  lui  faisaient  pas  négliger  la  déco- 
ration de  son  église,  à  laquelle  il  prit  une  grande  part. 

Très  apprécié  dans  la  haute  société  comme  dans  les 
sphères  du  pouvoir,  il  avait  su  profiter  de  son  crédit  à 
la  Cour  pour  s'affranchir  de  la  charge  de  l'achèvement 
de  l'église,  dont  il  restait  encore  à  élever  la  façade  supé- 
rieure du  portail  et  les  tours;  et  il  avait  réussi  à  la  faire 
assumer  par  le  gouvernement,  en  lui  cédant  l'adminis- 
tration de  la  Loterie  dont  une  partie  seulement  des  béné- 
fices restait  maintenant  affectée  à  l'acquit  de  cette  dé- 
pense (2).  Le  plan  et  la  direction  de  ces  derniers  travaux 
furent  aussitôt  confiés  par  l'État  à  Chalgrin,  architecte 
du  Roi ,  qui  mit  quatre  ans  à  les  finir  et  les  termina  en 
1780  (3). 

Ainsi  délivré  de  ce  grave  souci  dès  les  premiers  temps 
de  son  ministère  pastoral,  M.  de  Tersac  employa  à  l'em- 
bellissement de  l'église  toutes  les  ressources  dont  il  put 
disposer. 

Ce  fut  lui  qui,  en  1780,  dans  la  chapelle  de  la  Sainte 
Vierge,  substitua  à  sa  statue  d'argent,  dont  la  garde  était 
continuelle  et  fort  dispendieuse ,  celle  en  marbre  de 
Pigalle.  Il  avait  déjà  remplacé  l'autel  que  M.  Languet  avait 


(1)  L'abbe  Gosselin,  Vie  de  M.  Emery,  neuvième  supérieur  général  de 
la  Compagnie  de  Saint-Sulpice,  t.  I,  p.  188. 

(2)  Un  arrêt  du  Roi  en  son  Conseil,  du  7  septembre  17G2,  avait  ordonné 
que  la  Loterie,  dite  de  Saint-Sulpice,  serait  supprimée  et  remplacée  par 
une  autre  Loterie,  sous  le  titre  de  Loterie  de  piété  et  d'utilité  publique, 
dont  le  produit  serait  affecté,  savoir  :  pour  moitié  en  faveur  du  nouveau 
bâtiment  de  l'église  de  la  Madeleine  et  pour  l'autre  moitié  à  diverses  œu- 
vres de  piété  et  d'utilité  publique,  même  en  faveur  de  l'église  Saint- 
Sulpice,  mais  dont  S.  M.  se  réservait  de  faire  l'application. 

(3)  La  Fabrique  lit  illuminer  les  Tours  de  Saint-Sulpice,  pour  la  pre- 
mière fois,  le  4  novembre  1781,  à  l'occasion  de  la  naissance  du  Daupbin, 
lils  de  Louis  XVI.  500  lampions  furent  placés  sur  chacune  des  deux  Tours. 
Nau,  loc.  cit.,  p.  277. 


214  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

fait  consacrer  en  1745,  par  un  autre,  beaucoup  plus  riche, 
en  marbre  blanc,  orné  d'un  bas-relief  en  bronze  doré, 
représentant  les  Noces  de  Cana,  et  d'un  tabernacle, 
fermé  par  une  porte,  aussi  en  bronze  doré,  sur  laquelle 
se  détache  un  Christ  en  croix  et  surmonté  d'un  agneau 
couché,  en  argent. 

Le  Nonce  apostolique  consacra  cet  autel,  le  7  décembre 
1778;  et  une  bulle  du  pape  Pie  VI,  du  7  août  1780, 
déclara  cet  autel  privilégié  sous  le  titre  de  l'Immaculée 
Conception  de  la  Sainte  Vierge. 

Ce  fut  lui  encore  qui  fit  achever  le  grand  orgue.  Un  pre- 
mier plan  en  avait  été  dressé  par  Servandoni,  dont  la 
composition  originale  et  religieuse  avait  plu  à  M.  Lan- 
guet;  mais  il  ne  ménageait  pas  la  place  lu  buffet,  et  cet 
oubli  essentiel  le  fit  rejeter.  Un  second  fut,  après  sa  mort 
arrivée  en  1766,  présenté  par  Chalgrin  :  il  était  bien  conçu 
et  en  harmonie  avec  le  style  de  l'église;  la  Fabrique 
l'adopta  le  10  mai  1776.  La  facture  en  fut  confiée  à 
Cliquot,  la  menuiserie  à  Jadot,  les  sculptures  à  Duret.  Il 
fut  livré  le  15  mai  1781  et  coûta  à  la  Fabrique  87.000  li- 
vres (1). 

Vers  le  même  temps,  elle  vota  le  remplacement  des 
anciennes  cloches  par  huit  nouvelles,  pesant,  la  première, 
11,344  1.  ;  la  seconde,  8.072  1.  ;  la  troisième,  5.810  1.  ;  la 
quatrième,  4.789  1.;  la  cinquième,  3.412  1.;  la  sixième» 
2.423  1.;  la  septième  1.706  1.;  la  huitième,  1.451  1. 
M.  de  Tersac  les  bénit  les  22  août,  7,  14,  21  et  28 
octobre  1782  (2). 


(1)  Nau,  loc.  cit.,  p.  277. 

(2)  Elles  curent  pour  parrains  et  marraines  : 

La  première,  Louis  XVI,  représente  parle  duc  de  Villequier,  et  la  Reine, 
représentée  par  h  princesse  de  Chimay; 
La  deuxième,  Monsieur  et  Madame,  frère  et  sœur  du  Roi; 
La  troisième,  le  comte  et  la  comtesse  d'Artois; 
La  quatrième,  le  duc  d'Angouléme  et  Mme  Adélaïde,  tante  du  Roi; 


M.  DE  TERSAC  (1777-1788).  215 

Il  obtint  plus  tard  du  Gouvernement  la  construction,  à 
ses  frais,  des  Fonts  baptismaux,  qui  furent  bénits  le  7  août 
1787;  et  il  les  plaça  au  milieu  de  celle  des  deux  chapelles 
du  péristyle,  qui  désormais  porte  leur  nom  et  qui,  située 
dans  la  tour  du  Nord,  a  son  entrée  dans  la  chapelle  Saint- 
François-Xavier. 

L'autre  chapelle  du  péristyle ,  qui  n'a  pas  de  nom  par- 
ticulier, est  située  dans  la  tour  du  Midi,  et  l'on  y  accède 
par  la  chapelle  des  Saints  Anges. 

Ces  deux  chapelles,  de  style  identique  et  construites 
toutes  deux  en  forme  de  rotonde,  sont  ornées  chacune 
de  huit  colonnes  corinthiennes  qui  supportent  une  cou- 
pole centrale,  l'une  pleine,  celle  de  la  chapelle  des  Fonts, 
et  au  milieu  de  laquelle  on  a  sculpté  un  Saint-Esprit  dans 
une  gloire;  l'autre  à  jour  et  fermée  par  un  simple  châssis 
vitré. 

Chacune  d'elles  est  éclairée  par  une  grande  fenêtre  en 
face  de  laquelle  est  une  arcade,  appelée  à  encadrer  un 
tableau  ou  un  bas-relief;  et  entre  ses  colonnes  ont  été 
pratiquées  quatre  niches,  destinées  au  support  de  sta- 
tues. 


La  cinquième,  le  duc  de  Berry  et  Mmo  Victoire,  tante  du  Roi; 

La  sixième,  le  prince  de  Condè  et  Mllc  de  Bourbon; 

La  septième,  le  duc  de  Penthièvre  et  la  Princesse  de  Coati; 

La  huitième,  le  duc  et  la  duchesse  de  Biissac. 

Ce  sont  ces  cloches  à  l'égard  desquelles  les  membres  de  l'Assemblée  de 
la  section  du  Luxembourg,  qui  ne  parvenaient  sans  doute  pas  à  s  entendre 
entre  eux,  prirent,  le  2  août  1792,  le  burlesque  arrêté  suivant  : 

«  L'an  IV  de  la  Liberté,  2  aoiit,  etc.,  considérant  sur  l'horrible  car- 
rillon  des  cloches  de  Saint-Sulpice,  qu'il  semble  qu'on  prenne  à  tâche 
de  les  mettre  en  branle  dans  le  temps  de  l'Assemblée  de  la  section,  bien 
qu'elle  ait  été  plusieurs  fois  prévenir  qu'on  eut  égard  à  ne  pas  troubler  ses 
délibérations,  et  enlin  l'Assemblée,  n'y  pouvant  tenir,  nomme  trois  com- 
missaires, Messieurs  Tranche,  Lejeune  et  Vigneuil,  à  l'effet  de  signifier 
aux  sonneurs  qu'ils  aient  à  ne  pas  troubler  les  séances  de  l'Assemblée  et 
qu'ils  cessent  de  sonner,  après  cinq  heures  du  soir.  »  A  Sorel,  le  Couvent 
des  Carmes,  p.  46. 


216  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

Dans  la  même  année  1787,  M.  de  ïersac  procura  à  ces 
deux  chapelles  les  divers  ornements  qui  leur  manquaient. 
A  la  chapelle  des  Fonts,  il  fit  dresser  dans  les  niches  qui  les 
attendaient,  les  quatre  statues  de  la  Sagesse,  de  la  Force, 
de  la  Grâce  et  de  Y  Innocence ,  sculptées  par  Boizot,  et 
dans  l'arcade  qui  surmonte  la  porte  d'entrée,  un  Baptême 
du  Christ  en  plâtre,  œuvre  du  même  artiste.  Dans  l'autre 
chapelle,  il  fit  placer  quatre  autres  statues  :  la  Religion, 
la  Résignation,  Y  Espérance  et  Y  Humilité ,  œuvres  de 
Mouchy,  qui  composa  également  le  groupe  de  la  Mort  de 
saint  Joseph,  placé  dans  l'arcade  de  cette  même  chapelle. 

Au  mois  de  janvier  1788,  il  fit  poser  les  trois  grandes 
portes  des  entrées  principales  et  lalérales  du  portail,  exé- 
cutées par  le  menuisier  Chalbaud,  sur  les  dessins  de 
Chalgrin  et  au  compte  du  Gouvernement. 

C'est  à  lui  enfin  que  l'église  est  redevable  de  sa  nou- 
velle chaire,  exécutée  sur  les  dessins  de  de  Wailly  et 
donnée,  en  1788,  par  le  duc  d'Aiguillon-Du  Plessis  Riche- 
lieu, ancien  ministre  de  Louis  XV,  et  premier  marguillicr 
de  la  paroisse,  en  témoignage,  est-il  dit  dans  une  des 
inscriptions  latines  (1)  placées  sur  les  bases  de  cette  chaire, 
de  sa  respectueuse  affection  pour  son  digne  pasteur  (2). 


fl)  L'inscription  de  gauche  est  ainsi  conçue  :  D.  O.  M.  Et  sanctissimœ 
Religioni,  hanc  pro  veteri  novam,  pro  lignea  marmoream  et  hujus  templi 
magnificentiae  minus  disparem  calhedram,  est,  indè  cœlestis  eloquii  sanc- 
tum  semen  perenniter  effusum,  germinet  pacern  et  veritatem  et  mores 
christianos,  et  caritatem  non  fictani;  c'est-à-dire  :  à  la  Gloire  de  Dieu 
tout-puissant  et  de  la  très  sainte  Religion  est  consacrée  cette  nouvelle 
chaire,  de  marbre,  qui  remplace  l'ancienne  chaire  de  bois,  et  est  plus 
en  rapport  avec  la  magnificence  de  cette  église,  pour  que  la  sainte  se- 
mence de  l'éloquence  céleste  ne  cesse  d'y  être  répandue  pour  faire  germer 
la  paix,  la  vérité,  les  mœurs  chrétiennes  et  la  vraie  charité. 

(2)  Les  deux  statues  de  la  Foi  et  de  X  Espérance ,  placées  sur  les  pié- 
destaux qui  supportent  les  deux  volées  de  l'escalier,  sont  l'œuvre  de 
Guesdon;  les  figures  des  Évangélistes  qui  recouvrent  les  faces,  en  bas- 
reliefs  de  bronze  doré  de  ces  piédestaux,  sont  de  Edme  Dumont,  à  qui 
la  Fabrique  commanda  ensuite  le  groupe  en  bois  doré  de  la  Charité,  qui 


M.  DE  TERSAC  (1777-1788).  217 

En  même  temps  qu'il  complétait  si  bien  La  décoration 
intérieure  de  l'église,  il  s'occupait  de  pourvoir  à  sa  déco- 
ration extérieure ,  et  multiplia  longtemps  ses  efforts  pour 
faire  aboutir  le  plan  de  Servandoni  qui  voulait  créer,  en 
face  de  ce  bel  édifice,  une  place  grandiose  dont  les  trois 
côtés  seraient  formés  par  les  façades  uniformes  de  cons- 
tructions monumentales.  Il  était  même  parvenu  à  rallier 
à  ce  plan  le  supérieur  général,  31.  Emery,  qui  consen- 
tait à  transférer  son  Séminaire  sur  cette  place,  pourvu 
qu'il  y  trouvât  l'espace  suffisant  pour  l'installation  con- 
venable des  quatre  communautés  dont  il  se  composait. 
L'impossibilité  de  satisfaire  à  cette  condition  fit  renoncer 
à  la  réalisation  du  plan  lui-même,  qui  ne  reçut  qu'un 
commencement  d'exécution  par  la  construction  de  la 
maison  qui  porte  aujourd'hui  le  n°  6  sur  la  place  actuelle, 
et  qui  fut  longtemps  habitée  par  M.  Leplay,  le  célèbre 
auteur  des  Ouvriers  européens,  et  de  la  Réforme  sociale. 

Tant  de  travaux  ne  pouvaient  pas  s'effectuer  sans  susciter 
bien  des  embarras  et  des  difficultés  à  M.  de  Tersac.  Ils 
furent  même  la  cause  principale  des  dissentiments  regret- 
tables qui  surgirent  entre  lui  et  M.  Dulau,  son  prédéces- 
seur, d'une  part,  et  de  l'autre ,  la  Fabrique  et  l'abbé  Simon 
de  Doncourt  que  ces  deux  curés  avaient  chargé  depuis 
longtemps  de  la  commande  et  de  la  surveillance  de  la 
plupart  de  ces  travaux  et  qui,  à  ce  titre ,  leur  imposa  plus 
d'une  fois  des  engagements  onéreux,  sans  se  préoccuper 
assez  des  ressources  nécessaires  pour  y  faire  face. 

Toujours  est-il  que  les  fatigues  et  les  chagrins  que  lui 
causèrent  ces  fâcheux  démêlés,  ne  tardèrent  pas  à  épui- 
ser sa  santé.  Réduit  à  un  état  de  faiblesse  alarmant,  en 
juillet  1788,  il  alla  prendre  les  eaux  dans  le  Nivernais.  Au 
cours  de  son  traitement,  il  sentit  son  mal  empirer  et  il 


surmonte  l'abal-voix  et  qu'elle  lui  paya  1.200  livres,  en  1789.  Nau.  ibid., 
p.  278. 


218  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

résigna  sa  cure  à  M.  de  Verclos,  le  supérieur  de  sa  Com- 
munauté, par  acte  authentique.  Quelques  jours  après  la 
signature  de  cet  acte,  il  reprenait  à  grand'peine  la  route 
de  Paris,  pour  y  rendre  le  dernier  soupir,  dans  son  pres- 
bytère, le  14  août,  à  l'âge  de  quarante-neuf  ans  (1). 


(1)  11  existe  actuellement  au  presbytère  un  beau  portrait  de  M.  de 
Tersac,  donné  à  la  Fabrique,  en  1842.  par  M.  Dehaussy  de  Robécourt,  Con- 
seiller à  la  Cour  de  cassation.  V.  P.-V.  de  la  séance  du  Conseil,  du  19  no- 
vembre 1842. 


CHAPITRE  XII 

M.    DE   PANCEMONT    (1788-1802 


Sommaire.  —  Sa  naissance.  —   Premières  années  de  sa  vie  sacerdotale.   — 
Comment  il  obtient  la  cure  de   Saint-Sulpice,  sans    être  de  la  Compagnie. 

—  II  est  appelé  le  Père  des  pauvres.  —  Difficultés  de  tout  genre  que  lui 
créent  les  premiers  orages  de  la  Révolution.  —  Sagesse  de  sa  conduite 
qu'il  s'applique  à  calquer  sur  celle  de  M.  Emery.  —  Te  Deum  chanté  à 
Saint-Sulpice,  le  soir  de  la  prise  de  la  Bastille.  —  Bénédiction  des  drapeaux 
de  la  Garde  nationale.  —  Note  sur  les  modes  divers  de  perception  des 
chaises  de  1789  à  I83.'>.  —  Mariage  de  Camille  Desmoulins.  —  Refus  de  bénir 
celui  de  Talma.  —  Pourvoi  de  ce  dernier  devant  l'Assemblée  nationale, 
dont  le  Comité  ecclésiastique  donne  raison  à  M.  de  Pancemont.  —  Sa  pé- 
tition pour  la  conservation  de  l'abbaye  Saint-Germain  des  Prés.  —  Sa  cor- 
vée au  champ  de  Mars  à  l'occasion  de  la  fête  de  la  Fédération.  —  Sa  presta- 
tion de  serment  à  la  Constitution  à  l'occasion  de  la  même  fête.  —  Son  refus 
de  serment  à  la  Constitution  civile  du  clergé.  —  Scènes  de  violence  qu'il 
provoque.  —  Son  entrevue  avec  Bailly,  le  maire  de  Paris.  —  Lettre  qu'il 
reçoit  de  Mme  Necker.  —  Troisième  démembrement  de  la  paroisse  Saint- 
Sulpice,  prescrit  par  la  Loi  du  4  février  1791,  qui  crée  les  deux  paroisses  de 
Saint-Germain  des  Prés  et  de  Saint-Thomas  d'Aquin.  —  Prise  de  possession 
de  l'église  Saint-Sulpice  par  l'intrus  Poiret.  M.  de  Pancemont  prend  à 
bail  l'église  des  Théatins.  —  Scènes  de  désordre,  fouet  donné  à  des  femmes 
pour  empêcher  l'ouverture  de  celte  église.  —  M.  de  Pancemont  se  relire  à 
Bruxelles;  sa  belle  lettre  à  ses  paroissiens.  —  Au  bout  de  six  mois  il  rentre 
à  Paris  et  organise  secrètement  le  culte  à  l'église  des  Missions  étrangères, 
à  la  chapelle  du  Petit-Calvaire  et  à  celle  des  Bénédictines  du  Saint-Sacrement. 

—  Ses  instructions  pastorales  écrites.  —  Il  se  réfugie  à  Croissy.  —  Rentré  à 
Paris,  après  le  9  Thermidor,  il  rassemble  ses  paroissiens  dans  divers  ora- 
toires privés.  —  Mme  de  Soyecourt  lui  cède  temporairement  l'église  des 
Carmes.  —  Persécution  dont  il  est  l'objet  de  la  part  du  Directoire.  —  Il 
se  retire  en  Suisse,  revient  à  Paris  après  le  18  Brumaire  et  rouvre  aux 
fidèles  l'église  des  Carmes.  —  Il  est  nommé  à  l'évêché  de  Vannes.  —  Son 
Sacre  à  Noire-Dame.  —  Difficultés  qu'il  rencontre  dans  son  diocèse.  —  At- 
tentat contre  sa  personne.  —  Sa  mort. 


Cette  mort  si  prompte  de  M.  de  Tersac  fit  perdre  à  sa 
Compagnie  la  possession  de  la  cure  de  Saint-Sulpice,  en 


220  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

rendant  nulle  la  résignation  qu'il  venait  d'en  faire  à 
31.  de  Verclos  et  dont  la  validité,  subordonnée  à  l'appro- 
bation que  la  cour  de  Rome  en  donnerait  de  son  vivant, 
ne  put  être  prononcée  par  cette  cour  qui  ne  reçut  l'expé- 
dition de  l'acte  autlieutique  de  cette  résignation  qu'après 
le  décès  du  titulaire. 

En  outre,  elle  survenait  pendant  la  vacance  du  Siège 
abbatial,  et  elle  fit  naître  aussitôt  un  conflit  sur  le  droit 
de  collation  de  cette  cure  entre  les  religieux  de  l'Abbaye 
qui  prétendaient  ne  l'avoir  jamais  abdiqué;  l'archevêque 
de  Paris  qui  soutenait,  au  contraire,  qu'ils  le  lui  avaient 
cédé  en  même  temps  que  la  juridiction  sur  la  paroisse 
par  leur  traité  de  1688;  et  l'évèque  d'Autun,  M.  de  Mar- 
beuf,  qui  en  revendiquait  l'exercice ,  au  nom  des  privi- 
lèges de  la  Régale,  dont  il  avait  la  garde  en  sa  qualité 
d'administrateur  de  la  feuille  des  bénéfices.  Ce  conflit 
menaçait  de  se  prolonger  lorsqu'une  transaction  y  mit  fin. 
L'évèque  d'Autun  proposa,  pour  cette  cure,  son  grand 
vicaire,  M.  de  Pancemont,  que  ses  talents  d'orateur  et  sa 
grande  charité  lui  avaient  fait  prendre  en  très  vive  affec- 
tion; les  religieux  de  l'Abbaye  l'agréèrent  et  le  présen- 
tèrent à  l'archevêque,  qui  consentit  à  le  nommer.  En 
même  temps,  M.  de  Marbeuf  crut  être  agréable  à  M.  Emery 
en  désignant  pour  l'évêché  vacant  de  Mariana,  en  Corse, 
M.  de  Verclos,  qu'il  dédommageait  ainsi  de  l'exclusion 
dont  cette  transaction  le  frappait. 

M.  de  Pancemont  fut  installé  le  1er  septembre  1788  (1). 

Par  son  invincible  courage  à  confesser  la  foi  au  péril 
de  sa  vie;  par  son  inébranlable  respect  des  principes  et 


(1)  Antoine-Xavier  Maynaud  de  Pancemont  était  né  à  Digoing-sur-Loire, 
aii  diocèse  d'Autun,  le  6  août  175G.  Après  avoir  brillamment  soutenu  sa 
Licence  en  février  1784,  il  prit  le  bonnet  de  docteur,  le  3  avril  suivant. 
Ses  succès  le  firent  choisir  par  M.  de  Marbeuf  pour  son  vicaire  général, 
dont  il  n'accepta  les  fonctions  que  sur  le  conseil  de  M.  Emery,  supé- 
rieur général  de  Saint-Sulpice  depuis  le  10  septembre  1782. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  221 

des  règles  de  la  discipline  canonique,  comme  par  sa  con- 
descendance dans  leur  application  et  par  sa  fidélité  cons- 
tante à  demeurer  à  la  tète  de  la  paroisse  tant  que  la 
position  fut  tenable,  en  dépit  des  violences  et  des  persé- 
cutions dont  il  était  l'objet  de  la  part  d'une  municipalité 
impie,  acharnée  contre  lui,  M.  de  Pancemont  a  été  peut- 
être,  après  M.  Emery,  le  prêtre  qui  a  le  plus  honoré 
l'Église  de  Paris  à  cette  sinistre  époque. 

M.  Emery  n'eut  pas  à  regretter,  du  reste,  pour  sa  Com- 
pagnie le  choix  du  nouveau  curé  de  Saint-Sulpice.  M.  de 
Pancemont  était  un  ancien  élève  de  Saint-Sulpice.  Il  y 
avait  fait  toutes  ses  études  gratuitement,  grâce  à  la  gé- 
nérosité de  ses  Directeurs  qui  l'avaient  gardé  auprès 
d'eux,  bien  qu'ils  sussent  que  sa  famille,  opposée  à  sa 
vocation,  ne  paierait  jamais  rien  de  sa  pension  au  Sémi- 
naire. Toute  sa  vie,  il  leur  en  conserva  une  profonde 
reconnaissance;  et  quand  il  devint  curé,  il  fut  heureux 
de  la  leur  témoigner,  non  seulement  en  les  désintéressant 
entièrement,  mais  surtout  en  ne  changeant  rien  aux  erre- 
ments de  ses  prédécesseurs,  en  exigeant  la  stricte  obser- 
vance de  tous  les  règlements  et  de  tous  les  usages  qu'ils 
avaient  établis,  et,  clans  toutes  les  conjonctures  difficiles 
de  sa  vie,  prenant  toujours  conseil  de  M.  Emery,  dont  le 
cardinal  de  Bausset  a  pu  dire  en  toute  vérité,  «  quil  a 
«  été  la  gloire  et  la  lumière  de  l'Eglise  de  France,  pen- 
«  dant  vingt  ans  des  plus  violentes  tempêtes  (1)  ». 

La  rigueur  de  l'hiver  de  1788  à  1T89,  qui  suivit  son 
installation,  révéla  son  ardente  charité,  et  comme  à  Autun 
il  consacra  aux  pauvres  une  grande  partie  de  son  patri- 
moine qui  était  considérable.  Il  multiplia  pour  eux  ses 
sacrifices  personnels,  fit  une  quête  générale  en  leur 
faveur,  frappa  aux  portes  de  tous  ses  parents  et  amis  et 


(1)  Lettre  de  M.  de  Bausset  à  M.  Duclaux,  du  6  mai  1811,  citée  dans  la 
Vie  de  31.  Emery,  par  l'abbé  Gosselin,  t.  I,  p.  34C. 


222  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

mérita  dès  alors ,  par  ses  prodigieux  efforts  pour  leur 
venir  en  aide,  le  beau  titre  de  Père  des  pauvres. 

Afin  de  mettre  de  l'ordre  dans  la  distribution  de  ses 
secours  et  de  les  mieux  proportionner  aux  besoins  des 
malheureux,  il  fit  dresser  un  tableau  général  des  pauvres 
de  la  paroisse,  indiquant  leur  nom,  leur  âge,  leur  de- 
meure, leur  état,  le  nombre  et  l'âge  de  leurs  enfants.  Ce 
tableau  accusa  25.000  pauvres  à  soulager  sur  la  paroisse. 
Comme  M.  Languet,  il  employa  une  partie  des  res- 
sources qu'il  leur  réservait,  à  ouvrir  ou  à  soutenir  des 
ateliers  de  filature,  de  broderie,  de  couture  et  autres, 
où  il  occupait  les  indigents  valides  et  sans  travail  et 
surtout  les  femmes.  Les  malades  étaient  l'objet  de  sa  plus 
tendre  sollicitude;  et  il  trouvait,  pour  les  visiter  avec  lui, 
un  auxiliaire  parfait  dans  l'abbé  Dupré,  le  vicaire  des 
pauvres. 

L'hiver  suivant,  il  dut  multiplier  encore  ses  sacrifices 
pour  les  soulager  efficacement  :  car  au  milieu  des  pre- 
miers orages  de  la  Révolution,  dont  le  contre-coup  se 
faisait  sentir  surtout  dans  la  capitale,  l'interruption  du 
commerce  et  du  travail,  la  suppression  des  dépenses  de 
luxe ,  l'absence  d'un  grand  nombre  d'habitants  riches  ou 
la  réduction  de  leur  personnel,  amenèrent  rapidement 
un  accroissement  notable  du  nombre  des  pauvres  en  même 
temps  qu'une  réduction  sensible  du  chiifre  des  aumônes 
qu'on  leur  destinait.  Son  zèle  infatigable  sut  triompher 
de  cette  grave  difficulté;  et,  il  faut  l'avouer,  il  était  d'au- 
tant plus  méritoire  que  les  ennemis  de  l'ordre  ne  cessaient 
de  l'entraver  :  s'il  avait  des  secours  plus  abondants  que 
de  coutume  à  distribuer  aux  malheureux ,  ils  l'accusaient 
de  chercher  à  les  corrompre,  pour  les  soulever  contre  le 
nouvel  ordre  de  choses;  si,  au  contraire,  il  était  forcé 
de  les  restreindre,  c'était,  à  les  entendre,  un  calcul  de  sa 
part,  pour  aggraver  les  souffrances  du  peuple  et  lui 
faire  regretter  le  régime  ancien.  En  haine  de  la  Religion 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  223 

dont  il  se  montrait  un  si  digne  ministre,  les  impies  ne 
craignirent  même  pas  de  l'exposer  aux  colères  populaires 
en  le  représentant  comme  un  distributeur  de  pain  em- 
poisonné. 

Un  jour,  il  annonce  une  messe  solennelle  d'actions  de 
grâces  pour  un  secours  inespéré:  et  il  la  fait  publier  par 
des  affiches  portant  cette  épigraphe,  tirée  du  Livre  des 
Proverbes  :  Pauper  et  dives  obviaverunt  sibi;  l'abbé  de 
Boulogne  devait  y  prendre  la  parole  et  M.  le  curé  faire 
la  quête. 

La  malveillance  y  voit  un  projet  de  coalition  dange- 
reuse des  pauvres  et  des  riches  contre  les  citoyens  d'une 
fortune  médiocre  et  répand  le  bruit  que  l'abbé  de  Bou- 
logne fera  une  sortie  contre  les  décrets  de  l'Assemblée 
nationale.  Aussitôt  l'on  vient  prier  M.  de  Pancemont  de 
renoncer  à  cette  messe  ;  mais  il  résiste  en  disant  que  loin 
de  vouloir  fomenter  la  discorde  entre  les  citoyens,  il  croit 
qu'une  pareille  cérémonie  est  de  nature  à  calmer  les 
haines  en  rapprochant  entre  elles  toutes  les  classes  de  la 
société. 

Néanmoins,  la  veille  de  cette  messe,  informé  que  le 
club  du  Palais-Royal  venait  de  soudoyer  une  bande  de 
patriotes,' bien  nommés  sans-culottes,  pour  en  empêcher 
la  célébration,  il  accorde  à  la  crainte  d'un  scandale 
dans  le  Lieu  saint  ce  qu'il  avait  refusé  à  des  raisons  futiles, 
et  il  fait  afficher  aux  portes  qu'elle  n'aura  pas  lieu. 

Mais  la  masse  des  fidèles,  dans  l'ignorance  de  ce  contre- 
ordre,  se  rend  à  l'église  pour  la  cérémonie;  les  émis- 
saires du  club  les  y  suivent,  et,  furieux  de  voir  échapper 
l'occasion  qu'ils  venaient  y  chercher  d'une  scène  de  vio- 
lence, réclament  la  messe  à  grands  cris.  La  peur  s'empare 
des  fidèles;  on  court  chercher  la  garde  nationale,  qui 
arrive  sans  tarder.  Son  commandant,  un  nommé  La 
Villette,  place  ses  hommes  en  sentinelles  à  chacune  des 
portes  et,  entrant  seul  dans  l'église,  s'abouche  avec  le 


224  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

chef  des  perturbateurs,  puis  va  trouver  M.  le  curé  et  le 
supplie  de  faire  dire  la  messe,  eu  lui  répondant  de  la 
tranquillité  de  l'assistance.  M.  de  Pancemont  se  laisse 
fléchir,  monte  en  chaire  pour  expliquer  les  raisons  qui 
lui  avaient  fait  contremander  la  messe  et  déclare  que, 
d'après  le  désir  qui  lui  en  est  exprimé  de  tous  côtés,  elle 
va  être  chantée.  On  l'applaudit,  l'office  se  célèbre  dans 
le  plus  grand  calme;  il  passe  lui-même  dans  tous  les 
rangs  où  il  fait  une  quête  fructueuse,  et  la  foule  s'écoule 
ensuite  en  silence. 

Les  scènes  de  ce  genre  furent  très  fréquentes  alors;  et 
malheureusement  on  compte  celles  qui  finirent  aussi 
bien  que  celle  de  Saint-Sulpice. 

C'est  ainsi  que  dès  l'aurore  de  la  Révolution  la  situation 
du  clergé  paroissial  devint,  à  Paris,  des  plus  délicates  et 
des  plus  pénibles;  et  le  mode  d'élection  des  Députés  aux 
États  Généraux  ne  fut  pas  sans  y  contribuer  beaucoup. 

Par  une  exception  unique  (1), Paris,  en  effet,  avait  été 
appelé  à  former,  intra  mur  os,  un  corps  électoral  séparé 
du  reste  de  la  Prévôté  et  Vicomte  (2),  qui  avait  droit,  clans 
son  Assemblée  générale,  de  nommer  40  députés,  10  du 
clergé,  10  de  la  noblesse,  20  du  Tiers  État.  Ce  corps  élec- 
toral se  composa  de  974-  électeurs,  nommés  :  344  par  le 
clergé,  223  par  la  noblesse,  et  407  par  le  Tiers  État  clans 
les  Assemblées  primaires  des  trois  ordres. 

L'organisation  de  ces  Assemblées  primaires  avait  été 
facile  pour  le  clergé,  qui  pouvait  choisir  aisément  ses 
lieux  de  réunion  dans  les  nombreux  presbytères  ou  salles 
conventuelles  des  monastères. 

Elle  l'avait  été  également  pour  la  noblesse,  dont  un 


(1)  Cetle  exception  résultait  de  l'article  29   du  Règlement  général  des 
élections,  du  24  janvier  1789. 

(2)  Le  reste  de   la  Prévôté  et  Vicomte,    extra  muros,  avait  droit  de 
nommer  12  députés  :  3  du  clergé,  3  de  la  noblesse,  6  du  Tiers  Etat. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  225 

petit  nombre  de  ses  membres  était  domicilié  à  Paris. 
Il  en  avait  été  tout  autrement  pour  le  Tiers  État,  qui 
représentait  à  Paris  une  population  de  600.000  âmes,  et 
dont  la  municipalité  avait  très  peu  de  locaux  à  sa  dispo- 
sition, en  dehors  de  quelques  salles  à  l'Hôtel  de  Ville,  au 
Châtelet,  à  la  Bibliothèque  du  Roi  et  à  la  Sorbonne.  On 
décida  alors,  avec  l'assentiment  de  l'archevêque,  Msr  de 
Juigné  (1),  que  les  Assemblées  primaires  du  Tiers  État  se 
tiendraient  dans  les  églises,  où,  disait-on,  la  sainteté  du 
lieu,  le  respect  et  le  silence  qu'on  y  doit  observer,  l'im- 
portance du  sujet  de  ces  Assemblées,  la  présence  du  curé 
et  du  corps  de  Fabrique,  tout  devait  concourir  à  y  main- 
tenir l'ordre,  la  décence  et  la  tranquillité.  Paris  fut  alors 
divisé,  pour  ces  Assemblées  du  Tiers,  en  60  districts,  à 
chacun  desquels  fut  assignée  une  église,  qui  donna  son 
nom  à  la  nouvelle  circonscription  électorale,  et  qui  dut 
ouvrir  ses  portes  aux  électeurs,  le  21  avril  1789,  en 
vertu  d'une  circulaire  de  la  municipalité  du  19  du  même 
mois.  Dans  le  quartier  du  Luxembourg,  il  y  eut  quatre 
églises  désignées  pour  la  tenue  de  ces  Assemblées  élec- 
torales :  celles  de  Saint-André  des  Arcs,  des  Cordeliers, 
des  Carmes  et  des  Prémontrés.  Celle  de  Saint-Sulpice  ne 
fut  pas  choisie,  parce  qu'elle  devait  servir  de  lieu  de  réu- 
nion aux  membres  du  clergé  qui  avaient  à  nommer  les 


(1)  Une  ordonnance  archiépiscopale  avait  seulement  prescrit  de  retirer 
le  Saint-Sacrement  dans  les  églises,  le  jour  où  s'y  réuniraient  les  Assem- 
blées primaires.  Delarc,  Histoire  de  l'Église  de  Paris  pendant  la  Révo- 
lution française ,  t.  I,  p.  69. 

M?r  de  Juigné  mit  lui-même,  deux  fois,  son  palais  archiépiscopal  à  la 
disposition  des  pouvoirs  publics  :  une  première  fois,  le  23  avril  1789, 
pour  la  séance  générale  des  électeurs  des  3  ordres  de  Paris  et  de  la  Pré- 
vôté et  Vicomte  de  Paris;  et  une  seconde  fois,  pour  recevoir  l'Assemblée 
nationale,  venue  à  Paris  après  les  tristes  journées  des  5  et  6  octobre.  Mais 
il  fut  bien  mal  récompensé  de  sa  courtoisie  :  car  ce  fut  chez  lui  que,  le 
2  novembre,  l'Assemblée  nationale  décréta  l'aliénation  des  biens  du  clergé, 
sans  excepter  même  ce  palais  où  elle  délibérait.  Delarc,  ibid.,  t.  I,  p.  72. 

ÉGLISE    SAINT- SLLHCE.  15 


22C  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

électeurs  ecclésiastiques,  au  nombre  desquels  figura  M.  de 
Pancemont  lui-même. 

Ce  furent  donc  les  églises  qui  servirent  de  théâtre  aux 
premières  assises  de  la  démocratie  parisienne  ;  et  comme 
le  fait  très  judicieusement  observer  le  savant  auteur  de 
l'histoire  de  Y  Eglise  de  Paris  pendant  la  Révolution  fran- 
çaise ,  «  cette  transformation  de  la  maison  du  Seigneur  en 
«  salle  électorale ,  cette  invasion  de  la  politique  dans  le 
«  sanctuaire  eurent  de  tristes  conséquences  ».  Elles  con- 
tribuèrent au  succès  de  la  motion  de  Mirabeau ,  votée  un 
peu  plus  tard  par  l'Assemblée  nationale  :  «  que  les  biens 
«  de  l'Église  sont  à  la  disposition  de  la  nation  ».  Les  ré- 
volutionnaires, s'autorisant  du  précédent  du  21  avril 
1789,  ne  se  firent  pas  scrupule  d'envahir  les  églises  et  les 
couvents,  pour  y  installer  leurs  clubs  (1).  Et  quant  à 
l'église  Saint-Sulpice,  elle  ne  tarda  pas  elle-même,  à  rai- 
son de  sa  beauté  et  de  la  vaste  étendue  de  sa  nef,  à  de- 
venir à  la  mode  pour  la  célébration  des  fêtes  patrioti- 
ques, notamment  de  celles  auxquelles  donnèrent  lieu  la 
prise  de  la  Bastille  et  la  bénédiction  des  drapeaux  de  la 
garde  nationale. 

Dans  toutes  ces  circonstances,  fidèle  à  la  tradition  de 
l'Eglise  et  à  l'exemple  que  lui  donnait  M.  Emery,  M.  de 
Pancemont  s'imposa,  comme  ligne  de  conduite,  de  ne  se 
mêler  en  rien  aux  passions  politiques,  de  n'avoir  en  vue, 
dans  tous  ses  actes,  que  le  soin  des  âmes  et  l'intérêt  de 
sa  paroisse,  et,  loin  de  se  montrer  hostile  aux  pouvoirs 
publics,  de  déférer  à  toutes  les  demandes  des  autorités  ou 
des  fidèles,  même  les  plus  contraires  à  son  opinion  per- 
sonnelle ,  tant  que  les  règles  canoniques  ne  les  interdi- 
saient pas  et  que  dès  lors  sa  conscience  n'avait  pas  à  les 
écarter. 

La  prise  de  la  Bastille  avait  eu  lieu  le  14  juillet  1789. 

(1)  Delarc,  /oc.  cit.,  t.  I,  p.  11. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  227 

Cet  événement,  que  Louis  XVI  avait  qualifié  d'émeute  à  la 
première  nouvelle  que  lui  en  donna  le  duc  de  Liancourt, 
mais  que  le  noble  duc  jugeait  mieux  que  le  Roi,  quand  il 
lui  répliqua  :  Non,  Sire,  c'est  une  révolution,  cet  événe- 
ment, disons-nous,  fut  accueilli,  dans  le  quartier  du 
Luxembourg",  avec  un  enthousiasme  voisin  du  délire;  et 
le  soir  même,  à  7  heures,  le  district  des  Carmes  fit  chan- 
ter, à  son  occasion,  un  Te  Deum  dans  l'église  Saint- 
Sulpice  (1). 

Le  10  août  suivant,  le  district  des  Petits-Augustins  y  fit 
célébrer  un  service  pour  le  repos  des  âmes  «  des  braves 
citoyens  décédés,  le  14  juillet,  lors  de  la  prise  de  la  Bas- 
tille ».  Le  maire  de  Paris,  Bailly,  et  Mme  de  La  Fayette, 
femme  du  commandant  de  la  garde  nationale,  y  assistè- 
rent. Après  l'Evangile ,  un  avocat  monta  en  chaire  et  y 
lut  un  discours,  composé,  dit-il,  par  un  de  ses  frères, 
prêtre,  que  la  maladie  empêchait  de  venir  le  prononcer 
lui-même.  Il  oublia  les  convenances  au  point  de  louer 
Voltaire  comme  le  principal  auteur  des  bienfaits  de  la 
Révolution,  dans  cette  église  de  Saint-Sulpice  où  on 
avait  dû,  douze  ans  auparavant,  lui  refuser  des  obsèques 
religieuses.  M.  de  Pancemont  s'en  plaignit  auprès  du  dis- 
trict, qui  s'empressa  d'adresser  un  blâme  au  panégyriste 
de  Voltaire. 

A  son  tour,  le  district  des  Jacobins  de  la  rue  Saint- 
Dominique  y  fit  célébrer,  le  19  août,  un  service  solennel 
«  pour  les  victimes  du  14  juillet  ».  La  messe  fut  chantée 
par  des  religieux  dominicains,  en  présence  d'une  dépu- 
tation  de  la  garde  nationale;  et  son  aumônier  (2)  y  pro- 
nonça un  discours  dans  lequel  il  exagéra  la  vaillance  des 


(1)  Ce  Te  Deum  ne  fut  chanté  que  le  lendemain,  à  Notre-Dame,  en  pré- 
sence de  Bailly,  le  nouveau  maire,  et  du  général  La  Fayette,  le  nouveau 
commandant  des  gardes  nationales. 

(2)  L'abbé  de  Saint-Martin,  qui  devint  le  Vicaire  général  de  Gobel  et 
aposlasia  avec  lui. 


228  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-Sl'LPICE. 

patriotes  morts  au  siège  de  la  Bastille,  jusqu'à  en  faire 
autant  de  Tu  renne  s,  morts  au  champ  d'honneur  (1). 

Dans  le  cours  du  même  mois,  quatre  districts  firent 
bénir  solennellement,  à  Saint-Snlpice,  le  drapeau  du  ba- 
taillon de  leur  garde  nationale  :  celui  des  Jacobins,  le 
13  août;  celui  du  Gros-Caillou,  le  16;  celui  de  Saint- 
André  des  Arcs,  le  2 i  ;  et  celui  des  Carmes,  le  28.  A  la  cé- 
rémonie du  16,  ce  fut  l'évèque  de  Rodez  qui  officia; 
l'abbé  Gouttes,  grand  partisan  des  idées  nouvelles,  et  qui 
devint  bientôt  après  l'évèque  constitutionnel  de  Saône-et- 
Loire,  débita  en  cbaire  les  aphorismes  de  la  liberté  ;  et  la 
messe  fut  exécutée  en  grande  symphonie  par  les  musiciens 
et  les  chanteurs  de  l'Opéra,  placés  sur  une  estrade  qu'on 
avait  dressée  pour  eux  dans  un  des  bas-côtés  de  l'église  (2). 

Toutes  ces  fêtes  occasionnèrent  de  grands  dégâts  clans 
le  mobilier  de  l'église  Saint-Sulpice.  Ils  furent  tels  que  le 
fermier  des  chaises,  éprouvé  en  même  temps  par  les  per- 
tes que  lui  causait  déjà  l'émigration  d'un  grand  nombre 
des  paroissiens  riches,  demanda  la  résiliation  de  son  bail, 
qui  était  alors  de  22.500  francs  par  an,  et  la  Fabrique  fut- 
obligée  de  la  lui  accorder  (3). 


(1)  La  Bastille  était  encore,  en  1789,  une  véritable  forteresse,  qui  eût  été 
imprenable  même  pour  des  troupes  régulières,  si  elle  se  fût  sérieusement 
défendue.  Mais,  au  14  juillet,  elle  était  armée  de  canons  qui  ne  tirèrent 
pas,  et  avait  pour  toute  garnison  114  hommes,  dont  82  invalides  qui  ne 
voulurent  pas  se  servir  de  leurs  armes  et  forcèrent  le  gouverneur,  M.  de 
Launay,  à  capituler. 

(2)  Ment,  mss.,  article  sur  M.  de  Pancemont,  p.  9. 

(3)  La  Fabrique  n'y  consentit  qu'avec  peine,  le  25  février  1790;  et  elle 
en  passa  un  autre,  par  acte  devant  AI.  Hua,  notaire,  du  8  avril  suivant, 
aux  époux  Boisset  au  prix  de  17.200  livres.  Alais  ils  ne  purent  pas  tenir 
leurs  engagements;  la  résiliation  de  leur  bail  fut  prononcée  par  jugement 
du  tribunal  du  deuxième  arrondissement  du  département,  du  30  décem- 
bre 1791  ;  et  la  perception  des  chaises  fut  confiée  alors  au  sieur  Revel, 
premier  bedeau,  à  la  seule  condition  de  tenir  compte  à  la  Fabrique  des 
sommes  qu'il  aurait  reçues. . 

Le  20  janvier   1792,  la  Fabrique   revint  au  mode  de  location  à   bail 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  229 

Dans  les  premiers  jours  du  mois  de  septembre  suivant, 
le  district  des  Carmes,  réuni  au  clergé  de  Saint-Sulpice, 
alla  porter  processionnellement  la  statue  en  argent  de 
la  Sainte  Vierge  à  l'église  Sainte-Geneviève,  pour  re- 
mercier la  patronne  de  Paris  du  succès  de  la  journée  du 
li  juillet.  Après  avoir  déposé  la  statue  dans  cette  église, 
on  se  rendit  à  l'Hôtel  de  Ville,  pour  y  féliciter  le  général 
La  Fayette  ;  puis  on  retourna  à  Sainte-Geneviève  pour  y 
reprendre  la  statue.  Et  après  un  déjeuner  qui  fut  offert 
par  les  génovéfains  au  clergé,  à  la  garde  nationale  et 
aux  jeunes  filles  vêtues  en  blanc,  on  revint  à  l'église 
Saint-Sulpice,  en  traversant  le  jardin  du  Luxembourg  (1). 

Trois  semaines  après,  par  une  délibération  du  26  du 
même  mois,  la  Fabrique  décidait  l'envoi  à  la  Monnaie,  à 
titre  de  don  patriotique ,  de  tous  les  vases  d'argent  dont 

qu'elle  consentit  aux  fermiers  de  1787,  les  époux  Bocaliut.  Mais  dès  le 
11  mars  suivant,  la  gravité  des  événements  politiques  ne  leur  permit  pas 
de  remplir  leurs  engagements,  et  force  fut  à  la  Fabrique  de  confier  encore 
au  sieur  Revel  la  perception  directe  des  chaises. 

Enfin,  à  la  date  du  31  juillet  1792,  elle  choisit  de  nouveau  comme  fer- 
miers les  sieurs  Boisset  et  Heroult.  Mais  le  décret  de  l'Assemblée  natio- 
nale du  19  août  1792,  qui  supprima  les  Fabriques,  rendit  celte  dernière 
convention  sans  objet. 

Ce  ne  fut  qu'après  le  rétablissement  des  Fabriques  en  vertu  de  l'ar- 
ticle 76  de  la  convention  du  26  Messidor  an  IX,  que  le  6  Nivôse  an  XII 
(26  décembre  1803),  la  Fabrique  de  Saint-Sulpice  adjugea  de  nouveau  le 
bail  des  chaises  de  l'église  au  sieur  Gérardot,  moyennant  un  loyer  an- 
nuel de  20.300  francs  et  à  charge  par  lui  :  1°  de  balayer  l'église;  2°  de 
l'entretenir  de  chaises;  3°  d'en  faire  la  perception  suivant  le  tarif  adopté 
par  elle;  4°  de  payer  d'avance  un  douzième  de  son  prix  de  loyer;  5°  de 
supporter  seul  les  frais  d'impression,  de  timbre  et  de  collage  des  affiches, 
annonçant  le  service  de  l'Avent,  du  Carême  et  des  grandes  fêtes. 

Mais,  le  15  décembre  1806,  la  Fabrique,  prenant  en  considération  les 
pertes  qu'il  avait  subies,  lui  lit  remise  de  la  moitié  des  sommes  qu'il  lui 
redevait,  et  réduisit  le  prix  de  son  bail  à  17.000  francs. 

En  1821,  ce  prix  fut  relevé  à  20.000  francs;  et  en  1835,  après  une  nou- 
velle révision  du  tarif,  il  fut  porté  à  25.550,  avec  obligation  pour  le  fer- 
mier d'entretenir  3.900  chaises  en  bon  élat  et  d'en  laisser  5.000  à  la  lin 
de  son  bail  de  9  années. 

(1)  Nau,  loc.  cit.,  p.  279. 


230  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

elle  pouvait  disposer  sans  nuire  aux  besoins  du  culte. 
Elle  devançait  ainsi  de  trois  jours  seulement  le  décret  de 
l'Assemblée  nationale,  du  -29  du  même  mois,  qui  rendait 
ces  sortes  de  dons  obligatoires.  En  vertu  de  ce  décret  elle 
aurait  dû  se  défaire  également  de  sa  belle  statue  en  ar- 
gent de  la  Sainte  Vierge.  Mais  M.  de  Pancemont  s'em- 
pressa d'en  solliciter  la  conservation  de  la  bienveillance 
du  contrôleur  des  Finances,  M.  Necker,  qui  lui  répondit, 
par  une  lettre  datée  du  1 1  octobre  suivant,  «  que  la  Fa- 
«  brique  eût  à  conserver  cette  superbe  statue,  objet 
«  d'une  dévotion  spéciale  de  la  part  des  paroissiens  de 
«  Saint-Sulpice  (1)  ». 

Mais  autant  M.  de  Pancemont  se  montrait  facile  et 
bienveillant  dans  toutes  les  déterminations  que  son  de- 
voir sacerdotal  le  laissait  libre  de  prendre,  autant  il  était 
inflexible  dans  celles  qu'il  lui  dictait. 

Camille  Desmoulins,  l'un  des  coryphées  du  parti  ré- 
volutionnaire, en  fit  l'expérience.  Dans  le  courant  de 
Tannée  1790,  il  eut  à  se  présenter  devant  lui  pour  le 
prier  de  bénir  son  mariage;  et  comme  il  se  doutait  bien 
que  sa  requête  ne  serait  pas  admise  sans  difficulté,  il  se 
fit  accompagner  d'un  notaire,  qu'il  chargea  de  consi- 
gner par  écrit  les  paroles  qu'il  échangerait  avec  M.  le 
curé.  Après  l'avoir  écouté,  M.  de  Pancemont  lui  de- 
manda s'il  était  catholique.  «  Pourquoi  cette  question?  re- 
partit Camille.  —  Parce  que  si  vous  n'étiez  pas  catho- 
lique, je  ne  pourrais  pas  vous  conférer  un  sacrement  de 
la  Religion  catholique.  —  Eh  bien,  oui,  je  le  suis.  — 
Non,  Monsieur,  vous  ne  l'êtes  pas,  car  vous  avez  écrit 
dans  un  numéro  de  votre  journal,  que  la  religion  de  Ma- 
homet était  aussi  évidente  pour  vous  que  celle  de  Jésus- 
Christ.  —  Vous  lisez  donc  mon  journal?  —  Quelquefois. 


(1)  11  va  sans  dire  qu'un  peu  plus  tard,  pendant  la  Terreur,  cette  riche 
proie  n'échappa  pas  au  vandalisme  révolutionnaire. 


M.  DE  PAXCEMOXT  (1788-1802).  231 

—  Vous  ne  voulez  pas  absolument  me  marier?  —  Xon, 
je  ne  le  puis  pas,  jusqu'à  ce  que  vous  fassiez  une  pro- 
fession publique  de  la  Religion  catholique.  — Alors,  je 
vais  m'adresser  au  Comité  ecclésiastique  de  l'Assemblée 
nationale,  pour  savoir  si  ce  que  j'ai  écrit  suffit  pour  que 
vous  vous  opposiez  à  mon  mariage.  » 

Le  notaire  avait  transcrit  ce  colloque,  que  Desmoulins 
communiqua  effectivement  au  Comité  ecclésiastique  ;  et 
quelques  jours  après,  il  recevait  de  Mirabeau,  son  ami, 
cette  décision  :  «  qu'on  ne  peut  juger  la  croyance  que 
«  sur  la  profession  de  foi  extérieure;  que  le  sieur  Des- 
«  moulins,  se  disant  catholique,  doit  être  reconnu  pour 
«  tel  et  que  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice  est  tenu  de  le 
«  marier  sans  retard  ». 

Muni  de  cette  consultation,  Desmoulins  revient  trouver 
le  curé  de  Saint-Sulpice.  «  Depuis  quand,  lui  demande 
celui-ci,  Mirabeau  est-il  un  père  de  l'Église?  —  Oh!  re- 
prend Desmoulins,  Mirabeau,  père  de  l'Église!  Je  ne 
manquerai  pas  de  le  lui  dire;  cela  le  fera  bien  rire.  —  Je 
ne  puis,  Monsieur,  continue  M.  le  curé,  déférer  à  cette 
consultation,  qui  d'ailleurs  vous  condamne.  Car,  moi 
aussi,  je  ne  prétends  vous  juger  que  sur  votre  profession 
de  foi  extérieure,  sur  les  articles  que  vous  avez  publiés. 
Et  dès  lors,  j'exige,  avant  de  vous  marier,  que  vous  ré- 
tractiez toutes  les  impiétés  que  vous  avez  écrites.  —  Je 
n'écrirai  plus  rien  avant  mon  mariage.  —  Ce  sera  donc 
après.  —  Je  vous  le  promets.  —  J'exige  de  plus  que  vous 
remplissiez  tous  les  devoirs  prescrits  quand  on  se  marie, 
et*  que  vous  vous  confessiez.  —  Volontiers,  Monsieur  le 
curé ,  et  ce  sera  à  vous-même.  » 

A  ces  conditions,  M.  de  Pancemont  consentit  à  son  ma- 
riage, qui  eut  lieu  à  Saint-Sulpice,  le  29  décembre  1790; 
mais  ce  ne  fut  pas  lui  qui  le  célébra;  il  se  borna  à  assister 
à  la  bénédiction  nuptiale,  qui  fut  donnée  par  l'abbé 
Béraudier,  l'ancien  proviseur  de  Camille  à  Louis-le-Grand, 


232  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

et  alors  député  à  l'Assemblée  nationale,  qui  avait  agi 
puissamment  auprès  de  M.  le  curé  pour  le  décider  à  au- 
toriser cette  union.  Avant  de  la  consacrer,  l'abbé  fit  une 
courte  et  touchante  exhortation,  pendant  laquelle  Des- 
moulins versa  des  larmes.  «  Ne  pleure  donc  pas,  hypo- 
crite, »  ne  put  s'empêcher  de  lui  dire  Robespierre,  l'un 
de  ses  témoins  (1),  en  s'approchant  de  lui.  Son  émotion 
était-elle  sincère?  Peut-être.  En  tout  cas,  elle  fut  de  courte 
durée,  car  il  ne  rétracta  rien  de  ses  blasphèmes  contre  la 
religion,  malgré  la  parole  qu'il  en  avait  donnée  (2). 

A  la  1m  de  juillet  de  la  même  année ,  M.  de  Pancemont 
avait  eu  une  autre  règle  matrimoniale  à  appliquer.  D'après 
la  discipline  constante  de  l'Église  de  France,  on  refusait 
alors  la  bénédiction  nuptiale  aux  comédiens,  comme  à 
des  pécheurs  publics,  à  moins  qu'ils  ne  renonçassent  à 
leur  profession.  Talma ,  le  grand  tragédien ,  vint  à  son 
tour  lui  demander  de  bénir  son  mariage.  M.  le  curé  le 
lui  refusa.  Talma  allégua  que  dès  que  l'Assemblée  na- 
tionale avait  accordé  aux  comédiens  tous  les  droits  de  la 
vie  civile,  l'Église  ne  pouvait  leur  refuser  le  plus  im- 
portant de  tous.  «  Le  même  droit  est  accordé  aux  pro- 
testants, répliqua  M.  le  curé,  et  je  ne  suis  pas  tenu  pour 
cela  de  les  marier.  »  Talma  se  pourvut  à  l'Assemblée  na- 
tionale  contre  ce  refus,  et  sa  requête  fut  renvoyée  au 

(1)  Les  autres  témoins  de  ce  mariage  avaient  été  pour  Camille  Desmou- 
lins, Brissot,  le  girondin,  et  pour  sa  femme,  Lucile  Duplessis,  Pétion ,  le 
futur  Maire  de  Paris,  et  le  comte  de  Sillery,  l'intime  confident  de  Phi- 
lippe d'Orléans. 

Trois  ans  après,  l'amitié  de  ces  sinistres  prôneurs  de  la  Fraternité  se 
changeait  en  haine  homicide  des  uns  contre  les  autres.  Les  diatribes 
furibondes  de  Camille  contre  les  Girondins,  dans  son  journal  «  les  Révolu- 
tions de  France  et  de  Brabant  »,  faisaient  périr  Brissot  sur  l'échafaud, 
le  29  octobre  1793;  et  Robespierre,  à  son  tour,  y  faisait  monter  les  deux 
époux  :  Camille,  le  5  avril  suivant,  et  sa  jeune  et  innocente  femme,  six 
jours  après,  le  11  avril. 

V.  Éd.  Fleury,  Camille  Desmoutins,  t.  I,  p.  182  et  suiv. 

(2)  Mém.  mss.,  loc.  cit.,  p.  13  à  15. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  233 

Comité  ecclésiastique  ;  mais,  sur  le  rapport  de  ce  dernier, 
l'Assemblée  décida  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  pour  elle  à 
délibérer,  «  attendu  que  jusqu'ici  rien  n'était  changé  à  la 
«  jurisprudence  canonique  sur  le  fait  en  question  (1)  ». 

A  quelque  temps  de  là ,  il  obtint  la  conversion  d'un 
colonel  des  Gardes  françaises.  Cet  officier  était  sur  son  lit 
de  mort  et  refusait  obstinément  les  derniers  sacrements. 
M.  de  Pancemont  parvint  jusqu'à  lui  et,  par  l'onction  et 
la  force  de  ses  paroles,  le  détermina  à  remplir  ses  devoirs 
et  lui  procura  le  bonheur  d'une  fin  des  plus  édifiantes. 

Un  peu  plus  tard,  lorsqu'il  fut  question  à  l'Assemblée 
nationale  d'abolir  les  ordres  religieux,  M.  de  Pancemont 
lui  adressa  une  pétition  pour  la  solliciter  de  conserver, 
au  moins,  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés,  en  considé- 
ration de  son  utilité  pour  les  lettres  et  de  ses  saintes 
prodigalités  envers  les  pauvres  de  la  paroisse  (2).  Sa  de- 
mande fut  écartée  ;  mais  on  lui  sut  gré  d'avoir  si  noble- 
ment oublié  le  conflit  de  droits  qui  subsistait  depuis  si 
longtemps  entre  la  cure  et  l'abbaye.  L'abbé  Grégoire  lui- 
même  l'appuya  chaudement  et  réclama  également  la 
conservation  de  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève,  remplie, 
disait-il,  de  savants  distingués  et  qui  rendent,  chaque 
jour,  aux  lettres  des  services  importants.  Mais  il  ne  fut  pas 
plus  heureux. 

L'année  suivante,  la  fête  civique  de  la  Fédération  fut 
fixée  au  jour  anniversaire  de  la  prise  de  la  Bastille,  le 
14  juillet  1790.  12.000  ouvriers  furent  occupés  sans  re- 
lâche à  faire  du  Champ  de  Mars,  au  moyen  de  remblais 
considérables,  un  vaste  amphithéâtre  qui  put  contenir 
300.000  personnes  autour  d'un  autel  qui  devait  être  dressé 
au  centre;  et  pour  le  terminer  à  temps,  la  municipalité 


[i)Ibid.,  p.  12. 

(2)  Celte  pélition,  datée  du  i  octobre   1790,  est  reproduite,  in  extenso, 
dans  l'ouvrage  de  l'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  211. 


23  i  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULP1CE. 

de  Paris  fit  appel  au  zèle  patriotique  de  ses  habitants. 
Aussitôt  une  foule  de  personnes  de  tout  âge,  de  tout  sexe, 
de  tout  état,  s'empressèrent  de  venir  en  aide  aux  ouvriers. 
M.  Emery,  sollicité  par  une  députation  de  la  section  du 
Luxembourg  (1)  de  donner  le  même  exemple,  s'y  prêta 
par  prudence;  et  environ  150  de  ses  élèves,  accompagnés 
de  M.  de  Savine,  supérieur  de  la  communauté  des  clercs 
de  la  paroisse  (2)  et  de  plusieurs  Directeurs  du  Séminaire, 
se  rendirent  au  Champ  de  Mars,  sur  plusieurs  lignes  de 
10  à  12  de  front,  séparées  chacune  par  une  ligne  de  fédé- 
rés et  marchant  tous  ensemble  au  son  du  tambour  et  au 
bruit  des  chants  révolutionnaires.  M.  de  Pancemont  les 
suivit  en  voiture,  avec  une  pelle  et  une  pioche  placées 
aux  portières  (3).  Mais  c'était  plutôt  un  acte  de  patriotisme 
qu'un  concours  effectif  qu'on  réclamait  d'eux.  Aussi  furent- 
ils  quittes  de  leur  corvée  par  quelques  coups  de  bêche 
et  de  pioche;  et  on  ne  les  força  pas  à  revenir  les  jours 
suivants. 

Bientôt  après,  on  demanda  en  plusieurs  endroits  au 
clergé  le  serment  de  fidélité  à  la  Constitution,  déjà  prêté 
par  tous  les  membres  de  l'Assemblée  nationale,  dans  sa 
séance  du  i  février  précédent,  et  renouvelé  par  eux  à 
l'occasion  de  la  fête  de  la  Fédération.  On  le  demanda,  en 
particulier,  à  M.  de  Pancemont  (4)  qui,  malgré  sa  répu- 
gnance pour  un  régime  qui  s'annonçait  si  néfaste ,  n'hé- 
sita pas  à  le  prêter,  persuadé  qu'il  était  que  ce  serment 
ne  l'engageait  qu'au  point  de  vue  politique. 


(1)  Cette  section  du  Luxembourg  était  l'ancien  District  des  Carmes, 
qui  allait  bientôt  prendre  le  nom  de  Section  de  Mucius  Scxvola,  pour 
revenir,  en  1795,  à  celui  de  Section  du  Luxembourg,  qu'elle  garda  jus- 
qu'à ce  qu'elle  prit,  en  1801,  celui  de  division  du  Luxembourg  et,  en 
1813,  celui  de  quartier  du  Luxembourg  qu'elle  a  conservé  depuis  lors. 

(2)  M.  de  Savine  fut  une  des  victimes  du  massacre  des  Carmes. 

(3)  L'abbé  Gosselin,  Vie  de  M.  Emery,  t.  I,  p.  228. 

(4)  Vie  de  M.  Emery,  t.  I,  p.  229. 


M.  DE  PANCEMONT    1788-1802).  235 

Mais  quand  il  s'agît,  six;  mois  après,  du  serment  de 
fidélité  à  la  Constitution  civile  du  clergé,  il  n'hésita  pas  à 
le  refuser.  Cette  Constitution,  votée  par  la  Constituante,  le 
12  août  1790,  sous  la  pression  des  Jansénistes  qui  en  étaient 
membres,  fut  suivie  d'un  décret  de  l'Assemblée  nationale, 
du  27  novembre,  approuvé  par  Louis  XVI  le  26  décembre, 
qui  obligeait  les  évêques  et  les  prêtres  à  prêter  le  ser- 
ment de  fidélité  envers  elle ,  sous  peine  d'être  déclarés 
démissionnaires  de  leurs  fonctions.  La  date  fixée  était  le 
i  janvier  1791  pour  les  ecclésiastiques  de  l'Assemblée,  et 
le  9  pour  tous  les  autres  en  France. 

Le  i  janvier,  sur  268  évêques  et  prêtres,  membres 
présents  de  l'Assemblée  ,  il  n'y  en  eut  que  98  qui  prêtè- 
rent ce  serment,  dont  2  évêques  seulement,  celui  d'Autun, 
Talleyrand,  et  l'évêque  de  Lydda  in  partîbus,  Gobel,  suf- 
fragant  de  l'évêque  de  Bàle  pour  la  partie  française  de  ce 
diocèse. 

En  apprenant  ce  résultat,  M.  Emery  le  salua  comme  le 
triomphe  de  l'Eglise  de  France;  il  n'en  exagérait  pas 
l'importance  :  car  cette  noble  attitude  de  la  grande  ma- 
jorité des  députés  de  son  clergé  la  sauva  du  déshonneur, 
en  l'empêchant  de  faire  dévier  sa  doctrine.  C'est  qu'en 
effet,  cette  Constitution  civile  du  clergé ,  qui  a  tant  contri- 
bué à  fausser  l'impulsion  de  la  Révolution  française  et  à 
la  précipiter  dans  les  convulsions  les  plus  violentes  et  les 
plus  dangereuses  pour  le  pays,  était  une  loi  schismatique, 
qui  attaquait  directement  la  primauté  de  juridiction  du 
Pape  et  renversait  toute  la  discipline  ecclésiastique,  en 
réglant  sans  le  Pape  et  sans  les  évêques,  contrairement  aux 
règles  canoniques  et  au  droit  divin ,  tout  le  gouvernement 
de  l'Eglise  de  France,  et  en  faisant  élire  par  le  peuple  les 
évêques  qui  tenaient  de  lui,  en  dernière  analyse,  leur 
juridiction  spirituelle,  puisque  le  Pape  n'était  plus  appelé 
à  leur  donner  l'institution  canonique  et  qu'ils  la  rece- 
vaient d'un  métropolitain,  investi  parla  loi  civile  de  cette 


236  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

fonction  souveraine.  De  plus,  elle  supprimait  des  sièges 
épiscopaux  et  des  cures,  en  dépossédait  les  titulaires,  leur 
en  substituait  d'autres  par  la  violence;  en  sorte  qu'elle 
faisait  des  prêtres  les  fonctionnaires  de  l'État,  de  l'Église, 
un  simple  département  d'un  ministère  civil,  et  qu'elle 
l'asservissait  ainsi  à  la  puissance  séculière,  sans  égard  à 
la  divine  origine  des  pouvoirs  qui  régissent  les  âmes. 

A  Paris,  la  municipalité  s'était  empressée  de  faire  af- 
ficher ce  décret  de  l'Assemblée,  du  27  novembre  1790,  en 
le  faisant  précéder  d'un  préambule  où  elle  dénonçait  au 
peuple  comme  perturbateurs  du  repos  public  les  prêtres 
qui  refuseraient  le  serment  qu'il  réclamait.  Mirabeau  s'in- 
digna de  cet  acte  d'intolérance  et  le  flétrit  à  la  tribune, 
dans  cette  mémorable  séance  du  i  janvier;  Bailly  s'en 
excusa  avec  embarras,  en  en  rejetant  la  faute  sur  un 
employé  subalterne,  et  fit  enlever  les  affiches;  mais  elles 
avaient  produit  leur  effet  dans  le  peuple. 

Les  partisans.de  cette  Constitution  sacrilège,  honteux 
de  leur  échec  à  l'Assemblée,  espéraient  une  revanche  dans 
l'adhésion  de  la  plus  grande  partie  du  clergé  de  la  ca- 
pitale, et  rien  ne  leur  coûta  pour  l'obtenir  :  excitations, 
menaces  des  journaux,  déclamations  furibondes  au  club 
des  Jacobins,  exhibitions  théâtrales,  sollicitations  pres- 
santes aux  curés  de  Paris.  Bailly  se  distingua  dans  cette 
triste  campagne.  «  Il  est  donc  vrai,  dit-il  au  curé  de 
«  Saint-Roch,  l'abbé  Marduel,  que  la  Constitution  est 
«  contraire  à  la  religion  catholique.  —  Oui,  c'est  très 
«  vrai,  répondit  le  vénérable  prêtre.  — ■  Eh  bien!  en  ce 
h  cas,  reprit  Bailly,  s'il  dépendait  de  moi,  demain  la 
«  religion  catholique  n'eûsterait  plus  en  France  (1).  » 

La  veille,  le  8  janvier,  une  affiche  de  la  municipalité, 
collée  sur  les  murs  des  diverses  églises  paroissiales,  invi- 
tait tous  les  ecclésiastiques  qui  s'étaient  déjà  présentés  à 

(1)  L'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  287. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  237 

son  secrétariat  pour  déclarer  leur  intention  de  prêter 
le  serment,  à  se  rendre  le  lendemain  à  leur  église,  où 
des  commissaires,  députés  par  le  Conseil  général  de  la 
Commune,  se  transporteraient  pour  y  être  présents  au 
serment  qui  sera  prêté  à  l'issue  de  la  messe  paroissiale  (1  ). 

Tous  les  meneurs  de  la  Révolution  attachaient  un 
grand  prix  à  celui  du  curé  de  Saint-Sulpice ,  placé  à  la 
tête  d'une  paroisse  de  100.000  âmes  et  d'un  clergé  nom- 
breux et  respecté.  Cernutti ,  l'ex-jésuite,  assurait  qu'au- 
cune paroisse  ne  résisterait  si  Saint-Sulpice  cédait.  Aussi 
multiplièrent-ils  leurs  obsessions  pour  entraîner  M.  de 
Pancemont  à  leur  cause;  ils  allèrent  même  jusqu'à  lui 
promettre  l'archevêché  de  Paris.  Mais  ils  le  trouvèrent 
inébranlable. 

Dès  le  dimanche,  2  janvier,  il  avait  annoncé  que  le 
dimanche  suivant,  9,  il  ferait  son  prône  sur  un  sujet  in- 
téressant. On  crut  qu'il  parlerait  contre  le  serment;  le 
bruit  s'en  répandit  et  la  mauvaise  presse  ne  manqua  pas 
de  le  signaler  comme  un  mauvais  citoyen.  Aussi  eut-il 
soin,  le  6,  jour  des  Rois,  de  faire  prévenir  les  fidèles,  par 
le  prédicateur  de  l'Aven  t,  que  le  sujet  intéressant  qu'il  se 
proposait  de  traiter  serait,  la  charité  envers  les  pauvres. 
Néanmoins,  dès  le  lendemain  on  criait  et  on  répandait  à 
profusion  dans  le  faubourg  un  petit  imprimé  intitulé  : 
Procès  fait  à  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice  et  signé  G..., 
commissaire  de  section.  La  section  des  Prémontrés  de  la 
Croix-Rouge  eut  beau  démentir  de  suite  ce  faclum  par  un 
arrêté  qu'elle  rendit  public,  il  causa  dans  le  quartier  une 
effervescence  telle  que  des  menaces  d'incendie  furent 
proférées  contre  les  prêtres  de  la  Communauté,  en  cas  de 
refus  du  serment ,  et  qu'ils  durent  déménager  à  la  hâte 
leurs  meubles  et  leurs  livres. 

Le  dimanche  solennel  arrivé,  dès  le  matin  la  nef  de 

(1)  L'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  286. 


238  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Saint-Sulpice  se  remplit,  comme  aux  jours  de  grandes 
fêtes,  d'une  foule  nombreuse,  agitée,  dans  laquelle  se 
distinguent  bien  des  figures  sinistres  mais  plus  encore  de 
pieux  fidèles,  prêts  à  défendre  leur  bien-aimé  pasteur  au 
péril  de  leur  vie.  En  quittant  son  presbytère,  il  trouve 
sous  le  péristyle  de  l'église  une  compagnie  de  grenadiers 
de  la  garde  nationale ,  venus  spontanément  pour  le  pro- 
téger. Il  les  remercie  avec  effusion,  mais  les  invite  à  ne 
pas  entrer  avec  lui  dans  l'église,  en  leur  exprimant  la 
confiance  qu'il  n'a  rien  à  craindre  au  milieu  de  son  trou- 
peau. A  dix  heures,  il  monte  dans  la  chaire,  sur  les  degrés 
et  autour  de  laquelle  se  placent  tous  les  prêtres  de  sa 
Communauté,  au  nombre  de  43.  Il  développe  cette  pen- 
sée :  «  Quelle  sera  la  réponse  de  notre  conscience  au  ju- 
k  gement  de  Dieu?  »  captive  l'attention  de  son  immense 
auditoire  par  sa  parole  éloquente  et  termine  son  prune 
en  lisant  le  résumé  d'une  conférence  qu'il  venait  d'avoir 
avec  les  commissaires  des  sections  de  la  paroisse  pour  la 
réorganisation  du  service  des  pauvres,  et  en  annonçant 
son  offre  d'y  contribuer  pour  18.000  livres  (1). 

A  peine  quittait-il  la  chaire  que  plusieurs  voix  lui 
crient  :  le  serment!  le  serment.  Il  y  remonte,  fait  signe  de 
la  main  qu'il  veut  parler  et  profitant  d'un  moment  de 
silence,  se  borne  à  cette  simple  et  courageuse  déclaration, 
qui  pouvait  être  son  arrêt  de  mort  :  «  Je  ne  puis  pas  prêter 
ce  serment,  ma  conscience  me  le  défend.  »  Et  spontané- 
ment tous  ses  prêtres  la  répètent  après  lui  (2).  Aussitôt  un 


(1)  Nau,  Rapport  cité,  p.  89. 

(2)  Les  noms  de  ces  43   prêtres  fidèles  de  Saint-Sulpice  méritent  d'être 
conservés  dans  les  annales  de  cette  église.  C'étaient  Messieurs  : 

1°  Durand.                         6°  Dubray.  11°  de  Pradignac. 

2°  Gueudeville  (de).           1"  Roland.  12«  Pichot. 

3°  Reps.                              8°  de  Douay.  13°  Deslarmeltes. 

4"  de  France.                     9"  Boulanger.  14°  Bernard. 

5°  Collin.                            10"  Mortaux(de).  15°  du  Coudray. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  239 

tumulte  effroyable  se  produit;  les  cris  :  le  serment  ou  la 
lanterne,  retentissent  de  tous  côtés.  M.  de  Pancemont  des- 
cend alors  de  la  chaire,  précédé  de  ses  prêtres,  accompagné 
de  M.  le  Maréchal  de  Mouchy,  de  M.  de  Golanges,  de  Mes- 
sieurs de  Juigné,  de  M.  de  Courtomer,  le  commandant  de 
la  garde  nationale,  et  escorté  par  des  hommes  de  cette 
g'arde ,  dont  on  a  requis  l'assistance  et  qui  s'efforcent  de 
le  ramener  à  la  sacristie.  Il  en  approchait  quand  un  indi- 
vidu s'élance  sur  lui,  un  pistolet  à  la  main,  et  le  vise  au 
front.  Un  assistant  voit  son  mouvement,  lui  relève  le  bras 
et  le  désarme;  mais,  au  même  instant,  un  autre  forcené, 
qui  était  derrière  lui,  saisit  M.  le  curé  aux  cheveux  et  lui 
assène  sur  le  crâne  un  violent  coup  de  poing'  (1).  On 
arrête  de  suite  ces  deux  scélérats,  et  pendant  qu'on  les 
emmène,  deux  gardes  nationaux  enlèvent  dans  leurs 
bras  M.  le  curé  et  le  portent  dans  une  chambre  haute  de 
la  sacristie,  où,  brisé  d'émotions,  il  tombe  en  défaillance. 
Au  bout  d'un  quart  d'heure,  il  reprend  ses  sens  et  se 
sentant  mieux,  il  se  fait  reconduire  au  presbytère.  Il  y 
était  à  peine  arrivé ,  qu'on  lui  annonce  la  visite  du  Maire 
de  Paris,  M.  Bailly,  qui,  à  la  nouvelle  du  danger  qu'il 
avait  couru ,  s'empressait  de  venir  lui  en  témoigner 
tous  ses  regrets.  Mais  il  ajouta  qu'il  était  fâché  qu'il 
n'eût  pas  prêté  le  serment,  parce  que  c'était  son  refus 
qui  était  la  cause  de  tout  ce  scandale.  «  Ma  conscience  et 


16"  Frignel.  26°  Malroux.  36°  Delaunay. 

17°  de  Vigneras.  27°  Massia.  37°  Pinguilly  (de). 

18°  de  Keravenant.  28°  Lahitte  (de).  38°  Cordier. 

19°  Sauvage.  29°  Dorcel.  39°  Lévis. 

20°  du  Monteil.  30°  Cessiat  (de).  40»  Guillon. 

21°  Jerphaniou.  31°  Beaufort  (de).  41°  de  Vareilles. 

22°  Dupré.  32°  Ponthus.  42°  Latil  (de). 

23°  Flassan  (de).  33°  de  Pierre.  43"  ïessier. 

24"  Meplain.  34°  de  Voisins. 

25°  de  Noyelles.  35°  du  Méage. 

(1)  Nau,  Rapport  cite,  p.  89  et  90. 


240  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  mon  honneur  me  le  défendaient,  lui  répondit  M.  le  curé. 
«  —  Monsieur,  réplique  Bailly,  quand  la  Loi  parle,  la 
«  conscience  doit  se  taire  (1).  »  Et  croyant  sans  doute 
avoir,  par  cet  aphorisme  paradoxal,  prononcé  la  con- 
damnation sans  appel  du  vénérable  curé,  il  se  tourne 
alors  du  côté  des  prêtres  qui  se  trouvaient  dans  la  cham- 
bre, et  les  presse  de  suivre  l'exemple  de  ceux  des  curés 
de  Paris,  notamment  de  celui  de  Saint-Eustache,  l'abbé 
Poupart,  qui  lui  avaient  déclaré  être  disposés  à  prêter 
ce  serment,  pour  éviter  les  malheurs  qu'un  refus  obstiné 
pourrait  entraîner.  Mais  l'un  d'eux,  parlant  au  nom  de 
tous,  lui  fit  observer  <«  que  la  Constitution  civile  du 
«  clergé  blessait  ouvertement  la  doctrine  de  l'Église 
«  sur  plusieurs  points  essentiels  et  que  les  troubles  qui 
«  naîtraient  du  refus  de  serment  ne  devraient  être  im- 
«  pûtes  qu'à  ceux  qui  l'avaient  inconsidérément  dé- 
«  crété  (2)  ». 

Pendant  ce  temps,  l'église  était  le  théâtre  du  plus  af- 
freux désordre.  Pour  l'apaiser,  le  clergé  fit  jouer  l'orgue 
et  chanter  la  grand'messe.  A  son  issue,  les  commissaires, 
pour  dissimuler  leur  déconvenue  et  paraître  avoir  réussi 
dans  leur  mission,  invitèrent  les  prêtres .  qui  s'étaient 
déjà  fait  inscrire  à  la  municipalité  comme  jureurs,  à 
monter  dans  la  chaire  pour  tenir  leur  promesse ,  et  l'on 

(1)  Ces  paroles  de  Bailly,  confirmées  par  le  passage  de  ses  Mémoires, 
où  il  dit  :  «  Je  ne  me  souviens  plus  de  ma  raison,  quand  la  raison  gé- 
«  nérale  s'est  expliquée.  La  première  lei  a  élé  la  volonté  de  la  nation  : 
«  dès  qu'elle  a  été  assemblée ,  je  n'ai  plus  connu  que  cette  volonté  sou- 
«  veraine,  »  ces  paroles,  disons-nous,  ont  suggéré  une  judicieuse  réflexion  à 
M.  le  vicomte  de  Meaux,  dans  sa  belle  étude  d'histoire  politique  sur  la 
Révolution  et  l'Empire  :  «  Nul  souverain,  quel  qu'il  soit,  dit-il,  n'a  droit 
«  à  obtenir  de  ses  sujets  le  sacrifice  de  leur  raison,  ni  surtout  celui  de  leur 
«  conscience.  Un  pareil  culte  devient  inévitablement  superstitieux;  et 
a  les  adorateurs  de  la  nation  devaient  être  conduits  à  ne  pas  la  distinguer 
«de  la  foule,  que  cette  nation  étonnée,  inerte,  désorganisée,  laissait 
«  agir  et  parler  à  sa  place.  »  2e  éd.,  p.  122. 

(2)  Gosselin,  Vie  de  M.  Emery,  t.  I,  p.  246  et  247. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  241 

y  vit  paraître  alors  tour  à  tour  et  prêter  chacun  ce 
honteux  serment,  quinze  prêtres,  la  plupart  inconnus 
et  étrangers  à  la  paroisse,  à  l'exception  de  trois  (1) ,  et 
dont  plusieurs  étaient  ou  des  moines  défroqués  ou,  qui 
pis  est,  des  prêtres  interdits,  comme  cet  abbé  Roux,  de 
Saintes,  qui,  depuis  plus  de  huit  ans,  avait  été  chassé  de 
son  pays  par  l'évêque  de  son  diocèse. 

Pour  faire  croire  au  public  que  le  clergé  de  Saint-Sul- 
pice  avait  adhéré  à  la  Constitution  civile,  ces  jureurs 
eurent  l'impudence  d'envoyer  le  lendemain,  en  son  nom, 
l'adresse  suivante  à  l'Assemblée  nationale  : 

«  Les  ecclésiastiques  de  la  paroisse  de  Saint-Sulpiçe } 
«  ou  qui  résident  dans  son  arrondissement,  se  font  un 
«  devoir  de  vous  adresser  les  motifs  de  leur  soumission 
a  à  la  loi;  ils  ont  prêté  serment,  parce  qu'ils  ont  vu  dans 
«  la  Constitution  civile  du  clergé  le  triomphe  de  la  reli- 
«  gion  primitive   et  le  retour  à  l'esprit  de  l'Évangile, 


(1)  C'étaient  :  l'abbé  Henry,  prêtre  sans  pouvoirs,  chargé  seulement  de 
conduire  les  morts  du  dépôt  de  l'église  au  cimetière  de  Vaugirard  ;  l'abbé 
Boisnay,  iaem,  ancien  garde  française  et  ancien  chantre,  préposé,  depuis 
1772,  à  la  garde  de  la  sacristie;  et  le  Père  Morel,  capucin,  chargé  de 
l'Instruction  des  Allemands,  qui,  le  lendemain  même,  rétracta  son  serment, 
par  une  lettre  à  l'Ami  du  Hoi.  V.  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  369.  IS'au , 
Rapport  cité,  p.  94  et  95.  Il  ne  l'avait  prêté,  du  reste,  qu'avec  des  res- 
trictions qu'il  prétendait  y  joindre  et  qui  ne  furent  pas  admises  par  l'of- 
ficier chargé  de  les  publier  en  chaire  à  Saint-Sulpice. 

Ce  Père  Morel,  de  son  nom  de  famille  Morel  des  Prés,  Jean-Jacques, 
était  né  à  Fribourg,  en  Suisse,  et  avait  alors  cinquante-quatre  ans.  Sur- 
nommé Apollinaire  en  son  couvent  du  Marais,  il  en  était  sorti  lors  de  sa 
suppression,  le  27  novembre  1790,  pour  venir  à  Saint-Sulpice  occuper  la 
place  de  Vicaire  des  Allemands,  aux  appointements  de  600  livres  par  an. 
Il  la  quitta  lors  du  déplacement  de  M.  de  Pancemont,  et  alla,  au  faubourg 
Saint-Antoine,  se  charger  de  l'éducation  de  deux  enfants  d'un  Allemand, 
M.  Weullers.  Arrêté,  rue  des  Canettes,  le  14  août  1792,  comme  inculpé 
d'avoir  rétracté  son  serinent,  il  fut  conduit  au  couvent  des  Carmes,  où 
il  fut  une  des  cent  quinze  victimes  du  massacre  du  2  septembre  suivant. 
V.  dans  A.  Sorel  :  le  Couvent  des  Cai'mes,  p.  104  et  143,  le  procès-verbal 
de  son  arrestation  et  son  nom  sous  le  n°  78  de  la  liste  des  prêtres  mas- 
sacrés. 

ÉGLISE    S\INT-SULI>ICn.  1G 


242  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINï-SULPICE. 

««  dont  le  laps  de  temps  et  les  passions  humaines  nous 
«  avaient  éloignés.  Depuis  plus  de  mille  ans  les  fidèles 
«  demandaient  cette  restauration  ;  et  l'histoire  de  l'Église 
u  nous  démontre  que  des  obstacles  insurmontables  l'ont 
«  toujours  éludée.  C'est  donc  à  la  nation  française  que 
«  le  christianisme  doit  son  retour  à  sa  primitive  institu- 
«  tion,  et  l'Assemblée  nationale  a  opéré  ce  que  l'Église 
«  gallicane  n'a  jamais  effectué,  ce  que  les  Conciles  ont 
«  vainement  tenté,  et  surtout  ce  que  tous  les  Pères  de 
«  l'Église  n'ont  cessé  de  désirer.  Déplorant  la  décadence 
«  de  notre  discipline,  nous  n'avons  donc  vu  dans  vos 
«  décrets  que  l'appui  des  premiers  canons;  et  nos  frères 
m  ecclésiastiques  séparés  ne  tarderont  pas  de  le  dire, 
«  lorsqu'ils  auront  bien  réfléchi  que  tout  un  peuple  n'est 
«  pas  fait  pour  son  clergé,  mais  que  le  clergé  est  établi 
«  pour  l'instruction,  l'édification  et  l'exemple;  lorsqu'ils 
«  auront  reconnu  que  nous  sommes  sujets  quoique  ecclé- 
«  siastiques  et  que,  si  nous  étions  ecclésiastiques  indé- 
«  pendants,  nous  ne  serions  pas  sujets. 

"  Daignez  accepter  ces  motifs  de  notre  soumission 
«  entière  et  sans  restriction  à  la  loi;  l'obéissance  des 
«  Français  ne  peut  être  aveugle,  une  soumission  motivée 
«  et  raisonnable  est  celle  d'un  peuple  libre  (1).   » 

Cette  adresse  était  trop  servile  vis-à-vis  du  pouvoir, 
pour  ne  pas  obtenir  les  honneurs  d'une  lecture  publique 
à  l'Assemblée.  La  majorité  l'applaudit  et  en  vota  même 
l'impression  (2). 

Mais  ce  subterfuge  n'égara  pas  l'opinion  :  on  sut  bien- 
tôt que  pas  un  des  prêtres  de  la  Communauté  n'avait 
prêté  le  serment  et  que  même  un  des  quinze  jureurs  avait 
rétracté  le  sien.  De  tous  côtés,  les  témoignages  d'admi- 
ration les  plus  flatteurs  furent  adressés  à  M.  de  Pance- 


(1)  L'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  p.  368. 

(2)  Ibid.,  p.  369. 


M.  DE  PÀNCEMONT  (1788-1802).  243 

mont;  la  famille  royale  envoya  plusieurs  fois  prendre  de 
ses  nouvelles;  et  Mm0  Necker  lui  écrivit  de  Genève,  à  la 
date  du  18  janvier  : 

«  Je  viens,  Monsieur,  d'éprouver  un  déchirement  si 
«  cruel  par  le  récit  de  vos  peines  qu'il  m'est  impossible 
«  de  ne  pas  mettre  à  vos  pieds  ma  douleur  et  ma  vénéra- 
«  tion.  Je  n'entre  pas  dans  le  fond  d'une  question  au-des- 
«  sus  de  ma  portée  ;  je  sais  seulement  que  vous  obéissez  à 
«  la  voix  de  votre  conscience  et  j'élève  des  vœux  ardents 
«  vers  le  ciel  pour  le  conjurer  de  protéger  votre  vertu,  de 
«  vous  garantir  de  nouvelles  épreuves  et  de  vous  conser- 
«  ver  enfin  pour  servir  d'exemple  ou  plutôt  être  un  mo- 
«  dèle,  je  crois  inimitable,  de  bienfaisance,  de  sacrifice 
«  de  soi-même,  de  courage  et  de  douceur.  J'appelle 
«  tous  les  pauvres  que  j'ai  soulagés  et  que  je  vous  ai  con- 
te fiés  à  joindre  leurs  prières  aux  miennes.  Mes  inquiétudes 
«  pour  l'avenir,  mes  angoisses  sur  le  passé  remplissent 
«  sans  cesse  mes  yeux  de  larmes,  et  j'ai  été  sur  le  point 
«  de  me  trouver  mal  en  apprenant  votre  évanouisse- 
«  ment.  Que  tous  les  anges  du  ciel  veillent  sur  vous! 
«  Mon  cœur  et  celui  de  M.  Necker  vous  sont  attachés 
«  jusqu'au  dernier  moment  de  notre  vie  (1).   » 

De  cette  journée  néfaste  du  9  janvier  1791  date  la  fin 
des  paroisses  de  Paris ,  telles  qu'elles  existaient  avant  la 
Révolution  ;  et  quelques  semaines  après,  la  loi  du  i  février, 
relative  à  leur  circonscription,  achevait  de  détruire 
l'ordre  de  choses  qui  les  régissait,  en  supprimant  28  de 
ces  paroisses  sur  les  52  qui  existaient  en  1789,  et  en  en 
érigeant  9  nouvelles  ;  car  cette  suppression  fut  l'arrêt  de 
mort  de  25  des  églises  qui  les   desservaient  (2);  la  plu- 


(1)  L'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  p.  366. 

(2)  Sur  les  28  paroisses,  ainsi  supprimées  par  cette  loi  du  4  février  1791, 
il  n'y  eut,  en  effet,  que  celles  de  Bonne-Nouvelle,  Saint-Louis  en  l'Ile  et 
Saint-Étienne  du  Mont  auxquelles  leurs  églises  ont  été  rendues  par  le 
Concordat. 


i 


244  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

part  d'entre  elles  furent  démolies  par  ordre  de  la  munici- 
palité et  les  autres  ont  disparu  après  avoir  servi  à  des 
usages  profanes. 

Cette  loi  opéra  un  nouveau  démembrement  de  la  pa- 
roisse de  Saint-Sulpice,  en  créant  dans  sa  circonscription 
deux  nouvelles  paroisses  :  celle  de  Saint-Germain  des  Prés 
et  celle  de  Saint-Thomas  d'Aquin,  auxquelles  elle  assigna 
pour  églises  paroissiales  :  à  la  première  l'église  abba- 
tiale elle-même,  et  à  la  seconde  l'église  des  Dominicains, 
à  laquelle  les  partisans  de  la  nouvelle  Constitution  don- 
nèrent le  nom  de  saint  Thomas  d'Aquin,  sous  prétexte 
qu'ils  ne  voulaient  pas  lui  laisser  pour  patron  saint  Do- 
minique, le  fondateur  de  l'Inquisition. 

Toutefois ,  rien  ne  fut  changé  tout  d'abord  dans  la  con- 
duite de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  et  M.  de  Pancemont  con- 
tinua à  la  diriger,  malgré  les  insultes  de  ses  adversaires 
qui  le  traitaient  à  l'envi  de  réfractaire  et  de  rebelle  à  la 
loi,  en  s'appuyant  sur  une  déclaration  de  la  municipalité 
qui  autorisait  les  prêtres  non  assermentés  à  continuer 
leurs  fonctions  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  légalement  rem- 
placés. Aussi,  quand,  un  soir,  les  membres  du  district 
vinrent  chez  lui,  lui  signiiier  un  arrêté  de  ce  district  qui  lui 
enjoignait  d'en  cesser  l'exercice,  il  ne  vit  dans  cet  arrêté 
qu'une  mesure  arbitraire  et  se  borna  à  sonner  son  domes- 
tique et  à  lui  dire  :  «<  Eclairez  ces  Messieurs,  »  et  ils  se 
retirèrent ,  déconcertés  par  son  sang-froid  (1). 

Mais ,  à  partir  de  ce  moment ,  il  apporta  dans  tous  ses 
actes  une  extrême  prudence;  et  le  19  janvier,  jour  de  la 
fête  de  saint  Sulpice,  il  s'abstint  de  célébrer  l'office,  pour 
éviter  toute  agitation ,  et  eut  soin  de  faire  agréer  par  la 
municipalité  celui  de  ses  prêtres,  l'abbé  Guillon,  qu'il 
chargea  de  prononcer  le  panégyrique  du  saint  (2).  Cepen- 

(1   Mém.  mss.,  art.  de  Pancemont,  p.  32. 
(2)  Nau,  Rapp.  cit.,  p.  91. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  245 

clant  il  donna  encore,  à  la  fin  du  carême,  les  exercices 
spirituels  de  la  semaine  de  la  Passion  qui  furent  très  sui- 
vis. Ses  ennemis  s'en  aperçurent  et,  le  dernier  jour,  ils 
organisèrent  une  émeute  pour  l'empêcher  de  monter  en 
chaire.  Il  céda  devant  la  violence  et  se  retira.  Aussitôt 
la  tourbe  se  porta  à  son  presbytère  pour  l'insulter  ;  mais 
il  s'était  déjà  rendu  avec  un  de  ses  prêtres  dans  un  hôtel 
de  la  paroisse  où  il  passa  la  nuit  (1).  La  séance  de  son 
Conseil  de  Fabrique  du  27  mars  1791  fut  la  dernière  dont 
irait  signé  le  procès-verbal.  Ayant  appris  que  l'installa- 
tion du  curé  constitutionnel  de  sa  paroisse  aurait  lieu 
le  3  avril,  dès  le  1er,  il  quitta  le  presbytère  avec  tous  ses 
prêtres  (2)  ;  et  de  ce  jour-là,  le  Séminaire  ne  mit  plus  les 
pieds  à  l'église. 

Tout  en  se  retirant  du  presbytère ,  M.  de  Pancemont  ne 
se  sépara  pas  de  son  troupeau,  et  dans  l'espoir  de  réor- 
ganiser le  culte  catholique  en  dehors  de  toute  attache 
gouvernementale,  il  essaya  d'ouvrir,  sans  délai,  une  cha- 
pelle particulière  où  les  fidèles  pussent  se  réunir  et  con- 
tinuer à  suivre  les  exercices  du  culte  divin. 

Justement  huit  jours  après  l'installation  du  curé  jureur, 
le  Directoire  du  Département  de  Paris  prit,  le  11  avril, 
un  arrêté  qui,  tout  en  réservant  les  églises  ou  chapelles 
de  la  Nation  au  clergé  constitutionnel,  permettait  aux 
particuliers  de  destiner  tout  édifice  ou  partie  d'édifice 
qu'ils  voudraient ,  à  l'exercice  d'un  culte  religieux  quel- 
conque, sous  la  seule  condition  que,  si  la  réunion  était 

(1)  Délaie,  toc.  cit.,  t.  I,  p.  402. 

(2)  Il  en  fit,  en  même  temps,  enlever  tous  les  meubles,  qui  étaient  sa 
propriété  et  celle  de  ses  prêtres.  Le  peuple  soupçonneux  l'accusa  d'empor- 
ter les  ornements  de  l'église.  Quelques  femmes,  rassemblées  sur  la  place, 
voulurent  prendre  son  parti  et  furent  a  l'instant  mises  à  la  raison.  Des 
commissaires  du  district  intervinrent,  reconnurent  le  droit  de  M.  le  curé, 
mais  illégalement,  et  pour  obtempérer  au  vœu  de  leurs  commettants, 
en  firent  l'inventaire,  quoique  ces  objets  ne  fussent  pas  du  domaine  public. 
Delarc,  ibid.,  t.  1,  p.  403. 


246  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

nombreuse,  on  placerait  sur  la  porte  d'entrée  une  ins- 
cription pour  indiquer  son  objet  et  la  distinguer  de  celles 
des  églises  publiques. 

En  conformité  de  cet  arrêté,  M.  de  Pancemont  obtint  à 
bail  de  la  municipalité  l'église  des  Théatins,  située  quai 
Malaquais.  L'acte  portait  la  date  du  16  avril  1791,  veille 
du  dimanche  des  Rameaux,  et  autorisait  l'inscription  sui- 
vante :  «  Edifice  consacré  au  culte  religieux  'par  une  so- 
ciété particulière.  Paix  et  liberté  » ,  que  M.  de  Pance- 
mont s'empressa  de  faire  poser  immédiatement.  Mais  "le 
soir  même,  le  nouveau  curé  jureur  de  Saint-Thomas 
d'Aquin,  l'ex-oratorien  Latyl,  député  à  l'Assemblée  na- 
tionale, alla  s'en  plaindre  au  club  des  Jacobins,  qui  décida 
de  mettre  tout  en  œuvre  pour  empêcher  l'entrée  en  jouis- 
sance de  ce  bail  et  n'eut  pas  honte,  pour  y  réussir,  de 
recourir  au  plus  odieux  moyen.  Le  lendemain  matin,  jour 
où  l'église  devait  être  ouverte  au  public,  d'ignobles 
femmes  furent  apostées  par  lui  à  ses  abords,  et,  au  mo- 
ment où  les  fidèles  commençaient  à  y  arriver,  plusieurs 
d'entre  elles  se  saisirent  d'une  jeune  fille  qui  s'y  rendait 
avec  sa  mère,  et  la  fouettèrent  publiquement  sur  les 
marches  du  temple,  pendant  qu'une  bande  de  vauriens, 
dignes  acolytes  de  ces  mégères,  enlevaient  l'inscription 
placée  au-dessus  de  la  porte  principale,  et  la  rempla- 
çaient par  un  placard  sur  lequel  était  écrit  :  Avis  aux 
dévotes  aristocrates  ;  médecine  purgative  distribuée  gra- 
tis,  et  de  chaque  côté  duquel  ils  attachèrent  une  poignée 
de  verges. 

Un  inspecteur  des  boues  de  Paris,  nommé  Dauphin, 
voulut  l'arracher  ;  la  populace  se  rua  sur  lui  et  l'en  em- 
pêcha. A  son  tour,  intervint  le  Maire  de  Paris,  M.  Bailly. 
C'était  l'heure  de  la  descente  de  la  garde  chez  le  Roi;  il 
en  requit  un  détachement  pour  faire  enlever  ce  placard  , 
et  un  musicien  de  la  troupe  se  chargea  de  l'exécution; 
mais  après  son  départ,  on  le  réintégra  avec  ces   mots 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  247 

qu'on  y  ajouta  :  «  Oté  par  ordre  de  M.  Bailly,  replacé  par 
«  celui  des  citoyens  ».  De  son  côté,  le  Directoire  du  Dé- 
partement revint  à  la  charge  et  fit  afficher  que  le  bail 
de  l'église  des  Théatins  était  une  convention  régulière, 
qu'il  en  exigeait  l'exécution  et  qu'il  punirait  ceux  qui 
en  troubleraient  le  locataire  dans  sa  jouissance.  Mais  on  la- 
céra ses  affiches;  les  imprécations  contre  le  Département, 
les  prêtres,  les  dévotes,  n'en  devinrent  que  plus  violentes; 
et  aucun  de  leurs  auteurs  ne  fut  poursuivi.  En  réalité,  les 
factieux  triomphaient.  Enhardis  par  ce  premier  succès, 
ils  déférèrent  l'arrêté  directorial  du  11  avril  à  l'Assemblée 
nationale  dans  l'espoir  qu'elle  l'abrogerait.  Mais,  au  con- 
traire, elle  vota  le  7  mai  suivant,  après  une  discussion 
orageuse ,  le  décret  suivant  : 

«  I.  L'Assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rap- 
«  port  de  son  comité  de  Constitution  sur  l'arrêté  du  1 1  avril 
«  du  Directoire  du  Département  de  Paris,  déclare  que  les 
«  principes  de  liberté  religieuse  qui  l'ont  dicté,  sont  les 
><  mêmes  que  ceux  qu'elle  a  reconnus  et  proclamés  dans 
«  sa  déclaration  des  droits:  et,  en  conséquence,  décrète 
«  que  le  défaut  de  prestation  du  serment  prescrit  par 
«  le  décret  du  28  novembre,  ne  pourra  être  opposé  à 
«  aucun  prêtre,  se  présentant  dans  une  église  parois- 
«  siale,  succursale  et  oratoire  national,  seulement  pour 
«  y  dire  la  messe. 

«  II.  Les  édifices  consacrés  à  un  culte  religieux  par  des 
«  sociétés  particulières  et  portant  l'inscription  qui  leur 
«<  sera  donnée,  seront  fermés  aussitôt  qu'il  y  aura  été  fait 
«  quelque  discours  contenant  des  provocations  directes 
«  contre  la  Constitution,  et  en  particulier,  contre  la  Cons- 
«  titution  civile  du  clergé.  L'auteur  du  discours  sera,  à  la 
«  requête  de  l'accusateur  public,  poursuivi  criminelle^ 
«  ment  devant  le  Tribunal,  comme  perturbateur  du  repos 
«  public.  » 

Forts  de  cette  décision  de  l'Assemblée  nationale,  les  ca- 


248  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

iholiques  crurent  que  la  liberté  de  leur  culte  leur  était 
rendue  et  ils  résolurent  de  célébrer  la  fête  de  l'Ascension, 
qui  tombait  le  2  juin  ,  dans  leur  église  des  Théatins  dont 
ils  étaient  toujours  locataires.  Mais  la  même  intolérance 
du  club  des  Jacobins  et  de  leurs  émissaires  viola  en  leurs 
personnes  la  plus  sainte  des  libertés.  Ils  étaient  réunis  en 
grand  nombre,  ce  jour-là,  dans  cette  église,  pour  y  en- 
tendre une  simple  messe  basse,  qui  était  déjà  commencée, 
quand  une  troupe  de  mauvais  drôles  l'envahit,  brisa  la 
balustrade  et  renversa  l'autel.  Aussitôt  M.  de  La  Fayette 
accourut  lui-même,  à  la  tête  d'un  bataillon  de  la  garde 
nationale ,  expulsa  les  perturbateurs ,  sans  cependant  en 
arrêter  un  seul,  et  fit  relever  l'autel.  Le  soir,  l'office  des 
vêpres  fut  célébré  en  sa  présence  et  en  celle  du  Maire.  Mais 
après  leur  départ,  les  attroupements  se  reformèrent;  les 
mêmes  scènes  de  violences  se  répétèrent  ;  et  désormais  les 
catholiques  durent  renoncer  à  l'exercice  public  de  leur 
culte  aux  Théatins  comme  ailleurs  (1). 

Quant  à  M.  de  Pancemont ,  visé  tout  particulièrement 
par  les  sectaires  qui  ne  lui  pardonnaient  pas  son  cou- 
rage ,  il  avait  déjà  cédé  à  de  sages  conseils  devant  les 
menaces  de  mort  dont  il  avait  été  l'objet  (2) ,  et  s'était  re- 
tiré à  Bruxelles  dans  les  premiers  jours  de  mai.  Il  y  resta 
six  mois,  entouré  du  respect  universel  et  consacrant  tout 
son  temps  à  son  saint  ministère  auprès  des  Français  émi- 
grés et  surtout  des  sœurs  de  la  Maison  des  orphelins  de  sa 
paroisse,  qu'il  y  avait  attirées,  lorsqu'elles  furent  obli- 
gées de  quitter  Paris.  Il  n'oublia  pas  non  plus  ses  parois- 
siens abandonnés;  et,  à  peine  arrivé  à  Bruxelles,  il  leur 


(1)  Tout  ce  récit  des.  efforts  de  M.  de  Pancemont  pour  maintenir  le  culte 
catholique  à  1  église  des  Théatins  est  extrait  de  l'ouvrage,  déjà  cité,  de 
M.  l'abbé  Delarc,  t.  I,  p.  475  à  479. 

(2)  Le  domestique  de  M.  de  Pancemont  avait  reçu  une  lettre  très  cir- 
constanciée dans  laquelle  on  lui  offrait  une  récompense  considérable,  s'il 
consentait  à  assassiner  son  maître.  Mém.  mss.,  M.  de  Pancemont,  p.  41. 


M.  DE   PAXCEMONT   (1788-1802).  249 

adressa ,  à  la  date  du  Ifr  mai,  une  lettre  touchante  pour 
les  fortifier  dans  la  foi  et  les  prémunir  contre  les  dangers 
du  schisme  auquel  ils  étaient  exposés. 

«  On  vous  répète  tous  les  jours,  leur  dit-il,  qu'en  vous 
«  nommant  de  nouveaux  pasteurs,  on  ne  blesse  en  rien 
«  les  droits  de  l'Église ,  on  ne  porte  aucune  atteinte  à  sa 
«  véritable  autorité.  Quoi!  ôter  à  ceux  qui  en  jouissent, 
«  le  droit  de  vous  donner  les  secours  de  la  Religion; 
«  restreindre,  étendre  sans  l'Église  les  pouvoirs  de  ses 
t<  différents  ministres,  les  conférer  à  ceux  qui  ne  les 
«  avaient  pas;  lui  tracer,  malgré  elle,  des  règles  pour  son 
«  gouvernement,  abolir  celles  qu'elle  suivait,  ce  n'est 
«  pas  attenter  à  sa  puissance?  » 

Et  plus  loin  :  «  Pouvez-vous  ignorer  que  les  puissan- 
«  ces  de  la  terre  ne  peuvent  rien  statuer  sur  la  religion 
«  de  Jésus-Christ;  et  qu'étant  au  nombre  des  brebis  de 
«  l'Église,  elles  doivent  elles-mêmes  l'exemple  de  l'obéis- 
«  sance?  Prenez  donc  garde,  M.  T.  G.  F.,  que  personne  ne 
«  vous  trompe  par  une  fausse  philosophie  et  par  de  vains 
«  sophismes,  en  s'appuyant  sur  la  tradition  des  hommes. 
«  C'est  au  nom  de  l'Église  et  comme  répondant  du  salut 
«  de  vos  âmes,  que  nous  vous  disons  que  nous  sommes 
«  votre  seul  et  légitime  pasteur;  que  ceux  que  l'autorité 
«  temporelle  a  constitués  pour  me  remplacer,  sont  entrés 
«  dans  le  bercail  autrement  que  parla  porte;  qu'ils  ne 
«  sont  pas  attachés  au  chef,  duquel  tout  le  corps  des  fidèles 
«  reçoit  la  vie  et  l'accroissement  en  Dieu;  qu'ils  ne  sont 
«  pas  attachés  à  votre  évêque  et  par  votre  évèque  à  l'É- 
*<  glise  et  par  l'Église  à  Jésus-Christ.  » 

Cette  belle  lettre,  imprimée  à  Bruxelles,  formait  16  pa- 
ges in-8°.  Elle  fut  envoyée  aux  prêtres  de  la  Communauté, 
restés  à  Paris ,  qui  la  distribuèrent  parmi  les  fidèles  et  la 
leur  commentèrent  dans  plusieurs  conférences  qu  ils  leur 
firent  dans  les  lieux  habituels  de  leurs  réunions  secrètes  : 
l'église  des  Missions  étrangères,  où  Ton  n'entrait  qu'avec 


250  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

des  billets,  la  chapelle  du  Petit-Calvaire,  rue  de  Vau- 
girard,  près  la  place  Saint-Michel,  et  celle  des  Bénédic- 
tines du  Saint-Sacrement,  rue  Cassette. 

Par  une  exception  unique  peut-être  dans  les  fastes  de 
cette  période  d'impiétés  révolutionnaires,  les  prêtres  du 
Séminaire  des  Missions  étrangères  ne  furent  pas  inquié- 
tés par  les  autorités  municipales  de  Paris;  ils  purent 
même  continuer  leurs  offices  pendant  la- Terreur,  après  la 
suppression  de  leur  Séminaire  en  1792;  et  il  y  a  lieu  de 
le  reconnaître  à  leur  louange  :  ils  ne  profitèrent  de  la  li- 
berté qui  leur  était  laissée,  que  pour  se  vouer  avec  le 
plus  grand  zèle  au  ministère  pastoral.  M.  de  Pancemont 
le  sut  ;  et  sans  souci  des  dangers  auxquels  il  s'exposait,  il 
rentra  à  Paris  à  la  fin  d'octobre,  pour  se  joindre  à  eux. 
Mais  le  19  janvier  1792,  jour  de  la  fête  de  saint  Sulpice, 
il  eut  l'imprudence  de  donner  solennellement  le  salut  à 
la  chapelle  du  Petit-Calvaire  ;  on  le  reconnut,  un  attrou- 
pement se  forma  et  il  ne  dut  de  pouvoir  rentrer  chez  lui 
qu'à  l'énergie  d'amis  dévoués,  notamment  de  M.  de  la 
Vieuville,  officier  de  marine,  qui  mit  l'épée  à  la  main  pour 
le  protéger  (1). 

Instruit  par  cette  leçon,  il  se  tint  dès  lors  caché  dans 
Paris;  mais  l'ardeur  de  son  zèle  n'en  fut  pas  ralentie. 
Lors  du  Carême  de  cette  même  année,  il  suppléa  aux 
instructions  pastorales  qu'il  ne  pouvait  plus  donner  de 
vive  voix  à  ses  paroissiens ,  en  faisant  imprimer  chaque 
semaine  le  prône  du  dimanche,  qu'il  leur  fit  distribuer 
sous  le  titre  (^exhortation  aux  vrais  catholiques  pour 
passer  saintement  le  Carême  et  se  disposer  à  la  Pâque. 
Il  en  fit  paraître  ainsi  huit,  vrais  modèles  de  ces  sortes 
d'instructions,  dans  lesquelles,  sous  une  forme  simple, 
aifeetueuse,  paternelle,  à  la  portée  de  tous,  mais  toujours 
précise  et  substantielle,  il  traita  successivement  tous  les 

(1)  Métn.  mss.,  art.  de  Pancemont,  p.  52. 


M.  DE  PANCEMOXT  (1788-1802).  251 

points  de  dogme  et  de  morale  les  plus  utiles  aux  fidèles 
dans  les  circonstances  présentes. 

«  Nous  ne  pourrons,  leur  dit-il  dans  la  première,  nous 
«  réunir  comme  auparavant,  pour  la  sainte  cérémonie 
«  des  Cendres.  Hélas!  nous  n'avons  plus  de  temples;  les 
«  uns  sont  renversés;  les  autres  sont  envahis  par  le 
«  schisme;  et  la  violence  nous  ferme,  contre  la  disposi- 
«  tion  même  de  la  nouvelle  Constitution,  ceux  dont  nous 
«  pourrions  faire  usage.  Gémissons,  mais  ne  nous  lais- 
«  sons  pas  abattre  par  la  douleur.  Rassemblons-nous  en 
«  esprit;  unissons-nous  de  cœur;  et  que  chacun  de  nous, 
«  à  l'exemple  de  Daniel  pendant  la  captivité,  fasse  dans  le 
«  secret  de  son  oratoire  ce  que  nous  aurions  fait  solen- 
«  nellement  dans  nos  églises,  dans  le  temps  de  la  liberté. 
«  Mettons-nous  nous-mêmes  la  cendre  sur  le  front;  et 
«  disons-nous,  avec  un  grand  sentiment  de  pénitence  et 
«  de  componction  :  Homme!  Souviens-toi  bien  que  tu  as 
«  été  tiré  de  la  poussière  et  que  tu  redeviendras  pous- 
«  sière.  Méditons  ensuite  cette  terrible  sentence,  et  grâ- 
ce vons-la  si  profondément  dans  nos  esprits  que  nous  ne 
«  la  perdions  jamais  de  vue. 

«  Nous  ne  pouvons  également  vous  rassembler  autour 
«  de  nous  pour  vous  distribuer  le  pain  de  la  parole  de 
«  Dieu.  Hélas!  il  ne  nous  est  plus  libre  d'ouvrir  la  bou- 
«  che  pour  vous  parler  de  Jésus-Christ  et  pour  annoncer 
«  son  Évangile  dans  la  chaire  de  la  vérité.  On  nous  ferait 
«  un  crime  de  vous  le  prêcher  même  en  secret  ;  et  nous 
«  serions  infailliblement  les  victimes  de  notre  zèle...  Mais 
«  nous  vous  exhortons  de  faire,  chaque  jour,  à  une  heure 
«  réglée,  s'il  est  possible,  la  lecture  de  l'Épitre  et  de  l'E- 
<(  vangile  du  jour  et  de  quelque  bon  livre.  Nous  vous 
«  conseillons  surtout  la  lecture  des  Œuvres  spirituelles  de 
«  Grenade,  le  Guide  des  pécheurs,  son  Catéchisme,  son 
«  Mémorial  et  plus  particulièrement  encore  La  journée 
«  chrétienne,  Le  combat  spirituel  et  l 'Imitation  de  Jésus- 


•252  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

Christ.  Vous  aurez  soin  de  commencer  cette  lecture  par 

une  courte  mais  fervente  prière  pour  demander  à  Dieu 
«  l'intelligence  de  sa  parole  et  la  grâce  d'en  profiter. 
•  Vous  la  terminerez  par  une  autre  prière  pour  le  re- 
«  mercier  de  l'instruction  qu'il  vous  a  donnée,  et  le  con- 
«  jurer  de  vous  rendre  fidèles  aux  résolutions  que  son 
«  Saint-Esprit  vous  a  inspirées.  » 

Il  entre  ensuite  dans  le  détail  des  œuvres  de  piété  con- 
venables à  la  sainte  quarantaine,  et  dont  les  principales 
sont  le  jeûne,  la  prière  et  l'aumône,  et  ajoute  à  ces  re- 
commandations celles  que  les  circonstances  rendent  sur- 
tout nécessaires  :  la  patience  dans  les  maux  qu'il  plait  à 
Dieu  de  nous  envoyer;  la  pratique  de  la  charité  même 
envers  ceux  qui  nous  persécutent;  le  respect  et  l'obéis- 
sance dus  à  l'autorité  civile,  fût-elle  entre  des  mains 
cruelles  et  impitoyables,  en  tout  ce  qui  n'est  pas  contraire 
à  la  loi  de  Dieu, 

Dans  une  autre,  il  montre  comment  l'immutabilité  de 
la  vérité  catholique  se  concilie  avec  les  définitions  de  foi 
que  donne  l'Église,  et  réfute  très  clairement  le  sophisme 
de  ceux  qui  nient  cette  immutabilité,  sous  prétexte  que 
l'Église  crée  de  nouveaux  dogmes. 

"  Vous  me  demanderez  peut-être,  mes  très  chers  Frè- 
«  res,  pourquoi  l'Église  assemblée  ou  dispersée  prononce 
«  des  définitions  de  foi  et  semble  même  en  étendre  les  li- 
«  mites,  si  la  foi  ne  souffre  jamais  aucune  altération? 

«  Il  est  très  vrai  que  l'Église  règle  la  croyance  des  fî- 
«  dèles,  par  les  décrets  qu'elle  porte;  mais  elle  ne  fait 
«  pas  de  nouveaux  dogmes;  elle  les  confirme;  elle  leur 
u  donne  un  plus  grand  jour;  elle  expose  d'une  manière 
■  plus  claire  et  plus  distincte  des  vérités  qui  paraissaient 
"  obscures;  elle  exprime  dans  des  termes  nouveaux  une 
«  doctrine  qui  n'est  pas  nouvelle...  Concevons  bien  la 
"  différence  essentielle  qui  existe  entre  ces  deux  proposi- 
«  tions  :  Eclaire)'  les  vérités  de  la  Foi  et  faire  de  nouveaux 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  253 

«  articles  de  Foi.  La  foi  de  l'Église  catholique ,  quoique 
o  marquée  du  sceau  de  l'immutabilité,  peut  recevoir. 
«  avec  le  temps,  la  lumière,  l'évidence,  la  distinction; 
«  mais  elle  conserve  toujours  sa  plénitude,  son  intégrité, 
«  sa  propriété.  Faire  de  nouveaux  articles  de  Foi,  ce 
((  serait  présenter  à  votre  croyance  des  vérités  nouvelles, 
«  que  les  Apôtres  n'ont  point  enseignées,  que  les  Pères, 
«  dans  tous  les  siècles,  ne  nous  ont  pas  transmises.  Il  n'y 
«  a  que  les  sectes,  séparées  de  l'Eglise  catholique,  qui 
«  varient  dans  leurs  dogmes  :  car  les  variations  et  les 
«  innovations  sont  les  principaux  caractères  de  l'hérésie. 
«  Elle  a  commencé  par  innover,  et  elle  innovera  tou- 
«  jours;  et  l'expérience  de  tous  les  siècles  prouve  qu'une 
«  nouveauté  en  produit  une  autre,  et  qu'en  matière  de 
«  foi  on  s'égare  sans  fin,  quand  on  a  commencé  à  s'é- 
«  garer.  » 

Mais  il  ne  se  bornait  pas  à  adresser  à  ses  paroissiens 
ces  belles  et  solides  exhortations  ;  il  se  dédommageait  de  la 
privation,  dont  il  souffrait  beaucoup,  de  leur  parler  en  pu- 
blic, en  les  recevant  chez  lui  ou  en  allant  les  voir,  surtout 
lorsqu'ils  étaient  malades,  pour  les  guider,  les  encourager 
ou  les  consoler.  Et  quant  aux  pauvres,  objet  de  sa  cons- 
tante sollicitude,  il  savait  toujours,  malgré  les  malheurs 
du  temps,  leur  procurer  d'abondantes  aumônes.  Aussi 
sa  charité,  non  moins  que  son  courage ,  faisait-elle  l'ad- 
miration de  ses  ennemis  eux-mêmes.  Un  jour,  deux  com- 
missaires de  section ,  chargés  de  faire  une  quête  dans 
l'arrondissement,  se  présentent  chez  lui  et  sollicitent  sa 
générosité  en  faveur  des  pauvres  de  la  paroisse  qui  souf- 
frent beaucoup ,  observent-ils,  depuis  qu'il  n'en  est  plus 
chargé.  —  «  Fort  bien,  Messieurs,  leur  dit-il,  voici  mon 
portefeuille,  preuez-y  ce  que  vous  jugerez  à  propos.  — 
Nous  ne  le  pouvons  pas,  répondent-ils;  mais  nous  accep- 
terons avec  reconnaissance  ce  que  vous  voudrez  bien 
nous  donner.  —  Eh  bien,  Messieurs,  voici  600  livres.  » 


25i  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT- SULPI CE. 

Ils  lui  en  expriment  tous  leurs  remerciements  et  lui  re- 
mettent un  reçu  signé  du  nouveau  curé.  —  «  Dispensez- 
moi,  Messieurs,  leur  dit-il,  de  prendre  ce  reçu;  je  ne 
saurais  reconnaître  la  signature  qu'il  porte.  Ce  prêtre 
peut  m'avoir  remplacé  aux  yeux  de  la  loi,  mais  non  pas 
aux  yeux  de  l'Église.  Du  reste,  je  n'ai  contre  lui  ni  haine, 
ni  aigreur;  et  si  quelque  jour  je  rentre  dans  ma  place 
et  que  je  puisse  lui  être  utile,  je  le  ferai  volontiers. 
Voilà  ce  que  je  pense,  Messieurs,  et  je  vous  prie  de  le  lui 
exprimer.  »  Ils  le  saluèrent  et,  en  se  retirant,  l'un  d'eux 
dit  à  l'autre  :  «  Il  faudrait  baiser  les  traces  de  cet 
homme-là  (1).  » 

Mais  les  faibles  restes  de  liberté  dont  jouissait  encore 
M.  de  Pancemont,  firent  place,  vers  le  milieu  de  cette 
même  année  1792,  à  une  persécution  ouverte,  menaçante 
même  pour  ses  jours  (2),  qui  l'obligea  à  quitter  une 
seconde  fois  Paris  et  à  aller  se  réfugier  à  Croissy,  près 
Saint-Germain,  où  il  resta  deux  ans,  jusqu'après  le  9  Ther- 
midor (27  juillet  179i). 

Ce  fut  là,  dans  les  derniers  temps  de  son  séjour,  que 
chez  le  Père  des  Essarts,  de  l'Oratoire  de  Juilly,  il  fit  la 
connaissance  d'un  des  anciens  et  des  plus  illustres  élè- 
ves du  bon  Père,  le  chancelier  Pasquier.  Le  chancelier, 
alors  âgé  de  vingt-cinq  ans  seulement,  et  déjà  conseiller 
au  Parlement  de  Paris,  n'avait  échappé  à  l'échafaud  que 
grâce  à  la  Révolution  de  Thermidor.  Rendu  alors  à  la  li- 
berté,  mais  toujours  privé  de  ses  biens  qu'on  avait  con- 


(1)  Me'm.  mss.,  ibid.,  p.  63. 

(2)  La  veille  du  10  août,  insulté  grossièrement  par  un  émissaire  de  la 
section  du  Luxembourg,  qui  était  venu  lui  faire,  chez  lui,  une  scène  des 
plus  violentes,  il  se  décida  à  suivre  le  conseil  qu'on  ne  cessait  de  lui  en 
donner,  et  à  se  dérober,  par  la  fuite,  à  la  rage  des  membres  de  cette 
section. 

L'abbé  Jager.  Histoire  de  l'Église  de   France  pendant  la  Révolution 
t.  III,  p.  388. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  255 

fisqués,  il  alla  avec  sa  jeune  femme  habiter,  près  de 
son  vieux  maître,  une  petite  maison  de  Croissy,  où,  pen- 
dant deux  ans,  il  vécut  dans  la  retraite,  réduit  au  strict 
nécessaire,  et  cultivant  de  ses  mains  son  jardin  dont  les 
produits  l'aidaient  à  vivre.  Toute  sa  vie,  il  conserva  un 
religieux  souvenir  de  ses  trop  courtes  relations  avec 
M.  de  Pancemont;  et,  dans  ses  Mémoires,  il  lui  consacre 
une  page  charmante. 

«  Le  village  de  Croissy,  y  écrit-il,  était  resté  en  de- 
hors des  troubles  révolutionnaires,  grâce  à  un  prêtre 
marié,  son  ancien  curé,  devenu  maire,  dans  la  réalité  un 
excellent  homme,  mais  de  mœurs  légères.  Actif,  coura- 
geux, il  ne  craignait  pas  de  se  compromettre  pour  ren- 
dre service.  Sa  commune  était  un  asile  assuré  pour  qui- 
conque s'y  réfugiait;  et  il  n'avait  pas  hésité  à  recueillir 
un  des  ecclésiastiques  les  plus  connus  et  par  conséquent 
les  plus  menacés. 

<(  Pendant  les  années  1793  et  179i,  vivait  caché  dans 
une  maison  du  village  l'ancien  curé  de  haint-Sulpice, 
M.  de  Pancemont,  mort  depuis  évêque  de  Vannes.  Il  y 
était  encore  quand  j'arrivai.  J'ai  connu  peu  d'hommes 
plus  évangéliques.  La  simplicité  de  son  caractère  me  le 
faisait  quelquefois  comparer  à  ce  personnage  si  connu  de 
l'abbé  Prévost,  au  doyen  de  Killerine,  dont  il  avait  la 
laideur.  Quant  à  sa  conduite  à  l'égard  du  curé  marié  au- 
quel il  avait  tant  d'obligations,  elle  était  d'une  conve- 
nance et  d'une  délicatesse  admirables  :  ne  négligeant  rien 
pour  le  ramener  au  bien,  mais  l'excusant  autant  qu'il 
dépendait  de  lui,  instruisant  ses  enfants  qu'il  avait  bap- 
tisés et  leur  cherchant  des  parrains  et  des  marraines 
qui  pussent  un  jour  les  protéger  et  les  mettre  dans  une 
bonne  route  (1).  » 

Après  la  chute  de  Robespierre ,  au  9    Thermidor,  la 

(1)  Mémoires  du  Chancelier  Pasquier,  t.  1,  p.  117. 


250  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-Sl  LPICE. 

Convention  sembla  revenir  à  des  principes  de  modéra- 
tion, qui  amenèrent  le  décret  du  21  février  1795  (3  Ven- 
tôse an  III)  et  celui  du  30  mars  suivant  (11  Prairial 
an  III    en  faveur  de  la  liberté  des  cultes. 

M.  de  Pancemont  en  profita  pour  rassembler  ses  parois- 
siens dans  quelques  oratoires  particuliers.  Le  premier 
qu'il  choisit,  fut  la  chapelle  des  Sœurs  de  l'Instruction 
chrétienne,  rue  du  Pot-de-Fer.  Il  l'ouvrit  aux  fidèles  en 
mars  1795,  et  la  fît  desservir,  en  son  nom,  par  d'anciens 
prêtres  de  la  Communauté  :  M.  Devoisins,  qui  devint  curé 
de  Saint-Étienne  du  Mont,  M.  de  Pierre,  son  successeur 
immédiat  à  Saint-Sulpice,  M.  Jerphanion,  plus  tard  curé 
de  la  Madeleine,  avec  la  collaboration  de  M.  de  France, 
ancien  supérieur  de  la  Communauté,  et  de  MM.  Kerave- 
naut,  de  Sambucy,  Gerardin,  Potel  et  Verkaven.  Elle  de- 
vint bientôt  insuffisante  à  raison  de  la  foule  qui  s'y  pres- 
sait; et  il  fut  obligé  de  créer  d'autres  centres  de  réunion  : 
dans  la  chapelle  des  Orphelines  de  la  rue  du  Vieux-Co- 
lombier, où  le  nombre  des  fidèles  était  si  grand,  qu'on 
fut  obligé  de  dire  des  messes  basses  dans  les  anciens  dor- 
toirs, au  3e  étage;  dans  la  petite  église  de  l'abbaye  Saint- 
Germain,  l'ancienne  chapelle  des  Religieux  démolie  plus 
tard;  et  dans  la  Bibliothèque  du  Séminaire  des  Missions 
étrangères.  Ces  divers  oratoires  étaient  également  des- 
servis par  ces  Messieurs  sous  sa  direction;  mais  il  se 
tenait  habituellement  à  l'écart,  pour  se  dérober  à  la 
haine  de  ses  ennemis,  furieux  de  voir  en  lui  un  des  plus 
fermes  soutiens  de  la  religion  qu'ils  voulaient  détruire. 
Tous  ces  lieux  du  culte  servaient  en  même  temps  de  salles 
des  catéchismes,  dont  la  direction  était  confiée  à  l'abbé  de 
Sambucy,  un  ancien  élève  de  Saint-Sulpice. 

Partout  l'affluence  était  énorme.  «  Elle  est  si  grande. 
«  écrivait  M.  Emery  à  l'abbé  Courtade,  en  avril  1795, 
«  qu'il  a  fallu,  dans  les  fêtes  de  Pâques,  tendre  des  toiles 
«  dans  la  cour  de  V Instruction  et  dire  des  Messes  dans 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  257 

«  cette  cour,  outre  celles  qu'où  disait  à  la  chapelle;  et 
«  que  de  plus  les  vêpres  sont  doubles  dans  chacune  de 
«  toutes  les  chapelles.  »  Aussi  l'abbé  de  Boulogne  était-il 
en  droit  de  terminer  un  article  qu'il  publia  dans  les  An- 
nales catholiques,  à  la  date  de  1er  décembre  1796,  sur 
l'état  actuel  de  la  religion  à  Paris,  par  cette  conclusion, 
bien  faite  pour  lasser  les  persécuteurs  de  leurs  vaines 
méchancetés  :  «  Ainsi  la  religion  triomphe  seule  d'une 
Révolution  qui  a  tout  englouti  ;  ainsi  sa  conservation,  dans 
ce  naufrage  universel,  devient  pour  tous  les  hommes  de 
bonne  foi  un  miracle  perpétuel;  ainsi  tous  les  efforts  que 
l'on  a  faits  pour  détourner  le  peuple  des  institutions  catho- 
liques ne  font  que  tourner  à  la  honte  de  l'impiété.  Ainsi, 
tandis  que  les  philosophes  n'ont  pu  encore  donner  à  leurs 
fêtes  décadaires  ni  le  moindre  intérêt,  ni  la  moindre 
consistance,  les  fêtes  religieuses  conservent  invincible- 
ment et  ce  charme  qui  attire  et  cet  ascendant  qui  en- 
traîne... Admirons  donc  le  pouvoir  de  la  religion;  recon- 
naissons ce  sublime  besoin  que  nous  avons  tous  d'elle, 
besoin  d'autant  plus  fort  qu'il  est  fondé  sur  nos  misères, 
et  sur  la  nécessité  où  est  la  faible  créature  d'aimer,  d'es- 
pérer et  de  croire.  » 

Lorsqu'en  juin  1797,  M.  de  Pancemont  eut  obtenu  sa 
radiation  de  la  liste  des  émigrés,  sur  laquelle  ses  ennemis 
l'avaient  fait  inscrire,  il  parut  publiquement  à  la  chapelle 
de  l'Instruction,  et,  l'un  des  premiers  dimanches  de  juil- 
let, il  y  chanta  la  Messe  et  y  lit  le  prône. 

Sa  joie  de  se  voir  réuni  à  son  troupeau  s'accrut  encore 
de  celle  de  lui  procurer  un  lieu  de  réunion  plus  vaste  et 
plus  commode. 

Par  acte  du  15  août  1797,  jour  de  la  fête  de  l'Assomp- 
tion de  la  Très  Sainte  Vierge,  M"lc  Camille  de  Soyecourt, 
religieuse  carmélite  du  couvent  de  la  rue  de  Grenelle, 
s'était  rendue  acquéreur  de  la  partie  principale  de  l'an- 
cien couvent  des  Carmes  et  de  leur  église,  sanctifiée  par 

ÉCLISE    SAINT- SU LPICE.  17 


258  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SI  LPICE. 

le  glorieux  martyre   des  114  prêtres  qui  y  avaient  été 
massacrés  le  2  septembre  1792,  et  où  elle  avait  aperçu, 
pour  la  dernière  fois,  son  vertueux  père,  le  comte  de 
Soyecourt,  qui  y  était  resté  enfermé  pendant  quatre  mois 
et  qui  n'en  était  sorti  que  pour  monter  à  l'échafaud,  le  23 
juillet  1794  (1).  Quelques  jours  après,  elles'y  installait  avec 
ses  fdles;  et,  le  2't  août,  en  présence  de  douze  religieuses, 
réunies  sous  la  conduite  de  la  Mère  Nathalie,  prieure  de 
l'ancien  monastère  de  la  rue  de  Grenelle,  M.  de  Pance- 
mont  y  célébrait  la  messe  dans  une  petite  chapelle  dédiée 
à  saint  Joseph,   attenante  à   l'église,   mais    qui,  murée 
avant  les  massacres,  avait  ainsi  échappé  à  la  profanation. 
A  ce  moment-là,  il  cherchait  à  louer  quelque  ancienne 
église,  pour  la  desservir  avec  son  clergé.  Il  fit  part  de 
son  dessein  à  la  Mère  de  Soyecourt  qui,  pouvant  se  con- 
tenter pour  elle  et  sa  communauté  d'une  chapelle  inté- 
rieure, consentit  de  suite  à  lui  céder  Y  église  des  Carmes, 
à  la  seule  condition  qu'il  y  ferait,  à  ses  frais,  toutes  les 
dispositions  nécessaires  pour  l'exercice  public  du  culte 
divin.  Il  accepta  avec  reconnaissance  cette  offre  si  géné- 
reuse, s'empressa  d'y  faire  disparaître  les  traces  du  négoce 
qu'y  avait   exercé   un  marchand  de    vin,  y  fit    dresser 
provisoirement  des  autels  en  bois;  et,  le  29  août,  Mgr  de 
Maillé   (2),  ancien   évèque  de   Saint-Papoul,  vint   bénir 


(1)  Mmc  de  Soyecourt  fit  celle  acquisition  d'un  marchand  de  planches, 
nommé  Forison,  qui  s'en  était  rendu  adjudicataire,  au  moment  où,  forcé 
de  contracter  un  emprunt  pour  payer  lui-même  son  pris,  il  allait  dé- 
molir le  couvent  et  l'église  pour  trafiquer  des  matériaux.  Elle  racheta  le 
reste  du  couvent,  en  1801  et  en  1807. 

(2)  M^r  de  Maillé  était  resté  à  Paris  même  aux  jours  les  plus  sombres 
de  la  Terreur,  pendant  lesquels  il  eut  le  bonheur  de  conférer  souvent 
les  sacrements  et  même  de  faire  plusieurs  ordinations.  Aussi  son  zèle 
apostolique  lui  altira-t-il  la  colère  du  Directoire.  «  C'est  le  plus  grand  co- 
quin que  je  connaisse,  écrivait  Rewbell  ;  n'esl-il  pas  temps  de  l'envoyer  faire 
des  prêtres  ailleurs?  »  Et,  en  effet,  en  plein  hiver  de  1799,  le  Directoire 
l'envoya  rejoindre  à  l'île  de  Rhé  les  900  prêtres  qu'il  y  avait  déjà  déportés. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  259 

solennellement  l'église,  qui  désormais  fut  consacrée  au 
service  paroissial.  Toutefois  les  catéchismes  continuèrent 
à  se  faire  clans  la  chapelle  des  sœurs  de  Y  Instruction. 

Mais  la  liberté  de  ces  pieux  exercices  ne  fut  pas  de 
longue  durée.  Elle  fut  suspendue  encore  une  fois  par  les 
nouveaux  orages  que  la  journée  du  18  Fructidor  an  V 
(i  septembre  1797)  fit  éclater  sur  l'Église  de  France. 

Sous  la  pression  de  l'opinion  qui  se  manifestait,  tous 
les  jours,  de  plus  en  plus  favorable  aux  idées  de  modéra- 
tion et  de  justice,  le  Conseil  des  Cinq  Cents  avait  voté, 
le  13  juillet  1797,  sur  le  rapport  de  Camille  Jordan,  et  le 
Conseil  des  Anciens  avait  approuvé,  le  2i  août  suivant, 
une  loi  qui  rouvrait  les  portes  de  la  France  aux  prêtres 
insermentés.  Mais  cette  loi  disparut  presque  aussitôt  dans 
la  tourmente  que  souleva  le  coup  d'État  du  18  Fructidor, 
résolu  et  accompli  en  haine  de  ce  retour  à  l'équité.  Dé- 
sormais, affranchi  des  entraves  que  les  deux  Conseils 
apportaient  à  son  hostilité  contre  l'Église,  le  Directoire  ne 
visa  plus  qu'à  continuer  contre  elle  l'œuvre  de  la  Con- 
vention et  les  pires  traditions  révolutionnaires.  Il  se  fit 
donner  le  pouvoir  de  déporter,  par  arrêtés  individuels 
motivés,  les  prêtres  qui  troubleraient  la  tranquillité  pu- 
blique; replaça  sur  la  liste  des  émigrés  beaucoup  de  ceux 
qui  en  avaient  été  rayés,  les  força  ainsi  à  s'expatrier  pour 
éviter  la  peine  de  mort,  prononcée  à  nouveau  contre  les 
émigrés  qui  rentreraient  sans  autorisation;  exigea  de 
ceux  qui  voulaient  rester  le  serment  de  haine  à  la  Royauté, 
et  prit  en  même  temps  les  mesures  les  plus  vexatoires 
pour  obliger  les  fidèles  non  seulement  à  chômer  le  Décadi, 
mais  même  à  ne  pas  fêter  le  dimanche. 

Cet  odieux  système  de  persécutions  à  outrance  créait  à 
M.  de  Pancemont  une  situation  intolérable.  Pour  la  sau- 
ver et  pour  ne  pas  laisser  ses  ouailles  privées  de  secours 
spirituels,  il  n'hésita  pas,  malgré  l'indignation  que  sou- 
levait en  lui  une  contrainte  imposée  par  de  sinistres  jon- 


260  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

gleurs  qui,  eux,  se  faisaient  un  jeu  de  s'affranchir  par  le 
parjure  de  plusieurs  serments  qu'ils  avaient  déjà  prêtés. 
11  prêta  donc  ce  serment  de  haine  à  la  Royauté,  qui  lui 
était  prescrit,  mais  dans  le  sens  de  la  simple  soumission 
due  au  gouvernement  établi,  auquel  l'avait  réduit  le  rap- 
porteur même  de  la  Loi  qui  l'avait  édicté,  le  député 
Chollet,  qui  déclara  officiellement  à  la  tribune  du  Con- 
seil des  Cinq  Cents  «  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  haïr  la 
«  personne  des  rois  ou  les  institutions  des  peuples  voi- 
«  sins  avec  lesquels  la  République  voulait  rester  en  bons 
«  rapports  ;  mais  seulement  le  rétablissement  de  la  Royauté 
«  en  France,  et  par  conséquent,  toute  idée  qui  tendrait 
«  à  renverser  la  République  ». 

Et  il  s'y  crut  autorisé  par  le  Conseil  archiépiscopal  de 
Paris,  qui  laissa  ses  prêtres  libres  d'agir,  en  ces  conjonc- 
tures difficiles,  selon  leur  conscience;  par  M.  Emery,  qui, 
s'il  ne  prêta  pas  ce  serment  et  ne  le  conseilla  à  personne. 
ne  condamna  jamais  ceux  qui  l'avaient  prêté  comme  l'en- 
tendait Chollet;  à  ce  point  qu'un  jour  où  la  question  lui 
avait  été  nettement  posée,  s'il  l'approuvait  oui  ou  non,  il 
s'était  borné  à  répondre  :  «  Je  ne  puis  pas  me  faire  à  l'idée 
d'un  peuple  sans  culte  »  ;  et  aussi  par  le  vénérable  évêque 
de  Marseille,  Mgr  de  Relloy,  qui  allait  bientôt  monter  sur 
le  siège  archiépiscopal  de  Paris  et  être  revêtu  de  la  pour- 
pre romaine,  et  qui,  dans  une  lettre  qu'il  adressait  à  son 
clergé  en  octobre  17i)7,  émettait  l'avis  que  ses  prêtres 
pouvaient,  sans  prévariquer  à  leurs  devoirs,  prêter  ce 
serment,  dans  le  sens,  le  seul  raisonnable,  que  lui  donnait 
le  député  Chollet,  «  et  ajoutait  même  qu'un  puissant  mo- 
tif devait  les  g  engager,  attendu  que  dans  les  circonstan- 
ces malheureuses  où  l'on  se  trou/ait,  le  refus  qu'ils  en  fe- 
raient, produirait  les  plus  grands  maux  à  la  religion  (1)  ». 


(1)  Cette  lettre  est  reproduite  en  entier  par  l'abbé   Délaie,   toc.   cit. 
t.  III,  p.  401  et  402. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  2(31 

Néanmoins,  ce  sacrifice  auquel  il  s'était  soumis  dans 
l'intérêt  de  ses  paroissiens,  leur  fut  peu  profitable.  Impli- 
qué bientôt  après,  quoique  à  tort,  dans  une  conspiration 
royaliste ,  il  ne  put  se  soustraire  aux  poursuites  de  ses 
ennemis  qu'en  prenant,  une  troisième  fois,  la  route  de 
l'exil.  «  Tout  ici  est  déconcerté  pour  la  paroisse,  écrivait 
«  M.  Emery  à  l'abbé  Courtade,  le  10  octobre  1797.  M.  de 
«  Pancemont  a  été  obligé  de  se  retirer  en  Suisse,  comme 
«  n'étant  pas  rayé  de  la  liste  des  émigrés.  Il  a  fait  le 
«  serment  de  haine  avec  la  plupart  des  prêtres  de  son 
«  église.  Voisins  et  Sambucy  ne  l'ont  point  fait;  et  en 
«  conséquence,  ils  ont  cessé  leurs  fonctions  dans  la  pa- 
«  roisse  (1).  »  Mais  les  autres  n'eurent  pas  longtemps  à  les 
exercer  eux-mêmes.  Au  commencement  de  l'année  1798, 
la  tyrannie  du  Directoire  les  obligea  à  se  disperser.  Il 
prétendit  même  à  la  propriété  des  Carmes  et  y  fit  mettre 
les  scellés.  Mais  Mmo  de  Soyecourt  revendiqua  ses  droits 
et  finit  par  obtenir  la  levée  des  scellés.  Quant  au  clergé, 
il  se  vit  interdire  l'accès  de  cette  église  jusqu'à  la  révo- 
lution du  18  Brumaire  an  VIII 1 9  novembre  1799)  qui  déli- 
vra la  France  du  joug  honteux  du  Directoire. 

M.  de  Pancemont  rentra  alors  en  France  et  reprit  ses 
fonctions  pastorales,  après  avoir  donné  la  promesse  de 
fidélité  à  la  nouvelle  Constitution,  exigée  par  le  Gouver- 
nement consulaire  et  autorisée  par  le  Conseil  archiépisco- 
pal. Il  fît  revivre  l'ancienne  organisation  de  la  paroisse 
et,  dès  que  le  Séminaire  fut  rétabli  en  1800,  rue  Saint- 
Jacques,  dans  la  maison  de  la  Vache  noire  (2);  il  obtint  de 
M.  Emery  qu'il  se  rendit  à  l'église  des  Carmes,  comme 


(1)  Mém.  mss.,  art.  de  Pancemont,  p.  77. 

(2)  C'était  là,  à  celte  enseigne,  qu'après  le  9  Thermidor,  Mme  de  Soye- 
court avait  ouvert  une  modeste  auberge  et  que,  sous  le  déguisement  d'une 
cabaretière,  elle  donnait  asile  à  des  piètres  et  à  des  religieux,  qui  pou- 
vaient y  célébrer  la  messe  dans  une  petite  chapelle,  installée  dans  un  ré- 
duit obscur  de  la  maison. 


262  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPIOE. 

autrefois  à  Saint-Sulpice,  pour  la  célébration  des  offices 
des  dimanches  et  des  fêtes,  et  qu'il  partageât  avec  l'abbé 
de  Sambucy  le  soin  des  catéchismes,  qui  se  faisaient  dans 
une  chapelle,  séparée  de  l'église.  Ce  fut  dans  cette  cha- 
pelle qu'en  1801  commencèrent  les  célèbres  conférences 
de  l'abbé  de  Frayssinous. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Premier  Consul,  qui,  «  avec  le 
«  bon  sens  de  son  génie  et  le  sentiment  de  sa  vieille  foi 
«  catholique,  comprenait  qu'on  ne  peut  rien  édifier  ni 
;<  consolider  sans  la  religion,  et  qui  avait  hâte  de  relever 
«  l'édifice  social  pour  y  asseoir  celui  de  sa  puissance  (1)  », 
traita  avec  le  Saint-Siège  du  rétablissement  de  la  Religion 
catholique  en  France  et  signa  avec  lui,  le  15  juillet  1801, 
le  Concordat,  encore  en  vigueur  aujourd'hui,  dont  une 
des  conditions  principales  était  la  destitution  de  l'ancien 
épiscopat  français,  la  nouvelle  circonscription  des  dio- 
cèses, et  le  droit  conféré  au  Premier  Consul  de  nommer 
aux  archevêchés  et  aux  évêchés  de  cette  nouvelle  circons- 
cription. Un  de  ces  évêchés,  celui  de  Vannes,  fut  donné 
par  le  général  Bonaparte  à  M.  de  Pancemont,  qui  avait 
attiré  son  attention  par  le  succès  de  sa  mission  à  Augs- 
bourg,  auprès  de  l'archevêque  de  Paris,  Mgr  de  Juigné, 
dont  il  avait  obtenu  la  démission,  et  qui  lui  avait  été  très 
recommandé  d'ailleurs  par  l'abbé  Bernier  (2),  qui  le 
tenait  en  très  haute  estime. 

M.  de  Pancemont  fut  sacré  à  Notre-Dame,  le  11  avril 
1802  (3),  par  le  Cardinal  Légat  Caprara,  avec  les  abbés 


(1)  L'alibé  Bautain,  De  l'Éducation  en  France  au  xixe  siècle,  p.  29. 

(2)  L'abbé  Bernier  avait  contribué  à  la  pacification  de  la  Vendée  et  avait 
été  l'un  des  plénipotentiaires  du  Premier  Consul  dans  les  négociations  du 
Concordat. 

(3)  Huit  jours  avant  le  Te  Deum  qui  y  l'ut  chanté  le  jour  de  Pâques, 
18  avril,  par  le  même  cardinal  en  présence  du  Premier  Consul,  en  action 
de  grâces  de  la  ratification  du  Concordat  et  de  sa  proclamation  comme  loi 
de  l'État. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  263 

Cambacérès  et  Bernier,  qui  venaient  d'être  nommés  :  le 
premier  à  l'archevêché  de  Rouen,  le  second  à  l'évèché 
d'Orléans. 

En  arrivant  dans  son  diocèse,  il  le  trouva  déchiré  par 
le  schisme  (1)  et  par  les  passions  politiques.  En  peu  de 
temps,  sa  douceur  et  sa  modération  apaisèrent  les  dissen- 
sions religieuses  et  ramenèrent  la  concorde  entre  les  fi- 
dèles; mais  son  attachement  trop  marqué  à  Napoléon  (2), 
l'excès  de  son  zèle  à  le  servir  (3),  ne  firent  qu'aggraver  les 
divisions  politiques,  surexciter  les  esprits  et  envenimer 
leurs  haines,  dont  la  violence  alla  jusqu'à  s'attaquer  à 
sa  personne  par  un  criminel  attentat  qui  le  mena  au 
tombeau. 

Au  matin  du  -23  août  1806,  il  se  rendait,  avec  son  secré- 
taire et  l'un  de  ses  vicaires  généraux,  à  l'église  de  Mon- 
terblanc ,  distante  de  quatre  lieues  de  sa  ville  épiscopale , 
pour  y  donner  la  confirmation,  quand,  en  route,  sa  voi- 
ture est  arrêtée  tout  à  coup  et  conduite  dans  l'intérieur 
des  terres  par  un  groupe  de  cavaliers  armés,  qui  décla- 
rent au  prélat  qu'ils  le  retiendront  jusqu'à  ce  que  le  pré- 
fet ait  remis  en  liberté  deux  personnes  arrêtées  depuis 
peu  comme  complices  d'une  conspiration  royaliste.  Aus- 
sitôt ils  enjoignent  au  vicaire  général  de  retourner  à  Van- 
nes porter  au  préfet  un  billet  qu'ils  lui  remettent  et  où  il 
est  dit  que  si,  sous  huit  heures,  les  deux  prisonniers  ne 
sont  pas  rendus  au  village  de  Lange,  l'évêque  et  son  se- 


(1)  Ms'  Amelot,  l'ancien  évêque  de  Vannes,  n'avait  pas  donné  sa  démis- 
sion, et  beaucoup  de  prêtres  fidèles  persistaient  à  le  regarder  comme  leur 
évêque. 

Les  prêtres  constitutionnels  étaient  nombreux  ;  ils  dominaient  même 
dans  quelques  villes;  et  leur  évêque,  Cbarles  Lemasle,  était  soutenu  par 
le  préfet. 

(2)  Il  avait  accepté  le  titre  d'aumônier  de  la  princesse  de  Piombino, 
l'une  des  sœurs  de  l'Empereur. 

(3)  Voir  sa  lettre  circulaire  à  son  clergé,  du  26  octobre  1805,  au  sujet 
de  la  conscription. 


264  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICG. 

crétaire  seront  fusillés,  et  que  le  même  sort  les  attend,  si 
la  gendarmerie  est  mise  en  mouvement. 

Pour  sauver  les  jours  du  vénérable  prélat ,  le  préfet 
s'empresse  de  faire  élargir  les  deux  prisonniers,  qui  ar- 
rivent à  Lange  à  l'heure  indiquée.  Le  chef  de  la  troupe 
dit  alors  à  Mgr  de  Pancemont  :  «  Je  vais  vous  faire  recon- 
duire sur  la  grande  route.  Mais  avant  de  partir,  vous  allez 
me  donner  votre  parole  que,  rendu  à  Vannes,  vous  me 
ferez  tenir,  demain  ,  avant  midi,  au  lieu  qu'il  vous  plaira 
de  m 'indiquer  :  1°  le  billet  remis,  ce  matin,  à  votre  grand 
vicaire  pour  le  préfet;  2°  votre  anneau  pastoral;  3°  votre 
croix  de  la  légion  d'honneur,  que  j'ai  vue  sur  votre  sou- 
tane; 1°  et  la  somme  de  2  ï.  000  francs  en  or  bien  comptés.  » 
L'évêque  lui  en  fait  la  promesse  et  désigne  comme  lieu 
de  dépôt  le  presbytère  du  curé  d'une  des  paroisses  voi- 
sines de  Vannes.  —  «  Fort  bien!  réplique  le  chef;  mais  je 
retiens  votre  secrétaire  en  otage;  et  si,  demain,  à  midi, 
tous  ces  objets  ne  sont  pas  dans  ce  presbytère,  à  ma  dis- 
position ,  il  sera  passé  par  les  armes.  » 

Le  prélat  regagne  alors  sa  voilure.  Rentré  à  Vannes, 
vers  les  sept  heures  du  soir,  les  témoignages  de  respec- 
tueuse sympathie  qu'il  recueille  de  toutes  parts,  succé- 
dant à  ses  cruelles  émotions  de  la  journée,  le  font  s'é- 
vanouir à  la  porte  de  l'évèché.  A  peine  revenu  à  lui,  il  se 
rend  chez  le  préfet  auquel  il  témoigne  sa  reconnaissance, 
puis  revient  bien  vite  à  l'évèché  pour  s'occuper  de  la  réa- 
lisation des  fonds.  En  moins  d'une  heure,  le  supérieur 
du  Séminaire,  chargé  de  les  recueillir,  a  entre  les  mains 
10.000  francs  de  plus  que  la  somme  exigée.  Le  lendemain 
matin  .  de  bonne  heure,  les  24.000  francs  en  or,  le  billet, 
l'anneau  et  la  croix  étaient  déposés  à  l'endroit  convenu; 
et  le  secrétaire,  rendu  sur-le-champ  à  la  liberté,  reve- 
nait le  soir,  à  Vannes  (1). 

(1)  Mém.  mss.,  art.  de  Pancemont,  p.  90  à  92. 


M.  DE  PANCEMONT  (1788-1802).  265 

Mais  à  dater  de  cet  horrible  guet-apêns,  la  santé  de 
Mgp  de  Pancemont  déclina  de  jour  en  jour.  Le  5  mars  1807, 
il  eut  une  attaque  de  paralysie  et  perdit  à  l'instant  la 
parole  et  la  connaissance  qu'il  ne  recouvra  plus.  Il  mou- 
rut, neuf  jours  après,  le  19  mars,  âgé  de  cinquante- 
deux  ans.  Les  larmes  du  grand  nombre  des  pauvres  qu'il 
secourait,  donnèrent  à  ses  obsèques  un  caractère  touchant. 
L'Empereur  fit  son  éloge,  dans  une  lettre,  datée  du  camp 
de  Trimkestem,  du  5  mai  suivant,  qui  fut  rendue  publi- 
que, et  enjoignit  au  ministre  des  cultes  de  lui  faire  éri- 
ger un  mausolée  dans  sa  cathédrale.  Mais  un  hommage 
plus  digne  encore  de  ses  vertus  lui  fut  rendu  par 
M.  Emery,  qui  le  pleura  comme  un  des  prélats  les  plus 
distingués  par  son  zèle  et  son  dévouement  au  service  de 
l'Église. 


CHAPITRE  XII! 

l'église  saint-sulpice  pendant  la  révolution. 
ses  deux  curés  constitutionnels. 

3  avril  1791  —  1G  mai  1802. 

1°  Le  Père  Poiret.  1791  1792. 

Sommaire  :  Ses  antécédents.  —  Il  prête  serment  de  fidélité  à  la  Constitution 
<  ivile  du  clergé  et  livre  l'église  de  l'Oratoire  à  Talleyrand,  évêque  d'Autun. 
pour  le  Sacre  des  deux  premiers  évèques  constitutionnels.  —  Il  est  proclamé 
Curé  de  Saint-Sulpice  à  Notre-Dame.  —  Sa  réponse  au  Président  franc-ma- 
çon. Pastorct.  —  U  préside  la  procession  de  la  Fêle-Dieu  en  l~'M.  —  Le  Su- 
périeur du  Séminaire  des  Missions  étrangères  lui  refuse  l'entrée  de  son 
église.  —  Sa  mort. 

2    L'abbé  Mahieu.  1792-1802. 

Sa  \ie  antérieure;  son  caractère.  —  Sa  lettre  à  Pétion ,  Maire  de  Paris,  pour 
sauver  les  prêtres  ré.fractaires  après  le  10  août.  —  Sa  protestation  contre  la 
nomination  d'Auhert.  prêtre  marié,  à  la  cure  de  Saint-Augustin  (aujourd'hui 
Notre-Dame  des  Victoires).  —  11  est  incarcéré  à  Sainte-Pélagie.  —  Son  rôle  effacé 
comme  curé  de  Saint-Sulpice  jusqu'à  la  dissolution  de  sa  Fabrique,  le  .">  fé- 
vrier  17!i3. 

L'église  Saint-Sulpice  devient  le  lieu  des  réunions  publiques  de  la  section  du 
Luxembourg.  —  Bureau  d'enrôlement  des  volontaires  ouvert  daus  la  chapelle 
du  Sacré-Cœur.  —  Le  -2  septembre  l~'*-2.  l'Assemblée  générale  de  la  section 
y  vole  la  mise  à  mort  des  prisonniers  des  Carmes.  —  Préméditation  de  ce 
forfait.  —  Rôle  infâme  du  juge  de  paix,  Ceyrat.  président  de  cette  Assem- 
blée. 

Culte  de  la  Raison  tenté  par  Chaumette.  —  L'église  Saint-Sulpice  en  devient 
le  Temple.  —  La  fête  de  cette  déesse  y  est  célébrée  le  13  Frimaire  an  IL  — 
Discours  et  blasphème  de  Ceyrat. 

Culte  de  l'Être  suprême,  substitué  par  Robespierre  à  celui  de  la  Raison.  — 
Organisation  de  ce  culte  et  de  ses  fêtes  par  le  décret  du  7  mai  1791.  —  L'église 
Saint-Sulpice  prend  alors  le  nom  de  Temple  de  l'Etre  suprême. 

Culte  de  la  Théophilanthropie,  qui  remplace  celui  de  l'Être  suprême  à  la  mort 
de  Robespierre.  —  Analyse  de  cette  doctrine.  —  Ses  apôtres;  leurs  réunions 
dans  diverses  églises,  notamment  à  Saint-Sulpice  qu'ils  appellent  le  Temple 
de  la  Victoire.  —  Suppression  de  ce  culte  par  le  Gouvernement  consu- 
laire. 

Banquet  donné  au  général  Bonaparte  dans  l'église   Saint-Sulpice.  trois  jours 


L'EGLISE  SALNT-Sl'LPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.  267 

avant  le  coup  d'État  du  18  brumaire.  —  Arrêté  des  Consuls,  du  -2tj  juillet  1800, 
qui  supprime  le  caractère  obligatoire  des  fêtes  décadaires. 
L'intrus  Mahieu  rentre  eu  possession  de  l'église  Saint-Sulpice.  —  Le  second 
concile  national  des  évêques  constitutionnels  y  tient  ses  séances  particulières 
—  Après  le  Concordat,  l'intrus  Mahieu  cède  la  place  à  M.  de  Pierre.  —  Sa  ré- 
tractation et  sa  mort. 


Dans  l'espace  des  onze  années  écoulées  entre  le  3  avril 
1791,  jour  où  le  clergé  constitutionnel  lui  fut  imposé,  et 
le  16  mai  1802,  jour  où  elle  en  fut  délivrée,  l'église  de 
Saint-Sulpice  n'a  vu  à  la  tète  de  ce  clergé  que  deux  cu- 
rés :  le  Père  Poiret  et  l'abbé  Mahieu. 

1°  LE    PÈRE   POIRET.     1791-1792. 

Le  Père  Poiret  ou  Poirée  (Jean)  était  prêtre  de  l'Ora- 
toire, assistant  du  Supérieur  général  de  sa  congréga- 
tion (1)  et  supérieur  lui-même  de  la  maison  de  Saint-Ho- 
noré.  Toute  sa  vie,  il  avait  combattu  le  jansénisme;  et  ce 
fut  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans  que,  séduit  parles  sophis- 
mes  des  partisans  de  la  Constitution  civile  du  clergé,  il  se 
laissa  entraîner  par  eux  à  prêter  le  serment  qu'elle  pres- 
crivait, le  9  janvier  1791,  à  Notre-Dame,  en  qualité  d'au- 
mônier du  bataillon  de  la  garde  nationale  de  la  section  de 
l'Oratoire  (2). 

La  veille  de  ce  jour  néfaste,  le  Père  Marcel  Pruneau,  de 
l'Oratoire  de  Juilly,  vint  le  voir  et  lui  dit  :  «  Qu'il  est 
«  douloureux  pour  moi,  mon  Révérend  Père,  d'avoir  à 
«  me  séparer  de  vous  pour  la  conduite  à  tenir  dans  une 
«  circonstance  aussi  grave,  après  avoir  recueilli  de  votre 
«  bouche  et  de  votre  cœur  des  leçons  si  solides  sur  la  né- 


(1)  Le  Père  Moisset,  supérieur  général  de  l'Oratoire,  étant  mort  le  18  dé- 
cembre 1790,  le  Régime  de  la  congrégation  se  composait  des  trois  as- 
sistants, dont  le  P.  Poiret  était  l'un,  et  du  Procureur  général. 

(2)  On  donnait  à  ces  aumôniers  le  litre  pompeux  d'Aumôniers  de  la 
Nation. 


208  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  cessité  de  l'obéissance  aux  décisions  de  l'Eglise  (1).  » 
Ce  langage,  ses  confrères  le  lui  tinrent  plus  pressant 
encore.  Rien  n'y  fit;  et  il  eut  le  triste  courage  de  se  sé- 
parer d'eux  pour  aller,  seul  de  sa  maison,  ternir  ses  che- 
veuv  blancs  par  cet  indigne  serment. 

Quinze  jours  après,  il  commit  une  action  bien  plus 
coupable  encore,  en  souscrivant,  contre  le  gré  de  tous 
ses  confrères,  à  la  demande  que  lui  fit  Talleyrand,  révo- 
que d'Autun,  de  lui  prêter  son  église  de  l'Oratoire,  pour 
sacrer  lui-môme  les  deux  premiers  évêques  constitution- 
nels :  Expilly,  évèque  du  Finistère,  et  Marolles,  évèque 
de  l'Aisne  (2),  et  consommer  ainsi  le  schisme. 

11  n'eut  pas  à  attendre  longtemps  la  récompense  de  sa 
criminelle  faiblesse.  A  la  fin  du  mois,  le  30  janvier,  il  fut 
nommé  curé  de  Saint-Sulpice  par  l'Assemblée  électorale 
du  district  de  Paris,  à  la  presque  unanimité  des  voix  (3). 
La  proclamation  solennelle  du  vote  eut  lieu  à  Notre-Dame , 
le  6  février.  Elle  fut  faite  par  le  président  de  l'assemblée, 
le  franc-maçon  Pastoret,  qui,  dans  le  discours  qu'il  adressa 
au  nouveau  curé,  osa  présenter  ce  système  d'élections 
comme  un  moyen  sur  de  pu  ri  fier  le  christianisme  :  «  Mes- 
«  sieurs,  dit-il,  cinq  siècles  se  sont  bientôt  écoulés  depuis 
«  que  les  Français,  convoqués  pour  la  première  fois  en 
«  États  Généraux,  se  rassemblèrent  dans  ce  temple  môme 
«  pour  arrêter  les  entreprises  des  Pontifes  romains.  On 
«  dirait  que  le  séjour  auguste  où  nous  venons  demander 


(1)  V.  notre  Histoire  de  Juilly  ,  p.  165. 

r>)  Ce  fut,  en  effet,  à  l'église  de  l'Oratoire  du  Louvre  que  Talleyrand 
sacra  ces  deux  premiers  évêques  constitutionnels,  le  25  février  1791  ,  avec 
l'assistance  de  Gobel,  qui  sept  mois  auparavant,  le  1er  juin  1790,  avait 
protesté  à  l'Assemblée  nationale  contre  les  principes  de  la  Constitution 
civile,  d  de  Miroudot,  évèque  de  Babylone.  Voir  de  curieux  détails  sur 
cet  ardent  prôneur  de  la  simplicité  de  l'Église  primitive  dans  l'ouvrage 
de  l'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  413.  Voir  le  discours  de  Gobel  à  l'Ass. 
nat.  du  l"  juin  1790.  Ibid.,  t.  I,  p.  409. 

(3    Par  436  voix  sur  488.  Delarc,  ibid.,  p.  419. 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.        260 

«  et  recevoir  les  inspirations  de  la  divinité,  fut  marqué 
«  dans  tous  les  temps  par  l'Éternel  comme  le  lieu  où  doit 
«  se  purifier  et  s'affermir  le  christianisme.  » 

La  réponse  du  Père  Poiret  ne  fut  rien  moins  qu'évan- 
gélique  :  «  Si  je  calculais  mes  forces,  dit-il  à  son  tour, 
mon  âge,  l'insuffisance  de  mes  talents,  les  menaces,  la 
rage  de  la  superstition,  de  l'hypocrisie,  les  fureurs 
d'une  cause  criminelle  et  détestable  (celle,  bien  en- 
tendu, des  prêtres  qui  n'avaient  pas  prêté  le  serment), 
je  serais  tenté  de  suspendre  les  effets  de  ma  bonne  vo- 
lonté; mais  ce  serait  un  scandale  pour  la  nation,  pour 
l'Église,  et  pour  les  amis  éclairés  de  la  Constitution. 
J'obéis.  »  Et  il  ajoute  un  peu  plus  loin  :  «  Nous  ferons 
entendre  la  raison  souveraine ,  comme  la  directrice  des 
mœurs;  si  vous  l'écoutez  attentivement,  il  n'y  aura 
plus  que  de  la  sincérité  dans  le  commerce  de  la  parole, 
de  la  fidélité  dans  les  promesses,  de  la  bonne  foi  dans 
les  conventions,  de  la  modestie  dans  les  sentiments,  de 
la  modéralion  dans  les  procédés,  une  amitié  cordiale 
et  universelle  pour  tous  les  hommes  avec  qui  nous 
avons  à  vivre,  en  nous  considérant  tous  comme  les  ci- 
toyens d'une  même  ville,  comme  les  enfants  d'un 
même  Père,  comme  les  membres  d'un  même  corps 
dont  la  fin  essentielle  est  de  concourir  tous  ensemble  à 
leur  conservation  réciproque  (1).  » 
Qu'attendre  pour  le  bien  spirituel  de  sa  paroisse  d'un 
curé  qui  oubliait  à  ce  point  son  caractère  sacerdotal!  et 
que  fût  devenue  la  France  si  un  pareil  schisme  avait  duré 
longtemps! 

Cependant,  le  Père  Poiret  ne  prit  possession  de  la  cure 
de  Saint-Sulpice  que  le  3  avril  suivant.  Ce  retard  dans 
son  installation  fut  motivé  par  celui  qu'occasionna  la  no- 


(1)  L'abbé  Délaie,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  420. 


270  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

mi  nation  de  Gobel  comme  archevêque  de  Paris,  qui  n'eut 
lieu  que  le  13  mars,  sur  le  refus  de  Sieyès  (1). 

Aucun  fait  saillant  ne  signala  son  administration  cu- 
riale,  si  ce  n'est  que,  lors  de  la  Fête-Dieu  de  1792,  il  fit 
avertir  le  Supérieur  du  séminaire  des  Missions  étran- 
gères que  la  procession  de  Saint-Sulpice  s'arrêterait  dans 
sa  chapelle.  Au  jour  de  la  fête,  la  procession  sortit  sous 
une  pluie  battante;  mais  arrivée  rue  du  Bac,  en  face  du 
Séminaire,  elle  trouva  les  portes  de  sa  chapelle  fermées. 
Le  Père  Poiret  ne  chercha  pas  à  y  pénétrer  et  donna  l'or- 
dre à  la  procession  de  continuer  sa  marche.  Mais  la  po- 
pulace, irritée  de  la  résistance  du  Supérieur,  se  rua  dans 
l'intérieur  du  Séminaire  qu'elle  saccagea,  et  il  fallut  l'in- 
tervention de  la  force  armée  pour  l'en  chasser  ("2). 


(1)  Ce  ne  fut  même  que  le  27  mars  que  l'installation  de  l'intrus  Gobel 
eut  lieu  à  Notre-Dame.  L'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  431  et  43L 

(2)  L'abbé  Delarc ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  104. 

Cet  épisode  est  ainsi  raconté  par  M.  Launay,  au  t.  II,  p.  273  et  sui- 
vantes, de  sa  très  intéressante  Histoire  de  la  Société  des  Missions  étran- 
gères, couronnée  récemment  par  l'Académie  française  : 

«  Le  14  juin,  un  des  piètres  intrus,  nouvellement  établis  dans  la  paroisse 
Saint-Sulpice,  vint,  accompagné  de  deux  commissaires  de  la  section  de  la 
Croix-Rouge,  avertir  M.  Hody  que  la  procession  entrerait  dans  l'église  des 
Missions  étrangères  etil  l'invita  à  la  recevoir.  M.  Hody  refusa.  «  Nous  nous 
«  opposons  autant  qu'il  est  en  nous,  répondit-il ,  à  ce  que  la  procession  entre 
«  dans  notre  église;  puisque  la  Constitution  a  décrété  la  liberté  des  cultes, 
"  nous  voulons  en  profiter;  nous  ne  sommes  pas  de  la  même  religion  que 
«  ces  messieurs  de  la  paroisse  de  Saint-Sulpice;  nous  ne  voulons  pas 
«  avoir  de  communications  avec  eux;  nous  n'allons  pas  les  troubler  dans 
«  leur  église,  qu'ils  nous  laissent  tranquilles  chez  nous.  » 

«  Et  le  vieux  Supérieur  exhiba  un  arrêté  du  département  et  de  la  muni- 
cipalité qui  déclarait  que  personne  ne  pouvait  être  contraint  de  tendre  les 
rues  pour  la  procession  du  Saint-Sacrement;  que  les  voilures  rouleraient  li- 
brement sans  être  obligées  de  s'arrêter...  «  A  plus  forte  raison,  concluait-il, 
ci  nous  ne  pouvons  être  forcés  de  recevoir  la  procession  dans  notre  église.  » 

«  En  1792,  la  liberté  religieuse  était  encore  assez  mal  comprise,  en 
France,  de  même  qu'elle  l'a  été  plusieurs- fois  depuis;  elle  n'était  guère 
accordée  qu'aux  amis  du  Gouvernement,  fidèles  à  la  Constitution  civile 
et  rebelles  à  l'Église.  Le  supérieur  du  Séminaire,  moins  expérimenté  que 
ne   peuvent   l'être  ses  successeurs,  avait  sans  doute  cru  son    argument 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         271 

Il  mourut  peu  de  temps  après,  le  16  juillet  1792,  sans 
s'être  rétracté,  entre  les  bras  de  prêtres  j  tireurs  comme 
lui,  qui  fermèrent  sa  porte  à  tous  ses  anciens  confrères. 


2°  l'abbé  mahieu. 1792-1802. 

L'abbé  Mahieu  (Jacques-Antoine),  qui  lui  succéda, 
était  né,  en  1734,  au  diocèse  de  Goutances.  Il  était  vi- 
caire à  Saint-Germain  l'Auxerrois,  quand  il  prêta  le  ser- 
ment, le  9  janvier  1791,  et  suivit  le  Père  Poiret  à  Saint- 
Sulpice,  en  qualité  de  son  premier  vicaire.  11  en  fut 
nommé  curé,  à  sa  place,  le  5  août  1792.  à  l'âge  de  cin- 
quante-huit ans. 

C'était,  lui  aussi,  une  tète  faible,  qui  s'était  laissé  en- 
traîner à  l'erreur  par  des  fanatiques  jureurs,  mais  au 
fond  une  âme  honnête.  Un  de  ses  premiers  actes,  comme 
curé  constitutionnel  de  Saint-Sulpice,,  l'honore  et  mérite 


excellent.  Les  commissaires  le  détrompèrent  et  lui  donnèrent  l'ordre  de 
tenir  l'église  ouverte  et  oinée.  «  Elle  sera  ouverte  et  ornée,  répondit 
«  M.  Hody,  non  à  cause  de  la  procession,  mais  à  cause  de  la  fête.  »  Les 
officiers  municipaux  s'inquiétaient  peu  du  motif,  pourvu  que  l'effet  de- 
mandé fût  obtenu;  ils  se  retirèrent  en  se  déclarant  salisfaits. 

«  M.  Hody  l'était  moins;  il  ne  pouvait,  sans  une  peine  profonde,  songer 
que  son  église  serait  profanée  par  une  cérémonie  religieuse  célébrée  par 
des  prêtres  schismatiques.  Il  agit  auprès  du  Département  et  de  la  munici- 
palité qui  l'autorisèrent  expressément  à  refuser  l'entrée  à  la  procession. 

«  Celte  autorisation,  notifiée  au  curé,  suffit  pour  sauvegarder  l'église, 
où  entrèrent  seuls  quelques  énergumènes,  qui,  d'ailleurs,  n'y  restèrent  pas 
longtemps.  Préservé  d'un  malheur,  le  Séminaire  retombait  dans  un  autre; 
le  soir  de  ce  môme  jour,  il  fut  envahi  par  plusieurs  bandes  d'ouvriers 
qui  parcoururent  la  maison,  frappant  le  vénérable  M.  Bramany,  âgé  de 
plus  de  quatre-vingts  ans.  Un  détachement  de  soldats  de  la  caserne  de 
Babylone  fut  appelé  et  les  chassa.  Enfin,  pour  apaiser  les  esprits,  les 
commissaires  du  quartier,  à  la  tête  de  quinze  à  vingt  gardes  nationaux, 
firent  une  visite  domiciliaire  et,  en  sortant,  affirmèrent  sous  serment  que 
l'établissement  ne  recelait  aucune  arme.  Les  ouvriers  se  dispersèrent  alors, 
quoiqu'en  maugréant.  » 


272  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

d'être  cité.  Le  joui'  même  de  la  chute  de  la  Royauté,  le 
10  août,  la  Commune  avait  envoyé  aux  diverses  sections 
de  Paris  la  liste  des  évèques  et  des  prêtres  non  assermen- 
tés, avec  l'ordre  de  les  arrêter  et  de  les  conduire  soit  aux 
Carmes,  soit  au  Séminaire  de  Saint-Firmin,  rue  Saint- 
Victor;  et  pour  justifier  ces  arrestations,  elle  avait  in- 
venté le  prétexte  que  des  prêtres  avaient  été  vus  au  châ- 
teau faisant  feu  sur  le  peuple  avec  les  Suisses. 

La  section  du  Luxembourg,  qui  se  distinguait  par  son 
fanatisme  et  dans  la  circonscription  de  laquelle  les  mai- 
sons religieuses  étaient  le  plus  nombreuses,  applaudit  à 
cet  ordre  et  s'empressa  de  le  faire  exécuter.  L'abbé  Ma- 
hicu,  redoutant  les  violences  dont  les  prêtres  incarcérés 
ne  manqueraient  pas  d'être  victimes,  ■ —  la  commune 
ne  dissimulait  pas  son  intention  de  les  faire  monter  à 
Féchafaud  (1),  —  écrivit  à  Pétion,  Maire  de  Paris  de- 
puis la  démission  de  Bailly  (2),  la  lettre  suivante  :  «  Mon- 
«  sieur,  je  crois  qu'il  est  essentiel  de  vous  prévenir  que 
«  l'on  se  propose  de  fondre,  demain  dimanche,  sur  tous 
«  les  prêtres  réfractaires  qui  ont  coutume  de  dire  la 
«  messe  dans  les  différentes  communautés  religieuses  qui 
"  se  trouvent  dans  l'étendue  de  la  paroisse  que  l'Assem- 
«  blée  électorale  vient,  à  votre  recommandation,  de  con- 
«  fier  à  mes  soins.  Pour  éviter  tout  malheur,  tout  scan- 
«  dale,  toute  effusion  de  sang  humain,  ne  serait-il  pas 
«  à  propos  que  vous  donnassiez  des  ordres  pour  fermer 
«  les  portes  de  ces  sortes  d'églises?  Quoique  rien  n'é- 
«  chappe  à  la  vigilance  de  celui  que  nous  pouvons  re- 
«  garder  comme  le  libérateur  de  la  France,  je  me  ha- 
«  sarde  à  lui  faire  part  de  mes  vues  charitables.  Kecevez 
«  les  nouvelles  assurances  de  ma  reconnaissance  et  de 
«  mon   respectueux  dévouement.  Mahieu,  curé  désigné 


(1)  Procès-verbaux  de  la  commune  de  Paris,  séance  du  11  aonl  1792. 

[2)  Bailly  avait  donné  sa  démission  en  novembre  1791. 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         273 

«  de  la  paroisse  Saint-Sulpice.  Ce  11  août,  l'an  IV  de  la 
«   liberté  (1).  » 

Il  fut  encore  l'un  des  quatre  curés  constitutionnels  (2j 
qui  protestèrent  contre  la  promotion  d'un  prêtre  marié  à 
l'une  des  principales  cures  de  Paris  (3)  et  contre  la  scan- 
daleuse faiblesse  de  Gobel  qui,  par  peur  des  Jacobins, 
manqua  à  tous  ses  devoirs  d'évèque  et  de  pasteur  en  don- 
nant à  Notre-Dame,  le  jour  de  l'Ascension  1793,  à  ce  prêtre 
concubinaire  public  l'institution  canonique  et  l'accolade 
en  signe  d'adoption. 

Cet  acte  de  courage  de  l'abbé  Mahieu ,  en  face  de  la 
Commune,  favorable  au  mariage  des  prêtres,  faillit  lui 
coûter  cher.  Il  fut  incarcéré  à  Sainte-Pélagie,  cité  devant 
le  tribunal  révolutionnaire,  et  ne  dut  sa  mise  en  liberté 
qu'au  décret  du  12  août  1793  qui  annulait  les  poursuites 
antérieures,  dirigées  contre  ceux  qui  avaient  cherché  à 
mettre  obstacle  au  mariage  des  prêtres. 

Comme  curé  constitutionnel  de  Saint-Sulpice,  son  rôle 
fut  des  plus  effacés.  Il  avait  été  installé  le  19  août  1792, 
jour  où  un  décret  de  l'Assemblée  législative,  en  pronon- 
çant la  suppression  des  Fabriques,  avait  frappé  à  mort  la 
nouvelle  église  des  jureurs.  Ce  jour-là  même,  sans  doute 
pour  perpétuer  le  joyeux  souvenir  de  son  avènement, 
son  Conseil  de  Fabrique  avait  jugé  à  propos  de  changer  le 


(1)  Pétion,  de  connivence  avec  Robespierre,  encore  son  ami,  —  ils  ne 
se  brouillèrent  que  trois  mois  plus  tard,  —  et  avec  la  Commune,  qui  le  con- 
servait à  la  Mairie,  où  il  touebait  un  traitement  annuel  de  75.000  livres, 
ne  donna  aucune  suite  à  cette  lettre. 

(2)  Les  trois  autres  étaient  Lemaire,  curé  de  Sainte-Marguerite,  Leblanc 
de  Beaulieu,  curé  de  Saint-Séverin,  et  Brugière,  curé  de  Saint-Paul. 

(3)  Ce  prêtre  était  Aubert,  qui,  quoique  marié  depuis  plus  d'un  an,  rem- 
plissait toujours  les  fonctions  de  vicaire  à  l'église  de  Sainte-Marguerite, 
et  qui,  à  la  mort  de  M.  Morel,  curé  de  la  paroisse  de  Saint-Augustin,  — • 
l'ancienne  église  des  Petits-Pères  maintenant  l'église  de  Notre-Dame  des 
Victoires,  —  venait  d'être  élu,  par  le  corps  électoral,  curé  de  cette  impor- 
tante paroisse. 

ÉCMSE   SAINT-SULPICE.  18 


274  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

costume  des  suisses  et  des  enfants  de  chœur,  et  décidé 
qu'à  raison  de  la  nature  des  circonstances  les  suisses  se- 
raient habillés  dorénavant  en  gardes  nationaux  et  que  les 
enfants  de  chœur  porteraient  chacun  une  redingote  de 
drap  pluché,  de  la  couleur  la  plus  solide,  et  un  chapeau 
rond  (1  ) . 

Ce  fut  là  le  dernier  vote  de  ce  Conseil.  Il  se  réunit  en- 
core le  11  octobre  suivant,  pour  décider  qu'il  continuerait 
ses  fonctions  jusqu'à  la  promulgation  du  décret  du 
19  août.  Mais  déjà,  le  28  septembre,  le  Conseil  général  de 
la  Commune  avait  pris  un  arrêté  qui  faisait  cesser  les 
traitements  et  salaires  de  tous  les  serviteurs  de  l'Église  à 
partir  du  lei  janvier  1793.  Et,  le  5  février  suivant,  il  tint 
sa  dernière  séance  pour  constater  la  promulgation  du 
décret  et  se  dissoudre  ensuite. 

De  ce  jour-là,  on  n'entendit  plus  parler  du  clergé 
constitutionnel  de  la  paroisse,  qui  ne  reprit  ses  fonc- 
tions qu'après  le  18  Brumaire. 

En  réalité,  l'église  de  Saint-Sulpice  cessa  désormais 
d'être  un  sanctuaire  pour  devenir  un  lieu  de  réunions 
publiques,  dont  le  comité  de  la  section  du  Luxem- 
bourg (2)  disposait  en  maître,  pour  la  tenue  de  ses  as- 
semblées comme  pour  celle  de  certains  de  ses  bureaux. 

Déjà,  après  la  proclamation  de  la  patrie  en  danger  par 
l'Assemblée  législative,  le  11  juillet  1792,  la  section 
avait  installé  dans  la  chapelle  du  Sacré-Cœur  un  bureau 
d'enrôlement  des  engagés  volontaires. 

Ce  fut  à  Saint-Sulpice  que,  le  2  septembre  suivant,  elle 
tint  son  Assemblée  générale  qui  vota  la  mise  à  mort  des 


(1)  Nau,  Rapport  sur  les  archives  de  Saint-Sulpice ,  p.  95. 

(2)  La  Section  du  Luxembourg  était  l'ancien  District  des  Carmes,  qui, 
en  1793,  prit  le  nom  de  Section  de  Mucius  Scxvola,  pour  reprendre, 
en  1795,  celui  de  Section  du  Luxembourg,  devenir,  en  1801,  la  division 
du  Luxembourg,  et  s'appeler,  en  1813,  le  quartier  du  Luxembourg,  nom 
qui  lui  est  resté. 


L'ÉGLISE  SA1JNT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         275 

prisonniers  des  Carmes  et  qui  trouva  parmi  ses  membres 
les  exécuteurs  de  cet  horrible  forfait. 

Dès  le  11  août,  au  matin,  elle  avait  fait  appel  aux  pa- 
triotes les  plus  hostiles  au  clergé ,  leur  avait  donné  ses 
instructions  et  leur  avait  fait  faire  des  perquisitions  dans 
tous  les  quartiers  de  la  paroisse;  le  soir,  elle  comptait 
cinquante  prêtres  arrêtés,  réunis  dans  la  cour  du  grand 
Séminaire,  où  elle  tenait  ses  séances,  et  les  envoyait  à 
l'église  des  Carmes  convertie  en  prison.  Parmi  eux,  se 
trouvaient  le  vénérable  archevêque  d'Aix,  Mgr  du  Lau,  et 
Messieurs  de  La  Rochefoucauld ,  les  deux  frères,  l'un  évê- 
que  de  Beauvais,  l'autre  évèque  de  Saintes.  Les  jours 
suivants,  elle  fit  continuer  ces  visites  domiciliaires,  spé- 
cialement dans  les  trois  établissements  dépendant  du 
grand  Séminaire  :  la  communauté  des  Robertins  (1), 
celle  des  Philosophes,  et  le  petit  Séminaire;  dans  leurs 
maisons  de  campagne  d'Issy  et  de  Vaugïrard,  et  à  la 
Solitude  (2)  ;  et  bientôt  cent  trente  nouvelles  arrestations 
portaient  à  cent  quatre-vingts  le  nombre  des  ecclésiasti- 
ques détenus  aux  Carmes.  Les  mêmes  procédés  avaient  été 
employés  dans  les  diverses  autres  sections,  en  sorte  que 
vers  le  22  août,  les  neuf  prisons  de  Paris  regorgeaient  de 
prêtres  incarcérés  (3). 

C'était  le  prélude  de  l'œuvre  exécrable  de  leur  mas- 
sacre, «  guet-apens  prémédité  par  la  Commune,  Danton, 
et  quelques  autres  scélérats,  comme  Marat,  Robespierre, 
Manuel,  Hébert,  Billaud-Varennes,  Denis,  Sergent,  Fabre 


(1)  C'était  une  communauté  de  jeunes  gens  se  destinant  à  l'état  ecclé- 
siastique, ainsi  appelée  du  nom  de  M.  Robert,  un  de  ses  supérieurs  et 
principaux  bienfaiteurs. 

(2)  Nom  donné  au  noviciat  et  à  la  maison  de  retraite  du  grand  Sémi- 
naire. Elle  est  toujours  située  à  Issy. 

(3)  Ces  neuf  prisons  étaient  celles  de  l'Abbaye,  de  la  Force,  du  Châtelet, 
de  la  Conciergerie,  des  Bernardins,  des  Carmes,  de  Saint-Firmin,  de  Bicètre 
et  de  la  Salpêtriére. 


2/6  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

d'Églantine  et  Camille  Desmoulins,  qui  voulaient  s'im- 
poser et  se  maintenir  an  pouvoir  par  la  Terreur  (1).  Et 
«  personne  n'en  doutait  »,  dit  Michelet  dans  son  Histoire 
de  la  Révolution  (2);  si  bien  que  les  ehefs  du  mouve- 
ment se  hâtèrent  de  sauver  ceux  de  ces  prêtres  auxquels 
ils  s'intéressaient  :  Tallien,  en  faisant  évader  Lhomond 
de  la  Force  ;  Robespierre ,  en  faisant  reléguer  dans  une 
cellule  de  l'étage  supérieur  du  couvent  des  Carmes  son 
vieux  maître,  l'abbé  Béraudier,  ancien  principal  du  col- 
lège Louis-le-Grand ,  qui  lui  avait  obtenu  une  gratifica- 
tion de  600  livres  à  la  fin  de  ses  études  dans  ce  collège, 
comme  boursier  de  celui  d'Arras,  «  pour  sa  bonne  con- 
duite et  ses  succès  dans  ses  classes  (3)  ». 

L'Assemblée  nationale  elle-même  essaya  de  les  sauver 
tous,  en  votant,  le  26.  la  déportation  à  la  Guyane  de  tous 
les  prêtres  qui  n'auraient  pas  prêté  le  serment  dans  les 
quinze  jours  de  la  date  de  son  décret. 

Mais  la  Commune,  dans  la  crainte  de  voir  ainsi  sa  proie 
lui  échapper,  prit  les  devants  et  fixa  le  massacre  au  2  sep- 
tembre, à  trois  heures  de  l'après-midi,  après  le  troisième 
coup  de  canon  qui  serait  tiré. 

Ce  jour-là.  à  une  heure.  l'Assemblée  générale  de  la 
section  du  Luxembourg  se  réunit  dans  l'église  Saint- 
Sulpice  ,  sous  la  présidence  de  Joachim  Ceyrat ,  nouvelle- 
ment élu  juge  de  paix  (i),  «  pour  délibérer,  avait  crié  le 


(1)  Wallon,  la  Terreur,  t.  I,  p.  32. 

(2)  T.  IV,  p.  121. 

(3)  A  Sorel,  le  Couvent  des  Cannes,  p.  76,  en  note. 

(4)  Ce  Ceyrat  était  un  ancien  clerc  tonsuré  de  Clermont-Ferraml,  un 
ancien  Roberlin  de  Saint-Sulpice ,  et  qui  donnait  des  leçons  de  mathé- 
matiques avant  d'être  juge  de  paix. 

C'était  lui  qui,  le  soir  du  11  août,  en  sa  qualité  de  commissaire  de  la 
Section,  avait  conduit  aux  Carmes  les  50  premiers  prêtres  arrêtés  sur  la 
paroisse.  «  Il  marchait  à  notre  tête,  dit  l'un  d'eux,  et  avait  eu  soin  de 
nous  placer  deux  par  deux  entre  deux  gardes  bien  armés  et  nous  enjoi- 
gnant de  leur  donner  le  bras.  Ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  se  retourner 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  REVOLUTION.         277 

tambour  (1),  sur  les  mesures  à  prendre  dans  l'intérêt  gé- 
néral ».  Un  détachement  de  gardes  nationaux,  com- 
mandé par  le  citoyen  Tanche,  stationnait  dans  la  rue 
Palatine.  Le  matin,  Ceyrat  était  allé  aux  Carmes  faire 
lui-même  l'appel  des  prisonniers,  pour  s'assurer  de  leur 
présence ,  et  il  n'avait  pas  manqué  d'inviter  à  la  réunion 
de  Saint-Sulpice  les  braves  fédérés  marseillais,  auxquels 
la  section  avait  offert  l'asile  de  la  Fraternité ,  en  les  lo- 
geant, à  leur  arrivée  à  Paris,  au  couvent  des  Corde- 
lie  rs  (2). 

Quand  on  fut  en  nombre  pour  délibérer  et  que  la 
séance  fut  ouverte,  un  marchand  de  vins  de  la  cour  des 
Fontaines,  nommé  Prière,  monta  dans  la  chaire,  changée 
en  tribune ,  et  déclara  qu'il  fallait  marcher  au  plus  vite 
contre  les  Prussiens ,  dont  on  venait  d'annoncer  l'arrivée 
devant  Verdun,  mais  que  quant  à  lui  il  ne  bougerait  pas, 
tant  qu'on  ne  se  serait  pas  débarrassé  des  individus  ren- 
fermés dans  les  prisons  mais  surtout  des  prêtres  détenus 
aux  Carmes. 

Accueillie  avec  répugnance  par  beaucoup  d'assis- 
tants, cette  déclaration  causa  dans  l'assemblée  une 
vive  agitation,  dont  un  sieur  Carcel,  horloger  rue  des 
Aveugles,  profita  pour  faire  observer  que  s'il  pouvait  y 
avoir  des  coupables  dans  les  prisons ,  il  y  avait  aussi  des 
gens  qui  ne  l'étaient  pas  et  qu'assurément  les  citoyens 
honnêtes  ne  voudraient  pas  tremper  leurs  mains  dans  le 
sang  des  innocents;  et  il  proposa,  en  conséquence,  de 


souvent,  soit  pour  admirer  l'ordre  de  la  marche,  soit  pour  veiller  à  ce 
qu'aucun  des  prisonniers  n'échappât  à  la  vigilance  des  gardes.  »  A  Sorcl, 
ibid.,  p.  58. 

(1)  Les  convocations  à  ces  assemblées  se  faisaient  à  son  de  caisse,  et  le 
tambour  en  annonçait  l'objet. 

(2)  «  Ces  Marseillais,  dit  Michelet,  quoique  tous  jeunes,  étaient  déjà 
«  de  vieux  batailleurs  de  guerre  civile,  très  endurcis  et  faits  au  sang.  » 
Histoire  de  la  Révolution  française,  t.  III,  p.  530. 


278  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPICE. 

nommer  une  Commission  de  six  membres,  choisis  dans 
l'Assemblée ,  qui  se  rendraient  de  suite  aux  Carmes  pour 
interroger  les  prisonniers  et  déférer  aux  tribunaux 
ceux-là  seuls  qu'ils  reconnaîtraient  coupables. 

Cette  motion,  suivie  d'un  murmure  approbateur,  allait 
peut-être  être  votée,  quand  le  président  s'écria  :  «  Tous 
«  ceux  qui  sont  détenus  aux  Carmes  sont  coupables, 
«  et  il  est  temps  que  le  peuple  en  fasse  justice.  »  Et  don- 
nant la  priorité  à  la  motion  de  Prière ,  il  la  mit  aux 
voix,  et  elle  fut  approuvée  par  la  majorité.  En  même 
temps,  trois  commissaires,  les  sieurs  Lohier,  Lemoine  et 
Richard,  furent  nommés  pour  se  rendre  à  la  Commune 
et  lui  communiquer  ce  vœu,  afin  de  pouvoir  agir  d'une 
manière  uniforme. 

Au  moment  de  partir,  un  de  ces  commissaires,  le  sieur 
Lohier,  demanda  à  l'Assemblée  comment  on  entendait 
se  débarrasser  des  prisonniers  d'une  manière  uniforme. 
«  Par  la  mort,  »  s'écrièrent  plusieurs  voix  et  le  président 
lui-même. 

A  ces  mots,  ses  sicaires  sortent  comme  des  furieux  de 
l'église,  suivis  des  fédérés  marseillais  (1).  De  son  côté  Car- 
cel.  qui  ne  connaît  que  trop  bien  leur  dessein,  court  à 
la  porte  Saint-Jean  avertir  le  commandant  Tanche  et  le 
supplier  de  marcher  au  plus  vite  avec  ses  hommes  au  se- 
cours des  prisonniers.  Mais  le  lâche  ne  bouge  pas  et  laisse 
le  champ  libre  aux  assassins.  Au  coin  de  la  rue  du  Vieux- 
Colombier,  ces  forcenés  rencontrent  la  bande  de  Maillard, 
qui,  ne  trouvant  plus  de  victimes  à  l'Abbaye,  venait  en 
chercher  de  nouvelles;  et  tous  ensemble,  ils  pénètrent 


(1)  «  Ces  braves,  dit  de  son  côté  M.  Mortimer-Ternaux,  après  être 
restés  deux  mois  à  Paris,  et  s'y  être  gorgés  de  vols  et  de  sang,  en 
jouant  un  rôle  aclif  dans  le  pillage  des  Tuileries  et  les  massacres  de  sep- 
tembre, ne  songèrent  pas  du  tout  à  rejoindre  l'armée  à  Valmy.  Loin  de  là, 
ils  tournèrent  le  dos  au  danger  et  demandèrent  à  retourner  à  Marseille.  » 
Histoire  de  la  Terreur,  t.  III,  p.  126. 


L'ÉGLISE  SAINT- SULPICE  PENDANT  LA  REVOLUTION.         279 

aux  Carmes  aux  crix  de  :  Vive  la  Nation ,  mort  aux  Ré- 
frac t  aires  (1). 

En  moins  de  deux  heures,  sur  180  prêtres  qui  y  étaient 
détenus,  11  k  tombèrent  sous  les  coups  de  ces  scélérats, 
martyrs  glorieux  qui  préférèrent  cette  mort  sanglante  à 
l'apostasie.  Parmi  ces  saintes  victimes,  l'église  de  Saint- 
Sulpice  a  l'insigne  honneur  de  compter  six  de  ses  prêtres, 
savoir  :  quatre  des  vicaires  de  M.  de  Pancemont,  qui 
l'entouraient  lors  de  son  refus  de  prêter  le  serment  : 
Messieurs  Dubray  (Thomas-Nicolas)  ;  Texier,  Joseph  Mar- 
tial ;  Massin  (Jean)  ;  et  Ponthus  (Jean-Michel  (2)  ;  un 
autre  prêtre,  Tessier  Jean-Baptiste,  désigné  sur  la  liste  of- 
ficielle des  victimes  comme  Prédicateur  de  Saint-Sulpice; 
et  le  Père  Morel  des  Prés  (Jean-Jacques)  capucin,  le  vi- 
caire des  Allemands,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
page  241,  en  note    3). 

A  dater  de  cette  journée  lugubre  du  2  septembre  (4), 
les  assemblées  à  l'église  Saint-Sulpice  devinrent  de  plus 
en  plus  fréquentes ,  quotidiennes  même ,  à  mesure  que 
l'état  d'anarchie  et  de  désorganisation  sociale  produit 
par  la  chute  de  la  Royauté ,  au  10  août,  donnait  aux 
diverses  sections  de  Paris,  et  surtout  à  celle  du  Luxem- 
bourg, l'une  des  plus  violentes,  un  rôle  plus  considé- 
rable dans  les  affaires  publiques.  Elles  se  tenaient  ordi- 


(1)  A  Sorel,  le  Couvent  des  Carmes,  p.  118  à  137. 

(2)  Trois  autres  vicaires  de  M.  de  Pancemont,  MM.  de  Douay,  Grayot 
de  Keravenant  et  Pradignac,  incarcérés  également  aux  Carmes,  purent 
échapper  au  massacre. 

(3)  Il  y  a  lieu  d'espérer  maintenant  que  la  procéJure  préparatoire  à 
l'introduction  de  la  cause  de  la  béatification  des  prêtres  martyrisés  dans 
la  journée  de  septembre  1792,  ne  tardera  pas  à  être  entamée. 

(4)  Nau,  Rapport  sur  les  archives  de  Saint-Sulpice,  p.  99.  Après  le 
9  Thermidor,  par  un  décret  de  Fructidor  an  II,  la  Convention  décida  que 
les  assemblées  de  section  ne  se  tiendraient  plus  qu'une  fois  par  décadi, 
le  jour  du  décadi ,  et  que  l'indemnité  de  40  sous ,  payée  jusque-là  aux 
citoyens  présents ,  cesserait  de  leur  être  accordée. 


280  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

nairement  le  soir  et  étaient  toujours  très  nombreuses  à 
cause  des  quarante  sols  que  chacun  des  citoyens  pré- 
sents recevait  par  séance  (1).  Elles  furent  interrompues, 
un  jour,  en  juillet  1793,  par  une  séance  musicale  qu'un 
organiste  du  roi  de  Suède  y  donna  et  dans  laquelle  la 
fille  d'un  sculpteur,  dont  le  nom  se  rattache  à  la  décora- 
tion du  monument,  chanta  la  Marseillaise  (2). 

Trois  mois  après,  quand  vint  en  discussion  devant  la 
Convention  le  projet  de  décret  qu'elle  rendit  le  3  novem- 
bre 1793  (13  Brumaire  an  II),  et  qui  déclara  propriétés 
nationales  les  églises  et  les  biens  des  Fabriques,  le  Philo- 
sophisme révolutionnaire  fît  sa  première  tentative  de 
remplacer  le  Christianisme,  en  essayant  de  lui  substituer 
le  culte  de  la  Raison.  Chaumette,  le  successeur  de  Ma- 
nuel comme  procureur  de  la  Commune,  était  le  Pontife 
de  ce  nouveau  culte.  Peut-être  aurait-il  été  fort  embar- 
rassé de  dire  en  quoi  il  consistait;  car  il  se  bornait  à  ré- 
péter sans  cesse  :  «  Plus  de  prêtres  ;  plus  d'autres  Dieux 
«  que  ceux  que  la  nature  nous  offre.  »  Mais  il  le  croyait 
capable  de  supplanter  le  catholicisme  qu'il  abhorrait;  et 
cette  persuasion  animait  son  ardeur  à  le  rendre  public  ; 
il  réussit  à  la  faire  partager  par  les  meneurs  de  la  Con- 


(1)  Nau,  ibid.,  p.  99. 

(2)  Il  convient  de  rappelçr  à  la  honte  éternelle  de  la  Commune  de  Paris 
que  non  seulement  elle  a  ordonné  et  payé  les  massacres  de  septembre, 
mais  encore  qu'elle  les  a  proposés  en  exemple  à  toutes  les  communes  de 
France  :  Une  circulaire,  signée  par  Marat,  Jourdheuil,  Dufort,  Panis , 
Duplain,  Sergent  et  L'enfant,  disait  :  «  La  Commune  de  Paris  se  hâte 
d  informer  les  Frères  de  tous  les  Départements  qu'une  partie  des  conspi- 
rateurs féroces  détenus  dans  les  prisons  a  été  mise  à  mort  par  le  peuple, 
actes  de  justice  qui  lui  ont  paru  indispensables  pour  retenir  par  la  terreur 
les  légions  de  traîtres  renfermés  dans  ses  murs  au  moment  où  il  allait 
marcher  à  l'ennemi;  et  sans  doute  la  nation,  après  une  longue  suite  de 
trahisons  qui  l'a  conduite  sur  les  bords  de  l'abîme,  s'empressera  d'adop- 
ter ce  moyen  si  utile  et  si  nécessaire.  »  Cette  circulaire  est  citée  par 
S.  Mony,  ancien  député,  dans  son  étude  remarquable  sur  la  Décentra- 
lisation, p.  98.  P.  Dupont  éd.,  Paris,  1871. 


L'ÉGLISE  SÀINT-SULPICE  PENDANT  LA  REVOLUTION.         281 

vention  qui  décida,  à  la  suite  de  son  décret,  que  l'église 
de  Notre-Dame  de  Paris  serait  convertie  en  Temple  à  la 
Raison  et  à  la  Vérité,  et  qu'elle  irait  elle-même  y  célébrer 
la  première  fête  de  la  Raison  (1). 

Elle  s'y  rendit,  en  effet,  huit  jours  après  2),  le  soir,  en 
corps,  précédée  d'uue  comédienne  en  jupon  court  et  coif- 
fée du  bonnet  rouge,  qui  figurait  la  Raison,  et  qui,  arri- 
vée à  la  cathédrale,  fut  conduite  solennellement  au  trône 
qui  lui  avait  été  préparé  au-dessus  du  grand  autel  dont 
le  tabernacle  lui  servit  de  marchepied.  A  ses  pieds,  sur 
un  fut  de  colonne,  brûlait  une  lampe,  qui  s'appelait  le 
Flambeau  de  la  Vérité.  La  fête  commença  par  le  chant  de 
l'hymne  à  la  liberté,  de  Ghénier.  Mais  comment  finit-elle? 
Taine  nous  l'apprend.  «  Ensuite,  on  danse,  dit-il  :  par 
malheur  les  textes  manquent  pour  décider  si  la  Conven- 
tion a  dansé.  A  tout  le  moins,  elle  assiste  à  la  danse  et 
consacre  par  sa  présence  une  orgie  d'espèce  unique,  non 
pas  la  Kermesse  de  IUibens,  étalée  eu  plein  air,  plantu- 
reuse et  saine,  mais  une  descente  nocturne  de  la  Courtille, 
un  mardi-gras  de  voyous  maigres  et  détraqués.  Dans  la 
grande  nef,  les  danseurs,  le  col  et  la  poitrine  nus,  les 
bas  ravalés,  se  déhanchent  et  trépignent,  en  hurlant  la 
Carmagnole  ;  et  dans  les  chapelles  latérales,  masquées  de 
hautes  tapisseries,  se  passent  des  scènes  de  lupanars  (3).  » 

A  Saint-Sulpice,  dont  la  porte  principale  avait  été 
surmontée  de  l'inscription  :  Temple  à  la  Raison,  cette  fête 
de  la  Raison  fut  inaugurée  le  15  Frimaire  an  II  (5  dé- 

(1)  Pour  ne  pas  choquer  les  yeux  des  Députés  par  la  vue  des  objets  de 
la  superstition,  Chaumette  fit  briser  les  statues  de  pierre  des  Saints  et 
des  Rois  qui  décoraient  le  portail  de  Notre-Dame. 

Ce  fut  lui  encore  qui,  par  une  extravagance  qui  tenait  de  la  folie,  or- 
donna la  démolition  des  clochers,  parce  que,  s 'élevant  au-dessus  des  autres 
édifices,  ils  violaient  le  principe  de  l'égalité.  Granier  de  Cassagnac,  His- 
toire du  Directoire,  t.  I,  p.  180. 

(2)  Le  20  Brumaire  an  11,  10  novembre  1793. 

(3)  Taine,  la  Révolution,  9°  éd.,  t.  III,  p.  227  et  suiv. 


'282  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

cembre  1793),  et,  quoique  moins  ignoble,  fut  aussi  scan- 
daleuse. La  femme  du  Président  de  la  section  de  la  Co- 
médie Française  y  remplit  le  rôle  de  la  Déesse  Raison. 
Plusieurs  discours  furent  prononcés  dans  la  chaire;  et 
Ceyrat,  l'instigateur  des  massacres  des  Carmes,  y  proféra 
ce  blasphème  :  «  Me  voilà,  dit-il,  dans  cette  chaire  où  l'on 
«  a  si  longtemps  menti  au  peuple  souverain,  en  lui  fai- 
«  sant  accroire  qu'il  existait  un  Dieu  présent  à  toutes  ses 
«  actions.  S'il  existe,  ce  Dieu,  qu'il  tonne  et  qu'un  éclat 
«  de  son  tonnerre  m'écrase!  »  Puis,  regardant  le  ciel  en 
silence  pendant  quelques  instants  avec  un  air  de  défi,  ce 
scélérat  ajouta  :  «  Il  ne  tonne  pas,  donc  son  existence  est 
«  une  chimère  (1).  » 

Après  quoi,  on  porta  en  triomphe  la  Déesse  dans  les 
divers  quartiers  environnant  le  Temple.  Parvenue  au 
coin  de  la  rue  Saint-Placide  et  de  la  rue  de  Sèvres,  la 
Déesse  fut  placée  sur  un  reposoir,  élevé  pour  la  recevoir. 
On  se  rendit  ensuite  à  la  Convention  ;  et  ce  fut  en  reve- 
nant, qu'on  brûla  sur  la  place  de  la  Croix-Rouge  les  deux 
statues  en  bois  de  saint  Pierre  et  de  saint  Sulpice,  qui 
étaient  placées  anciennement  dans  les  niches  existantes 
au-dessus  des  deux  sacristies  de  l'église. 

Cette  cérémonie  sacrilège  se  termina  d'une  manière 
fâcheuse.  En  montant  les  marches  de  l'église  au  retour, 
un  des  porteurs  du  brancard  de  la  Déesse  étant  tombé 
par  suite  d'ivresse,  elle  fit  une  chute  et  se  cassa  un  bras. 
Quelque  temps  après,  elle  fut  guillotinée  avec  son 
mari  (2). 

Dix  jours  après,  le  25  Frimaire  an  II  (15  décembre 
1793 1,  la  section  de  Mucius  Scsevola  (3)  se  rendit  à  la 
Commune,  y  abjura  le  culte  catholique  et  promit  publi- 


(1)  Sorel,  loc.  cit.,  p.  205,  en  note. 

(2)  Nau,  Rapport,  p.  99. 

(3)  Nouveau  nom  de  la  section  du  Luxembourg. 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         283 

quement  de  faire,  le  décadi  suivant,  sur  le  maitre-autel 
de  Saint-Sulpice,  l'inauguration  des  bustes  de  Marat,  de 
Lepeletier  et  de  Mucius  Scaevola  (1). 

Ce  premier  essai  du  culte  de  la  Raison  échoua  par  la 
mort  de  son  promoteur.  Robespierre,  dans  ses  visées  sour- 
noises à  la  dictature,  comprenait  qu'il  ne  pourrait  se 
faire  accepter  par  la  France  ni  s'imposer  à  l'Europe ,  en 
outrageant  plus  longtemps  les  croyances  séculaires  du 
pays  et  en  s'associant  à  un  prétendu  culte  dont  les  au- 
teurs ne  rougissaient  pas  de  placer  des  prostituées  sur 
ses  autels.  Aussi,  rompant  en  visière  à  Chaumette,  il  s'é- 
leva, au  club  des  Jacobins,  contre  «  ces  ambitieux  de  fausse 
«  popularité  qui  venaient  troubler  la  liberté  des  cultes 
«  en  attachant  les  grelots  de  la  folie  au  sceptre  même  de 
«  la  philosophie  »,  et,  le  5  décembre  1793,  il  fit  décré- 
ter par  la  Convention  une  sorte  de  manifeste  apologé- 
tique de  la  liberté  religieuse. 

Chaumette  ne  se  le  fit  pas  dire  deux  fois;  il  s'empressa 
d'apaiser  son  dangereux  contradicteur,  en  requérant  lui- 
même,  à  la  Commune,  la  liberté  des  cultes.  Mais,  en 
même  temps,  il  crut  pouvoir  profiter  le  premier  de  cette 
liberté  pour  donner  une  nouvelle  impulsion  à  son  culte 
et  l'étendre  partout. 

Robespierre  s'offusqua  de  son  zèle  et,  pour  l'en  punir, 
l'envoya  à  l'échafaud  (2). 

A  son  tour,  il  rêva  de  fonder  une  autre  religion  et 
s'arrêta  à  l'idée  de  rappeler  les  hommes  au  culte  pur  de 
l'Être  suprême,  parce  que  cette  idée  d'un  grand  Etre  qui 
veille  sur  l'innocence  opprimée  et  qui  punisse  le  crime 
triomphant,  lui  parut  devoir  être  populaire  et  bien  ac- 
cueillie des  masses.  A  cette  fin,  il  fit  rendre,  le  7  mai 
179V  (18  Floréal  an  II  i,  par  la  Convention  un  décret  por- 


(1)  Nau,  ibid.,  p.  100. 

(2)  Chaumette  fut  guillotiné  le  13  avril  1794. 


284  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

tant  que  le  peuple  français  reconnaît  l'Etre  suprême  et 
l'Immortalité  de  l'âme;  que  la  République  célébrerait 
tous  les  ans  les  fêtes  du  li  juillet  1789,  du  10  août  1792 
et  du  21  janvier  1793,  et  que  de  plus,  aux  jours  de  dé- 
cadi, on  aurait  partout  à  fêter  tour  à  tour  :  1°  l'Être  su- 
prême et  la  nature;  2°  le  genre  humain;  3°  le  peuple 
français;  4°  les  bienfaiteurs  de  l'humanité;  5°  les  mar- 
tyrs de  la  liberté  ;  6°  la  liberté  et  l'égalité  ;  7°  la  républi- 
que; 8°  la  liberté  du  monde;  9°  l'amour  de  la  patrie; 
10°  la  haine  des  tyrans;  11°  la  vérité;  12°  la  justice; 
13°  la  pudeur;  li°  la  gloire  et  l'immortalité;  15°  l'amitié  ; 
16°  la  frugalité  ;  17°  le  courage  ;  18°  la  bonne  foi  ;  19°  l'hé- 
roïsme; 20°  le  désintéressement;  21°  le  stoïcisme;  22°  l'a- 
mour; 23°  l'amour  conjugal;  2i°  l'amour  paternel  ;  25°  la 
tendresse  maternelle;  26°  la  piété  liliale;  27°  l'enfance; 
28°  la  jeunesse;  29°  l'âge  viril;  30°  la  vieillesse;  31°  le 
malheur;  32°  l'agriculture;  33°  l'industrie;  34°  nos 
aïeux;  35°  la  postérité;  36°  le  bonheur. 

Les  Comités  de  Salut  public  et  de  l'Instruction  furent 
chargés  d'arrêter  le  plan  d'organisation  de  ces  tètes  qui 
furent  célébrées  partout  et  notamment  dans  l'église 
Saint-Sulpice,  dont  le  frontispice  cessa  désormais  de  por- 
ter l'inscription  de  Temple  à  la  Raison  pour  prendre 
celle  de  Temple  à  l'Etre  suprême. 

Mais  ce  nouveau  culte  eut  une  durée  aussi  éphémère 
que  celle  du  premier;  il  tomba  avec  la  tète  de  son  au- 
teur, le  9  Thermidor,  et  ne  lui  survécut  pas  (1  ). 

Un  troisième  essai,  tenté  par  les  révolutionnaires  pour 
supplanter  le  Christianisme,  fut  le  culte  de  la  Théophilan- 
thropie, éclos  dans  la  cervelle  de  Chemin-Dupontès, 
«  un  de  ces  savants  toujours  si  communs,  dit  Granier  de 
«  Cassagnac,  dans  son  Histoire  du  Directoire,  dont  la 
«  tête  s'emplit  de  lectures,  comme  une  grange  s'emplit 

(1)  Robespierre  monta  à  l'échafaïul  le  9  Thermidor,  27  juillet  1794. 


L'EGLISE  SAINT  SULPICE  PENDANT  LA  REVOLUTION.         285 

«  de  foin,  et,  qui  pis  est,  philosophe  à  la  façon  de  ce 
«  temps-là,  c'est-à-dire  pénétré  d'horreur  pour  la  reli- 
«  gion  et  pour  les  prêtres  ». 

Il  formula  sa  doctrine  dans  un  livre  qu'il  publia  en 
1796  sous  le  litre  de  Manuel  des  Théophilanthrophilés. 
C'était  en  somme  le  pur  Déisme,  mélangé  d'une  assez 
forte  dose  de  Panthéisme.  Toutefois,  il  y  avait  ajouté, 
comme  dogme,  la  prétention  de  résumer  tous  les  cultes 
et,  par  suite,  de  les  remplacer.  Aussi  dans  l'espèce  de  Pa- 
roissien à  l'usage  de  ses  adeptes,  qu'il  composa  sous  le 
nom  d'Année  religieuse,  fit-il  entrer  des  extraits  des  ou- 
vrages de  Confucius,  de  Vyasa,  de  Zoroastre,  de  Théognis, 
de  Phocylide,  de  Cléanthe,  de  Socrate,  d'Aristote,  de 
Sénèque,  de  Mahomet,  de  Voltaire,  de  Rousseau,  d'Yung 
et  de  Franklin.  Il  n'y  eut  que  la  Bible  et  l'Évangile, 
cela  va  sans  dire,  dont  il  ne  cita  pas  une  seule  ligne.  La 
passion  antichrétienne  était  l'unique  lien  qui  unît  ces 
étranges  philosophes. 

Ce  nouveau  culte  s'appliquait  à  donner  un  certain 
caractère  religieux  aux  trois  grandes  époques  de  la  vie 
humaine  :  la  naissance,  le  mariage  et  la  mort.  Il  cons- 
tituait chaque  père  de  famille  le  prêtre  de  sa  maison; 
et  dans  ses  cérémonies  et  ses  fêtes  publiques,  le  père  de 
famille  officiait  alors,  près  de  l'autel,  avec  le  titre  de 
Lecteur  et  un  costume  spécial,  qui  consistait  dans  une 
tunique  bleu  céleste,  prenant  depuis  le  col  jusqu'aux 
pieds,  avec  une  ceinture  rose  et  une  robe  blanche  par- 
dessus, ouverte  par  devant  (1). 

Il  trouva  bientôt  des  apôtres  ardents  dans  Dupont  de 
Nemours,  Bernardin  de  Saint-Pierre,  Haûy  et  surtout  La 
Révellière-Lépeaux,  affligé  de  l'infirmité  d'Esope ,  mania- 
que, fanatique,  et  que  la  haine  des  prêtres  avait  rendu 
méchant  et  cruel. 

(l)  Rituel  des  Adorateurs  de  Dieu  et  amis  des  hommes ,  p.  4. 


280  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

Leur  première  réunion  publique  se  tint  le  15  janvier 
1797  (26  Nivôse  an  V),  au  petit  hôpital  Sainte-Catherine 
situé  rue  Saint-Denis,  au  coin  de  la  rue  des  Lombards;  et 
comme  elle  devait  servir  de  modèle,  Chemin  la  prépara 
avec  soin.  La  salle  où  elle  eut  lieu  était  très  simplement 
ornée  :  un  autel,  sur  lequel  était  placée  une  corbeille  de 
tleurs  et  de  fruits,  symboles  de  la  création  et  du  dévelop- 
pement général,  fixait  seul,  avec  quelques  sentences  appo- 
sées sur  les  murs,  les  regards  des  assistants.  Chemin,  re- 
vêtu du  costume  qu'il  avait  assigné  à  ses  lecteurs,  lit  un 
discours  où  il  exposa  les  bases  du  nouveau  culte,  à  savoir  : 
l'immortalité  de  l'àme  et  l'idée  d'un  Dieu  rémunérateur 
de  la  vertu  et  vengeur  du  crime.  Puis  il  entonna  une 
prière  à  Dieu  (1),  que  l'assistance  chanta  avec  accompa- 
gnement de  musique,  et  qui  se  terminait  par  cette  der- 
nière strophe  : 

«  O  toi!  qui  du  néant,  ainsi  qu'une  étincelle, 
Fis  jaillir,  dans  les  airs,  l'astre  brillant  du  jour, 
Fais  plus...  verse  en  nos  cœurs  ta  sagesse  immortelle, 
Embrase-nous  de  ton  amour.  •> 

Cet  hymne,  qu'on  avait  déjà  entendu  à  la  fête  de  Y  Etre 
suprême,  ne  manquait  pas  d'une  certaine  grandeur. 

Enhardis  par  ce  début,  dans  lequel  ils  voyaient  un 
succès,  les  Théophilanthropes  se  donnèrent  une  organi- 
sation et  une  hiérarchie  et  sollicitèrent  la  permission  de 
tenir  leurs  assemblées  dans  quelques  églises.  Le  Direc- 
toire s'empressa  d'accueillir  leur  demande  que  La  Rével- 
lière,  l'un  de  ses  membres,  appuyait  chaudement,  et  les 
autorisa  à  faire  leurs  offices,  de  onze  heures  du  matin  à 
deux  heures  de  l'après-midi,  d'abord  à  Saint-Jacques  du 
Haut-Pas,  à  Saint-Sulpice ,  à  Saint-Thomas  d'Aquin  et  à 


(1)  Granier  de  Cassagnac,  Histoire  du  Directoire ,  t.  I,  p.  246  et  suiv. 


L  ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         287 

Saint-Étienne  du  Mont,  puis  successivement  à  Saint-Mé- 
clarcl,  à  Saint-Roch ,  à  Saint-Eustache,  à  Saint-Germain 
l'Auxerrois,  à  Saint-Gervais,  à  Saint-Nicolas  des  Champs 
et,  en  Vendémiaire  an  VI,  à  Saint-Merry.  Ils  réclamèrent 
aussi,  en  mars  1798,  l'église  Notre-Dame  où  on  leur  accorda 
l'usage  exclusif  du  chœur  et  l'usase  commun  de  l'orgue. 
Mais  l'engouement  de  curiosité,  qui  tout  d'abord  attirait 
la  foule  à  leurs  exercices  religieux,  fit  bientôt  place  à  une 
telle  indifférence  qu'à  partir  du  mois  de  novembre  1799, 
ils  durent  les  limiter  aux  quatre  églises  de  Saint-Germain 
l'Auxerrois ,  de  Saint-Nicolas  des  Champs,  de  Saint-Ger- 
vais et  de  Saint-Sulpice ,  qu'ils  appelèrent  les  temples  : 
la  première,  de  la  reconnaissance;  la  seconde,  de  l'hy- 
men; la  troisième,  de  la  jeunesse;  et  la  dernière,  de  la 
Victoire. 

À  Saint-Sulpice ,  ces  exercices  étaient  dirigés  par  l'an- 
cien juge  de  paix  de  la  section  du  Luxembourg ,  le  sep- 
tembriseur Ceyrat.  On  avait  remplacé  l'ancien  banc 
d'œuvres,  dont  les  débris  avaient  été  transportés  dans  le 
chœur,  par  une  pyramide  de  bois,  peint  en  marbre,  sur 
laquelle  on  lisait  l'inscription  :  A  Dieu  toujours  bon.  Un 
grand  drapeau  tricolore  couvrait  la  statue  de  la  Charité 
qui  surmonte  la  chaire. 

Le  22  janvier  1798  (3  Pluviôse  an  VI),  les  Théophilan- 
thropes célébrèrent  à  Saint-Sulpice  V anniversaire  du 
rétablissement  de  la  Religion  naturelle;  et,  au  commen- 
cement de  1801,  ils  y  organisèrent  une  fête  en  l'honneur 
de  Vincent  de  Paul,  philosophe  français,  disaient-ils.  du 
xviic  siècle.  Ce  fut  l'une  des  dernières.  Par  un  arrêté 
du  k  octobre  1801  (12  Vendémiaire  an  X),  le  Gouverne- 
ment consulaire  mit  fin  à  l'existence  des  Théophilan- 
thropes en  leur  défendant  de  se  réunir  dans  les  édifices 
nationaux  et  en  leur  retirant  les  faibles  secours  qu'ils 
recevaient  du  Directoire. 

Tels  furent  les   trois  cultes  que  seuls,  au  cours  de  la 


288  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

Révolution,  l'impiété  philosophique  du  xvme  siècle  par- 
vint à  opposer  au  catholicisme,  et  qu'il  eut  la  folle  pré- 
somption de  croire  capables  de  déraciner  une  croyance 
douze  fois  séculaire,  qui  avait  fait  la  force,  la  grandeur 
et  la  gloire  du  pays.  Aussi  ces  tentatives  sacrilèges 
eurent-elles  le  sort  qu'elles  méritaient.  Elles  échouèrent 
misérablement  devant  les  élans  magnifiques  de  foi  avec 
lesquels,  depuis  Thermidor,  la  France  revint  à  son  Dieu, 
et  qui  lui  obtinrent  de  sa  miséricorde  le  génie  répara- 
teur qui  la  sauva  de  la  ruine  vers  laquelle  elle  penchait. 

L'église  de  Saint-Sulpice  ne  demeura  pas  étrangère  au 
grand  événement  qui  permit  à  ce  génie  d'accomplir  sa 
mission  providentielle;  car  c'est  sous  ses  voûtes  qu'eut 
lieu  le  banquet  fameux  donné  par  les  pouvoirs  publics  au 
général  Bonaparte,  à  son  retour  d'Egypte,  trois  jours 
avant  le  coup  d'État  du  18  Brumaire  qui  lui  conféra  le 
pouvoir  souverain. 

Les  ovations  enthousiastes  dont  il  avait  été  l'objet 
sur  tout  le  parcours  de  sa  route  de  Fréjus  à  Paris  conti- 
nuaient à  lui  être  prodiguées,  plus  chaleureuses  encore, 
dans  la  capitale  (1).  Il  absorbait  la  pensée  publique  et 
l'immense  majorité  des  citoyens  l'acclamaient  comme  le 
libérateur  de  la  France,  qui  pouvait  seul  la  délivrer  de 
l'anarchie  et  lui  rendre  ,  avec  l'ordre  et  la  paix,  son  rang 
dans  les  conseils  de  l'Europe. 

Ce  rôle  allait  trop  bien  à  son  ambition,  et  il  se  sentait 
trop  à  sa  hauteur,  pour  ne  pas  l'accepter.  Sans  perdre 
un  jour,  il  se  mit  en  rapport  avec  Sieyès ,  le  chef  du  parti 
des  modérés,  qui  représentait  l'opinion  publique  ;  et,  en 
deux  ou  trois  conférences,  ils  tombèrent  d'accord  sur  les 
bases  d'un  changement  de  gouvernement  et  sur  les  me- 
sures à  prendre  pour  l'opérer. 


(I)  Débarqué  à  Fréjus  le  10  octobre  1899,  Bonaparte  arriva  à  Paris  le  16. 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  REVOLUTION  289 


Vue  intérieure  île  la  sacristie  et  de  la  galerie  placée  au-dessus  de  la  porte  d'entrée. 


ECLISE    SUNT-SULPICE, 


19 


290  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Mais,  au  préalable,  «  les  chefs  du  mouvement  imaginù- 
«  rent,  pour  l'accélérer,  un  moyen  qui  réunissait  à  l'a- 
ce vantage  de  frapper  les  esprits  celui  de  connaître  le 
«  nombre  et  les  noms  de  leurs  adhérents  :  c'était  de 
a  faire  donner  par  les  Conseils,  et  par  voie  de  souscrip- 
«  /ion,  un  banquet  à  Bonaparte ,  à  qui  l'on  associa  le  gé- 
«  néral  Moreau  (1)  ». 

Cet  immense  banquet,  qui  réunit  environ  750  convi- 
ves, eut  lieu  le  15  Brumaire,  dans  l'église  Saint-Sulpicc, 
qui  s'appelait  alors  le  temple  de  la  Victoire.  Kosciusko  y 
assista  ainsi  que  le  Directoire  et  les  ministres.  Seul ,  le 
parti  du  Manège,  qui  était  celui  des  anciens  Jaco- 
bins (2),  s'abstint  en  masse  d'y  prendre  part,  et  fit  cons- 
tater ainsi  sa  faiblesse  numérique. 

«  Le  temple,  dit  Lucien  Bonaparte,  dans  son  récit  de 
<c  la  Révolution  de  Brumaire,  était  décoré  à  profusion  de 
«  tapisseries  magnifiques  et  de  drapeaux,  fruit  de  nos 
«  mille  victoires  »,  et  une  superbe  statue  de  la  Victoire 
s'élevait  au  fond  de  l'abside.  «  Le  président  des  Anciens 
«  était  au  haut  delà  table;  le  président  du  Directoire  oc- 
«  cupait  le  milieu,  à  droite;  j'étais  (comme  président  des 
«  Cinq  Cents)  placé  entre  Bonaparte  et  Moreau .  Dans  la 
«  situation  critique  où  l'on  se  trouvait,  cette  fête  était 
«  devenue  une  affaire  d'État.  On  s'observait  réciproque- 
ce  ment  et  fort  sérieusement,  et  il  y  avait  certes  plus  d'in- 
«  quiétude  que  de  gaieté  parmi  les  convives  (3).  » 

Pendant  le  repas,  on  joua  d'une  excellente  musique,  et 
les  orgues,  qui  étaient  restées  dans  le  temple  (4),  furent 
touchées  par  Couperin. 


(1)  G.  de  Cassagnac,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  394. 

(2)  Ce  parti  voulait  une  Convention  avec  des  comités  tout-puissants,  ap- 
puyant la  dictature  sur  les  supplices.  11  avait  aux  Cinq  Cents  le  général 
Jourdan  pour  chef,  et  dans  l'armée  Augereau  pour  patron. 

(3)  La  liévolution  de  Brumaire,  par  Lucien  Bonaparte. 

(4)  Les  soufflets  de  ces  Orgues  avaient  été  enlevés  pour  servir  à   un 


L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.        291 

«  Au  dessert,  continue  la  relation  de  Lucien  Bonaparte, 
«  voici  les  toasts  qui  furent  portés  : 

«  Lemercier,  président  des  Anciens  :  A  la  République 
«  française! 

«  Lucien  Bonaparte ,  président  des  Cinq  Cents  :  Aux 
«  armées  de  terre  et  de  mer  de  la  République  ! 

«  Gohier,  président  du  Directoire  :  A  la  paix! 

«  Bonaparte  :  A  l'union  de  tous  les  Français  ! 

«  Moreau  :  A  tous  les  fidèles  alliés  de  la  République  ! 

«  L'amiral  espagnol  Massaredo  :  A  la  liberté  des  mers! 

«  Le  célèbre  Kosciusko  assistait  au  banquet.  La  seule 
«  présence  de  ce  grand  homme  équivalait  au  toast  de  la 
«  liberté  de  la  Pologne,  dont  les  égards  diplomatiques 
«  retenaient  l'expression. 

«  Dans  le  fond  du  temple,  au  milieu  des  trophées,  une 
«  large  inscription  placée  sur  le  socle  de  la  statue  de  la 
«  Victoire,  portait  :  Soyez  amis,  vous  serez  vainqueurs.  » 

Le  repas  ne  dura  qu'une  heure.  Bonaparte  se  leva  le 
premier  vers  huit  heures  (1),  et,  accompagné  deBerthier 
et  d'une  brillante  escorte  de  généraux,  il  fit  le  tour  de  la 
table,  saluant  ou  entretenant  les  convives  ;  puis  il  se  retira, 
emmenant  avec  lui  le  général  Moreau.  Il  lui  tardait  d'a- 
chever la  soirée  chez  son  frère  Lucien  et  d'y  retrouver 
Sieyès,  pour  arrêter  ensemble  les  dernières  dispositions 
relatives  aux  deux  grandes  journées  des  18  et  19  Bru- 
maire, qui  allaient  inaugurer  le  gouvernement  consu- 
laire et  mettre  fin  au  Jacobinisme. 

Un  des  premiers  actes  et  des  premiers  bienfaits  de  ce 
nouveau  gouvernement  fut  de  supprimer  implicitement 


atelier  de  fabrication  d'armes,  établi  dans  le  jardin  du  Luxembourg,  lors- 
que, le  12  août  1793,  la  Convention  avait  déclaré  la  patrie  en  danger.  Mais 
ils  fuient  rendus  à  l'église  en  1795.  Nau,  loc.  cil.,  p.  93. 
(1)  Moniteur  du  18  Brumaire. 


292  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

les  fêtes  décadaires  qui,  de  1795  à  1798,  surtout  depuis  la 
loi  du  17  Thermidor  an  VI  (1),  avaient  donné  lieu  à  une 
persécution  violente  contre  ceux  qui  tenaient  à  l'observa- 
tion du  dimanche  (2),  en  déclarant  par  l'arrêté  des  Consuls 
du  7  Thermidor  an  VIII  (20  juillet  1800)  que,  bien  que 
les  décadis  fussent  les  seuls  jours  fériés  reconnus  par  l'au- 
torité nationale,  néanmoins  leur  observation  n'était  obli- 
gatoire que  pour  les  autorités  constituées,  les  fonction- 
naires publics  et  les  salariés  du  gouvernement,  mais  que 
les  simples  citoyens  avaient  le  droit  de  vaquer  à  leurs 
affaires  et  de  choisir  leurs  jours  de  repos. 

A  partir  de  ce  moment,  le  curé  constitutionnel  de 
Saint-Sulpice,  l'abbé  Mahieu,  rentra  en  jouissance  de 
l'église.  Sur  l'emplacement  occupé  par  la  statue  de  la 
Victoire,  au  fond  du  chœur,  il  fit  élever  un  autel,  que 
l'on  disait  être  l'ancien  maitre-autel  de  Saint-Philippe  du 
Roule,  et  fit  placer  derrière  lui  les  marbres  qui  se  trou- 
vaient primitivement  au-dessus  des  stalles  du  rond-point 
du  chœur.  Il  compléta  l'ornementation  de  cet  autel  en 
faisant  mettre  de  chaque  côté  deux  anges,  en  bois  peint 
en  bronze,  qui  provenaient  de  l'église  de  Saint-Denis  de 
la  Châtre  (3).  Un  peu  plus  tard,  il  fit  poser  dans  le  chœur 
un  rang  de  stalles  provenant  de  l'ancienne  abbaye  de 


(1)  Cotte  loi,  dont  le  but  apparent  était  de  donner  plus  de  solennité  aux 
fêtes  décadaires,  visait  surtout  à  en  faire  les  seuls  jours  de  repos  de  la 
République,  afin  d'arriver  à  l'abolition  du  Dimanche  chrétien. 

(2)  L'exécution  rigoureuse  de  cette  loi  suscita  une  véritable  persécution 
clans  toute  la  France.  Dans  la  seule  circonscription  de  la  paroisse  Sainl- 
Sulpice,  un  grand  nombre  de  commerçants,  coupables  d'avoir  fermé 
leurs  boutiques  le  dimanche,  furent  traduits  devant  le  Tribunal  de  Police 
municipale  de  l'arrondissement  et  condamnés  à  diverses  amendes.  Nau> 
loc.  cit.,  p.  101. 

(3)  Cette  église  était  celle  du  prieuré  de  ce  nom,  dépendant  de  l'Ordre 
de  Cluny.  Elle  s'élevait,  ainsi  que  celle  de  Saint-Symphorien ,  sur  le  quai 
aux  Fleurs  actuel ,  dans  la  Cité. 


L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION.         293 

Panthémont  (1).  Ces  stalles  étaient  coupées  par  six  pié- 
destaux qui  supportaient  six  des  dix  statues  de  Bouchar- 
don  (2). 

En  1801,  il  mit  l'église  de  Saint-Sulpice  à  la  disposition 
des  évoques  du  clergé  constitutionnel  pour  la  tenue  de 
leur  second  Concile  national  qui  fut  ouvert  solennelle- 
ment à  Notre-Dame,  le  29  juin  1801,  jour  de  la  fête  des 
saints  Apôtres  Pierre  et  Paul  (3).  Leurs  réunions  publi- 
ques et  solennelles  eurent  lieu  à  Notre-Dame;  mais  ils  tin- 
rent leurs  séances  particulières  (4)  à  Saint-Sulpice,  dans  la 
chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  dont  deux  grandes  grilles 
en  bois,  placées  à  l'entrée  des  deux  bas-côtés  du  chœur, 
près  des  sacristies,  empêchaient  le  peuple  d'approcher. 
Leur  séance  de  clôture  eut  lieu  à  Notre-Dame,  le  16  août 
1801(5). 

L'abbé  Mahieu  détint  encore  l'église  de  Saint-Sulpice 
jusqu'au  16  mai  de  l'année  suivante,  jour  où  M.  de 
Pierre,  qui  en  avait  été  nommé  curé  en  vertu  du  Concor- 
dat, en  prit  possession.  Il  n'exerça  plus  depuis  lors  au- 
cune fonction  curiale,  mais  il  se  rétracta  et  mourut, 
aumônier  du  collège  Henri  IV,  le  li  juin  1821,  âgé  de 
quatre-vingt-sept  ans. 


(1)  Cette  abbaye  de  Bernardines  ou  Cisterciennes  était  située  rue  de  Gre- 
nelle. La  rue  de  Bellechasse  fut  percée  sur  son  emplacement,  lorsqu'elle 
fut  vendue  comme  bien  national,  en  1803. 

(2)  Nau,  Rapport,  p.  96. 

(3)  104  membres  le  composèrent,  dont  42  évêques. 

(4)  Ces  séances,  au  nombre  de  quatre,  eurent  lieu  les  30  juin,  16  et 
19  juillet  et  13  août.  Nau,  ibid.,  p.  97. 

(5)  Ils  avaient  assemblé  leur  premier  Concile,  en  1797,  à  Paris,  dans 
le  but,  disaient-ils,  de  remédier  aux  maux  de  l'Église  et  de  faire  l'union 
avec  les  dissidents;  en  réalité,  pour  tacher  d'arrêter  les  défections  parmi 
leurs  adhérents  dont  le  nombre  diminuait  de  jour  en  jour.  Le  même  motif, 
auquel  s'ajoutait  le  besoin  de  faire  cesser  les  graves  conflits  d'opinions 
religieuses  qui  divisaient  leur  clergé,  détermina  la  réunion  du  second. 


CHAPITRE  XIV 
m.   de  pierre  (1802-18301 


Sommaire  :  Son  origine.  —  Les  premières  années  de  son  sacerdoce.  —  Sa 
nomination  à  la  cure  de  Saint-Sulpice  en  vertu  du  décret  du  i)  Floréal  an  X, 
(|ui  opère  le  quatrième  démembrement  de  la  paroisse  par  la  création  des 
trois  églises  succursales  de  l'Abbaye-aux-Bois ,  des  Missions  étrangères  et  de 
Sainte-Valère.  —  incidents  de  sa  prise  de  possession.  —  Il  reconstitue  tout 
le  mobilier  de  l'église.  —  Habileté  de  sa  gestion  financière.  —  Il  reçoit  le 
Pape  Pie  VII  à  Saint-Sulpice.  —  Reliques  dont  il  enrichit  le  trésor  de  l'église. 

—  Sacre  de  deux  évéques  à  Saint-Sulpice  par  Sa  Sainteté.  —  Jalousie  qu'ins- 
pire à  Napoléon  la  popularité  du  Pape.  —  Acquit  des  dettes  de  M.  de  Pierre 
par  l'Empereur.  —  Érection  du  maître-autel.  —  Établissement  de  la  nouvelle 
sonnerie.  —  Refus  de  l'évêché  de  Saint-Claude.  —  Sollicitude  de  M.  de  Pierre 
pour  le  bien  des  âmes.  —  Écoles,  catéchismes.  —  Direction  de  ces  derniers 
confiée  à  M.  Teysseyrre.  —  Premières  prédications  de  l'abbé  Frayssinous  aux 
Carmes.  —  Ses  conférences  à  Saint-Sulpice.  —  Leur  succès  et  leur  influence. 

—  Mission  des  Pères  Mac  Carlliy.  de  Place,  Gayon  et  Petit,  jésuites.  —  Prédi- 
cations  de  Met  de  Cheverus  et  de  l'abbé  Combalot.  —  M.  de  Pierre  établit  la 
confrérie  de  l'Immaculée-Conception.  —  Il  encourage  la  fondation  des  gran- 
des OEuvres  de  Saint-Nicolas,  des  Amis  de  l'enfance,  des  Enfants  délaissés 
des  Enfants  de  la  Providence,  de  la  Propagation  de  la  Foi,  de  Saint-François 
Régis,  de  Saint-Vincent  de  Paul.  —  Sa  mort.  —  Son  petit  mausolée. 


D'une  des  premières  familles  de  la  noblesse  d'Auvergne, 
Charles-Louis-François-Marie  de  Pierre  était  né,  en  1701, 
au  diocèse  de  Clermont.  Après  avoir  fait  ses  études  théo- 
logiques à  Saint-Sulpice,  il  était  entré  à  la  Communauté 
des  prêtres  de  la  paroisse  en  1780.  Il  était  au  nombre  des 
vicaires  de  M.  de  Pancemont,  qui  l'entouraient  lors  de 
son  refus  de  prestation  de  serment  à  la  Constitution  civile 
du  clergé,  le  9  janvier  1791. 

Incarcéré  comme  noble  au  couvent  des  Oiseaux,  rue  de 


M.  DE  PIEKRE  (1802-1836).  295 

Sèvres,  et  rendu  à  la  liberté,  le  9  Thermidor,  par  la  mort 
de  Robespierre,  il  fut  avec  Messieurs  Ue voisins  et  Jerpha- 
nion,  comme  lui  prêtres  de  l'ancienne  Communauté  de 
la  paroisse  Saint-Sulpice,  désigné  par  M.  de  Pancemont, 
en  mars  1795,  pour  desservir  en  son  nom  d'abord  la  cha- 
pelle des  Sœurs  de  X Instruction  chrétienne,  puis  celle  des 
Orphelines  de  la  rue  du  Vieux-Colombier,  où  il  présida  à 
la  reprise  des  catéchismes. 

Dès  le  3  avril  de  la  même  année,  M.  Emery  écrivait  ;ï 
l'abbé  de  Romeuf,  un  de  ses  anciens  élèves  :  «  Devoisins 
«  et  de  Pierre  font  des  merveilles;  ils  sont  à  la  tête  des 
<(  deux  chapelles  de  Y  Instruction  et  des  Orphelines,  louées 
«  par  les  catholiques  de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  et  où 
«  se  fait  un  grand  concours  (1).  » 

Il  était,  en  dernier  lieu,  desservant  de  la  petite  église 
de  l'abbaye  Saint-Germain,  démolie  depuis,  lorsque,  aux 
termes  de  son  décret  de  réorganisation  des  paroisses  de 
Paris,  du  9  Floréal  an  X,  approuvé  par  les  Consuls  (2), 
W  de  Belloy,  archevêque  de  Paris,  le  nomma  à  la  cure 
de  Saint-Sulpice  (3).  Sa  prise  de  possession  de  cette  cure 
eut.  lieu  le  16  mai  1802,  quatrième  dimanche  après 
Pâques,  et  jour  où  l'on  célèbre,  dans  cette  église,  la  fête 
de  saint  Joseph,  protecteur  de  la  paroisse. 

Ce  ne  fut  pas  toutefois  sans  difficulté. 

L'intrus  Mahieu  ne  voulait  pas  céder  la  place;  il  intri- 
guait même  pour  la  conserver  et  avait  fait  signer  par 
plusieurs  marchands  du  quartier  une  pétition  qui  récla- 
mait son  maintien  et  que  l'abbé  Grégoire  s'était  chargé 
de  présenter  au  Premier  Consul.  Instruit  de  ces  menées, 
dont  les  suites  l'inquiétaient,  mais  n'osant  pas  prendre  sur 


(1)  Mém.  mss.,  article  de  Pancemont,  p.  07. 

(2)  Moniteur  du  6  Prairial  an  X. 

(3)  L'une   des  douze   cures  de   Paris    dont  chacune  avait  pour  limites 
celles  de  la  Justice  de  Paix  dans  l'étendue  de  laquelle  elle  était  située. 


296  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

lui  un  acte  de  vigueur,  M.  de  Pierre  réunit  dans  son  cabi- 
net, le  matin  de  ce  dimanche,  un  des  vicaires  généraux 
de  l'archevêque,  M.  de  Malaret,  et  M.  Emery.  M.  de  Mala- 
ret  se  montra  hésitant.  Mais  M.  Emery,  qui  savait  le 
mouvement  que  se  donnaient  les  constitutionnels  pour 
faire  maintenir  l'abbé  Mahieu  dans  la  cure,  et  la  faveur 
dont  ils  jouissaient  auprès  du  Premier  Consul  (1),  jugea 
qu'il  n'y  avait  pas  un  moment  à  perdre  pour  déjouer  leur 
cabale  :  «  Vous  êtes  nommé  curé,  dit-il  à  M.  de  Pierre;  le 
«  Gouvernement  a  agréé  votre  nomination;  prenez  avec 
«  vous  un  grand  vicaire  et  faites-vous  mettre  en  possession 
«  de  l'église,  ce  soir  même,  après  vêpres.  Allez,  allez,  lui 
«  ajouta-t-il;  car  si  vous  n'êtes  pas  installé  aujourd'hui, 
«  vous  ne  le  serez  jamais  (2).  »  Ce  ferme  langage  triom- 
pha de  sa  timidité.  Il  fit  prévenir  de  suite  M.  Mahieu  qu'il 
eût  à  lui  remettre  les  clefs  de  l'église  à  l'heure  de  sa  prise 
de  possession,  après  les  vêpres.  Sans  réponse  de  sa  part, 
à  midi,  et  craignant  un  scandale,  il  le  fit  sommer  de  nou- 
veau de  lui  livrer  l'église  à  l'heure  dite,  et  le  menaça,  en 
cas  de  refus,  de  faire  ouvrir  les  portes  par  un  serrurier. 
M.  Mahieu  se  décida  alors  à  lui  en  envoyer  les  clefs.  A 
quatre  heures  et  demie,  M.  de  Pierre  se  rendit  à  l'église, 
accompagné  d'un  des  membres  du  Conseil  de  l'arche- 
vêché, M.  Béchet  (3).  Il  n'y  rencontra  que  quatre  à  cinq 
personnes  dont  aucune  ne  mit  obstacle  à  son  installa- 
tion. A  cinq  heures,  la  bonne  nouvelle  en  était  -ipportée 
aux  Carmes  par  un  de  ses  vicaires;  et  aussitôt  après  le 


(1)  Il  venait,  en  effet,  de  faire  parvenir  an  Légat  la  nouvelle,  encore 
très  secrète,  de  la  nomination  d'évêques  constitutionnels  à  douze  des  nou- 
veaux sièges,  malgré  les  engagements  formels  de  Bonaparte  de  les  en 
exclure  tous.  V.  la  Vie  de  M.  Emery,  par  l'abbé  Gosselin,  t.  II,  p.  66 
et  la  note. 

(2)  Vie  de  M.  Emery,  ibid.,  p.  5. 

(3)  M.  Béchet,  ancien  supérieur  du  Séminaire  d'Avignon,  était  alors 
retiré  à  Sainl-Sulpice. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  297 

salut,  les  fidèles  qui  s'y  trouvaient,  accouraient  tous  à 
Saint-Sulpice,  heureux  d'y  saluer  leur  nouveau  Pasteur 
et  de  l'entendre  leur  annoncer  que  désormais  les  offices 
s'y  célébreraient  régulièrement,  tous  les  jours. 

Le  lendemain,  M.  Mahieu  effectuait  son  déménagement 
du  presbytère  et  ne  reparut  plus  à  l'église.  Mais  il  con- 
tinua de  témoigner  son  mauvais  vouloir  en  refusant  de 
livrer  les  clefs  de  la  chapelle  des  Fonts  dont  il  était  dé- 
positaire, et  dont  on  avait  besoin  pour  la  tenue  des  ca- 
téchismes; et  il  fallut  un  acte  de  poursuite  judiciaire 
pour  les  lui  faire  rendre  (1). 

Le  jeudi  suivant,  26  mai,  M.  de  Pierre  célébra,  à 
dix  heures  du  matin,  la  messe  du  Saint-Sacrement,  et  le 
soir,  pour  la  première  fois  depuis  la  Révolution,  il  y  eut 
salut  solennel  et  procession  du  Saint-Sacrement. 

Huit  jours  après,  en  la  fête  de  l'Ascension,  eut  lieu  la 
première  communion,  à  laquelle  un  grand  nombre  d'en- 
fants furent  admis. 

Dès  le  début  de  son  ministère  pastoral,  M.  de  Pierre  se 
trouva  aux  prises  avec  les  plus  graves  soucis.  Entouré  de 
ruines  de  toute  sorte,  ruines  matérielles  dans  son  église, 
ruines  morales  bien  autrement  désastreuses  dans  sa 
paroisse,  la  Providence  lui  assigna  la  mission  de  réparer 
les  unes  et  les  autres;  et  il  se  montra  constamment  à  la 
hauteur  de  cette  lourde  charge. 

I 

Dans  son  église,  moins  maltraitée  cependant  que  beau- 
coup d'autres,  il  ne  trouva  intacts  que  la  chaire,  l'orgue 
et  la  balustrade  du  chœur  :  la  chaire,  que  l'on  conserva 
pour  servir  de  tribune  aux  harangues;  l'orgue,   qui  fut 


(l)  Notes    manuscrites  sur   la  paroisse  de  Saint-Sulpice,  1793-1826. 
communiquées  par  M.  le  curé  Méritan. 


298  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

sauvé  par  l'adroit  stratagème  d'un  des  souffleurs,  un  aveu- 
gle, qui  simula  sur  sa  porte  d'entrée  une  apposition  de 
scellés  qu'on  n'osa  pas  rompre  ;  et  la  balustrade  du  chœur, 
que  deux  pharmaciens  du  quartier,  MM.  Charas  et  Du- 
chatel,  réussirent  à  faire  passer  pour  nécessaire  à  la  con- 
servation du  méridien  dont  la  ligne  la  traverse  (1).  Mais 
à  part  ces  trois  meubles  importants,  le  vandalisme  révo- 
lutionnaire ne  lui  laissa  que  les  quatre  murs  de  son  église, 
encore  assez  endommagés  dans  plusieurs  de  leurs  parties. 

Tous  les  ornements  sacerdotaux,  le  linge  d'autel  et  les 
vases  sacrés  avaient  été  pillés,  lors  de  la  dévastation  des 
églises  de  Paris  en  1793,  et  avaient  figuré  dans  le  défilé 
sacrilège  qui  eut  lieu,  le  22  novembre  de  cette  même 
année,  devant  la  Convention  et  que  le  Moniteur  de  ce 
jour  relate  en  ces  termes  : 

«  La  section  de  l'Unité  défile  dans  la  salle  :  à  sa  tête 
«  marche  un  peloton  de  la  force  armée;  ensuite,  vien- 
«  nent  des  tambours,  suivis  de  sapeurs  et  de  canonniers 
«  revêtus  d'habits  sacerdotaux  et  d'un  groupe  de  femmes 
«  habillées  en  bianc,  avec  une  ceinture  aux  trois  cou- 
«  leurs;  après  elles,  vient  une  file  immense  d'hommes, 
«  rangés  sur  deux  lignes  et  couverts  de  dalmatiques, 
«  chasubles,  chapes.  Ces  habits  sont  tous  des  ci-devant 
«  églises  de  Saint-Sulpice  et  de  Saint-Germain  des  Prés; 
«  remarquables  par  leurs  richesses,  ils  sont  de  velours  et 
«  d'autres  étoffes  précieuses,  rehaussées  de  magnifiques 
«  broderies  d'or  et  d'argent.  On  apporte  ensuite  sur  des 
«  brancards  des  calices,  des  ciboires,  des  soleils  (des  os- 
«  tensoirs),  des  chandeliers,  des  plats  d'or  et  d'argent, 
«  une  chasse  superbe,  une  croix  de  pierreries  et  mille 
«  autres  ustensiles  de  pratiques  superstitieuses.  Ce  cor- 
«  tège  entre  dans  la  salle  aux  cris  de  :  Vive  la  Liberté! 
«   Vive    la  Montagne!  Un  drap  noir,  porté  au  bruit  de 


(1)  Ibidem. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836;-.  299 

«  l'air  :  Malborough  est  mort,  figure  la  destraction  du 
«  fanatisme.  La  musique  exécute  ensuite  l'hymne  révo- 
«  lutionnaire.  On  voit  tous  les  citoyens  revêtus  d'habits 
«  sacerdotaux,  dansant  au  son  des  airs  :  Ça  ira,  la  Car- 
«  magnole,  Veillons  au  salut  de  l'Empire.  L'enthou- 
«  siasme  universel  se  manifeste  par  des  acclamations 
«  prolongées.  » 

Tous  les  objets  d'art  :  les  tableaux,  les  sculptures,  les 
mausolées  de  M.  Languet  de  Gergy  et  de  la  duchesse  de 
Lauraguais,  le  tombeau  du  marquis  et  de  la  marquise  de 
(lavoye,  les  candélabres,  les  tabernacles,  les  bas-reliefs 
en  bronze  doré,  les  stalles  du  chœur,  les  boiseries  de  la 
chapelle  du  Sacré-Cœur,  les  marbres  précieux  avaient  été 
enlevés;  tous  les  autels  avaient  été  renversés;  toutes  les 
sépultures  souterraines  profanées.  Il  n'y  avait  pas  jus- 
qu'aux cloches  qui  avaient  disparu  et  dont  on  ne  retrouva 
que  la  plus  petite  qui  servait  à  l'horloge  des  Tuileries. 

M.  de  Pierre  avait  donc  à  reconstituer  tout  le  mobilier  et 
à  rétablir  à  neuf  tout  le  matériel  de  l'église;  et  il  n'avait 
aucune  ressource  fixe  pour  faire  face  à  cette  énorme  dé- 
pense. La  fortune  entière  de  l'église,  en  effet,  formée  de 
siècle  en  siècle  par  la  piété  des  fidèles,  lui  avait  été  enle- 
vée par  la  loi  spoliatrice  du  13  Brumaire  an  H  (3  no- 
vembre 1793),  qui  avait  déclaré  propriétés  nationales 
tous  les  biens  des  anciennes  Fabriques,  même  ceux  qui 
étaient  affectés  à  des  fondations.  Et  l'abbé  Mahieu,  en  se 
retirant,  ne  laissait  que  des  dettes  à  son  successeur,  pour 
le  paiement  des  divers  travaux  qu'il  avait  commandés. 

De  plus,  le  décret  qui  l'appelait  à  la  cure  de  Saint- 
Sulpice  créait,  dans  les  limites  du  XIe  arrondissement 
qui  formait  la  circonscription  légale  de  sa  paroisse, 
trois  églises  succursales  :  celle  de  l'Abbaye-aux-Bois    1  , 


(1)  L'église  de  l'Abbaye-aux-Bois  était,  avant  la  Révolution,  la  chapelle 
d'une  communauté  de  religieuses  dont   le  premier   monastère  avait   été 


300  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

celle  des  Missions  étrangères  (1),  et  celle  de  Sainte- 
Valère  (2),  qui  restreignaient  de  plus  de  moitié  son  ter- 
ritoire particulier  (3),  et,  en  diminuant  ainsi  sa  popu- 
lation, lui  enlevaient  par  là  même  une  notable  partie  de 
ses  ressources. 

Une  enquête  de  commodo  et  incommodo  fut  bien  ou- 
verte de  suite  pour  savoir  s'il  ne  serait  pas  préférable  de 
laisser  la  nouvelle  paroisse  de  l'Abbaye-aux-Bois  réunie  à 
celle  de  Saint-Sulpice  ;  mais  son  résultat  ne  fut  pas  favo- 
rable à  cette  dernière,  qui  dut  se  contenter  de  sa  circons- 
cription réduite. 

C'était  là  pour  M.  de  Pierre  un  ensemble  de  graves 
obstacles  à  une  réorganisation  du  culte  aussi  prompte 
que  la  désirait  l'impatience  des  fidèles.  Cependant  douze 
à  quinze  mois  lui  suffirent  pour  assurer  la  régularité  des 
offices  et  la  dignité  des  cérémonies,  composer  le  nom- 
breux personnel  de  ses  vicaires  et  de  ses  employés,  pour- 
voir à  leur  traitement,  régler  leurs  attributions,  restau- 


fondé,  vers  1202,  en  Picardie,  par  Jean,  seigneur  de  Nesles ,  dans  un 
lieu  nommé  Batiz  (au  milieu  des  bois).  Chassées  parles  gens  de  guerre, 
sous  la  régence  d'Anne  d'Autriche,  elles  se  réfugièrent  d'abord  à  Com- 
piègne,  en  1650,  puis  achetèrent,  en  1654,  moyennant  50.000  écus,  le  mo- 
nastère des  Annonciades  des  Dix  Vertus  de  Notre-Dame,  situé  rue  de  Sè- 
vres (au  ir  16  actuel).  Ces  religieuses  suivaient  la  règle  de  l'ordre  de 
Citeaux. 

Cette  communauté  fut  supprimée  en  1790;  et  son  couvent,  devenu  pro- 
priété nationale,  fut  vendu  le  5  Frimaire  an  VI.  Depuis  1802,  son  église  est 
restée  une  succursale  de  celle  de  Saint-Sulpice,  jusqu'en  1857  où  elle  fut 
supprimée. 

(1)  La  chapelle  des  Missions  étrangères  fut  louée  alors  par  la  Ville  de 
Paris  pour  l'exercice  du  culte  paroissial,  jusqu'à  son  remplacement  par 
l'église  de  Saint-François-Xavier,  dont  la  construction  commença  en  1861, 
et  qui  fut  livrée  au  culte  le  15  juillet  1874. 

(2)  L'église  provisoire  de  Sainte-Valère  fut  remplacée  par  celle  de  Sainte- 
Clotilde,  dont  les  travaux  de  construction,  commencés  en  J846,  furent 
terminés  en  1856,  et  s'élevèrent  au  prix  total  de  5. 600. C00  francs.  L'église 
de  Sainte-Clotilde  fut  livrée  au  culte  en  1857. 

(3)  Elles  réduisirent  son  territoire  de  488  hectares  à  222  seulement. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  301 

rer  et  compléter  les  ornements,  apportés  de  sa  chapelle 
de  Saint-Germain  des  Prés  et  de  celle  des  Carmes  et  qui, 
pendant  longtemps  ,  restèrent  seuls  en  usage ,  relever  les 
autels  des  chapelles  du  Sacré-Cœur,  de  Saint-Jean-Bap- 
tiste et  de  Saint-Denis,  rétablir  le  banc  d'œuvre,  acheter 
des  vases  sacrés,  un  grand  ostensoir  en  argent,  six  grands 
chandeliers  et  la  croix  en  couleur  d'or  pour  le  maitre- 
autel,  et  reprendre  pour  800  francs  la  boiserie  de  la 
chapelle  du  Sacré-Cœur,  vendue  en  1793.  Et  quand,  le 
25  novembre  1803,  eut  lieu  la  première  séance  de  son 
nouveau  Conseil  de  fabrique,  institué  en  vertu  du  règle- 
ment de  l'archevêque  de  Paris,  du  26  juillet  précédent,  et 
qu'il  lui  présenta  les  comptes  des  dix-huit  mois  écoulés 
de  son  administration  provisoire,  ces  comptes  accusèrent 
une  balance  exacte  entre  l'ensemble  de  ses  dépenses  et 
celui  de  ses  recettes  clans  lesquelles  ne  figuraient  pour- 
tant ni  emprunts  ni  dons  extraordinaires,  mais  seule- 
ment le  produit  des  quêtes  et  des  chaises  et  celui  de  la 
portion  ducasuel  des  mariages  et  des  convois,  attribuée, 
selon  l'usage,  aux  Fabriques.  Il  soumit  en  même  temps 
à  son  approbation  le  budget  de  1804,  qui,  d'après  ses 
prévisions,  devait  se  solder  par  un  excédent  de  recettes  de 
plus  de  10.000  francs  sur  le  total  des  dépenses,  dans  les- 
quelles était  compris  cependant  le  chapitre  entier  des  trai- 
tements de  quatorze  vicaires  (1),  d'un  organiste,  de  six 
chantres  et  de  quatorze  employés  divers.  Il  n'est  pas 
d'exemple  d'une  plus  habile  et  plus  féconde  administra- 
tion fabricienne ,  surtout  dans  des  circonstances  aussi 
difficiles. 

Cette  bonne  situation  financière  permit  au  Conseil  de 
prescrire  la  restauration  immédiate  du  dallage  et  des  vi- 
tres de  l'église ,  et  un  peu  plus  tard  de  faire  réparer  les 

(1)  Dès  le  mois  de  juillet  1805,  il  fut  obligé  de  leur  en  adjoindre  un 
quinzième. 


302  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SI  LPICE. 

dommages  considérables  causés  à  la  toiture  par  le  ter- 
rible ouragan  de  nivôse  an  XII  (janvier  180V),  et  de  ra- 
cheter au  prix  de  1.200  francs  et  de  faire  remettre  en 
place  le  beau  bas-relief  en  bronze  doré  des  frères  Slodtz, 
qui  formait  le  devant  d'autel  de  la  chapelle  de  la  Sainte 
Vierge (1).  En  sorte  que,  à  l'automne  suivant,  quand  le 
bruit  se  répandit  de  la  prochaine  arrivée  en  France  du 
Pape  Pie  VII  pour  le  sacre  de  l'Empereur  (2),  l'église  Saint- 
Sulpice  avait  déjà  effacé  les  traces  apparentes  de  la  dé- 
vastation dont  elle  avait  été  victime  pendant  la  Terreur, 
et  qu'elle  put  se  préparer  à  recevoir  dignement  la  pre- 
mière visite  de  l'auguste  Pontife. 

Cette  visite  eut  lieu  le  dimanche,  23  décembre  1804. 
Neuf  jours  auparavant,  le  i\  décembre,  le  Saint-Père 
avait  daigné  recevoir  au  pavillon  de  Flore,  aux  Tuileries, 
qu'il  habitait,  le  clergé  de  Paris.  31.  Emery,  au  nom  du 
Séminaire,  lui  avait  déjà  rendu  ses  devoirs,  quand  vint  le 
tour  de  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice  daller  au  baisement 
des  pieds.  Mgl  le  cardinal  de  Belloy  le  nomma;  et  sur  ce 
nom  de  Saint-Sulpice,  il  fut  accueilli  très  gracieusement. 
Les  marguilliers  de  la  paroisse  qui  raccompagnaient  et 
au  nombre  desquels  se  trouvaient  deux  sénateurs  :  le 
comte  Lemercier  et  le  comte  Herwin,  et  M.  le  premier 
président  Séguier,  prièrent  le  Pape  d'honorer  leur  église 
de  sa  présence.  Sa  Sainteté  leur  promit  d'y  venir  dire  sa 
messe,  le  dernier  dimanche  del'Avent,  en  ajoutant,  par 


(1)  Pour  achever  la  décoration  de  celte  chapelle,  on  fit  faire  en  carton 
un  agneau  posé  sur  le  livre  des  sceaux  et  pareil  à  celui  qui  existait  autre- 
fois en  bronze  doré;  puis  on  lit  repeindre  et  dorer  économiquement  les 
quatre  grands  candélabres  (chandeliers)  qui  étaient  autrefois  entièrement 
dorés,  et  on  fit  enlever  la  balustrade  en  bois  qui  entourait  l'autel  depuis 
quelques  années,  pour  la  remplacer  par  une  autre  en  fer.  Notes  mss.,p.  19. 

(2)  Pie  VII  était  arrivé  de  Fontainebleau  à  Paris  le  28  novembre  1804, 
nuitamment,  à  6  heures  et  demie  du  soir,  «  pour  cacher  aux  yeux  de  tous 
l'Empereur  à  la  gauche  du  Pape  »  (Mémoire  du  Cardinal  Consalvi, 
t.   II,  p.  403);  et  le  Sacre  avait  eu    lieu  à  Notre-Dame,  le  2  décembre. 


M.   DE  PIERRE  (1802-1836;.  303 

une  distinction  bien  flatteuse  pour  cette  paroisse  ,  qu'Elle 
voulait  commencer  par  elle  sa  visite  des  églises  de  la  ca- 
pitale. 

Au  jour  dit,  le  Saint-Père  arriva  à  Saint-Sulpice,  à 
dix  heures.  M.  de  Pierre  entouré  des  membres  de  son 
clergé,  la  plupart  confesseurs  de  la  Foi  comme  lui,  et  de 
ses  marguilliers ,  le  reçut  à  la  grande  porte  du  péristyle, 
lui  adressa  un  discours  dont  le  Pape  se  montra  très  tou- 
ché, et  le  conduisit  processionnellement,  au  chant  du 
verset  :  Tu  es  Petrus,  jusqu'au  maître-autel,  aux  pieds  du- 
quel il  lui  offrit  à  baiser  une  insigne  relique  qu'un  de 
ses  paroissiens,  le  général  marquis  d'Estourmel.  lui  avait 
confiée  pour  fa  présenter  à  la  vénération  du  Saint-Père. 
C'était  un  morceau  de  la  vraie  croix ,  enchâssé  dans  une 
croix  d'argent  crénelée  ,  que  Godefroy  de  Bouillon  donna 
à  son  ancêtre  Raimbaud  Creton  d'Estourmel,  pour  être 
entré,  le  premier,  dans  la  ville  sainte,  à  l'assaut  de  Jé- 
rusalem en  1099  (1). 

Le  Pape  y  colla  ses  lèvres  et  déclara  qu'il  n'en  pos- 
sédait pas  un  morceau  aussi  considérable  (2).  Il  se  revê- 


(1)  Raimboldus  Creton,  dit  Orderic  Vital,  qui  primus  in  expugnationc 
Jérusalem  ingressus  est. 

Voir  Michaud,  Histoire  des  Croisades,  t.  I,  p.  412,  Paris,  1813,  et 
Xau,  Rapport  sur  les  archives  de  Saint-Sulpice,  p.  16. 

(2)  Et  cependant  ce  morceau  n'était  plus  entier.  Le  général  avait  bien 
voulu  en  faire  détacher  une  parcelle  et  la  donner,  le  14  janvier  1803,  à 
l'église  Saint-Sulpice,  dont  elle  orne  aujourd'hui  le  Trésor.  Nau,  ibid., 
p.  16.  Certificat  du  cardinal  Légat. 

Ce  n'est,  du  reste,  pas  la  seule  relique  dont  ce  Trésor  s'est  enrichi 
pendant  L'administration  curiale  de  M.  de  Pierre. 

En  décembre  1805,  le  même  Légat  'Caprara)  donna  à  l'église  Saint- 
Sulpice  une  relique  de  saint  Sulpice,  son  patron;  et,  dans  sa  séance  du 
16  du  même  mois,  le  Conseil  de  fabrique  commanda  un  riche  reliquaire 
en  bois  doré,  représentant  la  tête  du  Saint,  pour  la  renfermer.  Mais  la 
perte  de  son  authentique  la  fit  retirer  de  l'église,  pour  la  laisser  au  pres- 
bytère. Nau,  iôid.,  p.  17. 

En  1815,  l'abbé  Abeil,  alors  un  des  vicaires  de  la  paroisse,  lui  offiit 
une  portion  de  la  sainte  couronne   d'épines,  qui  provenait  de  l'ancien 


304  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

tit  alors  de  ses  ornements  pontificaux  et ,  assisté  de  ses 
prélats,  célébra  une  messe  basse,  distribua  la  commu- 
nion aux  élèves  du  Séminaire  seuls,  à  raison  du  trop 
grand  nombre  de  fidèles  qui  s'approchèrent  de  la  sainte 
Table,  et  donna  la  bénédiction  papale,  après  laquelle  deux 
ecclésiastiques  proclamèrent,  l'un  en  latin,  l'autre  en 
français,  les  indulgences  attachées  à  cette  bénédiction. 
Puis,  revenu  au  bas  de  l'autel,  il  se  mit  à  genoux  sur  un 
prie-Dieu,  et  assista  à  une  autre  messe  dite  par  son  au- 
mônier, pendant  son  action  de  grâces,  ayant  àses  côtés  le 
sénateur  comte  de  Viry,  chambellan  de  l'Empereur,  rem- 
plissant les  mêmes  fonctions  auprès  de  Sa  Sainteté,  et 
le  prince  Braschi,  neveu  de  Pie  Vf,  commandant  de  sa 
garde  noble. 

A  onze  heures  un  quart,  le  Saint-Père  fut  conduit  à  la 
chapelle  des  Allemands  où  un  trône  lui  avait  été  pré- 
paré et  où  il  admit  à  lui  baiser  les  pieds  le  clergé,  les 
administrateurs  de  la  paroisse  et  des  membres  des  diver- 
ses autorités  civiles  et  militaires.  Au  premier  rang  du 
clergé  se  trouvait  M.  Emery;  le  Pape  le  reconnut  et  lui 
donna  un  nouveau  témoignage  de  son  affection  pater- 
nelle, en    lui  mettant    ses   deux  mains  sur  la  tète  (1). 

Le  même  hommage  de  respect  filial  lui  fut  aussi  rendu 
par  la  présidente ,  les  dignitaires  et  les  simples  membres 


couvent  des  Malhurins,  à  Paris  (l'abbé  Delarc,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  229),  et 
qui  fut  reconnue  de  nature  identique  à  celle  de  Notre-Dame. 

Et  en  1825,  l'abbé  duc  de  Rohan,  qui  mourut,  en  1833,  cardinal  et  ar- 
chevêque de  Besançon,  offrit  à  l'église  de  Sainl-Sulpice  le  corps  de  saint 
Savinien.  martyr,  qu'il  avait  obtenu  à  Rome,  en  témoignage  de  sa  re- 
connaissance pour  toutes  les  grâces  qu'il  avait  reçues  sur  celle  paroisse 
et  dans  cette  église,  où  il  célébra  sa  première  messe,  le  22  juin  1822. 
L'authentique  de  cette  relique  insigne  lui  avait  été  délivrée,  à  Rome, 
par  le  Cardinal  Vicaire,  le  11  mai  1825.  Une  décision  du  Conseil  de  fa- 
brique, du  18  novembre  1826,  prescrivit  le  dépôt  de  ce  corps  saint  dans 
l'intérieur  du  maitre-autel.  Nau,  ibid.,  p.  18. 

(1)  L'abbé  Gosselin,  Vie  de  M.  Emery,  t.  If,  p.  147. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  305 

de  l'Association  du  catéchisme  de  persévérance  des 
jeunes  filles,  qui  lui  furent  présentées  par  leurs  supé- 
rieurs, MM.  de  Sambucy  et  de  Quelen  (1),  puis,  après  elles, 
par  un  grand  nombre  de  jeunes  gens,  dont  l'un,  M.  Maxi- 
milien  Séguier,  lui  adressa,  au  nom  de  tous,  à  genoux,  la 
parole  en  latin.  Sa  Sainteté,  visiblement  satisfaite  de  son 
allocution,  daigna  lui  répondre  dans  la  même  langue,  à 
peu  près  en  ces  termes  :  «  Rien  ne  m'est  plus  agréable 
«  que  ces  sentiments  de  religion  exprimés  par  des  jeunes 
«  gens.  Je  prie  Dieu  qu'il  les  conserve  dans  vos  cœurs, 
«  qu'il  vous  y  fasse  trouver  votre  félicité  dès  cette  vie  ,  et 
«  qu'il  vous  en  récompense  par  la  couronne  d'immorta- 
«  lité.  » 

A  midi  trois  quarts,  le  Saint-Père  sortit  de  l'église;  la 
foule  immense  qui  la  remplissait,  reçut  de  nouveau  sa 
bénédiction ,  tout  heureuse  de  voir  au  milieu  d'elle  le 
Père  commun  des  fidèles;  et  quand  il  parut  sous  le  péri- 
style, le  peuple  qui  remplissait  aussi  la  grande  place  fit 
retentir  les  airs  des  cris  répétés  de  :  Vive  le  Saint-Père  (2). 

Le  lendemain,  M.  de  Pierre  recevait  une  lettre  du  secré- 
taire intime  de  Sa  Sainteté ,  qui  lui  exprimait ,  en  son 
nom ,  toute  la  satisfaction  qu'elle  avait  éprouvée  de  la  ré- 
ception qui  lui  avait  été  faite  la  veille. 

Le  Conseil  de  fabrique  aurait  désiré  un  peu  plus  tard 
perpétuer  le  souvenir  de  cette  visite  de  Pie  VII  par  une 
inscription  commémorative.  Mais  M.  de  Pierre  s'y  opposa 
en  arguant  des  tristes  circonstances  de  son  voyage  à 
Paris  (3).  Il  faisait  allusion,  par  ces  paroles,  aux  amertu- 
mes que  le  doux  et  saint  Pontife  avait  éprouvées  pendant 
toute  la  durée  de  son  séjour  dans  la  capitale,  en  voyant 


(1)  M.  Faillon  :  Histoire  des  catéchismes  de  Saint-Sulpice,   p.   151  et 
152.  Paris,  Gaume,  éd.  1831. 

(2)  La  Gazette  de  France  :  Numéro  du  24  décembre  1804. 

(3)  îyotes  mss.  sur  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  1793-1826,  p.  20  et  21. 

ÉGLISE    SAIXT-SULPICE.  20 


106  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT  SULl'ICE. 

sa  complaisance  généreuse  à  venir  lui-même  sacrer  l'Em- 
pereur à  Notre-Dame,  payée  uniquement  par  l'ingrati- 
tude de  Napoléon  et  par  l'inflexibilité  de  ses  refus  à  toutes 
les  demandes  qu'il  lui  adressait,  soit  pour  la  modification 
des  articles  organiques  du  Concordat,  soit  pour  la  resti- 
tution des  Légations,  l'ancien  patrimoine  de  l'Église. 
Deux  faits  seuls,  en  effet,  selon  la  juste  remarque  de  l'é- 
loquent historien  de  l'Eglise  romaine  et  le  premier  Em- 
pire ,  «  firent  descendre  d'en  haut  un  peu  de  consolation 
«  dans  son  àme  désolée  »  :  la  réception,  pleine  de  respect 
et  d'affection,  que  lui  firent  les  habitants  de  Paris,  et  la 
rétractation  complète  des  évêques  constitutionnels  «  qui 
«  fut  son  œuvre  personnelle  et  le  triomphe  de  son  irré- 
el sistible  charité  (1)  ». 

L'église  de  Saint-Sulpice  eut,  une  seconde  fois,  le  bon- 
heur de  jouir  de  la  présence  de  Pie  VII.  Ce  fut  le  2  fé- 
vrier 1805,  en  la  fête  de  la  Purification  de  la  Sainte  Vierge, 
jour  où  Sa  Sainteté  vint  y  sacrer  elle-même  M.  de  Pradt, 
évêque  de  Poitiers  (2),  et  M.  Paillon,  évêque  de  la  Ro- 
chelle (3).  Elle  avait  choisi  pour  ses  assistants  quatre  évê- 
ques romains  :  Mgr  Fenaja,  archevêque  de  Philippes , 
Vice-gérant  de  Rome;  Mgr  Bestazzoli,  archevêque  d'E- 
desse.  distributeur  des  aumônes  du  Saint-Père,  tous  deux 


(1)  Le  comte  d'IIaussonville  :  V Église  romaine  et  le  premier  Empire , 
t.  I,  p.  375. 

(2)  L'abbé  de  Pradt,  né  à  Allanehes,  en  Auvergne,  en  1759,  avait  été 
député  aux  États  généraux.  Émigré  en  1791,  il  était  rentré  en  France 
en  1801  et,  grâce  à  l'appui  de  Duroc,  son  parent,  était  devenu  aumônier  de 
l'Empereur,  au  sacre  duquel  il  remplit  la  fonction  de  Maître  des  cérémo- 
nies du  clergé.  Nommé  plus  lard  archevêque  de  Malines,  il  fut  chargé  par 
Napoléon,  en  1812,  d'une  ambassade  extraordinaire  à  Varsovie,  dont  il  a 
écrit  la  relation.  Il  mourut  en  1837. 

(3)  La  veille,  dans  un  consistoire  public  qu'il  avait  tenu  dans  la  grande 
salle  de  l'archevêché,  le  Pape,  après  avoir  placé  le  chapeau  sur  la  tête 
des  cardinaux  de  Belloy  et  de  Cambacérès,  avait  imposé  le  rochet  aux 
deux  nouveaux  élus  des  églises  de  Poitiers  et  de  la  Rochelle.  La  Gazette 
de  France  du  3  février  1805. 


M.  DE  P1ERHE  (1802-1836).  307 

co-consécrateurs;  Mgr  Devoti,  archevêque  de  Carthage, 
secrétaire  des  brefs  aux  princes,  et  Mgr  Menochio,  évèque 
de  Porphire,  sacriste  du  Pape,  qui  se  tirent  tous  remar- 
quer par  leur  profond  recueillement,  leur  figure  véné- 
rable et  leur  noble  simplicité  (1).  Cette  imposante  céré- 
monie eut  lieu  en  présence  de  tous  les  évêques  français 
qui  se  trouvaient  alors  à  Paris ,  et  d'un  concours  immense 
de  fidèles.  Commencée  à  dix  heures  un  quart,  elle  ne  fut 
terminée  qu'à  midi  et  demi. 

Comment  et  par  quel  motif  l'honneur  en  fut-il  réservé 
à  l'église  de  Saint-Sulpice ,  plutôt  qu'à  la  cathédrale? 
Cette  préférence  ne  s'explique  que  par  la  même  cause 
qui  fit  obstacle  à  ce  que  le  Pape  officiât  solennellement, 
avec  tout  l'éclat  des  grandes  cérémonies  pontificales ,  le 
jour  de  Noël,  à  Notre-Dame  de  Paris  (2),  et  le  jour  de 
Pâques ,  à  Saint-.lean  de  Lyon.  «  Qu'il  faille  1  attribuer, 
«  dit  encore  le  comte  d'Haussonville ,  soit  à  son  carac- 
«  tère  sacré,  soit  à  l'impression  produite  par  son  âge, 
«  par  le  doux  éclat  de  son  visage  presque  toujours  animé 
«  du  plus  gracieux  sourire,  il  est  certain  que  l'accueil 
«  empressé  de  la  multitude  ne  lui  fit  jamais  défaut  pen- 
«  dant  tout  le  temps  que  dura  sa  résidence  dans  la  ca- 
«  pitale.  Chose  singulière!  qu'on  aura  peine  à  croire, 
«  si  l'on  ne  savait  ce  que  peuvent  être  sur  ce  point  clé- 
«  licat  les  susceptibilités  des  pouvoirs  absolus,  même  les 
«  mieux  établis,  même  les  plus  illustres.  Bonaparte  fut 
«  un  moment  jaloux  de  la  popularité  de  Pie  VII.  Par  un 
«  misérable  ombrage,  le  glorieux  vainqueur  de  tant  de 
«  batailles,  qui  passait  au  Champ  de  Mars  des  revues  où 
«  courait  avec  ardeur  la  foule  enthousiaste  de  ses  admi- 


(1)  Ibid.,  p.  532. 

(2)  Le  jour  de  Noël,  en  effet,  le  Pape,  après  avoir  dit  deux  messes  dans 
sa  chapelle,  ne  dit  qu'une  messe  basse,  à  Notre-Dame,  à  10  heures  et 
demie  du  matin.  La  Gazette  de  France  du  26  décembre  1804  . 


308  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

«  rateurs .  ne  put  pas  prendre  sur  lui  de  permettre  que 
«  le  Pape  officiât  pontificalement  à  Notre-Dame  (1).  » 

Et  le  cardinal  Consalvi  confirme  cette  petitesse  jalouse 
de  Napoléon,  quand  il  ajoute  dans  ses  Mémoires  (2)  que 
le  départ  de  Paris  du  Saint-Père,  qui  eut  lieu  le  6  avril 
et  qui  coïncida  avec  les  solennités  de  la  semaine  sainte, 
fut  calculé  de  manière  à  ce  qu'il  célébrât  la  fête  de  Pâques 
à  Chàlon  et  non  pas  à  Lyon,  ville  très  catholique,  où  il 
aurait  éclipsé  l'Empereur. 

Aujourd'hui,  à  près  d'un  siècle  de  distance  de  tous  ces 
événements,  les  raisons  qui  ont  dicté  la  conduite  de  M.  de 
Pierre  ont  perdu  leur  valeur  et  ne  se  comprennent  plus. 
Mais  ces  deux  visites  de  Pie  VII  à  Saint-Sulpice  demeurent 
comme  deux  des  faits  les  plus  considérables  à  consigner 
dans  les  annales  de  cette  église  et  qui  méritent,  à  ce  titre, 
que  le  marbre  ou  le  bronze  les  rappelle,  d'âge  en  âge, 
au  pieux  souvenir  des  fidèles. 

Vers  la  mi-avril  de  la  même  année  1805,  M.  de  Pierre 
reçut  des  créanciers  de  l'abbé  Mahieu  une  sommation 
judiciaire  d'avoir  ou  à  les  désintéresser  ou  à  leur  laisser 
enlever  les  objets  par  eux  fournis,  savoir  :  le  maitre-autel 
et  ses  six  marches,  les  stalles  du  chœur  et  le  pavé  du 
sanctuaire.  Le  Conseil  de  fabrique,  auquel  il  la  transmit, 
jugea  leur  demande  bien  fondée,  et,  n'étant  pas  en  me- 
sure d'y  faire  droit,  sollicita  un  secours  de  la  munificence 
impériale  par  une  supplique,  adressée  en  son  nom,  le  19 
avril,  par  le  président  Séguier,  l'un  de  ses  membres,  au 
ministre  des  cultes.  La  réponse  ne  se  fit  pas  attendre.  Le 
19  mai  suivant,  le  ministre  annonçait  à  M.  de  Pierre 
que  l'Empereur  mettait  à  sa  disposition  une  somme  de 
12.000  francs  pour  l'acquit  des  dettes  contractées  pour  les 


(1)  Le  comte  d'Haussonville  :  l'Église  romaine  et  le  premier  Empire, 
t.  I,  p.  375  et  376,  3e  éd. 

(2)  Mémoires  du  cardinal  Consalvi,  t.  II,  p.  411  et  412. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  309 

réparations  du  chœur;  et,  le  3  juillet,  Sa  Majesté  ajoutait 
une  autre  somme  de  1.680  francs  à  ce  premier  don  pour 
l'achat  des  ohjets  essentiels  dont  la  sacristie  pouvait  man- 
quer. 

Ainsi  libéré  de  ses  dettes,  M.  de  Pierre  s'occupa  sans 
relâche  de  l'ameublement  et  de  la  décoration  de  sa  belle 
église.  Il  obtint  de  sa  Fabrique  un  premier  crédit  de 
V.000  francs  qui  lui  permit  d'augmenter  le  nombre  des 
stalles  du  chœur  (1)  que  l'assistance  presque  journalière 
des  ecclésiastiques  de  la  paroisse  aux  cérémonies  de  la 
paroisse  rendait  insuffisant,  de  rétablir  les  lambris  en 
menuiserie  de  tout  son  pourtour,  et  d'en  clore  les  issues 
par  deux  grilles  placées  en  face  des  deux  sacristies.  En 
1816,  il  fit  agrandir  la  petite  sacristie,  restaurer  toutes  les 
chapelles  latérales,  et  réparer  celles  du  sous-sol,  pour 
pouvoir  y  réinstaller  les  catéchismes  comme  autrefois. 
En  1808,  la  Fabrique  lui  alloua,  sur  l'excédent  des  recet- 
tes du  précédent  exercice,  un  premier  crédit  de  12.000 
francs  pour  la  confection  de  deux  grands  ornements,  l'un 
en  velours  rouge,  et  l'autre  en  soie  blanche  brodée;  et, 
trois  mois  après,  un  second  de  8.000  francs  pour  l'achat 
d'une  grande  croix,  de  chandeliers  et  d'une  lampe  pour 
le  sanctuaire.  En  1809,  tous  les  fonds  disponibles  furent 
employés  à  réparer  les  dégâts  occasionnés  à  la  toiture  par 
un  nouvel  ouragan,  survenu  le  8  janvier. 

L'année  suivante,  eut  lieu,  le  7  octobre,  la  première 
séance  du  nouveau  Conseil  de  fabrique,  institué  en  vertu 
du  décret  organique  du  30  décembre  1809  (2). 


(1)  La  rangée  supérieure  de  ces  nouvelles  stalles  fut  formée  de  celles  de 
l'abbaye  royale  de  Saint-Denis,  que  M.  de  Keravenant,  son  premier  vi- 
caire, avait  pu  acheter  au  prix  de  Soo  francs. 

(2)  Il  se  composait  de  MM.  le  comte  de  Cossé-Brissac,  sénateur;  le  che- 
valier Cauchy,  secrétaire  archiviste  du  Sénat,  le  chevalier  Borel,  con- 
seiller à  la  Cour  de  cassation;  le  chevalier  Vasse  de  Saint-Ouen,  doyen 
de  la  même  Cour;  Audinot,  rentier,  tous  cinq  nommés  par  Ordonnance  du 


310  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

En  mars  1811,  ce  Conseil  autorisa  la  commande  d'un 
ornement  noir,  au  prix  de  V.OOO  francs.  En  mai  1812,  il 
obtint  la  restitution  des  quatre  tableaux  de  Vanloo  qui 
décoraient  anciennement  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge, 
et  celui  de  saint  Michel,  de  Mignard,  qui  fut  replacé  dans 
la  chapelle  de  cet  archange;  et  le  Gouvernement  lui 
accorda,  en  outre,  cinq  autres  tableaux.  En  octobre  1813. 
il  vota  enfin  un  crédit  de  3.200  francs  pour  l'achat  d'une 
exposition  du  Saint-Sacrement  et  d'un  tapis  du  maitre- 
autel  et  pour  la  réparation  des  lustres. 

On  le  voit,  pendant  toute  la  durée  de  l'Empire,  il  n'y  a 
guères  que  les  ornements  qui  aient  été  l'objet  d'une  dé- 
pense un  peu  élevée.  Il  en  va  tout  autrement  sous  la  Res- 
tauration, où  M.  de  Pierre  obtient  de  son  Conseil  de  fa- 
brique des  sommes  considérables .  dont  le  chiffre  total 
dépasse  200.000  francs,  pour  faire  les  achats  et  prescrire 
les  travaux  qu'il  jugea  les  plus  propres  à  contribuer  à 
l'embellissement  intérieur  de  l'église  et  à  rehausser  l'éclat 
de  ses  cérémonies. 

Dès  1817.  il  consacre  3.000  francs  à  la  confection  d'un 
dais,  en  drap  d'or  brodé.  En  1819,  il  rentre  en  possession 
du  mausolée  de  M.  Languet,  qui  était  déposé  au  Musée 
des  monuments  français,  et  que  l'Empire  s'était  refusé  à 
lui  rendre;  mais  sa  réparation  et  sa  remise  en  place  lui 
coûtent  plus  de  10.000  francs. 

Bientôt  après,  grâce  à  l'appui  de  son  Conseil  de  fabri- 
que, dont  il  sait  rendre  les  finances  de  plus  en  plus  pros- 
pères, à  de  généreux  dons  particuliers  et  à  ses  propres 


23  septembre  1810,  des  vicaires  généraux  capitulaires  de  l'archevêché  de 
Paris,  et  de  MM.  les  comtes  de  Viry,  Lemercier  et  Herwyn,  sénateurs; 
le  baron  Sé«uier,  premier  Président  de  la  Cour  d'appel,  tous  quatre  nom- 
més par  arrêté  du  Préfet  de  la  Seine,  du  2  octobre  1810,  et  de  M.  de  la 
Bonardière,  maire  du  XI"  arrondissement,  membre  de  droit. 

M.  le  comte  de  Viry  (ut  élu  président,  M.  Cauchy,  secrétaire,  et  M.  Au- 
dinot ,  trésorier. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  311 

libéralités,  il  lui  est  donné  de  réaliser  deux  de  ses  vœux 
les  plus  chers  :  celui  de  doter  son  église  d'un  autel  en 
rapport  avec  la  beauté  de  l'édifice,  et  celui  de  la  gratifier 
d'une  sonnerie,  aussi  puissante  et  aussi  harmonieuse  que 
l'ancienne. 

Le  22  mai  1820,  sur  sa  proposition,  son  Conseil  charge 
M.  Godde,  architecte  en  chef  du  département  de  la  Seine, 
de  dresser  le  plan  d'un  nouveau  maître-autel.  Le  8  mars 
1821,  ce  plan  lui  est  soumis;  il  l'approuve  et  en  décide 
l'exécution  immédiate. 

Le  27  décembre  1823,  il  vote  une  somme  de  22.000 
francs  pour  la  fonte  du  tabernacle,  en  bronze  doré,  prévu 
par  ce  plan,  et  d'après  le  dessin  de  son 
auteur 22.000  fr. 

Terminé  tout  entier  en  septembre  182'+, 
l'autel  est  consacré  par  l'archevêque  de 
Paris,  M5'  de  Quelen,  le  27  octobre  suivant. 

Le  Conseil  n'eut  à  en  payer  que  la  main- 
d'œuvre,  qui  lui  revint  à 17.000  fr. 

parce  que  la  majeure  partie  des  marbres  lui 
fut  gracieusement  octroyée  par  le  ministère 
des  cultes  (1). 

Le  15  janvier  1825,  le  vicomte  d'Ars  lui 
fait  cadeau  de  l'Exposition,  dite  des  Pal- 
miers, elle  aussi  en  bronze  doré,  et  destinée 
à  orner  le  tabernacle  aux  jours  d'exposition 
du  Très  Saint-Sacrement.  Elle  est  évaluée.   .       19.000  fr. 

Le  Conseil  vote  ensuite  successivement  : 
le  11  avril  suivant 20.000  fr. 


A  reporter 78.000  fr. 


(1)  Les  marbres  blanc  et  bleu  turquin  servirent  à  la  confection  des 
marches  de  l'autel  qui  lurent  réduites  à  six  au  lieu  des  sept  qui  exis- 
taient avant  la  Révolution. 


312  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULP1CE. 

Report 78.000  fr. 

pour  la  fabrication  de  deux  grands  candé- 
labres, de  même  métal,  à  placer  de  chaque 
côté  de  l'autel;  le  18  du  môme  mois  ....  18.000  fr. 
pour  celle  de  6  chandeliers  et  d'une  grande 
croix,  également  en  bronze  doré,  destinés 
à  le  surmonter; 

Et   le    k   décembre    1827,  une    dernière 

somme  de 10.000  fr, 

pour  celle  en  métal  semblable,  du  bas-relief, 
dessiné  par  Debay,  qui  représente  «  Notre- 
Seigneur  enfant  au  milieu  des  docteurs  », 
et  qui  en  orne  aujourd'hui  le  devant. 

En  sorte   que   le  prix  de  revient  de  ce 
maitre-autel,  avec  tous  ses  accessoires,  re-     


présente  une  somme  totale  de 106.000  fr. 

non  compris  la  valeur  des  marbres  employés  dans  sa 
construction. 

Quelques  semaines  après  sa  consécration,  on  procédait 
au  montage  des  trois  premières  cloches  de  la  nouvelle 
sonnerie.  C'était  un  don  personnel  de  M.  de  Pierre.  Mer  de 
Quelen  daigna  revenir  à  Saint-Sulpice,  le  26  novembre 
182'*,  pour  les  bénir. 

La  première,  du  poids  de  12.012  livres,  et  nommée 
Thérèse,  eut  pour  parrain  M.  de  Damas,  au  nom  du  feu 
roi  Louis  XVIII,  et  pour  marraine  Madame  la  Dauphine; 

La  seconde,  pesant  8.060  livres  et  nommée  Caroline, 
eut  pour  parrain  le  roi  Charles  X  et  pour  marraine  la 
duchesse  de  Berry  ; 

La  troisième,  de  1.950  livres  seulement,  et  nommée 
Henriette-Louise,  eut  pour  parrain  le  duc  de  Bordeaux 
et  pour  marraine,  iMademoiselle. 

A  l'occasion  de  cette  cérémonie,  la  famille  royale  fit  à 
la  Fabrique  un  don  de  19.000  francs,  qu'elle  employa, 
sur  la  proposition  de  M.  le  curé,  à  l'achat  d'ornements. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836,. 


313 


Vue  de  la  chapelle  du  Sacré-Cœur. 


314  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

Deux  autres  cloches  furent  payées  par  la  Fabrique 
pour  compléter  la  sonnerie,  et  bénites  par  M.  de  Pierre, 
le  26 mai  1829  :  l'une,  du  poids  de  6.000  livres,  qui  fut 
appelée  Louise;  et  l'autre,  du  poids  de  5.000  livres,  qui 
fut  nommée  Marie. 

En  1825,  M.  de  Pierre  fut  promu  à  l'Évêché  de  Saint- 
Claude.  Son  attachement  à  ses  paroissiens  le  lui  fit  refu- 
ser. Ils  lui  en  témoignèrent  leur  reconnaissance,  en  lui  of- 
frant une  magnifique  chasuble  en  brocart  d'or  (1). 
L'année  suivante  (2),  son  Conseil  de  fabrique  vota  une 
somme  de  30.000  francs  pour  la  confection  de  tout  un 
ornement,  en  cette  belle  étoile,  qui  pût  servir  aux  gran- 
des fêtes;  et,  en  1829,  il  consacra  une  autre  somme  de 
3V. 000  francs  à  l'achat  de  deux  autres  grands  ornements, 
l'un  en  velours  rouge  et  l'autre  en  velours  vert. 

En  1831,  enfin,  M.  de  Pierre  lui  présentait,  pour  la  ré- 
paration de  l'orgue,  un  devis  de  15.000  francs,  sur  les- 
quels il  offrait  de  contribuer  personnellement  pour  8.000. 


11 


Mais  la  sollicitude  qu'il  ne  cessa  de  témoigner,  à  toutes 
les  époques  de  son  ministère  pastoral,  pour  la  restaura- 
tion et  l'embellissement  de  son  église,  ne  ralentit  jamais 
l'ardeur  de  son  zèle  au  service  des  âmes  dont  il  avait 
la  charge. 

Instruit  par  les  cruelles  épreuves  que  la  Révolution 
lui  avait  fait  subir,  il  comprenait  mieux  que  personne 
que  la  société,  sapée  dans  sa  base  par  la  philosophie 
menteuse  du  xvme  siècle,  ne  pouvait  être  relevée  que  par 
une  forte  et  chrétienne  éducation  des  générations  nou- 


1 A  sa  mort,  le  vicomte  de  Pierre,  son  frère  et  son  légataire  universel, 
laissa  à  la  Fabrique  cette  chasuble,  estimée  6.000  francs. 
(2)  Procès-verbal  de  la  séance  du  Conseil  de  fabrique,  du  10  avril  182G. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836)  315 

velles  (1).  Aussi,  s'appliqua-t-il  de  tout  son  pouvoir  à  la 
procurer  à  sa  paroisse. 

Dès  son  entrée  en  fonctions,  en  1803,  il  s'aboucha  avec 
l'administration  générale  des  hospices,  et  se  fit  mettre 
par  elle  en  possession  de  deux  maisons  de  la  rue  Férou, 
qui  avaient  appartenu  autrefois  aux  pauvres  de  la  pa- 
roisse. Dans  la  première,  où  il  réserva  une  salle  pour  le 
bureau  de  bienfaisance,  il  en  appropria  deux  autres  à  la 
tenue  de  deux  écoles  de  garçons,  qu'il  confia  à  deux  frères 
des  écoles  chrétiennes  et  qui  réunirent  de  suite  150  en- 
fants. L'année  suivante,  il  installa  les  sœurs  de  Charité 
dans  la  seconde,  qu'elles  avaient  occupée  déjà  avant  la 
Révolution;  et  elles  y  ouvrirent  immédiatement  trois 
écoles  et  un  ouvroir,  qui  ne  tardèrent  pas  à  compter  en- 
semble plus  de  200  élèves  (2). 

Plus  tard,  en  1826,  quand  ces  deux  immeubles  furent 
englobés  dans  la  construction  et  les  dépendances  du 
nouveau  Grand  Séminaire,  il  procura  une  autre  installa- 
tion aux  sœurs  au  n°  9  de  la  rue  Mézières,  et  aux  frères 
au  n°  6  de  la  rue  de  Fleurus,  dans  une  vaste  maison  bâtie 
aux  frais  de  la  ville,  où  il  put  en  loger  dix-huit  et  leur 
faire  élever  plus  de  V00  enfants  de  la  paroisse. 

Enfin,  en  1834,  il  ouvrit,  à  ses  frais,  deux  salles  d'asile, 
l'une  rue  Neuve  de  Madame,  et  l'autre  au  n°  2  de  la  rue 
du  Pont  de  Lodi,  aux  enfants  des  deux  sexes,  âgés  de 
deux  à  sept  ans,  qui  y  étaient  reçus  de  7  heures  du  matin 


(1)  Rendre  chrétienne  la  génération  qui  commence,  disait  déjà  Gcrson , 
c'est  assurer  le  salut  des  peuples.  «  Non  fallebatur  qui  allirmavit  repara- 
lionem  morum  inchoendain  esse  a  parvulis.  »  Et  il  ajoutait  :  Quod  si  a 
parvulis,  ubi  precor  efficacius  quam  in  celeberrima  civitate  Parisiensi. 
De  parvulis  ad  Cfiristum  trahendis. 

(2)  Lettre  de  M.  de  Pierre,  de  janvier  1812,  en  réponse  à  celle  qu'il  avait 
reçue,  le  23  décembre  1811,  du  ministre  des  cultes,  dans  laquelle  il  exprime 
le  regret  de  ne  pouvoir  pas  encore,  faute  de  ressources,  ouvrir  une  troi- 
sième école  de  garçons.  V.  Nau,  loc.  cit.,  p.  76. 


316  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAlNT-SULPICE. 

à  6  heures  du  soir  (1),  et  qui,  à  partir  de  cinq  ans,  y 
apprenaient,  avec  les  premiers  éléments  de  la  religion, 
à  lire  et  à  écrire. 

Tous  ses  efforts  tendirent  également  à  assurer  une  so- 
lide instruction  religieuse  aux  enfants  et  aux  adultes. 

A  peine  installé,  il  s'occupa  de  la  réorganisation  des 
catéchismes;  et  il  eut  le  bonheur  de  rencontrer  dans 
leurs  directeurs  sulpiciens  des  hommes  du  plus  haut 
mérite,  surtout  M.  Teysseyrre,  dont  Mgr  Dupanloup,  qui 
excella  lui-même  dans  cet  enseignement  essentiel,  a  dit 
«  qui/  fut  un  homme  d'un  vrai  génie  pour  les  enfants  ». 
«  Le  connaître,  ajoutait-il,  fut  pour  moi  un  bienfait  im- 
«  mense  et  toute  une  révolution  dans  mes  habitudes 
«  desprit.  Je  pris  du  moins,  en  l'étudiant  de  mon  mieux, 
«  l'horreur  de  mes  défauts  et  de  ma  rhétorique,  et  un 
«  certain  goût  de  vérité  simple  et  d'onction  pour  parler 
«  aux  enfants,  qui  ont  fait  qu'à  une  distance  infinie  de 
«  ce  modèle  j'ai  trouvé  quelquefois  le  chemin  de  leur 
«  esprit  et  de  leur  cœur  (2).  » 

Au  mois  d'octobre  1802,  il  rouvrit  six  catéchismes, 
trois  pour  les  filles  et  trois  pour  les  garçons  :  les  deux 
premiers,  dits  petits  catéchismes, ,  pour  les  enfants  au- 
dessous  de  dix  ans;  les  deux  seconds,  dits  de  première 
communion,  pour  les  enfants  de  dix  à  douze  ans,  et  les 
deux  troisièmes,  dits  grands  catéchismes  ou  de  persévé- 
rance, pour  les  enfants  qui  avaient  fait  leur  première 
communion. 

En  même  temps,  il  affecta  à  la  tenue  du  catéchisme  de 
persévérance  des  jeunes  filles  la  chapelle  des  Allemands, 
où  il  n'a  plus  cessé  de  se  faire,  au  lieu  et  place  de  la 


(1)  Nau,  Rapport  sur  les  archives  de  Saint-Sulpice ,  p.  79.  La  pre- 
mière salle  d'asile  date,  en  France,  de  1828;  elle  avait  été  fondée,  à  Paris, 
par  M.  Cochin. 

(2)  L'abbé  Lagrange,  Vie  de  M«r  Dupanloup ,  t.  I,  p.  71. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  317 

chapelle  de  la  Communion,  qui  lui  était  réservée  avant  la 
Révolution,  mais  qui,  détruite  par  l'incendie  du  k  novem- 
bre 1798,  n'a  plus  été  rebâtie. 

L'année  suivante,  les  deux  chefs  de  ce  catéchisme, 
M.  de  Sambucy  et  M.  de  Quelen,  le  futur  archevêque  de 
Paris,  crurent  le  moment  venu  de  rétablir  parmi  les  jeu- 
nes filles  qui  le  suivaient  l'ancienne  association  dont 
M.  de  Sambucy  avait  été  le  supérieur.  Ils  en  obtinrent 
l'autorisation  du  Directeur,  alors  M.  Frayssinous  ;  et  ils 
fixèrent  sa  première  réunion  au  18  novembre  180i,  jour 
de  la  fête  de  la  Présentation  de  la  Sainte  Vierge  (1).  A  la 
mort  de  M.  de  Pierre,  cette  Association  comptait  plus  de 
500  membres. 

En  1809,  M.  Teysseyrre  et  M.  Fayet  (2),  qui  étaient  les 
chefs  du  grand  catéchisme  des  garçons,  gémissaient  de 
voir  la  plupart  de  ces  enfants  s'éloigner  de  ce  catéchisme 
presque  aussitôt  après  leur  première  communion  et  ou- 
blier tout  ce  qu'ils  y  avaient  appris.  Ils  fondèrent  alors, 
sous  le  titre  d' Académie  de  Saint-Sulpice ,  une  associa- 
tion spéciale  des  garçons  qui  avaient  fait  leur  première 
communion,  analogue  à  celle  des  jeunes  filles,  et  à  la- 
quelle ils  surent  les  retenir  par  des  entretiens  pleins  de 
charme  et  d'intérêt  et  par  d'agréables  récréations,  tout  en 
lui  laissant  son  caractère  principal  de  catéchisme.  Res- 
treinte d'abord  à  13  membres,  elle  en  porta  le  nombre, 
dès  1810,  à  90,  dont  i0  titulaires,  30  candidats  et  *20  as- 
pirants. Ses  réunions  étaient  appelées  séances;  son  pré- 
sident, modérateur.  A  chaque  réception,  le  Directeur 
adressait  la  parole  au  nouvel  élu,  qui  devait  lui  répon- 
dre. Le  président  prononçait  à  son  tour  une  courte  al- 
locution. Mgl  Dupanloup,  après  sa  première  communion. 


(1)  Sa  première  présidente,    nommée   ce  jour-là,    fut   Mllc   Eulalie  de 
Gibon. 

(2)  Mort  évèque  d'Orléans. 


318  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT  SILPICE. 

en  1815,  assista  à  quelques-unes  de  ces  séances,  lors- 
qu'il entra  à  la  petite  communauté  (1).  C'était  un  de  ses 
meilleurs  souvenirs.  «  M.  Teysseyrre,  dit-il ,  y  inspirait 
«  tout.  MM.  de  Salinis  (2)  et  de  Scorbiac  (3)  y  par- 
te laient.  Il  y  avait  là  de  belles  instructions,  de  beaux 
«  points  de  vue,  un  bon  goût,  un  bon  ton,  Un  bon  lan- 
ce gage;  c'était  excellent.  En  allant  à  Saint-Nicolas,  je 
«  regrettai  beaucoup  cette  académie,  qui  marchait  mer- 
«  veilleusement  (1).  » 

En  1817,  M.  Teysseyrre  changea  son  nom  en  celui  plus 
modeste  d'Association  de  saint  Louis  de  Gonzague. 
Deux  ans  plus  tard,  placée  sous  la  direction  de  M.  de  Sa- 
linis, elle  devint  très  nombreuse  et  compta  plus  de  300  en- 
fants, placés  pour  la  plupart  dans  des  pensions  situées 
sur  la  paroisse.  L'abbé  de  Salinis  sollicita  alors  pour 
elle  des  indulgences  du  Saint-Siège,  qui  daigna  les  lui 
accorder  par  un  rescrit  du  7  mars  1819.  Le  6  juin  sui- 
vant, M.  l'abbé  de  Rolian  fut  reçu  au  nombre  des  Asso- 
ciés honoraires. 

En  18*21,  d'après  l'avis  de  son  nouveau  Directeur, 
M.  (iignoux,  M.  de  Pierre  consentit  à  ce  que  cette  asso- 
ciation fût  réunie  au  catéchisme  de  première  commu- 
nion des  garçons;  mais  il  la  rétablit  séparément,  en 
183i,  sous  le  titre  de  Catéchisme  de  persévérance  des 
(/arçons,  et  lui  assigna  pour  lieu  de  réunion  la  chapelle 
souterraine  du  péristyle  où  elle  ne  tarda  pas  à  compter 
150  jeunes  gens. 

En  18*23,  MM.  Dupuch  (5)  et  Faillon,  alors  catéchistes, 
fondèrent  entre  les  enfants  des  divers  catéchismes  de  la 


(1)  Elle  avait  été  restaurée  par  M.  Teysseyrre,  au  rr  20  de  la  rue  du  Regard. 

(2)  Mort  archevêque  d'Auch. 

(3)  L'abbé  de  Scorbiac  devint  ensuite  Directeur  du  collège  de  Juilly,  de 
1828  à  1840,  avec  M.  de  Salinis. 

(4)  L'abbé  Lagrange,  Vie  de  Msr  Dupanloup ,  t.  I,  p.  32  et  33. 

(5)  L'abbé  Dupuch  est  mort  archevêque  d'Alger. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  31«J 

paroisse,  sous  le  nom  de  Petite  Œuvre,  une  association  de 
Charité,  consacrée  à  la  Sainte  Enfance  de  Marie,  dont  le 
but  était  de  procurer  l'éducation  d'un  certain  nombre 
de  jeunes  filles  pauvres  de  la  paroisse,  moyennant  la 
légère  rétribution  de  trente  centimes  par  mois,  versés 
par  chaque  associé.  Fort  goûtée  des  enfants,  cette  col- 
lecte atteignit,  en  peu  d'années,  un  chiffre  assez  important 
pour  permettre  d'élever,  au  n°  18  de  la  rue  du  Regard, 
seize  jeunes  filles,  de  sept  à  vingt  et  un  ans,  qui,  sous  la 
direction  de  M1Ie  Rouyr,  y  étaient  instruites  sur  la  reli- 
gion, la  lecture,  l'écriture,  le  calcul,  et  formées  au  tra- 
vail du  linge  et  de  la  couture. 

Cette  organisation  des  catéchismes  de  Saint-Sulpice, 
qui  en  fait  non  seulement  une  parole  et  un  enseignement, 
mais  encore  une  action  et  un  apostolat,  n'a  pas  cessé 
d'être  fort  appréciée  ;  car  elle  a  un  double  mérite  :  celui 
d'initier  les  enfants  à  la  fois  à  la  connaissance  de  la  reli- 
gion et  à  la  pratique  de  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes, 
et  celui  de  constituer  pour  les  séminaristes  qui  en  sont 
chargés  une  école  normale  spéciale  où  ils  se  forment  au 
ministère  de  l'éducation  religieuse  de  l'enfance,  l'œuvre 
par  excellence.  Et  cette  école  normale  ne  profite  pas 
seulement  au  diocèse  de  Paris,  mais  à  tous  les  diocèses 
de  France  et  même  à  beaucoup  de  diocèses  étrangers  : 
car  parmi  les  élèves  du  Séminaire  de  Saint-Sulpice,  un 
petit  nombre  appartient  au  diocèse  de  Paris;  la  plupart 
y  sont  envoyés  par  les  évèques  des  diverses  provinces  et 
même  de  l'étranger,  qui  choisissent  pour  recevoir  ce 
haut  enseignement  l'élite  de  leurs  sujets  et  les  rappellent 
ensuite  pour  profiter  de  leur  expérience,  notamment 
dans  ces  catéchismes  qui  servent  ensuite  de  modèle  pour 
en  fonder  de  semblables  dans  les  villes  les  plus  impor- 
tantes de  leur  juridiction.  Aussi,  a-t-elle  été  maintenue 
sans  changement  pendant  toute  la  durée  de  ce  siècle.  Il  y 
a  deux  ans  néanmoins,  il  y  a  été  apporté  une  modifica- 


320  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

tion.  réclamée  depuis  longtemps  :  le  clergé  de  la  pa- 
roisse a  été  admis  à  participer  à  cet  enseignement  caté- 
chistique;  et  il  trouve  clans  cette  coopération  le  précieux 
avantage  d'entrer  en  relations  avec  les  familles  des  nom- 
breux enfants  qu'il  instruit. 

Quant  à  l'instruction  religieuse  des  adultes,  M.  de 
Pierre  confia  leur  prédication  à  l'abbé  Frayssinous  ;  il  ne 
pouvait  pas  faire  un  choix  plus  heureux.  Noble  et  pure 
ligure  sacerdotale,  M.  Frayssinous  rappelait,  en  sa  per^ 
sonne,  les  grandeurs  passées  du  clergé  de  France,  sa  di- 
gnité grave,  sa  science  profonde,  sa  simplicité  aimable, 
sa  piété  fervente.  «  C'est  le  prêtre  que  je  vénère  le  plus, 
disait  de  lui  M.  Bofderies,  mort  évèque  de  Versailles, 
et  lui  aussi  un  modèle  des  vertus  du  prêtre;  je  baiserais 
ses  pieds  (1).  » 

Né,  le  9  mai  1765,  à  la  Yayssière,  commune  de  Curiè- 
res  au  diocèse  de  Rodez,  il  avait  été  ordonné  prêtre  en 
1789  et  avait  passé  les  huit  plus  violentes  années  de  la 
Révolution  à  évangéliser,  au  péril  de  sa  vie,  les  popula- 
tions de  ses  montagnes  du  Rouergue.  Après  la  tour- 
mente ,  il  vint  à  Paris,  entra  dans  la  Compagnie  de  Saint- 
Sulpice  et  prit  de  suite  une  part  active  au  travail  de 
rénovation  religieuse,  qui  était  alors  le  premier  besoin 
du  pays.  Il  débuta  dans  la  chaire,  en  1801,  aux  Carmes, 
où  son  talent  oratoire,  l'étendue  de  son  savoir  et  la  soli- 
dité de  son  argumentation  lui  conquirent  aussitôt  la  fa- 
veur du  public. 

Il  y  acquit  très  vite  la  conviction  que  la  parole  de  Dieu 
ne  pouvait  plus  être  annoncée  comme  autrefois,  «  alors 
«  que,  les  écarts  des  passions  n'otant  rien  à  la  fermeté  des 
«  principes  et  au  respect  de  la  religion,  on  pouvait  se 
«  borner  à  exposer  les  mystères  de  la  foi ,  les  préceptes  de 


(1)  L'abbé  Lagrange,  Vie  de  M    Dupanloup ,  t.  I,  p.  48. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  321 

«  l'Évangile,  les  devoirs  et  les  pratiques  de  la  piété  (1)  ». 
Mais  depuis  qu'un  siècle  tout  entier  de  philosophisme 
impie  et  de  dérèglement  des  mœurs  avait  ébranlé  les 
croyances  et  corrompu  les  esprits  comme  les  cœurs,  et 
que  sur  les  ruines  accumulées  par  ses  sophismes  ne  sur- 
gissaient plus  partout  qu'un  matérialisme  grossier  ou  un 
scepticisme  frondeur,  la  vérité  ne  pouvait  plus  s'im- 
poser aux  âmes  que  par  la  preuve  de  son  excellence  et 
de  sa  divinité.  Dès  lors ,  la  prédication  devait  cesser  d'être 
exclusivement  dogmatique  pour  devenir  apologétique, 
«  en -considérant  la  religion,  comme  il  le  dit  lui-même, 
«  uniquement  dans  ses  principes  fondamentaux,  dans  les 
«  preuves  qui  en  établissent  la  vérité ,  dans  les  reproches 
«  généraux  que  lui  font  ses  ennemis  et,  sous  tous  ces  rap- 
«  ports,  en  cherchant  à  la  venger  des  attaques  de  l'incré- 
«  clulité  (2)  ». 

Ce  fut  sa  gloire  de  comprendre,  le  premier,  la  nécessité 
de  cette  révolution  et  de  l'opérer  lui-même  au  moment 
le  plus  propice,  lorsque  venait  de  paraître  le  Génie  du 
Christianisme  qui  donnait  un  puissant  essor  aux  idées  re- 
ligieuses et  morales  dont  la  jeunesse  sentait  vivement  la 
privation. 

Il  l'accomplit  dans  ses  célèbres  Conférences  sur  la  Re- 
ligion ,  données  toutes  par  lui  à  Saint-Sulpice ,  commen- 
cées, en  1803,  dans  la  chapelle  des  Allemands,  continuées 
en  janvier  1807,  dans  la  grande  chaire  de  l'église,  inter- 
rompues de  1809  à  la  chute  de  l'Empire,  par  suite  de 
l'admiration  enthousiaste  qu'elles  provoquaient  et  dont 
l'Empereur  était  offusqué,  reprises  en  1814  et  terminées 
en  1822  lors  de  son  sacre  comme  évêque  d'Hermopolis  (3). 


(1)  L'abbé  Frayssinous  :  Discours  d'ouverture,  t.  1,  p.  17  de  ses  Confé- 
rences sur  lu  Religion,  3e  éd.,  1825. 

(2)  L'abbé  Frayssinous,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  17. 

(3)  Sacré  évéque  d'Hermopolis  en    1822,  reçu  membre  de  l'Académie 
française  le  28  novembre  de  la  même  année,  l'abbé  Frayssinous  fut  com- 

ÉGLISE    SAIiST-SULPICE.  21 


322  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

Un  p'ubliciste  éminent,  M.  Mignet,  en  a  éloquemment  ré- 
sumé le  but  et  la  portée  dans  sa  réponse  au  discours  de 
réception  du  successeur  de  l'évéque  à  l'Académie  fran- 
çaise, M.  le  baron  Pasquier  (1). 

«  Dans  ces  belles  et  savantes  conférences,  dit-il, 
«  M.  Frayssiuous  s'applique  à  soumettre  la  raison  révoltée, 
«  en  lui  exposant  la  profondeur  des  dogmes  chrétiens,  en 
ce  lui  montrant  qu'aucune  philosophie  n'avait  si  merveil- 
«  leusement  résolu  les  grands  problèmes  de  l'existence  et 
«  dévoilé  les  mystères  de  la  destinée;  mieux  expliqué  la 
«  confusion  momentanée  de  l'esprit  et  de  la  matière  dans 
«  un  corps  périssable  animé  par  une  âme  immortelle; 
((  donné  de  plus  sûr  appui  à  la  faiblesse  de  l'homme;  coin- 
ce muniqué  plus  de  touchantes  directions  à  ses  sentiments 
«  par  le  généreux  mobile  du  dévouement  et  l'aimable 
«  ardeur  de  la  charité  ;  enfin  apporté  plus  de  consolations 
«  à  la  douleur  et  mis  plus  d'espérances  dans  la  mort.  » 

Le  succès  de  ces  conférences  fut  très  grand  et  leur  in- 
fluence plus  considérable  encore.  Elles  répondaient,  en 
effet,  si  bien  aux  exigences  religieuses  des  temps  nou- 
veaux qu'en  183i,  après  quatorze  ans  d'interruption,  l'ar- 
chevêque de  Paris,  Mer  de  Quelen,  reconnut  la  nécessité  de 
les  reprendre  à  Notre-Dame  (2);  et  lorsque,  sous  la  pres- 
sion de  l'opinion  publique  .  dont  l'abbé  Liautard  se  fit  le 

blé  des  faveurs  royales.  Nommé  successivement  grand  maître  de  l'Univer- 
sité, comte,  Pair  de  France  et  ministre  des  affaires  ecclésiastiques,  il  fut 
chargé  par  Charles  X,  après  la  Révolution  de  1830.  de  l'éducation  du  duc 
de  Bordeaux  qu'il  ne  quitta  qu'en  1838,  pour  rentrer  en  France,  où  il 
mourut  le  12  décembre  1841. 
1    Le  8  décembre  1842. 

(2)  M?r  de  Quelen  avait,  tout  d'abord,  formé  le  dessein  d'inaugurer  lui- 
même  cette  prédication  nouvelle,  et  d'en  partager  les  instructions,  dont  il 
avait  arrêté  le  plan,  entre  sept  jeunes  prêtres  distingués  :  l'abbé  Dupan- 
loup,  le  premier,  et  MM.  Petétot,  Ftaysse,  Dassance,  Thibault,  James, 
Annat.  Mais  ils  ne  firent  chacun  qu'une  conférence.  L'abbé  Lagrange.  Vie 
de  Mzr  Dupanloup ,  t.  I,  p.  139  et  la  note. 

La  grande  nef  était  restée  presque  vide  et  nul  écho  n'avait  répondu  à 


SI.  DE  PIERRE  (1802-1836  .  323 

chaleureux  et  spirituel  interprète  (1 1,  il  les  eut  confiées, 
l'année  suivante,  à  l'abbé  Lacordaire,  ce  fut  cette  forme 
d'enseignement  apologétique,  «  le  rêve  de  sa  vie  (2)  »,  que 
l'illustre  prédicateur  adopta  de  préférence;  et  depuis  lui. 
il  n'est  pas  un  des  grands  orateurs  sacrés  qui  l'ont  rem- 
placé dans  la  chaire  de  Notre-Dame,  qui  n'ait  tenu  à 
honneur  d'y  continuer  ce  même  enseignement. 

Deux  ans  après  la  cessation  des  conférences  de  M.  de 
Frayssinous,  en  182V,  W  de  Cheverus,  évèque  de  Boston, 
qui  se  trouvait  à  Paris  où  il  avait  été  appelé  pour  sa  trans- 
lation au  siège  de  Montauban,  fut  invité  par  M.  de  Pierre, 
son  ami,  à  venir  prêcher  dans  son  église,  le  second  di- 
manche après  Pâques.  «  Le  désir  d'entendre  un  prélat  si 
renommé,  dit  son  pieux  historien  (3),  attira  un  audi- 
toire illustre  et  nombreux;  on  y  voyait  le  grand  aumô- 
nier, plusieurs  évêques  et  pairs  de  France.  Tout  le  monde 
s'attendait  à  un  sermon  éloquent  et  soigné.  Mgr  de  Che- 
verus, qui  n'envisageait  en  toutes  choses  que  le  plus  utile, 
se  borna  aune  instruction  simple  et  familière,  mais  tou- 
chante et  pratique ,  sur  le  bon  exemple  dont  parlait  l'é- 
pitre  du  jour;  et  quand  on  lui  fit  observer,  après  le 
sermon,  combien  de  grands  personnages  étaient  venus 
l'entendre  :  «  Je  n'en  savais  rien,  reprit-il  avec  simplicité  ; 
mais  quand  je  l'aurais  su,  je  n'aurais  pas  mis  plus  grand 


leurs  voix,  éloquentes  cependant,  mais  jugées  peu  sympathiques  aux  as- 
pirations de  leur  temps  et  de  leur  pays. 

(1)  Foisset,  Vie  du  P.  Lacordaire,  t.  I,  p.  325  et  la  note.  L'abbé  Liau- 
tard,  alors  curé  de  Fontainebleau,  avait  été  le  premier  supérieur  du  col- 
lège Stanislas,  fondé  par  M.  Duclaux,  le  collaborateur  et  plus  tard  le 
successeur  de  M.  Emery  dans  la  direction  du  Séminaire  de  Saint-Sulpice. 
et  ouvert,  sous  le  nom  de  Pension  Liautard,  en  octobre  1804,  nu- 
Notre-Dame  des  Champs,  dans  une  maison  récemment  abandonnée  par  le 
Séminaire. 

(2)  Le  P.  Chocarne  :  Le  P.  Lacordaire,  t.  I,  p.  212. 

(3)  Vie  du  cardinal  de  Cheverus,  par  M.  Hamon,  curé  de  Saint-Sulpice, 
5e  éd.,  p.  179. 


324  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

pot  au  feu,  »  montrant  par  là  combien  il  était  étranger  à 
tout  sentiment  d'amour-propre  et  de  vanité,  à  toute  idée 
de  se  faire  un  nom.  Faire  le  bien  était  sa  seule  ambition... 

«  Le  jour  de  la  Pentecôte,  il  revint  prêcher  à  Saint- 
Sulpice  le  sermon  des  Vêpres.  Ce  sermon,  quoique  impro- 
visé, fut  très  remarquable  :  il  y  fit  voir  comment,  dès  ce 
jour,  le  Saint-Esprit  avait  fondé  l'Église  avec  ses  quatre 
grands  caractères,  la  faisant  une  par  l'union  des  esprits  et 
des  cœurs;  sainte  par  les  hautes  vertus  des  premiers  chré- 
tiens; catholique  par  la  conversion  des  hommes  de  toute 
nation  qui  se  trouvaient  à  Jérusalem ,  comme  autant  de 
députés  des  différents  peuples  de  la  terre;  ajjostoliqiw 
par  la  soumission  de  tous  les  fidèles  à  l'enseignement  et 
à  l'autorité  des  Apôtres.  » 

En  1826,  M.  de  Pierre  profita  du  Jubilé  accordé  par 
Léon  XII.  pour  faire  donner  dans  son  église,  par  les  Pères 
Mac  Carthy,  de  Place,  Gayon  et  Petit,  jésuites,  une 
mission  qui  fut  un  triomphe  pour  leur  parole  éloquente, 
par  l'affluence  de  leurs  auditeurs  et  le  grand  nombre  de 
retours  à  Dieu  qu'ils  obtinrent. 

Deux  ans  plus  tard ,  il  faisait  monter  dans  la  chaire  de 
Saint-Sulpice  un  jeune  prédicateur,  l'abbé  Combalot, 
déjà  renommé  comme  un  grand  apôtre  de  Jésus-Christ, 
qui,  pendant  pins  de  trente  ans  qu'il  s'y  fit  entendre,  ne 
cessa  pas  d'y  attirer  et  d'y  enthousiasmer  les  foules  par 
sa  voix  puissante,  ses  vaillantes  ardeurs  et  son  dévouement 
héroïque  à  la  sainte  Église  et  à  son  Chef  vénéré  (1). 

M.  de  Pierre  rétablit  aussi  les  deux  confréries  les  plus 
anciennes  et  les  plus  importantes  de  Saint-Sulpice ,  celle 
du  Saint-Sacrement  et  celle  de  la  Sainte  Vierge. 


(1)  Mer  Ricard  :  l'Abbé  Combalot,  éd.  in-12  de  1892,  p.  018  et  619.  Né 
à  Chatenay  (Isère)  le  21  août  1797,  il  mourut  au  presbytère  de  Saint- 
Roch,  le  18  mars  1873.  Il  avait  prêché,  pour  la  dernière  fois,  la  retraite 
pascale  et  le  mois  de  Marie,  à  Saint-Sulpice,  en  1872. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  325 

Il  réorganisa  d'abord  celle  du  Saint-Sacrement,  en 
1808,  en  confia  la  direction  à  l'abbé  Abeil,  son  second 
vicaire,  et  élabora  avec  lui  un  règlement  de  cette  con- 
frérie, qu'elle  approuva  plus  tard,  avec  quelques  chan- 
gements, dans  son  Assemblée  générale  du  19  mars  1838. 

En  1820,  il  établit  le  pieux  usage  de  la  récitation  pu- 
blique du  chapelet,  chaque  dimanche,  après  l'office  du 
soir,  et  chargea  de  la  présider  un  de  ses  prêtres,  l'abbé 
Le  houx.  Cette  dévotion  s'étendit  rapidement;  et,  sur  la 
demande  de  l'abbé,  les  fidèles  les  plus  fervents  à  la  pra- 
tiquer se  réunirent  en  association  sous  le  titre  de  Confré- 
rie de  l'Immaculée- Conception,  que  deux  brefs  de  Pie  VII, 
du  8  août  1823,  approuvèrent  et  enrichirent  de  nom- 
breuses indulgences  (1).  En  peu  d'années  cette  confrérie 
compta  une  centaine  de  membres. 

Ce  fut  également  sous  son  administration  curiale  et 
avec  son  assentiment,  qu'indépendamment  de  l'ouvroir 
du  n°  9  de  la  rue  Mézières  et  de  la  maison  de  la  Petite 
OEuvre,  du  n°  18  de  la  rue  du  Regard,  furent  fondés  sur 
la  paroisse  plusieurs  établissements  charitables  pour  l'é- 
ducation des  enfants  pauvres  : 

1°  Celui  de  Saint-Nicolas,  créé  en  1827  par  l'abbé  de 
Bervanger  en  faveur  des  jeunes  garçons  de  huit  à  douze 
ans,  destinés  à  vivre  de  leur  travail.  Dirigé  depuis  1859 
par  les  frères  des  Écoles  chrétiennes ,  il  est  la  première 
des  Écoles  professionnelles  qui  ait  été  ouverte,  à  Paris 
aux  garçons,  et  «  où  ils  trouvent  la  facilité  de  joindre 
«  à  l'apprentissage  d'un  métier  des  études  élémen- 
«  taires  de  grammaire,  de  géographie,  d'histoire  sainte, 
«  de  dessin  linéaire  et  de  géométrie  pratique,  princi- 
«  paiement  celle  de  la  religion  sans  laquelle  un  ouvrier 
«  ne  trouve  dans  la  vie  ni  règle  pour  ses  devoirs,  ni 


(1)  Le  pape  Pie  VII  mourut  le  20  du  même  mois,  âgé  de  81  ans. 


326  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  consolation  dans  ses  peines  ni  espérance  pour  son  ave- 
«  nir  (1)  ». 

Situé  rue  de  Vaugirard,  n°  92,  il  renferme  actuellement 
260  élèves  répartis  dans  ik  ateliers,  dont  8  :  ceux  de  re- 
lieurs, tourneurs  en  optique,  compositeurs-typographes, 
imprimeurs-typographes,  monteurs  en  bronze,  ciseleurs 
sur  métaux,  menuisiers  et  malletiers,  n'exigent  qu'un  ap- 
prentissage de  trois  ans;  et  6  :  ceux  de  sculpteurs  sur  bois, 
facteurs  d'instruments  de  précision,  graveurs-géogra- 
phes, mécaniciens,  lithographes  et  électriciens,  en  exigent 
un  de  quatre  ans  (2). 

2°  L'œuvre  des  Amis  de  l'enfance,  fondée  en  mai  1828 
par  M.  Boblet,  dans  le  but  de  placer  en  pension  ou  en 
apprentissage  des  garçons  de  la  classe  ouvrière,  pauvres 
ou  abandonnés. 

3°  L'œuvre  des  Enfants  délaissés,  fondée  au  n°  15  de  la 
rue  Notre-Dame  des  Champs  par  la  comtesse  de  Carcado 
pour  les  jeunes  filles  de  quatre  à  vingt  et  un  ans,  dans  le 
but  de  leur  donner,  avec  une  éducation  religieuse,  l'ins- 
truction primaire  et  celle  professionnelle  de  lingères  ou 
de  couturières. 

ï°  L'établissement  des  Enfants  de  la  Providence,  fondé 
en  1807  par  M'le  Buchère  d'abord  sur  la  paroisse  Saint- 
Germain  l'Auxerrois,  puis  au  n°  13  de  la  rue  du  Regard, 
et  qui  sous  la  direction  des  Sœurs  de  Bon-Secours  poursuit 
le  même  but  que  l'œuvre  des  Enfants  délaissés. 

5°  et  l'œuvre  des  Jeunes  économes,  fondée  vers  1823 
par  Mllc  Lauras  dans  un  but  identique  à  celui  de  la  Petite 
Œuvre,  c'est-à-dire  en  vue  de  pouvoir,  à  l'aide  des  col- 
lectes de  ses  membres,  élever  chrétiennement  de  jeunes 


(1)  Extrait  d'un  Prospectus  de  l'établissement. 

(2)  Et  en  plus  770  élèves  dans  ses  classes,  ensemble  1.030  élèves  dans  la 
seule  maison  du  n°  92  de  la  rue  de  Vaugirard.  L'œuvre  compte,  en  outre, 
maintenant  deux  autres  établissements  :  l'un  à  Issy  avec  1.050  élèves,  L'autre 
à  Igny  avec  810  élèves;  soit  au  total,  dans  les  3  maisons,  2.890  élèves. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  327 

filles  pauvres,  en  leur  apprenant  l'état  de  lingères.  A  la 
moit  de  M.  de  Pierre  l'œuvre  entretenait  une  trentaine 
de  ces  jeunes  filles  dans  la  maison  de  MUe  de  Capron,  au 
n°  24  de  la  rue  Notre-Dame  des  Champs. 

Il  fut  enfin  l'heureux  témoin  de  la  fondation  sur  sa 
paroisse  de  la  grande  œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi, 
en  1823;  de  celle  de  Saint-François  Régis  pour  le  mariage 
des  indigents  en  1826,  rue  Cassette,  au  coin  de  la  rue  de 
Yaugïrard  ;  et  de  la  Conférence  de  Saint-Vincent  de  Paul  de 
Saint-Sulpicc  en  1835  (1)  pour  la  visite  et  le  soulagement 
des  familles  pauvres  de  la  paroisse. 

Les  événements  de  1830  (2)  ne  surprirent  pas  M.  de 
Pierre.  Il  savait  par  W  Frayssinous,  resté  son  ami,  que 
depuis  plusieurs  années  la  monarchie  des  Bourbons  était 
menacée  par  une  conspiration  fomentée  dans  les  sphères 
politiques  et  particulièrement  dans  l'Université    3  ,  que 


(1)  L'origine  de  la  conférence  de  Saint-Sulpice  se  confond  avec  celle  de 
la  Société  de  Saint- Vincent  de  Paul  elle-même.  Mais  elle  a  eu  une  exis- 
tence séparée,  dès  que  le  nombre  des  sociétaires  a  été  assez  considérable 
pour  exiger  leur  séparation  entre  plusieurs  sections  différentes. 

Les  Séances  régulières  de  la  section  de  Saint-Sulpice ,  qui  a  pris  dès  lors 
le  nom  de  Conférence  île  Saint-Sulpice,  ont  commencé  le  15  décembre 

1835,  avec  M.  Chaurand  pour  Président,  M.  Le  Taillandier  (Auguste)  pour 
secrétaire,  et  M.  Delalice  pour  trésorier.  Son  premier  budget,  celui  de 

1836,  se  solda  par  1.569  fr.  50e  de  recettes  et  1.495  fr.  55e  de  dépenses.  Dès 
1839,  il  montait  à  un  total  de  receltes  de  4.302  fr.  80e  et  à  un  total  de 
dépenses  de  4.234  fr.  Elle  se  réunit  aujourd'hui,  le  vendredi  soir,  dans  la 
chapelle  des  fonts  baptismaux  de  l'église;  et  son  budget  est,  en  moyenne, 
de  8  à  10.000  fr.  par  an. 

(2)  Le  malin  du  dimanche,  1er  août  1830,  l'église  Saint-Sulpice  avait  été 
fermée  sur  l'injonction  de  la  municipalité  provisoire  du  XIe  arrondisse- 
ment; mais  une  heure  après,  elle  fut  rouverte  par  un  ordre  formel  du 
Gouvernement  provisoire,  et  le  service  religieux  y  fut  célébré  comme  à 
l'ordinaire. 

Le  27  juillet  1831,  un  service  funèbre  y  fut  célébré,  comme  partout 
d'ailleurs,  à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  la  mort  de  toutes  les  personnes 
qui  avaient  succombé  dans  les  journées  de  Juillet. 

(3)  «  Je  sais  de  science  certaine  qu'il  s'est  formé,  plusieurs  années  avant 
1830,    une   conspiration  contre  la  branche  ainée  ou  plutôt  contre  le  parti 


! 


328  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SL'LPICE. 

la  Restauration  avait  eu  la  sagesse  de  supprimer  tout  d'a- 
bord (1  ,  mais  qu'ensuite,  après  les  Cent  Jours,  elle  eut  le 
tort  de  conserver  :  Car,  comme  l'a  écrit  l'abbé  Hautain, 
l'un  de  ses  maîtres  les  plus  admirés,  avant  qu'il  l'eût  quittée 
avec  éclat  pour  entrer  dans  les  Ordres,  «  c'est  surtout 
«  l'Université  qui  a  renversé  la  Restauration,  et  la  Révolu- 
«  tion  de  Juillet  a  été  faite  par  elle  et  à  son  profit  (2)  ». 

Mais  si  cette  Révolution  ne  l'étonna  pas,  elle  l'affecta 
tellement  que  sa  santé  en  éprouva  une  altération  dont 
elle  ne  se  remit  plus.  Le  choléra  de  1832,  qui  sévit  avec 
une  extrême  violence  dans  le  XIe  arrondissement,  acheva 
de  la  miner,  par  les  fatigues  excessives  qu'il  lui  occa- 
sionna. Depuis  lors,  il  ne  fit  plus  que  languir  et  il  suc- 
comba, le  20  janvier  t83G,  à  une  longue  maladie  de  5  à 
6  mois.  Il  fut  inhumé,  par  une  autorisation  spéciale  du 
Gouvernement,  dans  la  sacristie  de  la  chapelle  souterraine 
de  la  Sainte  Vierge:  et  la  piété  des  fidèles  lui  fit  ériger 
par  la  fabrique  (3)  un  petit  monument,  placé  derrière  le 
chœur,  dans  son  arcade  du  fond,  en  face  de  la  chapelle 
de  la  Sainte  Vierge,  et  formé  de  son  buste  de  profil  (4), 
qui  se  détache  d'un  médaillon,  soutenu  par  deux  anges 


ultra-royaliste,  qu'on  l'accusait  de  favoriser  dans  l'intérêt  du  pouvoir 
absolu,  et  pour  détruire  le  gouvernement  constitutionnel.  Je  sais  que  cette 
conspiration  avait  sinon  son  foyer,  au  inoins  ses  principaux  ressorts  dans 
l'Université;  je  le  sais  et  je  l'affirme,  parce  qu'à  deux  reprises  des  hom- 
mes haut  placés  dans  la  hiérarchie  de  l'instruction  publique  sont  venus 
me  faire  des  ouvertures  et  me  presser  d'y  prendre  part.  »  L'abbé  Bau- 
tain,  de  l  Éducation  publique  en  France  au  xixe  siècle,  p.  49. 

(1)  Par  lOrdonnance  royale  du  17  février  1815,  qui  démembrait  l'Uni- 
versité et  la  divisait  en  17  Universités  régionales  indépendantes. 

(2)  L'abbé  Bautain,  loc.  cit.,  p.  50. 

(3)  Ce  pelit  mausolée,  œuvre  de  M.  Leharivel-Durocher,  fut  inauguré 
le  20  juin  1839,  jour  de  la  célébration  de  la  fête  de  saint  Sulpice.  Il 
coûta  8.000  fr. 

(4)  Il  existe,  en  outre,  au  Réfectoire  du  Presbytère  un  portrait  de  M.  de 
Pierre,  peint  par  sa  nièce,  M11"  de  Vivens ,  qui  lui  avait  été  commandé 
par  la  Fabrique.  P.-V.  de  la  séance  du  Conseil,  du  G  mars  1846. 


M.  DE  PIERRE  (1802-1836).  329 

et  surmonté  d'une  croix.  Au  bas  de  ce  médaillon  est  gra- 
vée, sur  une  plaque  de  bronze,  l'inscription  suivante  qui 
témoigne,  en  termes  touchants,  de  la  gratitude  des  parois- 
siens envers  sa  mémoire  : 

«  Ici  repose,  dans  le  Seigneur,  Messire  Charles-Louis- 
«  François  Marie  de  Pierre,  curé  de  Saint-Sulpice,  vicaire 
«  général  du  Diocèse.  Il  gouverna  cette  paroisse  pendant 
«  trente-quatre  ans  et  lui  rendit  son  antique  splendeur. 

«  Il  mourut 
«   Le  20  janvier  1836 

«  Agé  de  soixante-quatorze  ans. 

«  Pour  ne  pas  se  séparer  de  ses  paroissiens  pendant  sa 
«  vie,  il  avait  refusé  les  honneurs  de  l'épiscopat.  Ils  ont 
«  voulu  le  conserver  au  milieu  d'eux  même  après  sa  mort.  » 

Et  au-dessous  est  son  blason,  composé  d'une  couronne 
de  comte,  de  deux  lions,  de  trois  étoiles  et  de  trois  épis, 
avec  cette  devise  :  Nescit  occasion  etiam  in  avitlso  vita. 


CHAPITRE  XV 
m.  collin  (1836-1851 


Sommaire  :  Son  extraction.  —  Ses  études.  —  Les  débuts  de  son  apostolat  à 
saint-Denis  et  à  la  Madeleine.  —  Mtr  de  Quelen  le  nomme  successivement 
curé  de  Saint-Philippe  du  Roule,  de  Saint-Eustache  et  de  Saint-Sulpice.  — 
Intérêt  spécial  qu'il  porte  à  l'œuvre  des  catéchismes  et  à  la  dispeusatiou  de 
la  parole  sainte.  —  Prédications  de  l'abbé  Dupanloup  et  de  l'abbé  Combalot. 
—  il  donue  les  10  lampes  de  la  nef  et  l'orgue  d'accompagnement.  —  Il  con- 
tribue pour  10.000  francs  à  la  restauration  de  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge, 
faite  par  M.  Baltard,  architecte  de  la  Ville.  —  Cinquième  démembrement  de 
la  paroisse  Saint-Sulpice,  par  l'attribution  d'une  partie  de  son  territoire  à  la 
paroisse  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas.  —  Mort  de  M.  Collin.  —  Son  éloge 
funèbre  par  l'archevêque  de  Paris,  MBr  Sibour,  son  ancien  professeur.  — 
Hommage  qui  lui  est  rendu  par  M.  Carrière,  supérieur  de  la  Compagnie  de 
Saint-Sulpice. 


M.  l'abbé  Charles  Collin  naquit  à  Paris,  le  5  janvier 
1796.  Il  était  l'aine  d'une  nombreuse  famille,  riche  de  foi 
et  de  vertus  plus  que  des  biens  de  ce  monde,  et  avait  perdu, 
jeune  encore,  ses  deux  frères  :  l'un,  déjà  engagé  dans  la 
sainte  cléricature;  l'autre,  élève  distingué  de  l'école  des 
Arts  et  Métiers  de  Chàlons,  qui  trouva  une  mort  préma- 
turée dans  les  eaux  de  la  Marne. 

Dès  ses  plus  tendres  années,  il  aspira  à  la  gloire  du 
sacerdoce  et  révéla  sa  vocation.  Après  avoir  fait  avec 
succès  ses  premières  études  de  grammaire  et  de  littérature 
au  petit  Séminaire,  il  entra,  en  1815,  au  Séminaire  de 
Saint-Sulpice  dont  M.  Duclaux  était  le  supérieur.  Il  y  sui- 
vit, pendant  cinq  ans,  tous  les  cours  de  philosophie  et  de 
théologie  sous  la  direction  de  MM.  Carrière  et  Carbon,  ses 


M.  COLLIN    1836-1851%  331 

professeurs,  qui  prisaient  très  haut  son  mérite  (1),  et 
auxquels  il  voua  de  son  côté  une  si  vive  reconnaissance 
que  jusqu'à  sa  mort  il  ne  laissa  jamais  passer  un  long- 
temps sans  venir  les  revoir  et  se  retremper  auprès  de  ces 
maîtres  vénérés,  comme  à  la  source  des  plus  pures  vertus 
sacerdotales.  Il  fut  ordonné  prêtre  par  Mgï  de  Quelen,  le 
26  mai  1820. 

A  partir  de  ce  moment,  et  pendant  les  trente-une  an- 
nées qu'il  exerça  le  ministère  des  âmes,  quelle  est  l'abon- 
dance des  moissons  qu'il  a  recueillies  dans  les  diverses 
parties  du  champ  de  l'Église  qu'il  lui  fut  donné  de  cul- 
tiver, Dieu  seul  le  sait;  car  sa  profonde  humilité  l'em- 
pêcha d'en  jamais  rien  révéler  ni  à  ses  proches  ni  même 
à  ses  plus  intimes  amis. 

Envoyé  d'abord  à  Saint-Denis,  il  s'y  voua  à  l'instruction 
religieuse  de  ses  ouailles.  Il  a  laissé  de  cette  époque,  dans 
ses  cahiers,  un  cours  complet  de  conférences  sur  le  dogme 
et  sur  la  morale,  où  tous  les  points  les  plus  épineux  et  les 
plus  controversés  de  la  doctrine  catholique  sont  traités 
avec  une  précision  et  une  clarté  de  nature  à  les  rendre 
accessibles  aux  intelligences  les  moins  cultivées.  Il  était 
depuis  cinq  ans  à  ce  poste  laborieux,  lorsqu'il  fut  signalé 
à  l'attention  de  son  archevêque.  Le  prélat  fut  frappé  de 
la  modestie  de  ce  prêtre,  jeune,  plein  de  zèle  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  le  bien  des  pauvres  et  qui  ne  cherchait 
qu'à  tenir  sa  vie  ignorée  du  public.  Il  conçut  dès  lors 
pour  lui  une  très  grande  estime  et  lui  en  donna  des 
preuves  multipliées.  A  la  fin  de  l'année  1826;  il  le  nomma 
vicaire  à  la  Madeleine  et  l'y  laissa  jusqu'en  1832  où  il  l'ap- 
pela à  la  cure  de  Saint-Philippe  du  Roule,  puis  bientôt 
après  à  celle  de  Saint-Eustache,  et  enfin  à  celle  de  Saint- 
Sulpice,  dont  il  prit  possession,  le  19  juillet  18:56,  en  la 


(1)  A  peine  avait-il  reçu  le  Diaconat,  qu'il  fut  chargé,  pendant  quelque 
temps,  de  la  classe  de  seconde  au  petit  Séminaire. 


332  HISTOIRE- DE  L'EGLISE  SAINT-SULP1CE. 

fête  de  saint  Vincent  de  Paul.  Il  y  a  lieu  d'observer  toute- 
fois qu'avant  de  le  nommer  à  cette  dernière  cure,  M81  de 
Queleu  avait  exprimé  à  M.  le  supérieur  de  Saint-Sulpice 
l'intention  et  le  désir  de  la  rendre  à  la  direction  de  sa 
Compagnie,  comme  avant  la  Révolution,  et  que  c'était 
M.  Garnier  qui  avait  cru  devoir  décliner  l'offre  de  l'ar- 
chevêque, en  se  fondant  sur  l'insuffisance  de  son  person- 
nel, qui  ne  lui  permettait  pas  de  l'accepter. 

Du  jour  de  son  installation,  M.  Collin  s'appliqua  à 
donner  un  nouvel  essor  à  toutes  les  œuvres  de  piété  et  de 
charité  de  la  paroisse,  aux  confréries  du  Saint-Sacrement 
et  de  la  Sainte  Vierge,  dont  il  contribua  à  accroître  nota- 
blement le  nombre  des  membres,  aux  sociétés  de  Saint- 
François  Xavier  et  de  Saint-Régis,  qu'il  aida  de  ses  sub- 
sides; à  la  conférence  de  Saint- Vincent  de  Paul  dont  il 
patronna  activement  les  débuts,  à  toutes  les  autres  œu- 
vres d'assistance  des  pauvres  dont  il  se  montra  jusqu'à 
l'avant-veille  de  sa  mort  le  plus  généreux  et  le  plus  assidu 
visiteur. 

Mais  ce  fut  surtout  la  première  de  toutes  ces  œuvres, 
celle  des  catéchismes,  qui  fut  l'objet  constant  de  sa  plus 
tendre  sollicitude.  Il  les  honorait  fréquemment  de  sa  pré- 
sence, applaudissant  au  talent  d'exposition  des  catéchis- 
tes, interrogeant  les  enfants,  leur  expliquant  les  points 
qu'il  voyait  restés  obscurs  dans  leur  esprit  et  distribuant  de 
belles  récompenses  aux  plus  appliqués.  «  Mes  catéchismes, 
se  plaisait-il  à  redire,  sont  le  Séminaire  de  ma  paroisse,  » 
et  c'était  vrai  :  car  la  règle,  qui  y  est  fidèlement  suivie, 
de  travailler  à  l'éducation  chrétienne  non  moins  qu'à 
l'instruction  religieuse  des  enfants,  de  les  pénétrer  de 
l'esprit  de  la  religion  en  même  temps  que  de  ses  vérités 
et  de  les  former  à  sa  pratique,  est  une  méthode  excel- 
lente pour  préparer  à  la  paroisse  une  pépinière,  inces- 
samment renouvelée,  déjeunes  et  pieux  fidèles. 

Il  veillait  également  à  ce  que  la  parole  de  Dieu  fût 


M.  COLLIN  (1836-1851),  333 

toujours  annoncée  à  l'église  par  ses  vicaires  dans  une  forme 
simple  et  substantielle;  et  il  s'attachait  à  faire  monter 
clans  la  chaire  les  orateurs  les  plus  évangéliques,  ceux 
qui  ne  visaient  qu'à  remuer  les  âmes  et  à  les  porter  à- 
Dieu,  tels  que  l'abbé  Dupanloup,  qui  y  prêcha  tout  l'Avent 
de  1846  sur  la  prière  (1),  et  l'abbé  Combalot,  son  prédi- 
cateur préféré,  dont  l'âme  de  feu  et  la  parole  vibrante 
électrisaient  les  masses  (2). 

Il  n'avait  pas  un  moindre  souci  de  tout  ce  qui  pouvait 
ajouter  à  la  splendeur  du  culte  et  à  l'embellissement  de 
l'église,  et  il  y  contribuait  lui-même  très  libéralement,  per- 
suadé qu'il  était  que  les  cérémonies  les  plus  majestueu- 
ses, les  chants  les  plus  beaux,  l'ornementation  la  plus 
riche  et  la  plus  artistique  du  temple  ne  peuvent  qu'élever 
les  âmes  et  leur  inspirer  des  sentiments  de  respect  et 
d'adoration  envers  la  souveraine  Majesté  de  Dieu. 

Quelques  semaines  après  sa  prise  de  possession,  il  ob- 
tient de  son  Conseil  de  fabrique  un  vote  de  10.000  francs 
pour  la  séparation  des  dépendances  de  la  sacristie  et 
l'aménagement  de  l'oratoire  et  du  vestiaire  des  ecclésias- 
tiques, de  la  chambre  des  prédicateurs  et  de  son  propre 
cabinet,  et  en  même  temps  l'augmentation  du  personnel 
du  chœur  par  l'adjonction  d'un  ténor  et  d'un  contrebas- 
sier  (3). 

En  1837,  il  fait  faire  le  ravalement  et  le  grattage  de 
toute  l'église,  aux  frais  communs  de  la  ville  et  de  laFa- 


(1)  L'abbé  Lagrange,  Vie  de  i»/sr  Dupanloiq) ,  t.  1,  p.  398. 

(2)  «  J'ai  occupé,  à  des  intervalles  rapprochés,  la  seule  chaire  de  Saint- 
Sulpice  pendant  30  années.  »  Lettre  de  l'abbé  Combalot  à  Me?  Guibert, 
archevêque  de  Paris,  du  28  avril  1871,  citée  dans  sa  vie  par  M^r  Ricard, 
p.  611  et  612. 

(3)  Ce  fut  le  27  juillet  1836  que  M.  Van  Cleemputte,  agent  voyer,  fut 
nommé  architecte  de  la  Fabrique  et  de  l'église  de  Saint-Sulpice,  en  rem- 
placement de  M.  Godde,  son  beau-père,  qui  venait  d'être  nommé  lui-même 
architecte  en  chef  de  la  ville  de  Paris. 


334  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

brique  (1).  En  1838,  il  fait  terminer  les  boiseries  de  la 
sacristie  et  établir  des  deux  côtés  de  la  chaire  deux  bancs 
d'oeuvre  destinés  :  l'un  à  la  confrérie  du  Saint-Sacrement, 
l'autre  à  celle  de  l'Adoration  perpétuelle  (2). 

En  1839,  il  remplace  les  deux  petits  lustres  de  la  cha- 
pelle de  la  Sainte  Vierge  par  deux  plus  grands,  dont  une 
loterie  l'aide  à  payer  le  prix,  et  achève,  à  ses  frais  et  à 
ceux  de  M.  l'abbé  Goujon,  son  prêtre  sacristain,  la  déco- 
ration de  la  chapelle  du  Sacré-Cœur,  qui  lui  coûta  plus 
de  -20.000  francs,  non  compris  les  3.000  francs  qu'il 
obtint  du  ministre  de  l'Intérieur  pour  l'exécution'  par  le 
sculpteur  Lebrun  de  la  statue  en  bois  du  grand  Christ 
de  l'autel  de  cette  chapelle,  destiné  à  remplacer  l'an- 
cien (3),  au  commencement  de  la  même  année. 

La  Fabrique  l'avait  autorisé  à  l'achat  d'un  riche  reli- 
quaire, pour  y  placer  la  relique  du  patron  de  l'église 
Saint-Sulpice,  que  l'archevêque  de  Bourges,  Mgr  de  Vil- 
lèle,  lui  avait  donnée  le  28  novembre  précédent,  et  qu'il 
exposa,  pour  la  première  fois,  à  la  vénération  des  fidèles, 
le  20  janvier  1839,  en  la  fête  du  Saint,  à  laquelle  il 
donna  une  grande  solennité. 

L'année  suivante,  il  fait  rétablir,  au-dessus  du  grand 
portail,  l'inscription,  commémorative  de  la  dédicace  de 
l'église  en  ces  termes  : 

D.  0.  M. 

Ad  perpetuam  rei  memoriam 

Anno  MDCCXXXXV  Die  XXX  mensis  Junii 

Hoc  templum 

Solemni  ritu  juxta  priscum  Ecclesiae  morem 


(1)  La  Fabrique,  pour  la  moitié  à  sa  charge  des  frais  de  ce  travail,  pava 
10.431  fr.  50e. 

(2)  Ces  deux  bancs  d'oeuvre  furent  ouverts  aux  deux  Confréries  le 
27  octobre  1839.  jour  de  la  Réparation  et  de  la  fête  de  la  confrérie  du  Saint- 
Sacrement. 

(3)  Œuvre  de  Jean  Pelletier,  qui  l'avait  exécutée  en  1696. 


M.  C0LL1N  (1836-1851).  335 

Consecravit  et  B.  Sulpitio  nuncupavit 
Generalis  Cleri  gallicani  conventus 
XXI  episcopis  religiosum  cultum  exequentibus 
Ut  domus  Domini 
Concordi  prœsulum  Ministerio  Sanctificata 
Esset  in  Sempiternum 
Tabernaculum  Dei  cum  hominibus 
Pietatis  tabernaculum  et  Urbis  decus. 
Il    fait    don    à   la    Fabrique    d'un  superbe   ornement 
blanc  complet  pour  les  grandes  fêtes,   qu'il  avait  payé 
8.000  francs.  Il  négocie  en  même  temps  avec  l'adminis- 
tration municipale  la  restauration  de  la  chapelle  de  la 
Sainte  Vierge  dont  le  devis  dressé  par  M.  Baltard,  l'ar- 
chitecte de  la  ville,  montait  à  30.800  francs;  et  il  décide 
sa  Fabrique  à  y  coopérer  pour  10.000  francs  en  s'enga- 
geantà  y  contribuer  lui-même  pour  5.000  francs  (1).  Les 
travaux  d<*  cette  restauration,  dont  le  montant  total  dé- 
passa 50.000  francs,  furent  terminés  et  reçus  le  li  août 
181p3,  en  présence  du  comte  de  Rambuteau,  préfet  de  la 
Seine.  Et  le  lendemain  soir,  fête  de  l'Assomption,  la  cha- 
pelle, décorée  de  huit  lustres  et  candélabres,  contenant 
plus  de  300  bougies,  fut  illuminée  magnifiquement,  ainsi 
que  la  coupole  supérieure  et  la  trompe ,  au  fond  de  la- 
quelle s'élève  la  belle  statue  de  l'auguste  Vierge  (2). 

Il  fut  moins  heureux  dans  les  démarches  qu'il  lit  à  la 
même  époque,  auprès  de  la  direction  des  Beaux-Arts, 
pour  obtenir  la  restitution  du  monument  funéraire  de  la 
duchesse  de  Lauragais.  Ce  mausolée,  en  pierre,  haut  de 
lm,72,  représentant  une  femme  en  pleurs,  appuyée  sur 


(1)  Procès-verbal  de  la  Séance  du  Conseil  de  fabrique,  du  17  décembre 
1841. 

(2)  Nau,  Rapport  sur  les  archives  de  l'église  de  Saint-Sulpice,  p, 128. 
—  Voir  à  la  page  337  la  reproduction  que  nous  donnons  de  la  chapelle 
actuelle  de  la  Sainte  Vierge. 


336  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

une  colonne  brisée  qui  portait  cette  inscription  :  Ut  flos 
ante  diem  flebilis  occidit,  était  l'œuvre  de  Bouchardon  et 
était  placé  dans  l'église  sur  le  pilier  de  gauche  en  sortant 
de  la  chapelle  Saint-Michel  (1).  Enlevé  à  la  Révolution,  il 
était  déposé,  en  18V0,  au  milieu  des  herbes,  dans  une 
des  cours  de  l'école  des  Beaux-Arts.  Mais  ce  fut  en  vain 
que  M.  Collin  le  réclama.  L'administration  de  cette  école 
refusa  de  s'en  dessaisir. 

Le  jour  de  la  Toussaint  de  J8i2,  il  livra  au  culte  la 
chapelle  des  âmes  du  Purgatoire,  dont  la  décoration  avait 
été  confiée  au  peintre  Heim,  membre  de  l'Institut,  qui 
mit  trois  ans  à  l'exécuter.  M.  Collin  en  paya  seul  les  frais, 
de  compte  à  demi  avec  la  ville  (2). 

En  1843,  il  fit  à  sa  Fabrique,  pour  la  décoration  de  la 
nef,  le  don  considérable  des  dix  riches  lampes  à  suspen- 
sion qui  l'éclairent  encore  aujourd'hui  (3). 

Ce  fut  lui  également  qui,  en  1844,  dota  le  chœur  de 
l'orgue  d'accompagnement,  qui  orne  son  chevet  (4). 


(1)  P.-V.  de  la  Séance  du  Conseil  de  fabrique,  du  24  novembre  18i3, 
p.  54. 

(2)  Ce  ne  lut  qu'en  184G  que  fut  posée  la  balustrade  en  pierres  de  liais 
de  celte  chapelle  ainsi  que  celle  de  la  chapelle  du  Sacré-Cœur.  La  Fabrique 
avait  alors  le  projet,  auquel  il  est  regrettable  qu'elle  n'ait  pas  donné 
suite,  de  clôturer,  de  la  même  manière,  les  huit  autres  chapelles  de  la  nef. 
M.  Collin  prit  à  sa  charge  le  paiement  de  cette  balustrade  de  la  chapelle 
des  âmes  du  Purgatoire,  ainsi  que  celui  de  son  dallage  en  marbre  et  de 
son  autel,  également  en  marbre,  qui  fut  exécuté  sur  les  dessins  de 
M.  Ginain,  l'architecte  de  la  ville,  membre  de  l'Institut.  V.  P.-V.  de  la 
Séance  du  Conseil  de  fabrique,  du  7  août  1846. 

(3)  Ces  dix  belles  lampes  sont  en  cuivre  doré  :  2  sont  formées  chacune 
de  6  becs  dits  Carcel;  les  8  autres  chacune  de  6  becs  simples.  Elles  furent 
inaugurées  le  lô  août  1843,  jour  de  l'Assomption  de  la  Très  Sainte  Vierge. 
Trois  des  becs  de  chacune  de  ces  lampes  sont  maintenant  remplacés  par  de 
gracieux  bouquets  de  lumière  électrique. 

(4)  Il  en  paya,  de  ses  deniers,  toute  la  facture  dont  le  prix  s'éleva  à 
9.000  fr.  ;  et  ce  fut  M.  l'abbé  Goujon  qui  se  chargea  des  frais  de  menuise- 
rie et  de  sculpture  du  buffet  et  du  clavier  de  cet  orgue,  qui  montèrent  à 
2.700  fr. 


M.  COLLIN  (1836-1851;. 


337 


vue  de  la  Chapelle  fie  la  Sainte  Vierge. 

ÉCLISIÎ    SUNT-SULPICE. 


22 


338  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICB. 

Le  22  novembre  de  la  même  année,  il  dut  réunir  son 
Conseil  de  fabrique  pour  lui  communiquer,  de  la  part 
de  l'archevêque,  Mgr  Affre  (1),  une  pétition  adressée,  le 
17  juillet  précédent,  au  préfet  de  la  SeiDe  par  le  Maire 
du  XIIe  arrondissement  au  nom  de  la  Fabrique  de  l'église 
de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas  et  d'un  certain  nombre 
d'habitants  de  la  paroisse  Saint-Sulpice,  qui,  se  fondant 
sur  l'éloignement  de  la  plupart  d'entre  eux  de  l'église 
Saint-Sulpice,  demandaient  la  réunion  du  territoire  oc- 
cupé par  eux  à  la  circonscription  de  l'église  Saint-Jac- 
ques, à  savoir  :  du  côté  droit  de  la  rue  d'Enfer  depuis  la 
grille  de  la  rue  Saint-Dominique  d'Enfer  jusqu'au  Carre- 
four de  l'Observatoire  (nos  30  à  80  inclusivement)  ;  de  la 
rue  du  Yal-de-Grâce,  depuis  la  rue  d'Enfer  jusqu'à  la  rue 
de  l'Est  (nos  pairs  4  à  8  et  impairs  9  à  15)  ;  et  de  la  rue  de 
l'Est  en  totalité. 

Le  Conseil  formula  une  protestation  immédiate  contre 
ce  nouveau  démembrement  de  son  territoire  (2). 

11  la  motivait  sur  ce  que  si,  en  général,  c'est  une  me- 
sure fâcheuse  qu'un  changement  de  circonscription  qui, 
sans  une  nécessité  absolue,  vient  rompre  inopinément  des 
habitudes  anciennes,  cette  mesure,  lorsqu'elle  s'applique 
à  une  circonscription  de  paroisse,  a,  de  plus,  l'inconvé- 
nient d'exposer  la  paroisse  démembrée  à  se  voir  privée, 
par  une  diminution  de  ses  ressources,  du  moyen  de  pour- 
voir à  des  engagements  pris  pour  plusieurs  années.  C'est 
précisément,  disait-il,  ce  qui  arriverait  pour  Saint-Sul- 
pice, dont  la  restauration  nécessaire  du  grand  orgue 
impose  à  sa  Fabrique,  pendant  huit  ans,  de  lourdes  char- 
ges, calculées  en  prévision  des  ressources  que  peuvent 


(1)  Mer  de  Quelen  était  mort  le  31  décembre  1839. 

(2)  Ce  démembrement,  qui  eut  lieu  le  19  mars  1846,  était  le  cinquième 
depuis  celui  de  1212,  et  le  quatrième  depuis  celui  de  1776  qui  constitua  le 
territoire  delà  paroisse  du  Gros-Caillou. 


M.  COLLIN  (1836-1851).  339 

lui  procurer  le  bail  des  chaises  et  la  moyenne  de  son  ca- 
suel,  mais  auxquelles  elle  ne  pourra  plus  faire  face  si  une 
partie  notable  de  ces  ressources  lui  est  enlevée  avec  la  po- 
pulation du  quartier  nouveau  dont  on  demande  la  dis- 
traction. 

Et  s'élevant  à  des  considérations  d'un  ordre  plus  élevé, 
il  montrait  qu'il  est  de  l'intérêt  de  la  foi  que  dans  une 
grande  capitale  comme  Paris,  il  y  ait  quelques  églises, 
plus  en  vue  que  d'autres  par  leurs  traditions  de  piété  et 
leur  beauté  architecturale,  qui  conservent  au  culte  toute 
sa  solennité;  mais  que  cette  solennité  appelle  une  po- 
pulation nombreuse  parce  qu'elle  entraine  à  des  frais  in- 
compatibles avec  une  circonscription  restreinte  ; 

Que  parmi  ces  grands  centres  de  dévotion  et  de  ferveur 
la  paroisse  de  Saint-Sulpice  s'est  toujours  distinguée  : 
autrefois,  lorsqu'elle  était  seule  dans  toute  l'étendue  des 
Xe  et  XIe  arrondissements,  et  aujourd'hui  encore  où,  toute 
réduite  qu'elle  soit  par  l'érection  de  six  autres  paroisses 
sur  son  territoire  ancien  (1),  elle  n'en  reste  pas  moins  la 
plus  belle  paroisse  de  la  chrétienté  par  la  composition 
de  son  clergé,  la  piété  exemplaire  de  ses  fidèles  et  le 
voisinage  du  grand  Séminaire  dont  l'assistance  ajoute  tant 
d'éclat  à  ses  cérémonies  et  fait  produire  tant  de  fruits  à 
ses  catéchismes  ; 

Que  songer  à  diminuer  la  pompe  du  culte  à  Saint- 
Sulpice,  serait  donc  faire  un  grand  tort  à  la  religion  et 
causer  une  grande  douleur  à  ceux  qui,  de  toutes  les  par- 
ties du  monde,  viennent  s'édifier  à  ses  solennités; 

Et  que  c'est  au  surplus  ce  que  pensent  beaucoup  de 
ceux  dans  l'intérêt  desquels  on  croit  pouvoir  provoquer 
cette  mesure,  comme  l'a  constaté  l'enquête,  prescrite  à 
ce  sujet  par  l'archevêque  de  Paris,  et  à  la  suite  de  la- 


(1)  Saint-Pierre  du  Gros-Caillou,  Saint-Germain  des  Prés,  Saint-Thomas 
d'Aquin,  Sainte- Valère  ,  les  Missions  étrangères  et  l'Abbaye-aux-Bois. 


3iO  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

quelle  le  commissaire  chargé  de  la  diriger  a,  dans  un 
avis  fortement  motivé,  conclu  formellement  au  rejet  de 
la  demande  ou  tout  au  moins  à  son  ajournement  jusqu'à 
une  refonte  générale  des  circonscriptions. 

Il  ajoutait  que  si  la  considération  des  distances  était 
une  règle  à  laquelle  tout  dût  céder,  il  aurait  droit  de 
réclamer  l'attrihution  des  territoires  compris  entre  les 
rues  de  Bussy ,  des  Boucheries  et  de  l'Ancienne-Comédie 
qui,  quoique  appartenant  à  Saint-Germain  des  Prés,  sont 
plus  près  de  Saint-Sulpice;  et  que  d'ailleurs  pour  plu- 
sieurs des  maisons  réclamées  par  Saint-Jacques  la  com- 
munication avec  Saint-Sulpice  était  presque  aussi  courte 
et  même  plus  facile,  et  que  pour  quelques-unes,  celles  qui 
sont  situées  dans  l'enclave  du  Luxembourg ,  le  change- 
ment proposé  serait  contraire  aux  principes  d'une  bonne 
circonscription  non  moins  qu'aux  convenances  des  habi- 
tants. 

Il  faisait  observer  enfin  que  si  l'on  invoquait  la  néces- 
sité d'augmenter  les  ressources  de  la  paroisse  Saint-Jac- 
ques, il  convenait  de  ne  pas  oublier  qu'un  important 
avantage  avait  été  accordé,  en  18i3,  aux  paroisses  d'une 
moindre  étendue,  au  préjudice  de  celles  d'une  plus 
grande,  par  l'augmentation  du  fonds  commun  sur  le  pro- 
duit des  pompes  funèbres. 

Malgré  leur  légitimité  et  l'insistance  de  la  Fabrique  à  les 
faire  valoir  (1),  ces  raisons  ne  prévalurent  ni  dans  les 
conseils  du  préfet  de  la  Seine  ni  dans  ceux  de  l'arche- 
vêque de  Paris  dont  une  ordonnance,  datée  du  19  mars 
18i6,  prescrivit  la  translation  de  cette  partie  du  terri- 
toire de  Saint-Snlpice  et  son  attribution  à  Saint-Jacques 
du  Haut-Pas. 

La  restauration  du  grand  orgue,  dont  il  était  fait  men- 
tion dans  cette  protestation  du  Conseil  de  fabrique,  lui 

(1)  Délibérations  du  Conseil  de  fabrique  des  3  juillet  et  22  août  1845. 


M.  C0LL1N  ;  1836-1851).  341 

créa,  en  effet,  une  charge  fort  onéreuse,  qu'aggravèrent 
encore  les  lenteurs  apportées  à  son  exécution  :  car  il 
l'avait  ordonnée  dès  le  14  mars  1834  et  ce  ne  fut  que 
douze  ans  après,  le  7  août  1846,  qu'il  put  en  voter  la  récep- 
tion. Ce  long  retard  avait  eu  plusieurs  causes  :  d'abord 
le  ravalement  général  de  l'église  et  l'énorme  poussière 
qu'il  y  soulevait;  puis  le  projet,  caressé  pendant  bien 
des  mois,  de  transformer  la  chambre  de  la  soufflerie  de 
l'orgue  en  une  salle  des  catéchismes  pour  remplacer  celle 
de  la  chapelle  souterraine  de  la  Sainte  Vierge,  dont  la 
préfecture  de  police  exigeait  la  fermeture  à  cause  de  son 
insalubrité  (1);  ensuite  la  dévastation  de  l'orgue  par  le 
facteur  lui-même  qui  était  venu  l'accorder  pour  les 
fêtes  de  Pâques  (2)  ;  enfin  les  études  d'améliorations  or- 
données par  le  Conseil,  notamment  au  sujet  de  l'applica- 
tion du  système  Barker  et  de  son  levier  mécanique  au 
clavier  (3). 

Mais  l'augmentation  de  la  dépense  n'était  pas  le  moin- 
dre inconvénient  de  ce  retard.  Dans  le  devis  primitif  de 
1834,  elle  n'était  évaluée  qu'à  15.500  francs;  en  1843,  le 
Conseil,  sur  sa  demande,  recevait  du  facteur,  chargé  du 
travail,  deux  mémoires  :  l'un  .relatif  à  la  restauration 
proprement  dite  de  l'orgue,  qui  montait  à  23.125  francs; 
l'autre,  concernant  les  améliorations  qu'il  avait  intro- 
duites dans  plusieurs  des  jeux,  qui  s'élevait  à  17.740,  soit 
au  total  de40.8G5  francs;  et,  sur  le  rapport  d'une  commis- 
sion spéciale  qu'il  avait  chargée  de  l'examen  de  ces  deux 
mémoires,  il  arrêtait,  dans  sa  séance  du  15  novembre 
1844,  à  32.000  francs,  c'est-à-dire  à  plus  du  double  du 


(1)  Délibération  du  Conseil  de  fabrique  du  13  juin  1843. 

(2)  V.  Procès-verbaux  de  la  Séance  du  Conseil  de  fabrique  du  12  avril 
1843  et  de  celle  du  12  juillet  de  la  même  année,  où  son  opposition  à  une 
ordonnance  de  référé  du  22  mai  précédent  fut  validée  par  arrêt  de  la 
première  cbambre  delà  Cour  d'appel  de  Paris,  du  19  août  suivant. 

(3)  Décision  du  Conseil  de  fabrique  du  17  mars  1843. 


3i2  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

devis  primitif,  le  prix  total  des  travaux  faits  et  restant  à 
faire  au  grand  orgue. 

Leur  réception  eut  lieu  les  19  et  22  janvier  18iG,  et  il 
ne  la  vota,  le  7  avril  suivant,  que  sur  l'avis  d'une  com- 
mission de  gens  de  l'art  auxquels  il  en  avait  confié  l'exa- 
men, et  qui,  en  concluant  avec  éloges  à  leur  admission, 
déclaraient  que  «  les  améliorations  apportées  à  ce  bel 
«  instrument,  le  rendaient  le  plus  important  et  le  plus 
«  complet  de  France  il)  ». 

Moins  de  onze  ans  après,  une  autre  commission  spéciale 
constatait  «  que  la  plupart  des  éléments  qui  le  compo- 
«  saient  et  qu'on  se  proposait  simplement  d'améliorer, 
«  étaient  réduits  à  un  tel  état  de  délabrement,  q\\  avant 
«  un  an,  il  serait  impossible  de  se  servi?'  de  cet  orgue  (2)  »  ; 
et,  en  conséquence,  le  Conseil  fut  obligé  d'en  voter,  à 
nouveau ,  la  restauration  (3). 

Le  paiement  des  annuités  qu'impliquait  pour  la  Fabri- 
que son  acceptation  de  cette  malencontreuse  réparation, 
coïncidant  avec  la  baisse  de  ses  revenus,  produite  parla 
distraction  de  la  partie  de  son  territoire  cédée  à  Saint- 
Jacques,  avait  détruit  l'équilibre  de  ses  budgets;  et  la 
Révolution  de  18i8,  qui  éclata  sur  ces  entrefaites,  ne  fit 
qu'accroître  ses  embarras  financiers.  Mais  le  désintéresse- 
ment de  M.  l'abbé  Collin  et  la  sage  prévoyance  de  son 
Conseil  réussirent,  en  deux  ans,  à  les  faire  cesser  et  à 
préparer  même  toute  une  série  d'années  prospères,  que 


(1)  Rapport  de  la  commission  scientifique  et  artistique,  du  4  avril  18i6, 
lu  au  Conseil  de  fabrique,  dans  sa  séance  du  7  de  même  mois.  Dans  celte 
même  séance,  le  Conseil  vota  l'assurance  de  l'orgue  à  la  Compagnie  «  la 
Providence  »  pour  une  valeur  de  200.000  fr.  à  raison  de  0,80^  par 
1.000  fr. 

(2)  L'abbé  Lamazou ,  Étude  sur  l'orgue  monumental  de  Saint-Sulpice 
et  la  facture  d'orgue  moderne,  p.  20,  Paris.  E.  Repos,  éditeur.  Brochure 
in-8°  de  122  pages. 

(3)  Par  traité  avec  M.  Cavaillé-Coll  du  26  mars  1857.  V.  P.-V.  de  la 
séance  du  Conseil  du  15  mai  suivant. 


M.  COLLIX  (1836-1851).  343 

malheureusement  M.  le  curé  ne  put  pas  mettre  à  profit. 
Un  mal  subit,  dont  on  ne  soupçonnait  pas  la  gravité, 
mais  qui  provenait  d'une  altération,  déjà  ancienne,  de 
sa  santé,  l'enleva,  en  trois  jours,  le  16  janvier  1851,  à 
l'affection  de  sa  paroisse.  Il  n'était  âgé  que  de  cinquante- 
cinq  ans. 

Sa  dernière  pensée  fut  pour  les  pauvres  qui ,  toute  sa 
vie,  lui  avaient  inspiré  la  plus  tendre  charité.  11  légua, 
par  son  testament,  3.400 francs  de  rente  annuelle  5  p.  100 
sur  l'État  à  la  Fabrique,  à  la  charge  par  elle  d'employer 
sur  son  montant  200  francs  par  an  à  faire  dire  deux 
messes  pour  le  repos  de  son  àme ,  l'une  le  jour  de  sa  fête, 
le  4  novembre,  et  J'autre  le  jour  de  sa  mort,  le  16  jan- 
vier, et  de  verser  les  3.200  francs  de  surplus,  chaque 
année,  entre  les  mains  de  ses  successeurs,  pour  être  em- 
ployés par  eux  en  œuvres  pies ,  à  leur  choix. 

Dès  le  lendemain  de  sa  mort,  à  la  demande  du  Conseil 
de  fabrique,  au  nom  de  tous  les  fidèles,  le  préfet  de  police 
permit  le  dépôt  provisoire  de  son  corps  dans  un  des  ca- 
veaux de  l'église;  et,  seize  ans  après,  une  décision  im- 
périale du  28  avril  1866,  sur  l'avis  favorable  du  garde 
des  sceaux,  M.  Baroche  (1),  autorisa  son  inhumation 
définitive  dans  ce  même  caveau,  par  une  exception  à  la 
règle  tracée  par  ]e  décret  du  23  Prairial  an  XII. 

M.  l'abbé  Collin  avait  été  honoré  de  la  considération 
et  de  la  bienveillance  les  plus  affectueuses  de  la  part  des 
trois  archevêques  de  Paris,  sous  l'autorité  desquels  il  avait 
exercé  le  saint  Ministère.  WT  de  Quelen  lui  avait  fait  fran- 
chir, en  dix  ans,  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie  sacer- 
dotale, depuis  l'humble   place  de  vicaire  à  Saint-Denis 


(1)  Msr  Darboy,  consulté,  au  préalable,  par  le  ministre  des  cultes,  avait 
répondu,  le  26  avril,  «  qu'il  ne  voulait  pas  combattre  la  demande  de  la 
«  famille  et  de  la  Fabrique,  inspirée  par  un  sentiment  très  louable,  mais 
«  qu'il  désirait  qu'il  lui  fût  permis  de  ne  pas  l'appuyer  ». 


344  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

jusqu'à  l'importante  fonction  de  curé  de  Saint- Sulpice. 
Après  lui,  Mg'  Afï're,  de  glorieuse  mémoire,  lui  avait  té- 
moigné la  même  confiance.  U  le  consultait  souvent,  sur- 
tout, disait-il,  quand  il  voulait  savoir  la  vérité,  et  il 
l'avait  nommé,  en  18i5,  chanoine  honoraire  de  sa  cathé- 
drale. Et  son  successeur,  Mgr  Sibour,  se  fit  un  devoir 
d'exprimer,  du  haut  de  la  chaire  même  de  Saint-Sul- 
pice,  les  regrets  qu'il  éprouvait  de  la  perte  de  ce  bon 
pasteur,  qui  avait  été  son  élève  au  petit  Séminaire.  Mais 
ce  fut  le  supérieur  général  de  Saint-Sulpice,  M.  Carrière, 
qui  lui  rendit  le  plus  bel  hommage,  en  proclamant  hau- 
tement qu'il  avait  été  un  digne  successeur  de  M.  Olier. 


CHAPITRE  XVI 

M.    HAMON    (1851-1874 


Sommaire  :  Sa  naissance.  —  Sa  famille.  — Ses  études.  —  Il  est  appelé  à  monter 
clans  la  chaire  de  littérature  grecque  à  la  pension  Liautard.  —  Il  entre  au 
Séminaire  de  Saint-Sulpiee.  —  Son  ordination  et  son  admission  dans  la 
Compagnie.  —  Il  professe  la  théologie,  pendant  six  ans,  au  grand  séminaire  de 
Paris,  et  est  nommé  ensuite  supérieur  de  celui  de  Bordeaux.  —  Longue  mala- 
die du  larynx;  voyage  en  Italie.  —  Mort  du  cardinal  de  Cheverus,  son  ami. 

—  Il  écrit  sa  Vie,  puis  celle  de  Mme  Marie  Rivier,  fondatrice  de  la  congré- 
gation des  Sœurs  de  la  Présentation  de  Marie.  —  Il  reprend  la  direction  du 
séminaire  de  Bordeaux  et  est  nommé,  en  1843,  supérieur  de  celui  de  Cler- 
inont.  —  Son  refus  de  l'Évêché  de  Montauban.  —  Son  Traite  de  la  Prédica- 
tion. —  ses  retraites  pastorales.  —  Sa  troisième  supériorité  au  séminaire  de 
Bordeaux.  —  Il  prépare  les  travaux  du  Concile  provincial  de  Bordeaux  en 
Is.'iO,  et  écrit  le  premier  volume  de  sa  Vie  de  saint  François  de  Sales.  —  Sa 
nomination  à  la  Cure  de  Saint-Sulpice.  — Sa  tendre  charité  pour  les  pauvres. 

—  Catéchismes.  —  Prédications.  —  Oraison  funèbre  du  Père  de  Ravignan  par 
M8*  Dupanloup.  —  Fondation  de  la  maison  d'école  de  garçons  de  la  rue 
d'Assas.  —  Refus  de  l'Évêché  du  Mans.  —  Sixième  démembrement  de  la 
paroisse  Saint-Sulpice.  par  la  création  de  celle  de  Notre-Dame  des  Champs. 

—  Circonscription  actuelle  de  la  paroisse  Saint-Sulpice.  —  Fondation  de  la 
maison  des  Petites  Sœurs  des  Pauvres  de  la  rue  Notre-Dame  des  champs.  — 
M^  Sibour  nomme  M.  Hamon  modérateur  des  cas  de  conscience  et  chanoine 
honoraire  de  sa  cathédrale:  et  l'Empereur  lui  fait  donner  la  croix  de  la  Lé- 
gion d'honneur.  —  Œuvre  de  Notre-Dame  des  Étudiants.  —  Établissement  du 
calorifère  de  l'église.  —  Restauration  du  grand  orgue.  —  Participation  à 
l'achat  du  presbytère.  —  Attachement  de  M.  Hamon  au  Saint-Siège.  —  ses 
noces  d'or  sacerdotales.  —  Siège  de  Paris.  —  L'église  Saint-Sulpice  pendant 
la  Commune.  —  Ouvrages  de  M.  Hamon.  —  Son  second  volume  de  la  Vie  de 
saint  François  de  Sales;  ses  Méditations  pour  tous  les  jours  de  l'année; 
son  Histoire  du  culte  de  la  Sainte  Vierge.  —  Son  pèlerinage  à  Paray-le-Mo- 
nial.  —  Sa  maladie  et  sa  mort.  —  Son  éloge  par  le  cardinal  Guibert. 


Avec  M.  Hamon  réapparaissent  ces  grandes  figures  sa- 
cerdotales que  les  premiers  curés  de  Saint-Sulpice,  disci- 
ples de  M.  Olier,  offraient  à  l'admiration  des  fidèles,  en- 


346  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAIXT-SULPICE. 

tourées  de  l'auréole  de  la  sainteté  de  leur  vie  et  rayon- 
nantes de  l'éclat  de  leur  doctrine,  de  leur  parole  et  de 
leur  talent  d'écrivains.  M.  Hamon  a  réuni  en  lui  tous  ces 
rares  mérites. 

André-Jeari-Marie  Hamon  naquit  au  Pas,  petit  bourg  à 
quelques  lieues  de  la  ville  de  Mayenne,  sur  les  confins  du 
Bas-Maine  et  de  la  Normandie,  le  18  mai  1795,  de  parents 
qui  jouissaient  dans  le  pays  d'une  grande  considération. 
Il  était  l'aine  de  sept  enfants  dont  deux  moururent  en 
bas  âge,  et  reçut  le  baptême  des  mains  d'un  des  prêtres 
fidèles  et  proscrits  qui  trouvèrent,  dans  la  maison  de  ses 
père  et  mère,  un  généreux  asile  pendant  tout  le  temps  de 
la  Terreur  et  de  la  persécution  de  Fructidor. 

Un  de  ses  oncles  maternels,  l'abbé  Jacques  Lehuen- 
Dubourg,  devenu  curé  du  Pas  après  le  Concordat,  lui  fit 
faire  sa  première  communion,  le  -21  mai  1805.  11  com- 
mença alors  ses  études,  sous  la  férule  d'un  autre  de  ses 
oncles,  ancien  Eudiste.  l'abbé  Jean  Lehuen-Dubourg,  prê- 
tre d'ailleurs  fort  respectable,  mais  maître  peu  endurant 
qui,  à  la  moindre  faute,  ne  ménageait  pas  à  son  élève  les 
épithètes  d'âne,  de  bûche,  de  piètre  sujet  dont  on  ne  ferait 
jamais  rien;  et  il  les  termina  brillamment,  en  dépit  des 
pronostics  avunculaires,  au  petit  Séminaire  de  La  Ferté 
Macé,  où,  à  la  fin  de  sa  rhétorique,  il  composa  sur  la  divi- 
nité de  la  Religion  un  discours  si  remarquable  que  le  su- 
périeur le  lut  publiquement  à  la  distribution  des  prix,  aux 
applaudissements  de  toute  l'assistance  (1).  Il  n'avait  que 
quinze  ans. 

Son  père  prit  alors  le  sage  parti,  dont  il  lui  fut  toujours 
reconnaissant,  de  lui  faire  redoubler  cette  classe  impor- 
tante à  la  célèbre  pension  Liautard  à  Paris  (2).  Il  y  suivit, 


(1)  L'abbé  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  18  et  25. 

(2)  La  pension  Liautard,  fondée   en    1804,   par  M.  Duclaux,   supérieur 
général  de  Saint-Sulpice,  en  vue  de  procurer  une  éducation  chrétienne  à 


M.  HAMOX  (1851-1874).  347 

d'après  le  règlement  universitaire  de  l'époque,  les  cours 
du  Lycée  Louis-le-Grand  et  ensuite  ceux  du  Lycée  Napo- 
léon (Henri  IV),  où  deux  professeurs  d'un  grand  talent, 
MM.  Naudet  et  Laya,  développèrent  en  lui,  à  un  si  haut 
degré,  le  sentiment  du  beau  littéraire,  que  dans  son  ad- 
miration pour  les  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité,  surtout 
pour  ceux  de  l'antiquité  grecque,  il  se  livra,  pour 
mieux  les  goûter,  à  une  étude  approfondie  de  cette  lan- 
gue. En  moins  de  cinq  ans,  il  parvint  à  la  posséder  si 
bien,  qu'en  1816,  on  ne  lui  permit  de  commencer  sa 
théologie  au  Séminaire  de  Saint-Sulpice  que  comme  ex- 
terne (1),  pour  lui  permettre  de  faire,  le  soir,  à  la  pen- 
sion Liautard,  le  cours  de  littérature  grecque  aux  élèves 
des  classes  supérieures;  et  pendant  les  deux  ans  qu'il  en 
fut  chargé,  il  ne  cessa  pas  d'entretenir  en  eux  son  propre 
enthousiasme  pour  les  beautés  de  la  poésie  grecque,  sur- 
tout pour  celles  des  drames  de  Sophocle,  son  auteur  pré- 
féré |  î  . 

Au  mois  d'octobre  1818,  il  quitta  définitivement  le 
collège  de  la  rue  Notre-Dame  des  Champs  pour  entrer  en 
qualité  d'interne  au  Séminaire  de  Saint-Sulpice  et  se  pré- 
parer aux  saints  ordres.  Il  y  reçut  le  sous-diaconat  le 
18  septembre  1819.  Le  jour  même,  dans  une  note  écrite 


la  jeunesse  et  de  préparer  des  sujets  pour  le  Séminaire,  comptait  déjà, 
en  1811,  quand  M.  Hamon  y  entra,  600  élèves,  parmi  lesquels  figuraient 
les  noms  des  plus  illustres  familles  de  France.  Érigée  en  institution  de 
plein  exercice  par  décret  du  Conseil  royal  de  l'instruction  publique,  du 
28  août  1821,  elle  changea  son  nom  en  celui  de  Collège  de  IVotre-Dame 
des  Champs,  du  nom  de  la  rue  où  elle  était  établie,  et  bientôt  après  en 
celui  de  Collège  Stanislas,  pour  répondre  au  désir  de  Louis  XVIIf,  qui 
favorisait  celle  maison  et  qui  voulut  qu'elle  portât  l'un  de  ses  prénoms  , 
qu'elle  a  conservé  désormais. 

(1)  Il  avait  revêtu  le  saint  habit  des  clercs,  et  reçu  la  tonsure,  le  18  sep- 
tembre 1813.  De  1814  à  1816,  il  avait  été  chargé  de  la  classe  de  sixième  à 
la  succursale  de  la  pension  Liautard,  à  Gentilly,  pendant  qu'il  y  faisait 
lui-même  sa  philosophie.  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  38  et  40. 

(2)  Branchereau,  ibid.,  p.  41. 


348  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

de  sa  main,  il  disait  :  «  Le  sous-diaconat  est  une  consé- 
«  cration  solennelle  et  irrévocable  de  tout  moi-même  à 
«  la  divine  Majesté  ;  la  vertu  propre  de  cet  ordre  doit 
«  donc  être  l'abnégation,  la  mort  à  moi-même,  pour  ne 
«  plus  vivre  qu'à  Dieu.  »  Et  cette  abnégation  fut,  en 
eifet,  désormais  la  règle  de  toute  sa  vie,  la  plus  humble, 
la  plus  exempte  d'amour-propre  et  la  plus  détachée  de 
soi-même  qui  se  soit  rencontrée. 

Quelques  semaines  après,  sur  les  conseils  de  M.  Boyer, 
le  directeur  de  sa  conscience,  et  d'après  les  avis  de 
M.  Auge  lui-même,  son  ancien  maître  à  la  pension  Liau- 
tard  et  enrôlé  alors  dans  la  milice  des  Missionnaires  de 
France,  récemment  créée  par  l'abbé  de  Rauzan  (1),  il  de- 
mandait à  entrer  dans  la  Compagnie  de  Saint-Sulpice,  et 
était  admis  à  suivre  les  exercices  de  la  Solitude  sous  la 
forte  direction  de  M.  Mollevaut  qui,  dès  qu'il  en  prit  le  gou- 
vernement, y  fit  revivre  l'esprit  de  ferveur,  de  régularité, 
d'abnégation  et  d'obéissance  des  anciens  jours.  Le  18  dé- 
cembre suivant,  il  était  élevé  au  diaconat;  et  le  27  mai 
1820,  il  recevait  l'onction  sacerdotale  (2). 

A  la  rentrée  d'octobre  de  la  même  année,  il  fut  atta- 
ché au  Séminaire  de  Saint-Sulpice  à  Paris,  pour  y  ensei- 
gner la  théologie.  Il  y  fut  distingué  très  vite  par  les  élè- 
ves :  comme  professeur,  par  la  rectitude  de  son  jugement, 
son  ferme  bon  sens  et  la  clarté  de  son  exposition  ;  comme 
directeur,  par  sa  sollicitude  affectueuse  pour  ceux  qui  le 
prenaient  pour  guide  de  leur  conscience  et  par  le  don 
qu'il  avait  de  faire  passer  en  eux  le  zèle  qui  l'animait. 
Bientôt  même,  son  influence  s'étendit  en  dehors  du  Sémi- 
naire, et  beaucoup  de  prêtres  du  clergé  de  Paris,  attirés 


1    M.   Ilanion  avait  songé,  pendant  quelque   temps,  à   faire  partie  de 
cette  milice. 

(2)  A  dater  de  ce  jour,  il   se   fit  un   devoir,  auquel  il   ne  manqua  plus 
jamais,  de  se  lever  à  4  heures  du  matin. 


M.  HAMON  (1851-1874).  349 

vers  lui  par  sa  piété,  sa  science  et  sa  modestie,  le  choisi- 
rent comme  leur  confesseur. 

Il  était  depuis  six  ans  à  Saint-Sulpice,  où  il  avait  oc- 
cupé successivement  la  chaire  de  dogme  et  celle  de  mo- 
rale, et  déjà  la  Compagnie  le  mettait  au  rang  de  ses 
membres  les  plus  distingués,  lorsque  son  nouveau  supé- 
rieur, M.  Garnier,  crut  devoir  lui  confier,  malgré  sa 
jeunesse,  la  direction  du  grand  Séminaire  de  Bordeaux. 

En  en  prenant  possession  dans  les  premiers  jours  d'oc- 
tobre 1820,  il  trouvait  à  la  tète  du  diocèse  un  Prélat  émi- 
nent,  W1  de  Cheverus,  son  compatriote,  qui  devait  s'unir 
à  lui  par  une  douce  et  sainte  amitié,  cimentée,  malgré 
l'inégalité  de  leur  rang  et  de  leur  âge,  par  une  même 
élévation  de  leur  âme  et  de  leur  esprit,  et,  au  Séminaire, 
des  directeurs  âgés  ou  infirmes  qui  avaient  laissé  fléchir 
la  discipline  parmi  leurs  nombreux  élèves  (1),  et  qui  ne 
voyaient  pas  sans  quelque  peine  le  gouvernement  de  la 
maison  passer  en  des  mains  plus  jeunes.  Mais  M.  Hamon, 
par  la  supériorité  de  son  talent,  sa  bonté,  sa  droiture  et 
sa  simplicité,  ne  tarda  pas  à  prendre  un  tel  ascendant 
sur  les  esprits  qu'en  quelques  mois  il  ne  comptait  plus 
que  des  admirateurs  et  des  amis  dans  son  Séminaire. 

Son  premier  soin  fut  d'y  plier  les  élèves  à  la  stricte 
observation  de  la  règle.  Il  y  réussit  promptement,  grâce 
à  la  collaboration  intelligente  et  ferme  de  son  ami,  M.  Ga- 
vai, qui  devint  plus  tard  supérieur  général  de  la  Com- 
pagnie. Les  études  étaient  également  en  soufïrance  ;  il 
les  releva  et  leur  donna  même  une  forte  impulsion  en 
ajoutant  aux  examens  semestriels  des  répétitions  publi- 
ques qu'il  faisait  faire,  en  sa  présence ,  deux  fois  par  se- 
maine. Il  institua  aussi  un  cours  de  physique  pour  les 
philosophes,   et  les  réunit  en  communauté  distincte  de 


[1)  Ils  étaient  au  nombre  de  170,  tant  théologiens  que  philosophes,  à 
l'arrivée  de  M.  Hamon. 


350  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

celle  des  théologiens.  Il  ne  négligea  pas  non  plus  d'ap- 
porter à  l'aménagement  matériel  de  la  maison  les  amé- 
liorations dont  elle  était  susceptible;  et,  en  1828,  il  put 
l'agrandir  à  l'aide  d'un  subside  important  que  l'État  lui 
accorda  sur  sa  demande  et  qui  lui  permit  de  compléter  la 
construction  d'une  des  ailes  restée  jusque-là  inachevée. 

Cette  transformation  du  Séminaire,  qu'il  avait  opérée 
en  moins  de  trois  ans,  lui  valut  l'estime  du  clergé  borde- 
lais, et  il  en  devint  l'oracle  après  la  retraite  ecclésiastique 
qu'il  lui  prêcha  en  juillet  1830,  et  dont  le  succès  fut  tel 
que  l'Archevêque  tint  à  l'en  récompenser  en  lui  accor- 
dant des  lettres  de  Grand  Vicaire  et  en  le  prenant  désor- 
mais pour  son  conseil  dans  toutes  les  affaires  épineuses 
qu'il  avait  à  traiter,  comme  sur  les  questions  les  plus  dé- 
licates du  droit  canonique  qu'il  lui  fallait  résoudre. 

Il  pouvait  dès  lors  se  croire  autorisé  à  jouir  en  paix  de 
la  considération  générale  dont  il  était  l'objet  et  de  la  sa- 
tisfaction que  lui  causait  l'excellent  esprit  de  ses  sémina- 
ristes, quand  il  fut  atteint,  en  1832,  d'une  affection  de 
larynx  qui  l'obligea  à  résigner  ses  fonctions  et  qui  le 
condamna,  pendant  cinq  longues  années,  au  repos  et  au 
silence.  Mgr  de  Cheverus  en  fut  si  vivement  affecté  qu'un 
jour,  en  l'annonçant  dans  une  grande  réunion  où  il  avait 
pris  la  parole,  il  dut  s'arrêter  suifoqué  par  ses  larmes. 
En  vain  l'envoya-t-on  prendre  les  bains  de  mer  à  Gran- 
ville  en  183i,  faire  une  saison  à  Cauterets  en  1835.  Ce  ne 
fut  que  son  séjour  en  Italie,  pendant  l'hiver  de  1835  à 
1836,  qui  apporta  quelque  adoucissement  à  son  mal.  Il  y 
reçut  de  Grégoire  XVI  l'accueil  le  plus  paternel  et  éprouva 
une  grande  joie,  quand  le  Saint-Père  daigna  lui  annon- 
cer la  prochaine  élévation  de  M"r  de  Cheverus  au  cardi- 
nalat (1).  Il  s'empressa  d'en  informer  le  Prélat  qui,  dans 


(1)  Cette  promotion  eut   lieu,  en  effet,  dans   le  Consistoire  du  1"  fé- 
vrier 1836. 


M.  HAMON  (1351-1874).  351 

sa  réponse,  lui  disait  :  «  Cher  Grand  Vicaire  et  tendre 
«  ami,  j'espère  que  vous  songez  à  revenir  à  Bordeaux  où 
«  le  printemps  est  aussi  doux  qu'à  Rome;  vous  savez 
«  combien  vous  m'êtes  cher  et  utile.  Votre  appartement 
«  vous  est  réservé;  personne  ne  s'en  emparera,  pas  plus 
«  que  de  la  place  que  vous  occuperez  toujours  dans  le 
«  cœur  du  Cardinal.  Puissiez-vous  nous  revenir  bien 
«  portant.  Il  me  tarde  de  vous  embrasser,  de  jouir  de 
«  votre  douce  société,  de  profiter  de  votre  aide  et  de  vos 
«  conseils.  » 

Hélas!  il  ne  rentra  en  France  que  pour  fermer  les  yeux 
de  l'excellent  Cardinal,  son  meilleur  ami,  qui  succomba, 
le  19  juillet  1836,  à  une  attaque  d'apoplexie.  Sollicité 
d'écrire  sa  vie  par  le  neveu  du  prélat,  l'abbé  George,  qui 
lui  en  fournit  tous  les  éléments,  il  vint  la  composer  à 
Issy  et  la  fit  paraître  à  la  fin  d'août  1837. 

Le  public  s'éprit  de  la  beauté  du  caractère  de  ce  jeune 
prêtre,  pieux  et  modeste,  spirituel  et  distingué,  qui  jeté, 
en  1793,  loin  de  son  pays  sur  les  côtes  des  États-Unis, 
s'attache  à  la  pauvre  et  peu  nombreuse  église  de  Boston, 
la  développe  par  l'ardeur  de  son  zèle  et  par  sa  parole  per- 
suasive, l'abandonne,  quand  il  Fa  rendue  prospère,  pour 
aller  au  delà  du  Connecticut,  dans  la  profondeur  des  bois, 
évangéliser  les  sauvages  et  les  humaniser;  et  n'y  revient, 
lorsqu'elle  est  décimée  par  la  fièvre  jaune,  que  pour  se 
faire  l'assistant  des  abandonnés  et  le  consolateur  des 
mourants;  qui  ensuite  nommé  par  Rome,  en  1798,  évè- 
que  du  diocèse,  sait  user,  pendant  près  de  trente  ans, 
de  ce  titre  sans  crédit  temporel,  comme  d'un  instrument 
de  charité  universelle  et  de  conciliation  entre  les  sectes 
et  les  partis  divisés,  conquérir  par  son  inépuisable  cha- 
rité l'affection  reconnaissante  des  pauvres,  par  sa  dou- 
ceur et  l'ascendant  de  sa  vertu  le  respect  des  protes- 
tants dont  beaucoup  s'honorent  de  son  amitié,  élever  de 
tous  côtés  des  églises  et  des  écoles,  et  étendre  ainsi  de 


352  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SULPICE. 

Boston  à  Baltimore  l'influence  du  catholicisme;  et  oui 
enfin,  lorsqu'il  est  rappelé  en  France,  en  1826,  pour  oc- 
cuper tour  à  tour  les  sièges  de  Montauban  et  de  Bor- 
deaux, sait  s'y  faire  aimer  et  y  gagner  tous  les  cœurs  aussi 
bien  qu'à  Boston,  par  la  même  indulgence  d'un  esprit 
aimable  et  supérieur,  la  même  piété  fervente  et  la  même 
bonté. 

Cette  belle  vie,  tout  apostolique,  écrite  par  M.  Hamon 
simplement,  mais  avec  une  chaleur  de  sentiment  com- 
municative,  fut  accueillie  avec  une  grande  faveur.  Cou- 
ronnée par  l'Académie  française  en  1841,  elle  a  été  réé- 
ditée cinq  fois  et  traduite  en  plusieurs  langues. 

La  prolongation  de  son  séjour  à  Issy  et  le  calme  dont 
il  y  jouit,  amenèrent  dans  son  état  une  amélioration  assez 
sensible  pour  permettre  à  ses  supérieurs  de  lui  rendre  ses 
anciennes  fonctions  ;  et,  à  la  rentrée  des  vacances  de  1837, 
il  fut  replacé  à  la  tête  du  Séminaire  de  Bordeaux.  Son 
retour  y  fut  salué  par  des  témoignages  unanimes  de  sa- 
tisfaction et  de  joie,  dont  son  cœur  aimant  fut  très  touché 
et  qui  l'aidèrent  à  reprendre  avec  une  nouvelle  ardeur 
son  ministère  interrompu  depuis  cinq  ans. 

Ce  fut  au  cours  de  cette  seconde  mission  et  malgré 
toutes  les  occupations  qu'elle  lui  imposait,  qu'il  trouva  le 
temps  d'écrire,  à  la  demande  de  son  confrère,  M.  Vernet, 
supérieur  du  grand  Séminaire  de  Viviers,  la  Vie  de 
Mme  Marie  Bivier,  fondatrice  et  'première  supérieure  de  la 
congrégation  des  Sœurs  de  la  Présentation  de  Marie, 
qu'elle  avait  fondée,  en  1796,  à  Thueyts,  petite  ville  de 
ce  diocèse,  pour  l'éducation  de  la  jeunesse.  Elle  parut,  à 
Avignon,  dans  le  courant  de  l'année  1842.  Quoique  infé- 
rieure au  point  de  vue  littéraire  à  celle  du  cardinal 
de  Cher  crus,  elle  a  beaucoup  contribué  néanmoins  à 
étendre  la  réputation  de  sainteté  de  cette  pieuse  fonda- 
trice, à  accroître  la  confiance  des  populations  dans  son 
intercession  et  à  hâter  la  détermination  de  l'autorité  ec- 


M.  HAMON  (1851-1874}.  353 

clésiastique  à  entreprendre  le  procès  de  sa  canonisa- 
tion (1). 

Six  années  s'étaient  déjà  écoulées  depuis  son  retour  à 
Bordeaux,  et  la  piété  et  l'affection  de  tous  ses  élèves, 
comme  le  bien  considérable  qu'il  faisait  en  dehors  du 
Séminaire,  lui  permettaient  d'écrire,  le  10  avril,  «  qu'il  était 
l'homme  le  plus  heureux  du  monde  »,  lorsque,  vers  la  fin 
des  vacances,  M.  Carbon,  qui  remplissait  alors  les  fonctions 
de  vice-supérieur  de  Saint-Sulpice,  lui  écrivit  pour  lui 
demander  s'il  accepterait  la  supériorité  du  Séminaire  de 
Clermont.  Le  soir  même  du  jour  où  il  recevait  sa  lettre, 
tout  à  fait  inattendue  pour  lui,  il  lui  répondait  :  «  Depuis 
«  que  je  suis  dans  la  Compagnie,  je  n'ai  pas  eu  d'autre 
«  volonté  que  celle  de  mon  supérieur;  je  suis  prêt  à 
«  tout.  »  Et  le  5  octobre,  il  arrivait  à  Montferrand  (2), 
ayant  fait  son  sacrifice  avec  son  abnégation  habituelle, 
mais  néanmoins  dominant  avec  effort  le  chagrin  que  lui 
causaient  et  la  séparation  de  tant  d'amis  du  Bordelais  qui 
pleuraient  sa  perte,  et  l'altération  de  sa  santé,  causée  par 
la  rigueur  du  climat  d'Auvergne,  et  son  isolement  dans 
un  poste  où  les  lieux,  les  personnes,  les  choses  lui  étaient 
inconnus,  et  aussi  la  solitude  à  laquelle  le  condamnait 
son  éloignement  de  la  ville  épiscopale. 

Sur  ces  entrefaites,  il  fut  avisé  par  l'abbé  George,  son 
ami,  qu'il  était  très  sérieusement  question  de  lui  pour  le 
siège  épiscopal  de  Montauban,  que  sa  candidature  était 
chaudement  appuyée  par  Mgr  Donnet,  l'archevêque  de 
Bordeaux,  et  par  plusieurs  autres  prélats,  et  que  le  minis- 
tre lui-même,  M.  Martin  du  Nord,  en  désirait  le  succès.  Il 
s'empressa  d'en  référer  à  Saint-Sulpice,  et  dès  qu'il  sut 


(1)  L'abbé  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  147  et  148. 

(2)  Depuis  la  Révolution,  le  Séminaire  de  Clermont  est  installé  à  Mont- 
ferrand, petite  ville  qui  n'en  est  distante  que  de  deux  kilomètres,  et  où 
il  occupe  un  ancien  couvent  d'Ursulines. 

ÉGLISE   SAINT-SDLVICE.  23 


354  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SÀ1NT-SULPICE. 

(jue  le  ministre  renonçait  à  le  proposer,  il  écrivait  à  l'éco- 
nome, M.  Houssard,  qui  l'y  avait  déterminé  :  «  Je  vous 
«  remercie  d'avoir  brisé  ma  crosse...  Si  les  desseins  du 
«  ministre  eussent  réussi,  j'aurais  cru  que  Dieu  voulait 
«  remplacer,  peut-être,  par  un  autre  martyre  le  martyre 
«  journalier  que  trouve  tout  mon  être  dans  une  vie  sé- 
«  dentaire,  surtout  depuis  ma  translation  à  Clermont,  où 
<(  il  me  faut  cent  fois  le  jour  regarder  mon  crucifix  et  le 
«  ciel  pour  me  résigner  à  tout  ce  que  j'ai  à  souffrir  au 
«  physique  et  au  moral.  Dieu  veut  que  je  reste  sur  cette 
«  croix;  que  son  saint  nom  soit  béni.  » 

Mais  si  l'épreuve  fut  dure,  elle  cessa  bientôt;  et  les 
nuages  de  tristesse  qui  avaient  accablé  son  Ame  au  début, 
se  dissipèrent  avec  le  retour  du  printemps,  raffermisse- 
ment de  sa  santé  et  les  témoignages  d'affection  et  de  con- 
fiance qu'il  recevait  de  tous  cotés. 

Tout  d'abord,  il  avait  institué  un  cours  de  prédication 
et  de  catéchisme  et  s'en  était  chargé  lui-même.  Il  en  obtint 
des  résultats  si  excellents  et  si  prompts  qu'il  crut  devoir 
résumer  ses  leçons  dans  un  Traite  de  la  Prédication, 
«  l'un  des  livres  les  plus  instructifs  qui  soient  sortis  de 
sa  plume  »  et  dont  les  nombreuses  éditions  indiquent 
l'importance.  11  le  publia  en  18ii. 

L'année  suivante,  il  fut  nommé  assistant  du  supérieur 
de  la  Compagnie  il)  par  l'Assemblée  générale,  après 
qu'elle  eut  appelé  à  cette  haute  fonction  M.  de  Courson,  son 
intime  ami,  en  remplacement  de  M.  Garnier  décédé  (2). 
Presque  en  même  temps  il  recouvrait  la  voix  et,  se  croyant 
en  état  de  reprendre  la  prédication  des  retraites  pasto- 
rales, pour  lesquelles  il  s'était  toujours  senti  un  très  vif 


(1)  Les  assistants  sont  au  nombre  de  douze;  ils  forment  la  partie  diri- 
geante de  la  Compagnie;  et  c'est  à  eux  qu'il  appartient,  réunis  en  Assem- 
blée, de  nommer  le  supérieur  général. 

(2)  M.  Garnier  mourut  le  16  mars  1845. 


M.  HAMON  (1851-1874).  '     355 

attrait,  il  accepta,  pour  les  vacances  de  18i6,  celles  de  la 
Rochelle  et  de  Bourges.  Il  s'y  prépara  pendant  près  d'une 
année  et  en  écrivit  en  entier  tous  les  sermons,  dont  la 
réunion,  résumé  éloquent  des  devoirs  de  la  vie  sacer- 
dotale, «  forme  la  plus  achevée  de  ses  œuvres  ora- 
toires (1)  ». 

Sa  voix  résista  à  la  fatigue  de  parler  quatre  fois  par 
jour  pendant  les  deux  retraites;  et  la  réussite  de  cet  essai 
le  décida  à  continuer  cette  grande  œuvre.  En  1817,  il  en 
prêcha  cinq  autres,  avec  un  plein  succès,  à  Nantes,  au  Mans, 
à  Metz,  à  Orléans  et  à  Paris.  Dès  qu'il  les  eut  terminées, 
M.  de  Courson  le  chargea  de  reprendre,  pour  la  troisième 
fois,  la  direction  du  Séminaire  de  Bordeaux,  où  l'arche- 
vêque ne  cessait  de  le  redemander.  Comme  toujours,  il  se 
soumit  sans  mot  dire.  Néanmoins,  malgré  la  joyeuse  im- 
patience avec  laquelle  il  s'y  savait  attendu,  il  eut  pres- 
que autant  de  peine  à  quitter  l'Auvergne  qu'il  en  avait 
éprouvé  à  s'y  rendre,  tant  il  avait  su  s'y  faire  de  véri- 
tables amis. 

La  Révolution  de  février,  qui  survint  quelque  temps 
après,  ne  suscita  aucune  entrave  à  M.  Hamon  dans  la  con- 
duite de  son  Séminaire;  il  put  même  préparer  à  loisir  les 
six  retraites  ecclésiastiques  qu'il  donna  l'été  suivant,  à 
Autun,  à  Beauvais,  à  Noyon,  au  Puy,  à  Viviers  et  à  Rodez. 
Le  30  juillet  18i9,  il  prononça  l'oraison  funèbre  du  car- 
dinal de  Cheverus  à  l'inauguration  du  monument  que  son 
successeur  lui  fit  ériger  dans  sa  métropole.  Il  prépara 
ensuite  les  travaux  du  Concile  provincial  que  M81  Bonnet 
présida  en  juillet  1850,  et,  pendant  la  tenue  de  ce  Concile, 
il  vint  à  Paris  prendre  part  à  l'élection  du  successeur  de 
M.  de  Courson  enlevé  prématurément  à  l'affection  des 
>ùens,  le  10  avril  précédent.  L'Assemblée  dont  il  faisait 
partie,  nomma  M.  Carrière. 

(1)  Branchereau,   Vie  de  M.  Hamon,  p.  180. 


356  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

De  retour  à  Bordeaux,  les  pères  du  Concile  le  chargè- 
rent de  rédiger  le  mandement  destiné  à  publier  leurs  dé- 
cisions. Mais  ce  travail,  long  et  difficile,  lui  causa  une 
extrême  fatigue,  et,  sous  le  coup  d'une  congestion,  il  dut 
renoncer  à  donner  les  retraites  qu'il  avait  promises  à 
Bordeaux,  à  Carcassonne,  à  Luçon,  à  Tours  et  à  Angers. 
Les  vacances  qu'il  passa  en  voyage  et  dans  un  repos  d'es- 
prit complet,  lui  rendirent  ses  forces,  et  il  put,  à  la 
rentrée,  mettre  la  dernière  main  au  premier  volume  de 
sa  Vie  de  saint  François  de  Sales  que  des  sollicitations, 
aussi  flatteuses  que  pressantes,  l'avaient  déterminé  à 
écrire.  Il  espérait  même  avoir  terminé  le  second  avant 
l'hiver,  quand  sa  nomination  à  la  cure  de  Saint-Sulpice 
l'obligea  à  en  différer  l'achèvement. 

Cette  nomination,  qui  renouait,  heureusement  pour  les 
fidèles,  la  chaîne  des  traditions  sulpiciennes,  en  rendant 
à  un  membre  de  la  Compagnie  la  direction  de  la  paroisse 
de  son  Séminaire,  était  l'œuvre  de  l'archevêque  de  Paris, 
Mgr  Sibour,  qui  était  parvenu  à  triompher  des  hésitations 
de  M.  Carrière.  Aussi  tint-il  à  venir  présider  lui-même 
la  cérémonie  d'installation  du  nouveau  curé  (1),  et,  du 
haut  de  la  chaire,  il  fit  de  lui  un  magnifique  éloge.  La 
réponse  de  M.  Hamon  fut  simple  et  modeste;  et  il  se 
concilia  toutes  les  sympathies,  quand,  parlant  des  pau- 
vres et  de  la  tendresse  de  père  dont  il  sentait  son  cœur 
pénétré  pour  eux,  il  s'écria  :  «  Je  prends  l'engagement 
«  solennel  de  tout  donner  aux  pauvres;  je  veux  vivre 
«  pauvre,  mourir  pauvre,  en  sorte  que  je  n'aie  pas  de 
«  testament  à  faire,  quand  il  plaira  à  Dieu  de  m'appeler 
«  à  lui.  »  A  ces  paroles  touchantes  les  fidèles  compri- 
rent de  suite  quel  saint  prêtre  leur  était  donné  pour  curé. 

(1)  Le  décret  de  nomination  de  M.  Hamon  à  la  cure  de  Saint-Sulpice 
fut  rendu  le  8  juillet  1851,  et  l'installation,  présidée  par  Msr  Sibour,  ar- 
chevêque de  Paris,  assisté  de  M.  l'abbé  Surat,  son  vicaire  général,  eut 
lieu  le  samedi  suivant,  12  juillet. 


M.   HAMON  (1851-1874  .  357 

Son  premier  soin  fut  de  rétablir,  selon  qu'il  était  con- 
venu avec  M^Sibour,  et  en  apportant  à  son  Wjglfjment\es 
modifications  que  les  circonstances  actuelles  exigeaient, 
la  Communauté  des  prêtres  fondée  par  M.  Olier  et  qui 
avait  concouru  si  efficacement  à  la  rénovation  de  la  pa- 
roisse. Il  réunit  autour  de  lui  plusieurs  de  ses  confrères, 
leur  adjoignit  quelques-uns  des  prêtres  de  l'église  Sainl- 
Sulpice  et  s'installa  avec  eux,  en  attendant  un  presbytère 
définitif,  dans  une  maison  de  la  rue  (Tarancière  qu'il  prit 
à  bail.  En  entrant  pour  la  première  fois  dans  la  chambre 
qu'il  allait  occuper,  il  y  trouva  deux  glaces  et,  les  ju- 
geant un  luxe  inutile,  il  les  fit  couvrir  de  papier  vert  et 
donna  un  grand  crucifix  à  placer  sur  celle  qui  garnissait 
la  cheminée  :  «  Ce  sera  pour  moi,  dit-il,  un  plus  beau 
«  miroir  qu'une  glace.  » 

Le  soulagement  de  ses  pauvres  fut,  dès  sa  prise  de  pos- 
session, l'objet  de  sa  plus  vive  sollicitude,  et  l'on  peut  dire 
même  sa  principale  et  sa  plus  douloureuse  préoccupation 
jusqu'à  sa  mort. 

«  Mon  âme,  écrivait-il  plus  tard,  a  pris  des  habitudes 
«  de  tristesse  qui  ne  supportent  plus  la  joie...  Je  suis  au 
«  milieu  de  toutes  les  misères  humaines.  11  ne  se  passe  pas 
«  de  jour  que  je  ne  voie  couler  des  larmes  en  abondance. 
«  Tous  les  pauvres  affligés  viennent  me  dire  leurs  peines; 
«  j'ai  sur  les  bras  des  gens  sans  asile  et  sans  pain,  des 
«  jeunes  filles  dans  la  rue ,  des  enfants  de  dix ,  sept  et  cinq 
«  ans  abandonnés,  des  femmes,  même  de  haut  parage, 
«  chassées  par  leur  mari  et  dans  la  détresse;  et  il  me 
«  faut  pourvoir  à  leur  existence.  Je  ne  sais  que  devenir... 
«  Deux  mille  francs  par  mois,  c'est  une  goutte  d'eau  dans 
«  la  mer.  Oh!  que  c'est  triste!  Comment  ferai-je  vivre, 
«  cet  hiver,  mes  pauvres  dont  le  nombre,  surtout  celui 
«  des  pauvres  honteux,  s'accroît  d'une  manière  effrayante  ! 
«  Cette  idée  me  poursuit  le  jour  et  la  nuit.   » 

Néanmoins,  il  ne  se  découragea  jamais.  Il  fit  d'inces- 


358  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPICE. 

sauts  appels  à  la  charité  de  sa  paroisse;  et  chaque  fois  ils 
furent  entendus  et  lui  permirent  de  distribuer  d'abon- 
dantes aumônes.  C'était  la  supérieure  de  la  maison  de 
secours  de  la  rue  de  Vaugirard,  la  sœur  Louise,  des  Filles 
de  la  Charité,  qu'il  en  avait  faite  la  dispensatrice  et  qui 
tenait  sa  bourse,  c'est-à-dire,  selon  la  pieuse  pratique  de 
M.  Olier,  un  sac  de  toile  auquel  était  attachée  une  image 
de  la  Très  Sainte  Vierge.  Quand  il  s'inquiétait  de  le  voir 
vide,  la  bonne  sœur  le  rassurait,  en  lui  rappelant  que 
jamais  la  Providence  ne  lui  avait  manqué.  Un  jour  de 
fin  de  mois,  où  cet  épuisement  du  sac  le  mettait  dans 
un  grand  embarras,  un  ami  vient  lui  remettre  un  billet 
de  1.000  francs  de  la  part  d'un  inconnu.  «  Oh!  la  bonne 
((  Providence,  »  s'écrie-t-il,  en  embrassant  le  billet  qui 
lui  arrive  si  à  propos.  Le  donateur,  avisé  de  ce  trait 
touchant,  lui  envoya,  le  soir  même,  un  autre  billet  de 
1.000  francs.  M.  Hamon  l'en  remercia  quelques  jours 
après,  parla  lettre  suivante  qui  reflète  toute  la  beauté  de 
son  âme  : 

«  Je  serais  inconsolable,  Monsieur,  d'avoir  tant  tardé  à 
«  vous  remercier  de  votre  double  et  généreuse  offrande, 
«  si  je  ne  m'étais  dit  que  ce  n'était  pas  à  moi-même  que 
«  le  don  avait  été  fait,  mais  à  Jésus-Christ  dans  la  per- 
ce sonne  de  ses  pauvres.  Avec  un  tel  donataire  jamais  la 
«  reconnaissance  n'est  en  retard.  Le  don  est  écrit  dans  le 
«  cœur  de  Notre-Seigneur  en  caractères  ineffaçables.  Vous 
«  l'y  lirez  avec  délices  toute  l'éternité ,  enchâssé  dans 
«  l'or  pur  de  la  charité.  Là,  vous  verrez  que  les  pauvres 
«  qui  reçoivent  nos  aumônes  sont  nos  bienfaiteurs,  puis- 
ce  qu'ils  nous  valent,  en  échange  d'un  peu  d'or  corrup- 
«  tible,  des  biens  si  grands.  C'est  nous  qui  sommes  leurs 
«  obligés  et  qui,  en  conséquence ,  devons  les  traiter  avec 
«  respect  et  affection. 

«  Recevez,  Monsieur,  ma  reconnaissance  de  m'avoir 
«  admis  en  participation  de  votre  bonne  œuvre.  » 


M.  HAMON  (1851-1874  .  3Ô9 

Mais  indépendamment  de  ces  aumônes  qu'il  faisait 
directement  et  qui  lui  étaient,  en  quelque  sorte,  per- 
sonnelles, il  alimentait  encore  la  caisse  des  trois  princi- 
pales œuvres  paroissiales  établies  en  faveur  des  malheu- 
reux : 

De  l'œuvre  des  Dames  de  Charité ,  qui  se  réunissent , 
une  fois  par  mois,  sous  la  présidence  de  M.  le  curé,  avec 
le  concours  d'une  Sœur  de  Charité  qui  assigne  à  chacune 
de  ces  dames  cinq  à  six  familles  pauvres  à  visiter  dans  le 
mois  et  lui  délivre  les  bons  de  pain  et  de  viande  à  leur 
distribuer.  La  dame,  en  allant  les  porter,  doit  s'informer 
si  on  est  marié  à  l'église,  si  les  enfants  vont  à  l'école  et 
au  catéchisme,  s'il  y  a  des  besoins  spéciaux  dans  le  mé- 
nage, si  on  va  à  la  messe  et  si  l'on  fait  ses  Pâques.  A  la 
réunion  suivante ,  elle  rend  compte  de  ses  visites,  et  l'on 
prend  les  mesures  et  l'on  vote  les  secours  que  comporte 
son  rapport; 

De  l'œuvre  des  Pauvres  malades,  à  laquelle  passent 
ceux  des  membres  des  familles  visitées  par  les  Dames  de 
Charité  qui  tombent  malades.  Ils  sont  visités  par  d'autres 
dames  qui  leur  portent  des  secours,  leur  parlent  de  Dieu 
et  les  préparent  à  recevoir  la  visite  du  prêtre; 

Et  de  l'œuvre  du  Vestiaire  de  la  Providence,  ouvroir 
charitable  où,  tous  les  vendredis,  de  une  heure  à  quatre 
heures,  une  soixantaine  de  dames  de  la  paroisse  se  réunis- 
sent dans  une  grande  salle,  au-dessus  de  la  sacristie  des 
mariages,  et  viennent  y  travailler  à  confectionner  des 
gilets  de  flanelle,  des  chemises,  des  caracos,  des  jupons 
et  des  bas  pour  les  pauvres. 

Ces  trois  œuvres  réunies  imposaient  à  M.  Hamon  une 
charge  totale  de  plus  de  Vu. 000  francs  par  an. 

Mais  sa  charité  ne  se  bornait  pas  à  donner  abondam- 
ment de  l'argent  et  des  secours  en  nature.  Se  donner  lui- 
même  à  quiconque  avait  besoin  de  ses  conseils,  de  ses 
consolations,  de  son  appui,  était  son  œuvre  quotidienne 


360  HISTOIRE  DE  LÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  Je  suis  le  débiteur  de  tous  mes  paroissiens,  disait -il,  je 
«  me  dois  à  eux  sans  réserve.  » 

Il  ne  prit  pas  un  moindre  souci  de  la  sanctification  des 
âmes  dont  il  était  devenu  le  pasteur;  et  il  s'efforça  cons- 
tamment de  la  procurer  par  ses  relations  personnelles 
avec  les  familles,  par  les  catéchismes,  les  prédications  et 
les  œuvres. 

Il  savait  combien  de  personnes  n'étaient  éloignées  de  la 
Religion  que  parce  qu'elles  ne  connaissaient  pas  le  prêtre 
ou  qu'elles  ne  pouvaient  pas  lui  parler.  Il  n'hésita  pas 
tout  d'abord  à  faire  la  visite  générale  de  sa  paroisse,  qui 
lui  permit  de  se  rendre  un  compte  exact  de  l'état  d'esprit 
et  de  la  position  sociale  de  ses  habitants;  et  ensuite  il  ne 
manqua  jamais  de  la  renouveler  chaque  fois  que  la  mort 
ou  un  grand  malheur  venait  à  frapper  une  famille. 

M.  l'abbé  Collin  lui  avait  laissé  l'œuvre  des  catéchismes 
très  prospère;  il  n'eut  qu'à  l'encourager.  Il  y  ajouta  ce- 
pendant une  retraite  pour  préparer  les  petits  enfants  à 
leur  première  absolution.  «  Nous  en  avons  eu  dix-huit 
«  cents,  de  sept  à  douze  ans,  écrivait-il  avec  bonheur  en 
«  1863,  qui  ont  suivi  cette  retraite;  ils  se  tenaient  comme 
«  de  petits  anges  et  nous  avons  fait  la  fête  de  la  première 
«  absolution,  comme  on  fait  celle  de  la  première  commu- 
«  nion.  Il  y  a  eu  une  consécration  ravissante  à  la  Sainte 
«  Vierge  (1).  »  L'année  suivante,  ils  étaient  deux  mille. 

Dès  son  arrivée,  il  régla  qu'il  y  aurait,  chaque  diman- 
che, quatre  sermons  à  l'église  :  deux,  le  matin,  à  six  et  à  dix 
heures;  deux,  le  soir,  l'un  après  Vêpres  à  trois  heures  et 
demie  et  l'autre  à  huit  heures.  Il  se  réservait  celui  de  dix 
heures  du  matin,  chaque  premier  dimanche  du  mois;  et 
lorsqu'un  prédicateur  était  empêché,  c'était  lui  qui  mon- 
tait en  chaire  à  sa  place;  et  jamais  il  ne  fut  surpris  infé- 
rieur à  sa  tâche. 

(i    L'abbé  Branchereau,  Vie  de  M.  Ha  mon,  p.  229. 


M.   HAMON  (1851-1874).  301 

Indépendamment  de  ces  prédications  ordinaires .  il  se 
plaisait  à  confier  les  stations  de  l'Avent  et  du  Carême  et 
les  sermons  des  grandes  solennités  à  des  orateurs  tels  que 
le  P.  Minjard,  le  P.  Gaussette,  le  P.  Félix,  l'abbé  Comba- 
lot  (1),  Mgr  Plantier,  M  r  Lavigerie,  dont  les  voix  éloquen- 
tes ravivaient  la  ferveur  des  fidèles.  Mais  on  n'a  pas  le 
souvenir,  à  l'église  de  Saint-Sulpice ,  d'une  parole  plus 
grande  ni  plus  pathétique  que  celle  qu'y  fit  entendre, 
pour  la  dernière  fois,  M-1'  Dupanloup,  lorsque,  le  \  mars 
1858,  au  convoi  du  Père  de  Ravignan,  il  monta  en 
chaire,  après  la  messe,  pour  célébrer  les  vertus  de  son 
saint  ami. 

Dès  les  premiers  mots  de  son  exorde .  il  saisit  son  im- 
mense auditoire.  «  Il  est  là!  s'écrie-t-il,  il  est  mort!  et 
«  il  nous  parle  encore.  Defunctiis  adhuc  loquitur.  »  Puis, 
en  traits  pleins  de  flamme  et  de  vérité,  il  dépeint  Immi- 
nent religieux,  son  zèle  pour  la  sanctification  des  âmes, 
sa  soif  de  la  justice,  «  de  cette  justice  divine,  souveraine 
et  infiniment  miséricordieuse,  vraie  passion  de  sa  vie  », 
son  ardent  amour  de  Dieu  ,  de  l'Église  et  de  la  France  : 
«  de  la  France,  ajoutait-il,  qui  n'a  jamais  eu  une  âme 
«  plus  française  que  la  sienne  ».  Et  il  termine  par  ces 
touchants  adieux  :  «  0  mon  saint  ami,  il  faut  vous  quit- 
«  ter.  Adieu  donc,  au  nom  de  tout  ce  qui  vous  aime!... 
«  Adieu,  au  nom  de  la  sainte  Église,  dont  vous  fûtes  le 
«  courageux  défenseur,  dont  vous  avez  combattu  si  vail- 
«  lamment  le  bon  combat.  Adieu ,  au  nom  de  cette  Église 
«  militante,  qui  vous  introduit  à  l'heure  où  je  parle  dans 
«  le  sein  de  l'Église  triomphante...  Adieu,  au  nom  de  l'E- 
«  glise  de  France,  dont  vous  fûtes  le  serviteur  si  fort  et  si 
"  humble,  pour  qui  vous  avez  remporté  tant  de  victoires, 


(1;  L'abbé  Combalot  prêcha  à  Saint-Sulpice,  en  1872,  sa  dernière  re- 
traite d'hommes  et  son  dernier  mois  de  Marie.  Me'  Ricard,  l'abbé  Com- 
balot, p.  618  à  620. 


362  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

«  brisant,  par  la  magnanimité  de  votre  caractère  et  la 
«  loyauté  de  vos  paroles,  l'indigne  étendard  du  respect  hu- 
«  main  en  tant  de  mains  où  vous  avez  planté  l'étendard  de 
«  la  croix!  Adieu,  au  nom  de  tous  les  évêques  de  France, 
«  dont  vous  fûtes  l'ami  si  sûr,  si  fidèle  et  si  modeste!  Ils 
«  m'estimeront  heureux,  j'en  suis  sûr,  d'avoir  pu.  en  leur 
«  nom,  vous  rendre  ce  dernier  et  solennel  hommage! 
«  Adieu,  au  nom  de  cette  sainte  Compagnie,  qu'elle 
«  me  permette  de  parler  pour  elle,  dont  vous  fûtes  le 
«  bouclier  et  dont  vous  demeurerez  la  gloire!  Adieu,  au 
«  nom  de  tous  ces  vaillants  chrétiens  qui,  rangés  autour 
«  de  vous,  ont  combattu  avec  vous,  et  ont  mérité  jusqu'à 
«  la  fin  votre  estime  et  votre  religieuse  amitié!  Adieu,  au 
«  nom  de  cette  jeunesse  française,  si  généreuse,  si  ardente 
«  au  bien,  quand  elle  rencontre  des  guides  dignes  d'elle! 
((  Protégez-la,  dirigez-la  toujours,  du  divin  séjour  où  vos 
«  vertus  ont,  par  la  grâce  de  Dieu,  porté  votre  âme!... 
«  Et  s'il  m'est  permis  de  parler  de  moi,  adieu  aussi  au  nom 
«  d'une  de  ces  vieilles  amitiés,  commencées  aux  jours  de 
«  la  jeunesse,  fortifiées  dans  les  périls,  jamais  troublées, 
«  et  qui  ne  peuvent  se  briser  dans  les  cœurs  qui  survivent 
«  sans  briser  l'âme  tout  entière,  leur  laissant  seulement 
«  la  force  de  redire  la  dernière  parole,  inspirée  de  Dieu, 
«  qui  mettra  lin  à  ce  discours  :  Bienheureux  les  morts  qui 
«  meurent  dans  le  Seigneur.  » 

Quand  le  grand  évèque  fut  descendu  de  la  chaire, 
Berryer,  qui  l'avait  entendu,  courut  tout  en  larmes  l'em- 
brasser à  la  sacristie.  De  l'aveu  des  meilleurs  juges,  ce 
discours  est  son  chef-d'œuvre  (J). 

La  vigilance  de  M.  Hamon  à  dispenser  amplement  la 
parole  sainte  à  tous  les  âges  et  à  toutes  les  conditions, 
s'appliquait  également  au  soutien  et  au  développement 
des  nombreuses  œuvres  de  la  paroisse,  et  plus  spéciale- 

(l)  L'abbé  Lagrange  :  Vie  de  M%v  Dupanloiip,  t.  II,  p.  247. 


M.  HA.MO.N    1851-1874).  363 

ment  de  celles  dont  le  but  était  d'assurer  la  bonne  éduca- 
tion de  l'enfance  et  la  préservation  de  la  jeunesse.  A  son 
arrivée,  il  trouva  en  pleine  activité  toutes  les  associations 
pieuses,  les  confréries  et  les  établissements  charitables, 
qu'encourageait  déjà  son  prédécesseur.  Une  put  que  leur 
continuer  son  appui  par  ses  offrandes  et  ses  exhortations. 

Mais  il  est  deux  de  ces  œuvres,  toutes  deux  considéra- 
bles, qui  manquaient  à  la  paroisse  et  dont  il  l'a  dotée  :  la 
maison  d'école  de  garçons  du  n°  68  de  la  rue  d'Assas  avec 
la  chapelle  des  œuvres,  et  la  maison  des  Petites  Soeurs  des 
Pauvres  du  n°  45  de  la  rue  Notre-Dame  des  Champs. 

A  peine  installé,  il  avait  constaté  avec  un  grand  déplai- 
sir l'insuffisance  des  écoles  catholiques  de  sa  paroisse,  qui 
ne  pouvaient  pas  contenir  plus  du  cinquième  de  sa  popu- 
lation scolaire,  et  l'absence  d'un  local  pour  la  réunion  des 
membres  des  différentes  œuvres,  absence  des  plus  nuisi- 
bles à  leur  fonctionnement.  Aussitôt  il  conçut  le  dessein 
d'acheter  un  grand  terrain  sur  lequel  il  élèverait  à  la  fois 
de  vastes  bâtiments  d'écoles  qu'il  confierait  aux  Frères 
des  Écoles  chrétiennes,  et  une  chapelle  spacieuse  qui 
pourrait  servir  de  lieu  de  réunion  aux  œuvres  paroissiales 
de  Saint-François-Xavier,  de  la  Sainte-Famille  et  autres. 
11  avait  déjà  recueilli  quelques  fonds  et  formé  une  com- 
mission de  laïques,  pieux  et  compétents,  qui  devaient  né- 
gocier l'achat  du  terrain  et  élaborer  les  plans  des  cons- 
tructions, quand  deux  circonstances  imprévues  vinrent 
entraver  la  marche  de  cette  importante  affaire  :  sa  pro- 
position pour  l'évêcbé  du  Mans,  et  un  dernier  dé- 
membrement de  la  paroisse. 

M"1'  Sibour,  dans  sa  haute  estime  du  mérite  de  M.  Ha- 
mon,  après  lui  avoir  confié,  à  la  fin  de  1851,  les  fonctions 
délicates  de  modérateur  du  cas  de  conscience  (!),  et  la- 


(1)  C'était  MBr  Afïïe  qui  avait  institué,  à  Paris,  la  conférence  du  cas 
de   conscience  ,  dans  laquelle  le  Clergé  de  la  capitale  se  réunit  à  des  épo- 


364  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

voir  nommé,  en  1853,  chanoine  honoraire  de  sa  cathé- 
drale, lui  donna  une  marque  plus  particulière  encore  de 
sa  considération,  en  le  désignant  au  ministre  des  cultes , 
M.  Fortoul,  pour  la  succession  de  l'évèque  du  Mans, 
M  Bouvier,  qui  venait  de  mourir  à  Rome  dans  les  der- 
niers jours  de  1851.  Cette  mort  ramenait  la  question  de  la 
création  à  Laval  d'un  évêché  distinct  de  celui  du  Mans.  Le 
gouvernement,  qui  n'en  était  pas  partisan ,  crut  trouver  le 
moyen  de  maintenir  le  statu  quo,  en  nommant  M.  Hamon, 
dont  le  choix  ne  pourrait  que  flatter  ses  compatriotes  de 
la  Mayenne  et  leur  faire  accepter  le  refus  de  la  faveur 
qu'ils  sollicitaient.  Et  il  dépêcha  le  ministre  au  presby- 
tère de  Saint-Sulpice.  pour  annoncer  à  M.  Hamon  qu'il 
avait  ordre  de  l'Empereur  de  présenter,  le  lendemain,  à 
sa  signature,  le  décret  qui  le  nommait  à  l'évêché  du  Mans. 
M.  Hamon  déclina  l'offre  et,  sur  les  instances  réitérées  du 
ministre,  finit  par  lui  dire  :  «  Après  tout,  Monsieur  le  Mi- 
«  nistre,  j'ai  un  supérieur;  je  ferai  ce  qu'il  me  dira.  » 
Mais  M.  Carrière  ne  se  montra  pas  plus  facile,  et,  devant 
son  inflexibilité;  force  fut  au  gouvernement  de  faire  un 
autre  choix. 

Ce  ne  fut  pas,  du  reste,  la  seule  fois  que  l'Empereur 
voulut  élever  M.  Hamon  à  la  dignité  épiscopale.  Il  avait 
déjà  pensé  à  lui  à  la  vacance  de  l'évêché  de  Chartres;  il 
y  songea  encore  lors  de  l'assassinat  de  Mgl  Sibour,  «  parce 
«  qu'il  tenait  à  avoir  à  Paris  un  archevêque  qui  fût  aimé 
«  du  peuple  »;  il  revint  à  la  charge  à  la  mort  de 
M"'  Darcimoles,  archevêque  d'Aix;  et  voyant  qu'il  ne 
pouvait  pas  le  décider  à  accepter  une  mitre,  il  tint  à 
lui  témoigner  du  moins  toute  son  estime  en  le  nommant, 


(jues  déterminées  pour  discuter,  chaque  fois,  un  nouveau  point  de  théolo- 
gie pratique,  sous  la  présidence  d'un  modérateur,  qui  est  chargé  de  di- 
riger  le  discussion,  d'empêcher  qu'elle  ne  s'égare,  el  de  présenter,  à  la  fin 
de  la  séance,  dans  un  résumé  substantiel  des  débats ,  la  solution  de  la 
question  proposée. 


M.  HAjMON     1851-1874).  365 

par  décret  du  13  août  1858,  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur (1). 

Ainsi  délivré  du  souci  de  sa  candidature  à  l'évêché  du 
Mans,  M.  Haraon  avait  repris  ses  occupations  ordinaires, 
quand  un  nouvel  et  grave  événement  vint  jeter  le  trouble 
dans  la  paroisse  et  dans  Féconomie  de  ses  intérêts  finan- 
ciers. Un  décret  impérial,  du  22  janvier  1856,  supprima 
l'église  succursale  de  l'Abbaye-aux-Rois  et  la  remplaça 
parcelle  de  Notre-Dame  des  Champs;  et  une  ordonnance 
du  cardinal  Morlot ,  archevêque  de  Paris,  du  6  mars 
1858,  en  érigeant  cette  nouvelle  paroisse,  détermina 
ses  limites  ainsi  que  celles  de  la  paroisse  Saint-Sulpice, 
dont  la  circonscription,  qui  n'a  plus  changé  depuis  lors,  a 
été  restreinte  à  la  rue  du  Regard,  —  côté  impair  entier, 
à  partir  de  la  rue  de  Rennes;  —  la  rue  du  Cherche-Midi, 
—  côté  pair,  de  l'axe  de  la  rue  du  Regarda  la  rue  Saint- 
Placide;  —  la  rue  Saint-Placide,  —  côté  impair,  de  la 
rue  du  Cherche-Midi  à  la  rue  de  Sèvres;  —  la  rue  de 
Sèvres,  —  côté  impair,  de  la  rue  Saint-Placide  à  la  rue 
du  Cherche-Midi  ;  —  le  carrefour  de  la  Croix-Rouge,  —  côté 
impair;  —  la  rue  du  Four,  —  côté  impair  entier;  —  la 
rue  de  Ruci,  —  côté  impair  entier  ;  —  la  rue  Saint-André 
des  Arts,  —  côté  impair,  de  la  rue  de  l'Ancienue-Corné- 
die  à  la  rue  de  l'Éperon  ;  —  la  rue  de  l'Éperon,  —  côté 
pair,  de  la  rue  Saint-André  des  Arts  jusqu'en  face  de 
la  rue  Serpente  ;  —  la  rue  Serpente ,  —  côté  impair,  de 
la  rue  de  l'Éperon  à  la  rue  Hautefeuille;  —  la  rue  Haute- 
feuille, —  côté  pair,  de  la  rue  Sarpente  à  la  rue  de  l'École- 
de-Médecine  ;  —  la  rue  de  l'École-de-Médecine ,  —  côté 
impair,  de  l'axe  de  la  rue  Hautefeuille  au  boulevard 
Saint-Michel;  —  le  boulevard  Saint-Michel,  —  côté  pair, 
de  la  rue  de  l'École-de-Médecine  à  l'avenue  de  l'Obser- 
vatoire; —  la  rue  d'Assas,  —  côté  impair,  de   l'avenue 

(1)  L'abbé  Branchereau  :   Vie  de  M.  H  a  mon ,  p.  299  et  301. 


366  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT- SL'LPICE. 

de  l'Observatoire  à  la  rue  de  Vaugirard  ;  —  la  rue  de 
Vaugirard,  —  côté  pair,  de  la  rue  d'Assas  à  la  rue  du 
Regard,  point  de  départ  (1). 

Ce  remaniement  de  la  circonscription  de  la  paroisse 
de  Saint-Sulpice  lui  enlevait  plus  delà  moitié  de  son  ter- 
ritoire superficiel,  —  112  hectares  sur  209  qu'elle  pos- 
sédait antérieurement,  —  les  deux  tiers  de  son  territoire 
habitable,  —  car  sur  les  97  hectares  qui  lui  restaient,  40 


(1)  Dans  ce  nouveau  périmètre  de  la  paroisse  sont  comprises  les  rues  :  de 
l'Ancienne-Comédie,  entière-,  Antoine-Dubois,  entière;  d'Assas,  nos  impairs 
en  entier  et  pairs  de  2  à  30;  Auguste-Comte,  entière;  Bonaparte,  de  51  à 
(in  et  de  60  à  fin;  Buci  (carrefour  de),  entier;  Buci,  nos  impairs;  du  Cani- 
vet,  entière;  des  Canettes,  entière;  Casimir-Delavigne,  entière;  Cassette, 
entière;  des  Chartreux,  entière;  du  Cherche-Midi,  de  1  à  37  et  de  2  à  54; 
Clément,  entière;  Coetlogon,  entière;  Commerce-Saint-André  [cour  et  pas- 
sage du),  entiers;  de  Condé,  entière;  Corneille,  entière;  Cour  de  Rouan, 
entière;  de  Crébillon,  entière;  Croix-Rouge  (carrefour  de  la),  n°  1;  Danton, 
entière;  Dupin,  entière;  Dupuytren,  entière;  École-de-Médecine  (place  de  1'), 
entière;  Ecole-de-Médecine  (de  1'),  n°s  impairs  entiers,  et  pairs  de  10  à  fin; 
Éperon  (de  1'),  impairs  de  11  à  fin  et  pairs  entiers;  Félibien,  entière;  Férou 
(impasse),  entière;  Férou,  entière;  de  Fleurus,  de  1  à  17  et  de  2  à  18;  du 
Four,  les  nos  impairs;  Garancière,  entière;  Grégoire-de-Tours,  entière;  Gui- 
sarde,  entière;  Hautefeuille,  du  n°  12  à  fin;  Herschell,  entière;  Honoré-Che- 
valier, entière;  Clinique  d'accouchement  (hôpital),  entier;  du  Jardinet,  en- 
tière; Jean-Bart,  entière;  Lohineau,  entière;  Luxembourg  (Jardin  et  Palais), 
entiers:  du  Luxembourg,  entière;  Mabillon,  entière;  Madame,  entière;  de 
Médicis,  entière;  Mézières,  entière;  Michelet,  entière;  Mignon,  entière; 
Monsieur-le- Prince,  entière;  Monttaucon,  entière;  Observatoire  (avenue 
de  1'),  de  1  à  27  et  de  2  à  26;  Odéon  (carrefour  de  1),  entier;  Odéon  (place 
de  1'),  entière;  de  l'Odéon,  entière;  Palatine,  entière;  Pape-Carpentier, 
entière;  Princesse,  entière;  Quatre- Vents  (impasse  des),  entière;  des  Qua- 
tre- Vents,  entière;  Racine,  entière;  Raspail  (boulevard),  des  n°s  92  à  94  et 
105,jis;  du  Regard,  n°s  impairs-,  Régnard,  entière;  de  Rennes,  des  n°s  55  à 
123  et  6G  à  116;  de  Rohan  (cour),  entière;  Rotrou;  entière;  Saint-André 
des  Arts,  des  nos  43  afin,  impairs;  Saint-Germain  (boulevard),  des  nos  83  à 
131,  et  108  à  162;  Saint-Michel  (boulevard),  des  n05  pair»  28  à  fin;  Saini- 
Placide,  des  n05  impairs  1  à ,27,  Saint-Sulpice  (place),  entière;  Saint-Sulpice, 
entière;  de  Seine,  des  n0s  impairs  77  à  fin  et  des  nos  pairs  60  à  fin;  Ser- 
pente, n"  39  impair,  et  des  nos  pairs  30  à  38;  Servandoni;  entière;  de  Sè- 
vres, des  n°s  impairs  1  à  57;  de  Tournon,  entière;  Toustain,  entière;  de 
Vaugirard,  des  n°s  impairs  1  à  43  et  des  nos  pairs  2  à  26;  et  du  Vieux-Colom- 
bier, entière.  Voir  le  plan  de  la  paroisse,  page  368. 


M.  HAMON  (185M874  .  3G7 

étaient  occupés  par  le  jardin  du  Luxembourg  .  —  et  plus 
du  quart  de  sa  population  actuelle,  —  12.892  habitants 
sur  ii.323  (1).  — Quelque  énorme  que  fût  ce  sacrifice, 
il  était  demandé  au  nom  d'un  grand  intérêt  public  et 
religieux  ±  :  aussi  le  Conseil  de  fabrique  n'hésita  pas  à 
s'y  soumettre.  Mais  il  était  à  craindre  que  le  contre-coup 
ne  s'en  fit  sentir  dans  le  produit  de  ses  recettes  et  plus 
encore  dans  le  chiffre  du  budget  de  M.  le  curé. 

Néanmoins,  le  besoin  de  plus  grandes  écoles  était  si 
pressant,  pour  soustraire  les  pauvres  enfants  de  la  pa- 
roisse au  danger  de  l'ignorance  des  choses  de  Dieu  et  à 
celui  plus  grand  encore  de  leur  enrôlement  dans  les 
écoles  protestantes,  qui  venaient  de  s'ouvrir  dans  le 
quartier,  que  M.  Hamon  n'hésita  pas  à  reprendre  le  pro- 
jet de  sa  vaste  entreprise.  Dès  le  mois  de  juin  1857,  il 
publia,  sous  le  titre  à! Appel  du  curé  de  Saint-Sulpice 
à  ses  paroissiens ,  une  brochure  apostillée  par  l'arche- 
vêque de  Paris,  dans  laquelle  il  sollicitait  vivement  la 
charité  en  faveur  des  écoles  catholiques,  «  au  nom  des 
intérêts  sacrés  de  la  Religion,  attaquée  de  toutes  parts 
par  un  prosélytisme  ennemi  de  l'Église  ,  au  nom  de  tant 
de  jeunes  âmes,  menacées  de  se  perdre  dans  ce  Paris, 
où  rien  d'important  ne  se  passe  qui  n'ait  son  retentis- 
sement par  toute  la  France  et  quelquefois  par  tout  Je 
monde  (3)  ».  Au  mois  de  septembre  suivant,  en  posses- 
sion d'une  centaine  de  mille  francs,  il  se  hâta  d'acheter, 
au  prix  de  285.000  francs,  une  grande  propriété,  située 
rue  de   l'Ouest,   n°   36,    —    aujourd'hui,    rue    d'Assas, 


(1)  En  1899,  époque  à  laquelle  ces  lignes  sont  écrites,  la  population 
de  la  paioisse  de  Notre-Dame  des  Champs  est  de  40.150  habitants  et  celle 
de  la  paroisse  Saint-Sulnjce  de  38.459  habitants  seulement. 

(2)  Voir  la  lettre  de  l'archevêque  de  Paris,  du  22  mai  1854,  annonçant 
le  projet  de  ce  retranchement  d'uni'  partie  du  territoire  de  la  paroisse  de 
Saint-Sulpice. 

[3]  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  2G1. 


368 


HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SILP1CE. 


68  (1),  — et  y  fit  commencer  sans  retard  les  constructions 
arrêtées.  Le  31  mars  1859,  le  cardinal  Morlot.  accom- 


ervatoire 
Plan  de  la  circonscription  actuelle  de  la  paroisse. 

pagne  de  l'évêque  de  Marseille,  Msr  de  Mazenod,  et  de  celui 
de  Saint-Flour,  M8'  de  Pompignac,  venait  bénir  ce  bel 
établissement,  composé  de  bâtiments  scolaires  pouvant 


l,  Par  acte,  devant  M.  Desprez,  notaire  à  Paris,  du  28  septembre  1857. 


M.  HAMON  (1351-18/  i).  369 

s'ouvrir  à  1.200  enfants  et  d'une  superbe  chapelle  assez 
vaste  pour  contenir  2.000  personnes.  La  dépense  totale, 
y  compris  l'achat  du  terrain,  en  était  montée  à  530.000 
francs;  et  quelques  mois  plus  tard,  elle  était  entière- 
ment soldée.  C'est  dire  les  sommes  considérables  que  la 
charité  des  fidèles  avait  mises  à  la  disposition  de  leur 
zélé  pasteur.  Un  dimanche ,  où  il  venait  de  recommander 
l'œuvre  du  haut  de  la  chaire ,  il  est  accosté  à  la  porte  de 
la  sacristie  où  il  rentrait,  par  un  monsieur  qui  lui  remet 
un  pli  fermé,  contenant,  lui  dit-il,  son  offrande  pour 
ses  écoles,  et  qui  s'éloigne  aussitôt.  Il  ouvre  ce  pli  dans 
son  cabinet;  c'était  un  don  de  70.000  francs,  dont  il  ne 
connut  jamais  l'auteur. 

Ce  premier  succès  l'enhardit  à  réaliser  un  autre  de  ses 
désirs,  celui  d'avoir  pour  sa  paroisse  un  asile  de  vieil- 
lards, dirigé  par  les  Petites  Sœurs  des  Pauvres.  Leur 
première  installation  dans  Paris  datait  de  18i9,  où  elle 
s'était  effectuée,  rue  Saint-Jacques.  Deux  ans  après,  elles 
ouvraient  une  seconde  maison ,  située  ,  il  est  vrai,  sur  la 
paroisse,  rue  du  Regard,  mais  dont  M.  le  curé  n'avait 
pas  la  libre  disposition.  Il  tint  à  en  avoir  une  autre.  Un 
jour,  une  dame  lui  remit  20.000  francs,  fruit  des  épargnes 
de  vingt  années  de  son  veuvage,  en  lui  disant  que  c'était 
pour  l'aider  à  fonder  une  maison  des  Petites  Sœurs  des 
Pauvres.  Le  lendemain,  une  autre  sommede  lO.OOOfrancs 
lui  était  donnée  dans  le  même  but.  M.  Hamon  y  voit  la 
volonté  de  Dieu  et  se  met  immédiatement  à  l'œuvre. 

Il  achète  une  grande  maison,  impasse  Royer-Collard, 
y  installe  d'abord  douze  pauvres,  puis,  grâce  à  l'indus- 
trie de  la  charité  des  Petites  Sœurs,  il  parvient  successi- 
vement à  y  caser  114  pensionnaires.  Mais  alors  la  maison 
est  comble  et  il  a  la  douleur  de  ne  pouvoir  plus  répondre 
que  par  des  refus  aux  demandes  d'admission  dont  il  est 
assailli,  quand  il  apprend  que  cette  maison,  englobée 
dans  le  périmètre  d'une  voie  nouvelle,  va  être  démolie. 

ÉGLISE   SAINT-SULPICE,  24 


370  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SA1NT-SULPICE. 

Il  l'échange  alors  contre  un  jardin  dont  la  ville  est  pro- 
priétaire et  qui  est  situé  derrière  l'établissement  de  ses 
écoles  de  la  rue  d'Assas,  et  y  fait  élever  un  vaste  bâti- 
ment qu'il  a  la  joie  d'ouvrir,  en  1862,  à  250  vieillards. 
Cinq  ans  plus  tard,  en  1867,  il  le  complétait  par  l'adjonc- 
tion de  deux  ailes;  et,  le  14  janvier  1869,  M?r  Darboy 
venait  bénir  solennellement  la  maison  qui  avait  coûté 
au  bon  curé  au  moins  autant  que  celle  de  ses  écoles. 

C'était,  du  reste,  son  œuvre  de  prédilection.  Il  se  plai- 
sait à  venir  y  visiter  les  vieillards,  quelquefois  même  à 
ceindre  un  tablier  et  à  les  servir  lui-même  au  réfectoire. 
De  pieuses  mères  de  famille,  à  leur  tour,  se  cotisèrent 
plus  d'une  fois  pour  leur  payer  un  bon  dîner  et  venir  le 
leur  servir  de  leurs  propres  mains  avec  leurs  enfants 
qu'elles  formaient  ainsi  à  l'amour  des  pauvres.  Un  jour 
même,  il  fut  tout  surpris  d'y  voir  de  jeunes  mariés, 
dont  il  avait,  le  matin ,  béni  l'union ,  avec  les  personnes 
de  leur  noce,  tous  ceints,  par-dessus  leurs  habits  de  cé- 
rémonie, du  tablier  des  Sœurs,  servant,  eux  aussi,  aux 
pauvres  un  beau  diner  qu'ils  leur  avaient  commandé  la 
veille.  «  Ils  ne  peuvent  manquer  d'être  bénis  de  Dieu, 
«  disait-il  tout  ému ,  ceux  qui  ont  ainsi  sanctifié  le  pre- 
«  mier  jour  de  leur  alliance  (1).  » 

Une  autre  œuvre,  à  la  fondation  de  laquelle  il  fut  heu- 
reux de  participer,  fut  celle  de  Notre-Dame  des  Etu- 
diants. Les  jeunes  gens  qui,  déjà  alors,  venaient  en  grand 
nombre  à  Paris,  suivre  les  cours  de  médecine  ou  de  droit, 
étaient  fort  exposés  au  milieu  de  toutes  les  séductions 
de  la  grande  ville,  à  ne  pas  savoir  se  défendre  contre 
eux-mêmes  et  se  préserver  de  funestes  égarements.  Un 
jeune  et  ardent  apôtre  de  la  jeunesse,  prêtre  de  la  Com- 
munauté, l'abbé  de  la  Foulhouse,  conçut  le  projet  d'une 


(1)  L'abbé  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamoa,  p.  275  et  276. 


M.  HAMON  (1851-1874).  371 

œuvre  spéciale  qui,  sous  le  titre  de  Notre-Dame  des  Etu- 
diants ,  les  entretiendrait  dans  leurs  habitudes  de  piété 
en  leur  facilitant  la  pratique  des  devoirs  de  la  vie  chré- 
tienne. 11  le  soumit  à  M.  Hamon,  qui  l'approuva  et  lui 
en  facilita  la  réalisation  en  lui  donnant  la  grande  salle 
couverte,  au-dessus  du  péristyle,  pour  lui  servir  de  cha- 
pelle. Il  vint  la  bénir  lui-même,  le  6  décembre  1863. 
Depuis  lors,  l'œuvre  n'a  fait  que  grandir.  Sans  avoir  à 
se  faire  inscrire,  sans  être  astreint  à  aucune  obligation, 
pas  même  à  celle  de  payer  leurs  chaises,  les  étudiants 
y  trouvent,  tous  les  dimanches  et  fêtes,  du  1er  novembre 
au  Ie'  juillet,  un  lieu  de  réunion  de  9  heures  à  10  heures 
du  matin.  Une  messe  basse  y  est  célébrée  avec  chants 
de  l'assistance  et  avec  accompagnement  du  joli  petit 
orgue  dit  de  Marie-Antoinette  (1),  que  M.  Hamon  enleva 
à  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  pour  le  leur  donner; 
et  elle  est  suivie  d'une  courte  et  substantielle  instruc- 
tion sur  les  points  les  plus  essentiels  du  dogme  et  de  la 
morale.  L'affluence  qu'attire  chacune  de  ces  réunions 
prouve  combien  elles  sont  goûtées  par  ceux  qui  les 
fréquentent. 

Au  cours  de  son  ministère  pastoral,  M.  Hamon  prit 
encore  l'initiative  de  plusieurs  mesures  importantes  qu'il 
fît  voter  par  son  Conseil  de  fabrique  et  qu'il  eut  la  sa- 
tisfaction de  voir  toutes  réussir. 

La  première  fut  l'établissement  d'un  calorifère  dans 
l'église.  M.  Hamon  en  fit  la  demande  à  la  Fabrique  dès 
le  22  décembre  1852  et  s'offrit  à  y  contribuer  pour 
12.000  francs;  il  la  motivait  sur  le  froid  dont  un  grand 
nombre  de  fidèles  s'étaient  plaints  à  lui  d'avoir  souffert, 
l'hiver  précédent,  pendant  les  offices,  et  sur  la  crainte 
de  les  voir  déserter  l'église,  si  on  négligeait  de  faire  droit 


(1)  V.  à  la  page  477  l'historique  de  ce  précieux  bijou. 


372  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SA1NT-SULPICE. 

à  leurs  sollicitations.  Le  Conseil  agréa  ces  raisons,  et,  le 

7  mars  1853,  il  traitait  du  travail  avec  la  maison  Léon 
Duvoir  moyennant  un  prix  à  forfait  de  43.8i0  francs. 
Mais  sur  les  observations  de  l'architecte  de  la  ville,  d'im- 
portantes modifications  furent  apportées  au  plan  des 
conduits  de  la  chaleur,  qui  élevèrent  la  dépense  à 
0*2.855  francs,  dans  laquelle  M.  le  curé  consentit  à  entrer 
pour  20.000  francs.  Le  travail  fut  reçu  le  6  février  1855. 
Mais,  trois  ans  plus  tard,  il  était  l'occasion  d'un  déplo- 
rable accident.  L'un  des  appareils  de  ce  calorifère,  un  des 
deux  poêles  à  eau  chaude,  placés  de  chaque  côté  de  l'en- 
trée de  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  fit  explosion,  le 

8  janvier  1858,   pendant   qu'on  y  célébrait  la  messe  de 

9  heures.  Cinq  personnes  furent  tuées  sur  le  coup  et 
plusieurs  autres  blessées,  dont  quatre  grièvement,  aux- 
quelles la  Fabrique  servit  des  pensions  viagères.  Pour 
éviter  toute  crainte  de  renouvellement  d'un  pareil  mal- 
heur, on  supprima  les  deux  poêles  et,  pour  les  rempla- 
cer, on  ouvrit  dans  le  sol  de  l'église  de  nouvelles  tran- 
chées et  on  y  plaça  des  tubes  cylindriques  de  transmission 
d'air  chaud  par  des  grilles  posées  dans  le  pavé  de  la 
chapelle,  à  droite  et  à  gauche  de  son  entrée. 

Le  concours  du  Séminaire  aux  offices  de  Saint-Sulpice 
donne  aux  cérémonies  comme  aux  chants  une  solennité 
et  une  majesté  incomparables.  Pour  ajouter  à  la  perfection 
de  la  partie  artistique  et  d'après  l'avis  de  spécialistes, 
M.  Hamon  proposa  au  Conseil  une  réorganisation  du 
chœur,  qu'il  agréa,  dans  sa  séance  du  13  juillet  1855, 
malgré  le  surcroit  de  dépense  qu'elle  entraînait.  D'après 
ce  nouveau  règlement,  le  chœur  fut  définitivement  com- 
posé d'un  maitre  de  chapelle,  d'un  premier  serpent  ou 
contrebassier  sous-maitre  de  chapelle,  d'un  second  ser- 
pent ou  contrebassier,  de  six  choristes,  d'un  baryton 
solo,  de  deux  ténors  de  chœur  et  d'un  ténor  solo.  M.  Ha- 
mon organisa  en  même  temps  la  maîtrise  de  la  paroisse, 


M.  HAMON  (1851-1874).  373 

et  la  composa  de  2i  enfants  de  chœur,  dont  il  confia 
l'instruction  primaire  et  la  surveillance  habituelle  à  un 
frère  de  la  maison  de  la  rue  de  Fleurus  et  l'éducation 
musicale  au  maître  de  chapelle. 

La  dépense  totale  du  chœur  et  de  la  maîtrise,  ainsi  or- 
ganisés, s'éleva  à  13.228  francs  par  an. 

Sur  ces  entrefaites,  une  lettre  de  l'organiste,  M.  Schmitt, 
en  date  du  li  décembre  1853,  signalait  au  Conseil  de 
fabrique  la  détérioration  de  l'orgue,  causée  par  l'épousse- 
tage  de  l'église  en  1851,  et  par  les  premiers  travaux  d'ins- 
tallation du  calorifère  en  1853,  qui  avaient  rempli  ses 
tuyaux  d'une  poussière  épaisse,  très  nuisible  à  leur  sono- 
rité et  au  mouvement  des  jeux.  Il  demandait  le  nettoyage 
complet  de  l'instrument  et  proposait  en  même  temps 
quelques  modifications  à  la  disposition  de  certains  jeux. 
D'après  le  rapport  de  la  commission  spéciale  qu'il  avait 
chargée  d'étudier  la  question,  le  Conseil  avait  cru  pou- 
voir ajourner  ce  travail  quand,  en  avril  1856,  il  reçut 
une  autre  lettre  de  M.  Cavaillé-Coll,  chargé  depuis  un  an 
de  l'accordage  et  de  l'entretien  de  l'orgue,  qui  affirmait 
l'urgente  nécessité  d'y  faire  des  réparations  nouvelles. 
Le  17  février  1857,  il  en  vota  l'exécution,  sur  l'avis  con- 
forme de  la  même  commission;  et,  le  26  mars  suivant, 
un  traité  était  signé  en  son  nom  avec  MM.  Cavaillé-Coll 
et  Cic,  «  qui  s'engagèrent  à  faire  au  grand  orgue  de 
«  Saint-Sulpice  tous  les  travaux  de  restauration,  d'addi- 
«  tion  et  de  perfectionnement  détaillés  au  devis  signé 
«  par  eux  le  26  avril  1856,  ensemble  les  accessoires, 
«  même  non  prévus,  qui  seraient  jugés  une  conséquence 
«  naturelle  des  dits  travaux ,  ou  qui  seraient  nécessaires 
«  pour  réaliser  dans  la  restauration  du  grand  orgue  les 
«  divers  perfectionnements  de  la  science  et  de  l'art,  et  ce 
«  moyennant  une  somme  ronde  de  V7.000  francs,  stipu- 
«  lée  à  titre  de  forfait  et  au  delà  de  laquelle  ils  s'inter- 
«  disent  formellement   de  réclamer  aucun  supplément 


374  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SALNT-SILPICE. 

«  de  prix  pour  dépenses  non  prévues  ou  à  tout  autre 
«  titre  (1)  ». 

Cette  restauration  du  grand  orgue  demanda  cinq  an- 
nées de  travaux  et  ne  fut  terminée  que  le  15  avril  1862. 
Le  jour  de  Pâques,  20  du  même  mois,  M.  Schmitt  le  fit 
retentir  pour  la  première  fois;  et,  le  mardi  29,  eut  lieu 
son  inauguration  et  sa  bénédiction  solennelle  par  le  car- 
dinal Morlot,  archevêque  de  Paris,  en  présence  du  préfet 
de  la  Seine,  M.  Haussmann,  et  du  premier  président  de 
la  Cour  des  comptes,  M.  Barthe. 

Toutefois,  avant  la  réception  définitive  de  son  beau 
travail  par  le  Conseil  de  fabrique ,  M.  Cavaillé-Coll  lui 
écrivit,  le  9  mai  suivant,  pour  lui  faire  connaître  qu'il 
lui  revenait  à  une  somme  totale  de  146.632  francs  40,  sa- 
voir : 

1°  Pour  dépenses  de  main-d'œuvre  ou  réparations  sur 
place  à  l'église,  à 45.873f,40 

2°  Pour  prix  d'achat  de  marchandises  bru- 
tes et  fournitures,  entrées  daus  la  reconstruc- 
tion de  l'orgue,  à 65.069    » 

3°  Pour  valeur  estimative  des  jeux  neufs 
et  des  réparations  faites  à  d'anciens  jeux,  à        35.690    » 

Total  de  la  dépense.     146.632,40 
C'est-à-dire,  à  trois  fois  plus  que  le  forfait 
qu'il  avait  accepté,  de 47.000    » 

et  qui  le  laissait,  par  conséquent,  en  re- 
tour de 99.632f,40 

non  compris  les  frais  généraux  de  maison ,  ni  les  béné- 
fices auxquels  cinq  années  d'un  travail  assidu  et  l'appli- 


(1)  Ce  sont  les  termes  mêmes  du  traité.  Le  25  septembre  suivant,  la  Fa- 
brique en  passait  un  autre  avec  eux,  pour  la  réparation  et  le  perfection- 
nement de  l'orgue  d'accompagnement  du  chœur,  au  prix  de  10.000  francs 
à  forfait. 


M.  HAMON    1851-1874).  375 

cation  de  découvertes  brevetées  lui  donneraient  le  droit 
de  prétendre.  Et  il  ajoutait  :  «  Nous  savons,  Messieurs, 
«  que  nous  ne  sommes  pas  en  droit  de  réclamer  à  la  Fa- 
«  brique  le  montant  intégral  de  nos  dépenses  supplé- 
«  mentaires;  mais  nous  osons  attendre  de  son  équité 
«  qu'elle  prendra  à  sa  charge  la  majeure  partie  de  ces 
«  dépenses  qui  ont  servi  à  accroître  l'étendue  et  la  valeur 
«  d'une  œuvre  qui  reste  sa  propriété,  et  qu'elle  voudra 
«  bien  ensuite  nous  aider  de  son  puissant  appui  pour 
«  solliciter  le  paiement  du  surplus,  soit  auprès  de  M.  le 
«  préfet  de  la  Seine,  soit  auprès  de  MM.  les  ministres 
«  d'État  et  du  Commerce.  » 

Il  appuyait  sa  demande  sur  ce  que  1°  le  démontage 
de  l'orgue  avait  fait  reconnaître,  dans  différentes  parties 
des  sommiers  du  mécanisme  et  de  la  soufflerie,  des  dété- 
riorations ou  malfaçons  dont  il  n'avait  pas  été  possible 
auparavant  de  se  rendre  un  compte  exact;  2°  qu'en  outre 
des  jeux  anciens  ou  nouveaux,  indiqués  au  devis  et  s'éle- 
vant  au  nombre  de  72,  il  avait  été  ajouté  28  jeux  nou- 
veaux, savoir  :  20  jeux  correspondant  à  un  cinquième 
clavier  qui  constitue  une  partie  nouvelle  et  importante  de 
l'orgue  et  8  autres  jeux  distribués  sur  les  autres  claviers; 
3°  et  que  l'accord  de  l'instrument  au  nouveau  diapason 
normal,  fixé  par  l'arrêté  du  ministre  d'État  du  16  février 
1859,  avait  donné  lieu  à  un  supplément  de  dépense  con- 
sidérable qui  n'avait  pas  été  prévu  au  devis  et  qui  était 
la  suite  de  la  décision  prise  par  le  Conseil  de  fabrique  le 
21  décembre  1859;  qu'en  effet,  pour  réaliser  cette  mise 
au  ton,  MM.  Cavaillé-Coll  et  Cie  avaient  ajouté  à  chaque 
tuyau  un  prolongement  métallique  contribuant  à  donner 
au  son  une  qualité  meilleure  et  à  faciliter,  par  une  rainure 
latérale,  l'accord  de  l'instrument  sans  déformer  l'orifice 
du  tuyau. 

Le  Conseil  lui  répondit,  par  sa  délibération  du  21  juin 
1862,  qu'il  avait  toujours  entendu  se  renfermer  dans  les 


376  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

termes,  très  explicites,  du  marché  du  26  mars  1857  et  ne 
pas  dépasser  le  chiffre  du  forfait  de  'w.000  francs;  qu'il 
avait  averti  M.  Cavaillé-Coll  itérativement  de  son  inten- 
tion formelle  à  cet  égard  :  une  première  fois,  lorsque ,  le 
15  décembre  1858,  il  présenta  un  état  d'avancement  des 
travaux  dans  lesquels  figuraient  plusieurs  articles  de  dé- 
penses, non  prévues  au  devis,  pour  lesquelles  il  déclara 
ne  prendre  aucun  engagement;  une  seconde  fois,  dans  sa 
séance  du  21  octobre  1859,  où  tout  en  déclarant  adopter 
l'avis  de  son  bureau  pour  la  mise  au  ton  du  grand  orgue 
suivant  le  diapason  arrêté  par  le  ministre  d'Etat,  il  ex- 
primait sa  volonté  que  la  somme  de  4-7.000  francs,  fixée 
pour  l'entière  exécution  des  travaux,  ne  fût  dépassée  sous 
aucun  prétexte;  une  troisième  fois,  le  5  janvier  1860, 
quand  son  Président  écrivait  en  son  nom  à  M.  Cavaillé- 
Coll  pour  lui  renouveler  l'expression  de  sa  même  vo- 
lonté ; 

Que  dès  lors,  il  n'était  pas  admissible  qu'une  des  par- 
ties put  engager  l'autre  par  son  seul  fait  et  sa  seule  vo- 
lonté, à  dépasser  le  chiffre  fixé,  d'un  commun  accord, 
pour  prix  d'un  travail  clairement  défini  et  proposé  par 
l'entrepreneur  lui-même; 

Que  le  démontage  du  mécanisme  de  l'orgue  devait,  aux 
termes  du  devis  même,  entraîner  son  remplacement  par 
un  mécanisme  entièrement  renouvelé;  et  que  par  con- 
séquent M.  Cavaillé-Coll  devait  s'attendre  à  réparer  les 
détériorations  ou  malfaçons  que  ce  démontage  ferait 
apparaître  ; 

Que  pour  ce  qui  regarde  les  28  jeux  neufs,  ajoutés  par 
M.  Cavaillé-Coll  aux  72  jeux  primitifs  que  son  devis  l'o- 
bligeait à  reconstruire  ou  à  compléter,  cette  addition, 
qui  a  motivé  dans  les  sommiers,  dans  la  soufflerie  et  dans 
le  mécanisme  général  un  développement  proportionnel 
de  la  dépense  prévue  par  le  marché,  n'a  été  ni  deman- 
dée ni  autorisée  par  la  Fabrique,  et  n'a  même  été  l'objet 


M.  IIAMON  (1851-1874).  377 

d'aucune  demande  à  elle  adressée  par  le  facteur  en  temps 
utile; 

Que  par  suite,  au  point  de  vue  administratif  et  légal,  le 
Conseil  devait  se  considérer  comme  valablement  libéré  de 
ses  engagements  envers  M.  Cavaillé-Coll  par  le  paiement 
intégral  du  forfait  de  i7.000  francs; 

Mais  que,  prenant  en  considération  l'accroissement  de 
la  valeur  réelle  et  de  l'importance  artistique  de  l'instru- 
ment par  les  améliorations,  perfectionnements  et  parties 
neuves  ajoutés  volontairement  par  M.  Cavaillé-Coll,  no- 
tamment par  les  28  jeux  supplémentaires,  non  deman- 
dés ni  autorisés  par  le  Conseil;  et  aussi  le  soin  remar- 
quable avec  lequel  il  a  appliqué  toutes  les  ressources  de 
son  talent  et  de  son  art  à  remplir,  dans  leurs  moindres 
détails,  ses  engagements  envers  la  Fabrique,  elle  con- 
sentait à  lui  payer,  à  titre  d'indemnité  et  en  sus  du 
forfait,  une  somme  de  20.000  francs,  à  condition  qu'en 
les  recevant,  il  déclarerait  renoncer  à  toute  réclamation 
contre  elle  tant  à  raison  des  28  jeux  complémentaires  par 
lui  ajoutés  au  grand  orgue  et  de  tous  leurs  accessoires, 
qu'à  raison  des  112  moteurs  pneumatiques  d'invention 
nouvelle,  servant  à  adoucir  le  mouvement  des  112  regis- 
tres de  l'orgue  et  de  tous  les  autres  objets  qu'il  s'oblige- 
rait à  laisser  en  place  et  qu'il  abandonnerait  à  la  Fa- 
brique. Elle  autorisa,  en  outre,  son  Président  à  appuyer 
en  son  nom,  auprès  du  préfet  de  la  Seine  et  des  ministres 
d'État  et  du  Commerce,  les  demandes  d'indemnité  que 
M.  Cavaillé-Coll  leur  adresserait  pour  les  parties  neuves 
et  les  procédés  mécaniques  de  son  invention  qu'il  a  appli- 
qués, en  dehors  du  devis,  au  grand  orgue  de  Saint-Sul- 
pice,  dont  il  a  fait  un  chef-d'œuvre  de  l'art  du  Facteur. 

Cette  offre  fut  acceptée  par  M.  Cavaillé-Coll. 

La  dernière  grande  opération  (1)  à  laquelle  M.  Hamon 

(1)  La  Fabrique  consacra  encore  une  vingtaine  de  mille  francs  à  diverses 


378  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

décida  sa  Fabrique  à  prendre  part,  fut  l'acquisition  du 
presbytère,  d'autant  plus  nécessaire  à  Saint-Sulpice  que 
l'autorité  diocésaine,  d'accord  avec  l'administration  pré- 
fectorale, avait  résolu  de  confier  désormais  la  cure  de 
Saint-Sulpice  à  une  communauté  de  prêtres,  appartenant  à 
la  Compagnie  sulpicienne.  L'ancien  hôtel  delà  Trémoïlle, 
situé  rue  de  Yaugirard,  n°  50,  au  coin  de  la  rue  Férou  et 
en  face  du  Luxembourg-,  allait  être  mis  en  vente.  M.  Ha- 
mon  trouvait  qu'il  réunissait  toutes  les  conditions  dési- 
rables à  l'établissement  de  son  presbytère,  et  il  offrait 
même  de  contribuer  aux  frais  de  son  achat  et  de  son  amé- 
nagement pour  une  somme  de  80.000  francs.  La  Fabri- 
que acquiesça  à  sa  proposition;  et,  dans  sa  séance  du 
12  mai  1860,  elle  sollicita  la  ville  de  se  rendre  acquéreur 
de  cet  immeuble,  et  de  faire  l'avance  de  la  totalité  de 
son  prix  ainsi  que  des  frais  de  son  appropriation ,  en  s'en- 
gageant  à  prendre  à  sa  charge  et  à  lui  rembourser,  en 
dix  annuités,  la  moitié  de  l'ensemble  de  la  dépense  en 
principal  et  intérêts. 

La  ville  accepta  ces  conditions  et  se  rendit  acquéreur 


dépenses  de  moindre  importance,  à  la  sollicitation  de  M.  Harnon,  savoir  : 
4.500  fr.  à  l'achat  d'une  horloge  Wagner  qui  fut  placée  au  milieu  du  buffet 
du  grand  orgue ,  et  à  l'ornementation  de  son  cadran  par  des  ligures  en 
bois  dont  l'exécution  fut  confiée  à  M.  Brun,  sculpteur  (Délib.  du  12  juil- 
let 18551; 

6.000  fr.  à  l'achat  des  lustres  du  chœur  (Dél.  du  26  mai  1856); 

2.000  fr.  aux  frais  de  suspension  des  7  lampes  et  des  lustres  à  cristaux, 
donnés  par  M.  le  curé  à  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  (Dél.  du  23  juillet 
1860j,  et  7.000  fr.  pour  les  vitraux  de  la  même  chapelle,  qui  l'entraî- 
nèrent à  une  double  dépense  :  d'abord  à  celle  de  5.000  fr.  que  lui  coulè- 
rent les  premiers  vitraux  qu'elle  avait  commandés  à  M.  Lusson,  l'habile 
restaurateur  de  ceux  de  la  Sainte-Chapelle  (Dél.  du  17  mai  1858),  mais 
qui  furent  refusés  par  la  commission  des  Beaux-Arts  de  la  ville  comme 
étant  d'un  effet  nuisible  à  l'ensemble  décoratif  de  la  chapelle  (V.  Dél.  du 
12  mai  1860);  puis  ensuite  à  celle  de  2.000 fr.  que  lui  coûtèrent  les  vi- 
traux actuels,  représentant  des  bouquets  de  lis  groupés  autour  du  chiffre 
de  la  Sainte  Vierge. 


M.  HAMON  (1851-1874 ).  379 

de  cet  hôtel,  suivant  procès-verbal  d'adjudication  à  la 
chambre  des  notaires,  du  6  novembre  1860,  moyennant  le 
prix  principal  de  300.000  francs,  lequel,  augmenté  de  ses 
intérêts  et  des  frais  d'actes  (69.672  fr.  75);  de  ceux  d'une 
indemnité  payée  à  un  locataire  évincé  (4.500  fr.)  et  de  ceux 
de  l'appropriation  de  la  maison  (60.312  fr.  53),  porta  son 
chiffre  de  revient  total  à  i3i.785  fr.  28  dont  la  moitié,  à 
la  charge  de  la  Fabrique,  s'éleva  à  217.392  fr.  6i,  qu'elle 
remboursa  à  la  ville  en  dix  annuités,  ainsi  qu'elle  en  était 
convenue. 

Cette  nouvelle  demeure  enchanta  le  bon  curé.  «  Depuis 
«  six  jours  que  nous  sommes  dans  notre  nouveau  pres- 
«  bytère,  écrivait-il,  il  me  semble  que  je  vais  faire  le 
«  double  et  le  triple  de  travail.  Jusqu'ici  j'ai  toujours 
«  tremblé  de  froid  tous  les  hivers,  et  cela  me  glaçait  les 
«  facultés.  Mais  dans  le  palais  enchanteur  où  la  Provi- 
«  dence  nous  a  placés,  j'avance  dix  fois  plus  l'ouvrage... 
«  Nous  sommes  dans  un  paradis  terrestre.  Grandes  et 
«  belles  fenêtres  sur  le  Luxembourg,  dont  les  arbres  et  la 
«  verdure  sont  une  fabrique  d'air  toujours  pur.  Exposi- 
«  tion  au  midi.  Calorifère  qui  maintient  dans  nos  cham- 
«  bres  une  température  printanière.  Appartements  de 
«  quinze  pieds  de  hauteur  et  de  grande  dimension,  où 
«  chaque  poitrine  aspire  toute  la  portion  d'air  qu'il  lui 
«  faut...  Admirez  la  Providence  :  nous  avons  donné  une 
«  maison  aux  pauvres;  et  nous  recevons  d'elle,  en  récom- 
<(  pense ,  une  maison  aussi  confortable  que  nous  le  pou- 
«  vions  désirer  (1).  » 

M.  Hamon  compléta  l'ensemble  de  ces  œuvres  par  l'a- 
chat de  deux  autres  immeubles  (2),  l'un  par  adjudication 


(1)  L'abbé  Branchereau,  17e  de  M.  Hamon,  p.  291. 

(2)  M.  Hamon  rétrocéda  ces  deux  immeubles  à  la  cure  de  Saint-Sulpice. 
ainsi  que  ses  deux  maisons  de  la  rue  d'Assas,  n°  66  et  68,  par  deux  actes 
sous-seings  privés  en  date,  à  Paris,  du  8  mai  1874. 


380  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

devant  le  Tribunal  civil  de  la  Seine,  du  16  mars  1867, 
d'une  maison,  sise  rue  Garancière,  n°  3,  qu'il  destina  à 
une  maîtrise  et  à  une  salle  de  catéchismes;  l'autre  par 
acte  devant  M.  Harly-Perraud,  du  29  juin  1872,  rue  de 
Madame,  n°  31,  où  il  installa,  le  1er  novembre  suivant,  un 
cercle  d'employés  du  commerce  et  de  l'industrie.  Il  son- 
geait aussi  à  fonder  une  œuvre  de  répétitions  pour  les 
élèves  de  médecine ,  destinée  à  contrebalancer  l'enseigne- 
ment matérialiste  de  plusieurs  chaires  de  l'État.  11  mou- 
rut sans  avoir  eu  la  joie  de  voir  sa  pensée  réalisée,  l'année 
suivante,  par  la  création  des  Universités  catholiques. 

Défenseur  de  l'infaillibilité  doctrinale  des  Souverains 
Pontifes,  dès  l'année  1820,  dans  sa  chaire  de  théologie 
dogmatique  au  Séminaire  de  Saint-Sulpice,  il  avait  cons- 
tamment témoigné  l'attachement  le  plus  filial  au  Vicaire 
de  Jésus-Christ.  Il  fut  heureux  de  pouvoir  en  donner  des 
preuves  publiques,  en  186i,  lorsqu'il  reçut  à  Saint-Sul- 
pice les  restes  d'Arthur  Guillemin,  zouave  pontifical  frappé 
mortellement  au  combat  du  Monte  Libretti,  après  une 
lutte  héroïque,  et,  le  1e'  juin  1868,  à  la  messe  qu'il  célé- 
bra devant  un  bataillon  de  zouaves  canadiens  en  pas- 
sage à  Paris  pour  voler  à  la  défense  du  Pape.  «  Soyez 
«  bénis .  nobles  enfants  du  Canada ,  leur  dit-il  dans  une 
«  allocution  éloquente  qui  fut  reproduite  par  tous  les 
«  journaux,  vous  êtes  dignes  de  la  vieille  France  qui 
«  peupla  vos  contrées...  Votre  démarche  est  un  grand  en- 
ce  seignement  pour  le  monde  :  elle  apprend  à  ceux  qui  ne 
«  l'auraient  pas  compris  encore  qu'on  pense  au  Canada 
«  ce  qu'on  pense  dans  toute  l'Église,  que  Rome  n'appar- 
«  tient  pas  à  l'Italie.  Non,  Rome  n'appartient  pas  à  l'Italie, 
«  parce  que  la  ville  qui  commande  à  l'univers  ne  peut 
«  appartenir  à  aucun  autre  qu'à  son  pontife-roi.  » 

L'année  suivante,  l'Église  célébrait  dans  le  monde  en- 
tier le  jubilé  de  prêtrise  de  Sa  Sainteté.  M.  Hamon  en  fit 
l'objet  dune  fête  splendide  qui  eut  lieu  à  Saint-Sulpice, 


M.  HAXION  (1851-187  i  .  381 

le  11  avril  1869;  et  dans  un  discours  magnifique,  qu'il 
prononça  aux  Vêpres ,  devant  le  Nonce  qui  officiait ,  il  cé- 
lébra la  grandeur  personnelle  de  Pie  IX  et  la  grandeur 
incomparable  de  la  Papauté,  la  plus  grande  autorité  mo- 
rale qui  soit  sur  la  terre.  Une  copie  de  cette  belle  allocu- 
tion fut  adressée  au  Saint-Père  qui  l'en  remercia  par  un 
bref  des  plus  flatteurs,  daté  à  Rome  du  2  septembre  sui- 
vant (1). 

A  son  tour,  le  27  mars  1870,  M.  Hamon  célébra  ses 
noces  d'or  sacerdotales.  Saint -Sulpice  se  remplit,  ce 
jour-là,  comme  dans  ses  plus  grandes  solennités,  d'une 
innombrable  multitude  de  prêtres  et  de  fidèles ,  empres- 
sés de  venir  témoigner  au  vénéré  pasteur  combien  ses 
vertus  et  ses  mérites  le  rendaient  cber  à  tous.  Après  la 
messe,  il  monta  en  chaire  et,  prenant  pour  texte  de  son 
discours  ces  paroles  d'un  des  Psaumes  :  Tu  es  sacerdos  in 
œternum,  il  exprima,  dans  l'effusion  de  son  cœur  pater- 
nel, toute  sa  tendresse  pour  son  troupeau  :  «  0  chère 
paroisse,  s'écria-t-il,  avec  un  accent  ému  qui  fit  couler 
bien  des  larmes,  comme  je  t'aime  avec  tes  grands  sou- 
venirs desOlier,  des  Bretonvilliers,  des  La  Chétardye,  des 
Lan  guet  et  de  tant  d'autres,  dont  je  suis  honteux  de  m'ap- 
peler  le  successeur! 

«  Comme  je  t'aime  avec  ton  autel  où  je  fus  consacré 
prêtre,  avec  la  chapelle  de  la  Vierge  où,  sous  l'œil  de 
Marie,  Jésus  au  Saint-Sacrement  reçoit  une  continuelle 
adoration  ;  avec  ta  grande  église ,  si  souvent  trop  étroite 
pour  contenir  la  foule  qui  s'y  presse;  avec  ta  table  sainte 
tous  les  jours  si  fréquentée;  avec  tes  beaux  chants  et  tes 
beaux  offices  que  rehausse  si  splendidement  la  présence 
du  Séminaire  ! 

«  Comme  je  t'aime  avec  tes  confréries  et  tes  associa- 


(1)  Quo  in  sermone,  dit  le  Pape,  nndique  enitet  mirifica  tua  filialis 
erga  nos  et  hanc  Pétri  cathediam  pietas ,  amor  et  observantia. 


382  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE 

lions  pieuses  pour  Y  enfance ,  pour  la  jeunesse  et  l'âge 
mûr,  pour  l'un  et  l'autre  sexe ,  pour  la  classe  élevée  et  la 
classe  inférieure!... 

0  chère  paroisse ,  mon  cœur  s'ouvre  et  se  dilate  pour 
t'embrasser  tout  entière,  et  il  y  a  large  place  pour  tous. 
Os  nostrum  patet  ad  vos,  cor  nostrum  dilatation  est. 
Dilate-toi  aussi  et  embrasse  tous  tes  prêtres  dans  ton  affec- 
tion. Dilatamini  et  vos  capite  nos.  » 

Quelques  mois  après,  le  désastre  de  Sedan  entraînait  la 
chute  de  l'empire  et  la  marche  des  armées  prussiennes 
sur  Paris.  Dans  ces  douloureuses  conjonctures,  M.  Hamon 
rappela  ceux  de  ses  prêtres  qui  prenaient  leurs  vacances, 
en  sorte  que  tous  étaient  à  leur  poste  lors  de  l'investisse- 
ment de  la  capitale.  Au  milieu  de  ces  cruelles  épreuves, 
si  visiblement  empreintes  du  sceau  de  la  colère  céleste,  le 
besoin  de  recourir  à  Dieu  et  d'implorer  sa  miséricorde  se 
faisait  partout  sentir.  Le  pieux  pasteur  le  rappelait  sans 
cesse;  et  à  sa  voix,  les  prières  ne  furent  jamais  plus  fer- 
ventes, les  exercices  de  piété  plus  suivis.  En  outre,  les 
combats  presque  quotidiens  qui  se  livraient  sous  les 
murs  de  Paris ,  y  amenaient  un  grand  nombre  de  blessés. 
M.  Hamon  partagea  sa  paroisse  en  plusieurs  quartiers,  et 
envoya  dans  chacun  d'eux  quelques-uns  de  ses  prêtres  vi- 
siter chaque  jour  les  ambulances.  Plusieurs  se  joignirent 
à  leurs  confrères  d'autres  paroisses,  pour  aller  sur  les 
champs  de  bataille  offrir  leur  ministère  aux  mourants  et 
recueillir  les  blessés. 

«  Pendant  ces  tristes  jours,  écrivait  M.  Hamon,  le  5  fé- 
vrier 1871,  après  la  levée  du  siège,  nous  avons  exercé  en 
paix  notre  ministère.  Seulement,  pendant  une  semaine 
entière,  il  nous  a  fallu  déserter  l'église  visitée  par  les 
bombes  et  faire  nos  offices  dans  les  souterrains  comme 
aux  premiers  siècles  dans  les  catacombes.  La  voûte  a  été 
percée  en  deux  endroits  ;  les  poutres  et  les  chaînes  de  la 
toiture  ont  été  gravement  endommagées.  On  va  s'occu- 


M.  HAMON  (1851-1874).  383 

per  de  réparer  les  dégâts...  Vous  dirai-je  que  je  crains 
encore  plus  l'avenir  que  le  passé?  Qu'allons-nous  devenir 
au  milieu  de  toutes  les  passions  politiques  en  conflit? 
Prions,  c'est  notre  seule  ressource  (1).  » 

Par  une  protection  spéciale  de  la  Providence ,  quand , 
après  quatre  longs  mois  de  siège  et  de  séquestration ,  la 
malheureuse  capitale  fut  livrée  encore  aux  horreurs  de 
la  guerre  civile ,  horreurs  telles  que  la  franc-maçon- 
nerie elle-même  protesta  contre  les  liens  de  solidarité 
qu'on  voulait  établir  entre  elle  et  la  sinistre  Commune  2  , 
le  clergé  et  les  paroissiens  de  Saint-Sulpice  furent  épar- 
gnés, le  presbytère  ne  fut  l'objet  d'aucune  perquisition, 
les  prêtres  de  la  Communauté  ne  reçurent  aucune  insulte, 
bien  que  déjà  l'arrestation  de  l'archevêque .  de  plusieurs 
curés  de  Paris  et  de  trois  directeurs  du  Séminaire  comme 
otages  pût  faire  craindre  le  même  sort  pour  les  prêtres 
de  la  paroisse. 

Le  mois  de  Marie  s'ouvrit  également,  comme  les  années 
précédentes,  au  milieu  d'une  énorme  affluence.  «Nous 
sommes  bien  tranquilles,  écrivait  M.  Hamon  à  la  date 
du  5,  au  milieu  de  l'émotion  générale.  Notre  mois  de 
Marie  est  incomparablement  beau.  Tous  les  soirs,  à  huit 
heures,  notre  église  est  comble.  Jamais,  même  le  jour  de 
Pâques,  je  n'y  ai  vu  autant  de  monde.  On  chante  de  tout 
son  cœur  et  on  prie  la  Sainte  Vierge  de  toute  son  âme.  » 

Mais  le  8,  il  donnait  de  moins  bonnes  nouvelles.  «  Nos 
frères  sont  chassés  de  leurs  écoles,  disait-il,  et  consignés 
dans  leurs  maisons.  On  veut  les  habiller  en  gardes  na- 
tionaux et  les  faire  marcher  contre  Versailles.  Le  Sémi- 
naire  a  eu  beaucoup  à  souffrir.  Les  gardes   nationaux 


(1)  L'abbé  Branchereau ,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  344.  Les  belles  pein- 
tures à  fresque  de  la  coupole  de  la  Sainte  Vierge,  de  Lemoine,  furent  éga- 
lement fort  abîmées. 

(2)  Maxime  Du  Camp,  les  Convulsions  de  Paris,  t.  IV,  p.  63  et  6i, 
5"  éd. 


384  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  SAINT-SULPICE. 

s'y  conduisent  en  vrais  brigands.  Ils  ont  volé  jusqu'aux 
chemises  des  domestiques  et  liO  francs,  qu'ils  ont  trou- 
vés dans  leurs  chambres...  Ils  ont  consigné  les  directeurs 
avec  des  gardes  à  la  porte,  qui  ne  laissent  pas  même 
aller  à  la  chapelle  pour  dire  la  messe.  » 

Et  le  13,  il  mandait  à  la  même  personne  :  «  Nous  som- 
mes tristes  ces  jours-ci.  Hier  et  avant-hier,  un  club  dans 
notre  église ,  à  la  place  et  à  l'heure  de  notre  magnifique 
mois  de  Marie  (1).  » 

Toutefois  l'église  ne  fut  pas  ainsi  envahie  sans  diffi- 
cultés. Voici  le  récit  de  Maxime  Du  Camp  : 

a  II  y  eut  bataille  et  les  femmes  furent  vaillantes. 

«  Le  11  mai,  vers  huit  heures  du  matin,  l'église  fut 
«  entourée  par  les  fédérés  qui  en  gardèrent  les  portes. 
«  Le  motif  de  cette  invasion  était  étrange.  On  prétendait 
«  qu'un  télégraphe  aérien,  placé  sur  une  des  tours, 
«  correspondait  avec  Versailles  et  transmettait  à  la 
«  Réaction  des  renseignements  sur  l'état  des  forces  mi- 
ce  litaires  de  la  Commune.  On  eut  quelque  peine  à  faire 
«  comprendre  au  commandant  des  fédérés  qu'il  n'exis- 
«  tait  plus  de  télégraphe  aérien  sur  les  tours  depuis 
«  l'adoption  de  la  télégraphie  électrique.  » 

«  A  9  heures,  les  portes  de  l'église  furent  rouvertes; 
mais  comme  on  redoutait  encore  quelque  alerte ,  un  des 
vicaires  alla  trouver  le  délégué  siégeant  à  la  mairie 
du  VIe  arrondissement  pour  le  prier  de  faire  en  sorte 
que  le  scandale  ne  se  renouvelât  pas.  Le  délégué  fut  peu 
poli.  «  Faites  vos  simagrées  dans  le  jour,  lui  dit-il,  si 
«  cela  vous  convient,  et  abrutissez  les  vieilles  bigotes; 
<<  mais,  le  soir,  l'église  est  au  peuple ,  et  dès  aujourd'hui 
«  nous  y  établirons  un  club.  » 

«  Le  délégué  tint  parole;  le  soir,  l'église  était  ceinte 
d'un  cordon  de  troupes;  des  sentinelles  étaient  placées 

(1)  L'abbé  Branchereau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  350  et  351. 


M.  HAMON  (1851-1874).  385 

aux  portes.  Les  femmes,  leur  livre  de  messe  à  la  main, 
rassemblées  sur  la  place ,  s'agitaient  et  disaient  :  «  Nous 
«  entrerons!  »  Lorsqu'elles  se  virent  assez  nombreuses  pour 
vaincre  la  résistance  des  fédérés,  elles  marchèrent  vers 
l'église.  On  croisa  la  baïonnette  contre  elles  en  leur  criant  : 
«  On  ne  passe  pas!  »  Elles  répondirent  :  «  Baste!  Vos 
<(  fusils  ne  nous  font  pas  peur,  et  nous  passerons,  malgré 
«  vous.  »  Elles  le  firent  comme  elles  le  disaient  et  péné- 
trèrent dans  l'église.  Les  fédérés,  les  clubistes  se  jetèrent 
derrière  elles.  Déjà  elles  étaient  maîtresses  du  terrain 
et  remplissaient  les  trois  nefs.  Les  fédérés  crièrent  : 
«  Vive  la  Commune  !  »  les  femmes  surexcitées  répondirent  : 
«  Vive  Jésus-Christ!  »  Les  curieux  étaient  accourus;  l'église 
était  trop  étroite  pour  la  masse  du  monde  qui  s'y  pressait. 
Un  éclair  de  courage  passa  sur  cette  foule  d'où  s'éleva  une 
énorme  clameur  :  «  A  bas  la  Commune!  »  Les  fédérés 
ne  se  sentirent  pas  en  force  et  se  retirèrent.  Derrière  eux, 
on  ferma  les  portes;  mais,  ce  soir-là,  il  n'y  eut  ni  exercice 
religieux  ni  réunion  politique.  On  était  fort  troublé  dans 
le  quartier;  les  maris  sermonnaient  leurs  femmes  :  «  Tu 
«  vas  nous  compromettre!  »  Les  femmes  tenaient  bon,  se 
jurant  entre  elles  de  défendre  leur  église  et  de  ne  pas  la 
laisser  souiller. 

«  Le  lendemain,  12  mai,  vers  sept  heures  et  demie  du 
soir,  les  femmes  étaient  installées  dans  la  grande  nef  et 
priaient,  lorsque  des  hommes,  accompagnés  de  fédérés 
en  armes ,  apparurent  et  leur  ordonnèrent  de  déguerpir, 
parce  qu'ils  avaient  besoin  de  l'église  pour  une  réunion 
publique.  Les  femmes  ne  bougèrent  pas  ;  le  visage  penché 
sur  leur  livre  de  prières,  elles  firent  effort  pour  ne  pas 
entendre  les  injures  —  les  obscénités  —  qu'on  leur  criait 
aux  oreilles.  Le  nombre  des  clubistes  augmentait  :  ils 
firent  une  poussée  contre  les  femmes  et  entonnèrent  la 
Marseillaise.  Les  femmes,  tassées  les  unes  contre  les  au- 
tres, ripostèrent  en  chantant  le  Magnificat  et  le  Parce, 

ÉGLISE    SAINT-SULPICE.  25 


386  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT- SULPICE. 

Domine.  Deux  voyous  en  blouse,  coiffés  d'une  casquette 
ravalée,  escaladèrent  la  chaire  et  y  déployèrent  une 
écharpe  rouge  en  criant  :  Vive  la  Commune!  Les  femmes 
agitèrent  leurs  mouchoirs  en  guise  de  protestation  et, 
comme  la  veille,  crièrent  :  Vive  Jésus-Christ!  Ce  fut  en 
vain;  l'église  était  envahie;  les  pauvrettes,  malgré  leur 
courage,  n'avaient  pas  été  les  plus  fortes.  Elles  eurent 
beau  continuer  à  chanter  les  Litanies ,  le  club  s'installa; 
il  y  eut  un  président,  il  y  eut  des  assesseurs;  un  orateur 
surgit  à  la  tribune  :  «  Il  faut  étriper  les  nonnes ,  les  Jé- 
<(  suites  et  les  curés  ;  il  faut  les  flanquer  à  la  porte  de  cette 
«  baraque  pestilentielle  que  le  peuple  saura  purifier; 
«  il  faut  leur  enlever  nos  femmes  et  nos  enfants  qu'ils 
<(  corrompent,  qu'ils  abêtissent,  et  qu'ils  font  servir  à 
«  leurs  orgies.  »  Cette  fois,  les  femmes  de  Saint-Sulpice 
étaient  vaincues;  elles  abandonnèrent  la  place  à  la  libre 
pensée  et  se  retirèrent  en  chantant  des  cantiques  (1).  » 

Pour  empêcher  le  retour  de  ces  scènes  scandaleuses, 
M.  Hamon  se  décida,  dès  le  13  au  matin,  à  placer  l'exer- 
cice du  mois  de  Marie  à  \  heures  du  soir,  de  manière  à 
laisser  le  club  libre  de  s'installer,  le  soir,  dans  la  nef. 
A  7  heures,  il  faisait  enlever  le  Saint-Sacrement  et  à 
8  heures  commençaient  les  déclamations  des  clubistes, 
qui  se  prolongeaient  souvent  jusqu'à  11  heures  ou  mi- 
nuit. Le  lendemain  matin ,  à  6  heures ,  le  clergé  repre- 
nait possession  de  l'église.  De  la  sorte,  tous  les  offices 
de  la  semaine  et  du  dimanche  continuèrent  à  s'y  cé- 
lébrer, comme  à  l'ordinaire,  jusqu'au  24,  jour  où  une 
barricade,  élevée  à  l'angle  de  la  rue  de  Vaugirard  et  de 
la  rue  Bonaparte,  fut  enlevée  par  les  troupes  que  l'on 
accueillit  dans  tout  le  quartier  comme  des  sauveurs. 

C'était  le  jour  où  l'Église  faisait  la  fête  de  Notre-Dame 


(1)  Maxime  Du  Camp,  les  Convulsions  de  Paris,  t.  IV,  p.  187  et  188. 


M.  IIAMON  (1851-1874).  387 

Auxiliatrice.  M.  Hamon  y  vit  un  nouveau  signe  de  la  pro- 
tection de  la  Sainte  Vierge  sur  sa  paroisse;  et,  pour  lui 
en  témoigner  sa  reconnaissance ,  il  fit  placer  dans  sa 
chapelle  une  plaque  commémorative  avec  cette  inscrip- 
tion : 

In  festo  B.  M.  V  titulo 

Auxilium  Christianorum 

Maria  erat  spes  nostra  ad  quain 

Confugimus  in  auxilium  ut  liberaret  nos 

et  venit  in  adjutorium  nobis,  (Ant.  festi.) 

die  Maii  XXIV  MDCCCLXXI  (1). 

Le  soir  même,  il  fit  reprendre  les  exercices  du  mois  de 
Marie ,  qui  continuèrent  jusqu'à  la  fin  avec  un  redou- 
blement de  ferveur. 

Quelques  jours  après,  il  écrivait  à  un  de  ses  amis  de 
Bordeaux  :  «  Pour  nous,  prêtres  de  la  paroisse,  Dieu  nous 
a  merveilleusement  protégés.  Vivant,  tous  les  jours,  au 
milieu  d'une  légion  de  démons,  qui  nous  lançaient  des 
regards  décolère  et  des  menaces  de  mort,  nous  n'avons 
pas  été  touchés.  Pas  le  moindre  dégât  dans  notre  église; 
pas  une  seule  maison  de  la  paroisse  incendiée,  lorsque 
autour,  tout  était  en  feu.  Aussi  sommes-nous  allés,  au 
nombre  de  sept  cents,  en  remercier  Notre-Dame  de  Char- 
tres par  un  pèlerinage  solennel...  En  ce  moment,  nous 
sommes  mieux  portants  que  jamais.  Je  fais  imprimer  mes 
Méditations  pour  tous  les  jours  de  l'année;  et,  le  mois 
prochain,  je  vais  prêcher  des  retraites  pastorales  pour 


(1)  «  Dans  la  fête  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  sous  le  titre  de  Se- 
cours des  chrétiens,  Marie  était  notre  espérance.  Nous  nous  sommes  ré- 
fugiés près  d'elle  pour  qu'elle  nous  secourût  et  qu'elle  nous  délivrât  ;  et 
elle  est  venue  à  notre  aide,  (Ant.  de  la  fête)  le  24  mai  1871.  » 


388  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SALNT-SULPICE. 

me  délasser.  Adieu,  mes  bons  amis;  priez  pour  moi,  que 
Dieu  n*a  pas  jugé  digne  de  la  grâce  du  martyre,  dont 
tant  de  prêtres  de  Paris  ont  été  favorisés.  Je  vous  em- 
brasse et  vous  aime  tous  en  Notre-Seigneur(l).  » 

Les  Méditations  dont  i!  parle  à  la  fin  de  cette  lettre, 
ne  furent  pas  le  seul  ouvrage  qu'il  ait  publié  au  cours 
de  son  ministère  pastoral.  Dès  le  mois  de  juin  185i,  il 
fit  paraître  la  Vie  de  saint  François  de  Sales,  dont  il 
avait  déjà  fini  le  premier  volume  avant  son  départ  de 
Bordeaux  et  qu'on  attendait  avec  impatience.  Cette  Vie, 
dune  lecture  attachante  par  le  charme  du  style  comme 
par  celui  du  récit,  met  bien  en  relief  les  traits  distinctifs 
de  cet  aimable  Saint,  son  extrême  douceur,  sa  tendre 
bonté,  les  agréments  de  son  langage  qui  n'ont  d'égal  uue 
les  grâces  de  son  esprit;  et  elle  place  son  auteur  au  pre- 
mier rang  des  hagiographies  contemporains. 

Deux  ans  après,  en  1856,  il  conçut  le  projet  d'un  tra- 
vail bien  plus  vaste  encore ,  celui  de  l'histoire  du  culte 
de  la  Sainte  Vierge  en  France  depuis  l'origine  du  Chris- 
tianisme jusqu'à  nos  jours.  Il  pensait  qu'il  ne  pouvait  pas 
choisir,  pour  élever  ce  monument  littéraire  à  la  gloire  de 
la  Mère  de  Dieu ,  un  moment  plus  favorable  que  celui  où 
la  France  elle-même,  pour  lui  témoigner  son  amour,  lui 
faisait  ériger  sur  le  rocher  de  Corneille,  près  du  Puy, 
avec  le  bronze  des  canons  pris  à  Sébastopol,  sa  statue 
colossale  sous  le  titre  de  Notre-Dame  de  France.  Il  pen- 
sait aussi  que  cette  Histoire,  qui  n'avait  pas  encore  été 
faite,  fournirait  la  preuve  que  l'élan  remarquable  des 
âmes  vers  le  culte  et  l'amour  de  la  Sainte  Vierge,  qui  se 
produisait  en  France  depuis  plus  de  trente  ans,  n'était 
pas  une  nouveauté,  mais  bien  un  retour  aux  traditions 
de  nos  pères ,  et  le  réveil  du  sentiment  français ,  étouffé 


(1)  L'abbé  Brandieieau,  Vie  de  M.  Hamon,  p.  358. 


M.  HAMON  (1851-1874) 


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par  la  tempête  irréligieuse  de  1793.  Sous  son  inspiration, 
un  comité  se  forma  à  Paris  sous  le  titre  de  Comité  his- 
torique de  Notre-Dame  de  France.  Il  s'adressa  à  tous  les 


évêques ,  à  l'école  des  Chartes,  à  tous  les  archéologues; 
et  de  tous  côtés  lui  arrivèrent  des  rapports,  des  notices, 
des  documents  du  plus  haut  intérêt.  M.  Hamon  se  chargea 


390  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  SAINT-SULPICE. 

de  fondre  ensemble  tous  ces  travaux,  de  les  compléter  et 
d'en  faire  un  ouvrage.  Cetle  publication,  qui  devait  ren- 
fermer 10  volumes  in-8°,  n'en  contient  que  sept,  qui 
parurent  successivement  de  1861  à  18G6;  mais,  malgré 
plusieurs  lacunes  et  trop  de  hâte  dans  la  rédaction  de 
certaines  de  ses  parties,  elle  forme  un  monument  gran- 
diose élevé  à  la  gloire  de  Marie,  qui  ne  peut  que  con- 
tribuer grandement  à  propager  son  culte,  et  qui,  en  té- 
moignant du  profond  amour  de  son  auteur  pour  la 
Reine  du  clergé,  lui  fait  à  lui-même  le  plus  grand  hon- 
neur. 

Ses  Méditations  sont  la  dernière  de  ses  œuvres.  Fruit 
de  sa  longue  expérience  de  la  conduite  des  âmes,  elles 
forment  pour  leurs  lecteurs  assidus  et  attentifs  un  guide 
sûr  dans  la  voie  de  la  piété  et  de  la  vertu ,  et  réalisent 
parfaitement  le  but  que  se  proposait  leur  auteur  en  les 
écrivant  :  «  celui  d'aider  les  âmes  chrétiennes  à  mieux 
((  connaître  Dieu  avec  ses  perfections  infinies  et  ses  mys- 
«  tères  adorables  pour  mieux  l'aimer  et  le  servir;  à 
«  mieux  se  connaître  elles-mêmes  avec  leurs  défauts  et 
«  leurs  devoirs  pour  se  réformer  et  faire  progrès  dans 
«  les  vertus  (1)  ».  Il  les  publia  en  1872;  et  depuis  lors, 
rééditées  bien  des  fois,  elles  ne  cessent  pas  d'être  très 
demandées. 

L'année  suivante  (1873),  il  eut  le  bonheur  de  célébrer, 
le  20  juin,  la  fête  du  Sacré-Cœur  à  Paray-le-Monial,  en- 
touré d'un  grand  nombre  de  ses  paroissiens;  et  de  Paray, 
il  se  rendit  à  Chartres  où  l'évêque  l'avait  invité  â  prê- 
cher la  retraite  pastorale.  Ce  fut  la  dernière  qu'il  donna. 
A  partir  de  ce  moment-là,  il  sentit  ses  forces  diminuer 
rapidement;  il  perdit  l'appétit  et  ses  digestions  devinrent 
douloureuses.  En  juin  187'*,  il  avait  organisé  un  pèleri- 
nage de  sa  paroisse  à  Lourdes;  mais  son  médecin  l'em- 

(1)  Préface  des  Méditations. 


M.  HAMON  (1851-1874).  3'J1 

pécha  de  s'y  rendre;  il  ne  put  que  s'y  faire  représenter 
et  offrir  à  la  Sainte  Vierge  une  statuette  d'argent  où  on 
le  voit  tenant  dans  ses  mains  l'église  Saint-Sulpice,  qu'il 
présente  à  la  Divine  Vierge ,  et  où  est  gravée  cette  ins- 
cription :  «  André  Hamon,  douzième  successeur  de 
«  M.  Olier  en  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  à  Paris,  con- 
«  sacre  sa  paroisse  à  Notre-Dame  de  Lourdes.  10  juin 
«   1874.  » 

Dès  lors  «  la  maladie  cruelle  dont  il  était  atteint  lit  des 
«  derniers  mois  de  son  existence  un  véritable  martyre. 
«  Au  milieu  de  ses  souffrances,  cet  homme  de  Dieu  ne 
v  voulut  rien  relâcher  de  ses  travaux  ;  tant  qu'il  put  mar- 
«  cher,  il  alla  visiter  les  malades;  tant  qu'il  put  se  tenir 
«  debout,,  il  continua  à  célébrer  le  saint  Sacrifice.  Il  ne 
«  s'arrêta  que  lorsque  le  mal  l'eut  terrassé.  Son  héroïque 
«  constance  devant  la  douleur  ne  fut  égalée  que  par  sa 
«  douceur  et  sa  reconnaissance  envers  ceux  qui  l'entou- 
«  raient  de  leurs  soins.  Purifié  comme  for  dans  le  creuset 
«  de  cette  suprême  épreuve,  il  a  rendu  sa  belle  âme  à 
«  Dieu  (le  16  décembre  1874)  dans  des  dispositions  si 
«  saintes,  que  l'on  serait  porté  plutôt  à  l'invoquer  qu'à 
((  prier  pour  lui  ». 

Tels  sont  les  termes  dans  lesquels  l'éminent  cardinal 
Guibert  annonçait  sa  mort  dans  la  lettre  qu'il  écrivait  le 
lendemain,  17,  à  son  clergé;  et  il  ajoutait  «  qu'il  éprou- 
«  vait  une  affliction  profonde  de  la  perte  de  ce  prêtre 
«  vraiment  accompli,  dans  la  vie  duquel  il  nest  pas  une 
«  vertu  du  prêtre  et  du  pasteur  qui  n'ait  brillé  du  plus 
<(  vif  éclat  »  * 

Une  aussi  belle  vie  ne  pouvait  pas  être  couronnée  par 
un  plus  bel  éloge. 

Son  corps  repose  dans  le  cimetière  privé  des  prêtres  de 
Saint-Sulpice,  à  Issy.  Mais  son  cœur  est  demeuré  dans  sa 
chère  église  de  Saint-Sulpice,  où  il  a  été  placé  au  bas  du 
sanctuaire  de  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge,  sous  une 


392  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SAINTrSULPICE. 

table  de  marbre,  sur  laquelle  est  gravée  l'inscription  sui- 
vante : 

Andréas  Hamon 

Per  annos  viginti  très 

S.  Sulpitii  parochiam  rexit 

Plenusque  dierum  et  bonorum  operum 

Obdormivit  in  Domino 

Anno  MDCGCLXXIV 

Gujus  cor 

Ad  pedes  D.  V.  Mariae 

Quam  singulari  pietate  coluit 

In  sacello  eidem  dedicato 

Die  XV  Mensis  Augusti'  anni 

MDCCCLXXXVII 

Repositum  est  (1). 

1 1  «  André  Hamon  a  gouverné  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  pendant  23  ans, 
et  il  s'est  endormi  dans  le  Seigneur,  en  1874,  plein  de  jours  et  de  bonnes 
œuvres. 

«  Son  cœur  a  été  déposé,  le  15  août  1887,  aux  pieds  de  la  Très  Sainte  Vierge 
Marie,  pour  laquelle  il  avait  une  dévotion  particulière,  dans  la  chapelle 
qui  lui  est  dédiée.  » 


CHAPITRE  XVII 

M.    MÉRITAN    (1875-1899). 


Sommaire  :  Sa  naissance.  —  Ses  études  a  Avignon.  —  Il  les  achève  à  Saiut- 
Sulpice.  —  Son  entrée  et  ses  fonctions  successives  clans  la  Compagnie.  —  Sa 
nomination  à  la  cure  de  Saint-Sulpice.  —  Importance  de  ses  œuvres  parois- 
siales. —  Il  crée  le  bel  établissement  du  n"  v2i>  de  la  rue  d'Assas;  il  agrandit 
celui  des  Krcres.  au  n°  68  de  la  même  rue.  —  Il  fonde  l'œuvre  des  veilleuses 
charitables  des  pauvres  malades.  —  Enseignement  des  catéchismes  de  se- 
maine par  les  prêtres  de  sa  communauté.  —  Son  Manuel  de  la  vie  et  de  la 
piété  chrétienne.  —  Discours  du  cardinal  Lavigerie  à  Saint-Sulpice.  lors  de 
sa  croisade  contre  la  traite  des  Noirs.  —  Oraison  funèbre  de  M^r  d'Hulst.  par 
M**  Touchet,  évêque  d'Orléans.  —  Installation  à  Saint-Sulpice  de  l'archicon- 
frérie  de  Notre-Dame  de  Compassion  pour  la  conversion  de  l'Angleterre.  — 
Mort  de  M.  Méritan.  —  Antécédents  de  M.  I.etourneau,  appelé  à  lui  succéder. 


Le  successeur  de  M,  Hamon  a  été  M.  Méritan. 

Né  à  Saint-Martin  de  Castillon  (Vaucluse),  le  9  avril 
1828,  M.  l'abbé  Elzéar  Méritan,  après  avoir  fait  ses  huma- 
nités au  petit  Séminaire  d'Avignon  et  ses  premières  études 
théologiques  au  grand  Séminaire  de  cette  même  ville, 
vint  les  achever  à  Saint-Sulpice,  où  il  entra  au  mois  d'oc- 
tobre 1849.  Il  y  resta  deux  ans  et  fit  ensuite  à  la  Solitude 
son  année  d'épreuve,  aux  termes  de  laquelle  il  fut  ordonné 
prêtre  à  la  Trinité  de  1852  et  admis  dans  la  Compagnie 
de  Saint-Sulpice.  Envoyé  alors  au  Séminaire  d'Autun,  il  y 
professa  la  théologie  pendant  neuf  ans  et  s'y  fit  remarquer 
par  la  sûreté  de  son  jugement,  la  solidité  de  sa  doctrine 
et  l'étendue  de  son  savoir.  En  1861,  il  fut  chargé  d'aller 
occuper  la  même  chaire  au  grand  Séminaire  de  Lyon, 
dont  il  fut  nommé  supérieur,  le  4  septembre  1870.  Il  le 


39 i  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  SA1XT-SULPICE. 

dirigeait  depuis  cinq  ans,  lorsqu'il  fut  appelé  à  la  cure 
de  Saint-Sulpice,  dont  il  prit  possession  le  13  février 
1 875,  et  dont  il  demeura  titulaire  pendant  près  d'un  quart 
de  siècle. 

Le  lendemain  du  jour  de  son  installation  était  le  pre- 
mier dimanche  du  Carême  ;  après  les  Vêpres,  il  monta  en 
chaire  pour  commencer  lui-même  la  station  quadragési- 
male,  confiée  à  un  prédicateur  qu'un  mal  foudroyant 
avait  emporté,  quelques  jours  auparavant.  Ce  début  n'é- 
tait pas  pour  lui  sans  péril.  Il  succédait,  comme  curé,  à 
un  orateur  distingué,  «  à  la  parole  tour  à  tour  iine, 
«  élevée,  émue  jusqu'à  la  tendresse,  et  ayant  parfois  de 
«  magnifiques  envolées  d'éloquence  qui  ravissaient  son 
«  auditoire  (1)  ».  Tout  autre  était  son  talent,  fait  de  sim- 
plicité, de  clarté  et  de  gravité  de  langage,  jointes  à  une 
grande  force  de  persuasion ,  puisée  aux  sources  pures  de 
la  doctrine  des  maîtres  de  la  théologie.  Néanmoins,  quel- 
que ditïérent  qu'il  fût  de  celui  de  M.  Hamon,  l'auditoire 
d'élite  de  Saint-Sulpice  l'apprécia  de  suite;  depuis  lors, 
une  assistance  nombreuse  ne  cessa  pas  de  remplir  la  nef 
de  l'église  pour  entendre  les  prônes  ou  pour  suivre  les 
retraites  du  nouveau  pasteur;  «  et  quand,  à  sa  mort,  on 
eut  retrouvé,  soigneusement  classés  dans  ses  tiroirs,  la 
plupart  de  ses  homélies  dominicales  et  de  ses  sermons  de 
retraites,  entre  autres  trésors,  les  belles  séries  de  ses  ins- 
tructions sur  le  Pater,  sur  le  canon  de  la  Messe ,  sur  la 
conscience,  les  fidèles  réclamèrent  avec  instance  leur  pu- 
blication (2)  ». 

Mais  si  cet  homme  d'étude,  placé  ainsi  soudainement 
et  sans  préparation  à  la  tête  d'une  immense  paroisse, 
s'est  révélé,  dès  son  premier   sermon,  un  prédicateur 


(1)  Notice  nécrologique  sur  M.  Méritan,  publiée  dans  la  Semaine  reli- 
gieuse de  Paris,  des  1G  et  23  décembre  1899,  p.  800. 

(2)  Ibid. 


M.  MÉRITAN    1875-1899).  395 

excellent,  il  a  déployé,  à  un  degré  non  moins  égal,  pen- 
dant les  vingt-cinq  années  de  sa  direction  paroissiale,  les 
qualités  d'un  administrateur  accompli. 

Complétant  l'œuvre  de  son  prédécesseur,  il  en  a  doublé 
l'étendue  en  créant  le  vaste  et  bel  établissement  qui  porte 
le  numéro  26  sur  la  rue  d'Assas.  Là  il  a  groupé  plusieurs 
œuvres  scolaires  et  charitables  qui  toutes  prospèrent  et 
sont  pleines  de  vie  : 

Une  école  de  filles  dirigée  par  les  Sœurs  de  Saint-Vin- 
cent de  Paul,  dont  les  sept  classes,  y  compris  la  classe  en- 
fantine, renferment  iOO  élèves  (1); 

Une  école  professionnelle,  corollaire  de  la  première,  où 
3 4 jeunes  ouvrières,  brodeuses,  monteuses  et  repasseuses, 
sont  préparées  à  former  des  ouvrières  chrétiennes  de  ces 
divers  états; 

Un  patronage,  comprenant  plus  de  200  jeunes  filles, 
dont  au  moins  180  se  réunissent,  tous  les  dimanches,  sous 
la  direction  des  Sœurs,  pour  se  récréer,  s'édifier  et  fré- 
quenter les  catéchismes  de  la  paroisse  ; 

L'œuvre  de  Notre-Dame  de  Bonne  Garde,  qui  donne 
le  logement  et  la  nourriture  à  un  certain  nombre  de  ces 
jeunes  filles,  qui  travaillent  en  dehors; 

Un  orphelinat,  qui  renferme  30  enfants; 

Une  infirmerie,  ouverte  à  toutes  les  jeunes  filles  de  la 
maison  ou  de  la  paroisse  qui,  étant  malades,  ne  peuvent 
pas  être  soignées  dans  leurs  familles  ou  se  refusent  à 
entrer  dans  les  hôpitaux  publics  (2). 

Un  fourneau,  établi  à  l'entrée  de  l'école  de  concert 
avec  la  Société  philanthropique,  et  qui  rend  de  grands  ser- 


(1)  En  juillet  1898,  18  élèves  ont  obtenu  de  la  commission  d'examen, 
après  des  épreuves  sérieuses,  un  Certificat  d'instruction  primaire;  15, 
tin  certificat  d'instruction  religieuse,  à  l'Archevêché;  et  16,  un  diplôme